Cet exemple de protocole de recherche vise à vous donner un aperçu des attentes académiques relatives à la rédaction de ce type d’exercice
Analyse du processus d’organisation et de décision en cas de crise par une organisation à haute fiabilité : le cas des organisations militaires
Résumé
Les organisations à haute fiabilité (OHF) comme les organisations militaires sont exposés à différents risques pouvant porter préjudice à la vie de famille, à la santé, voire même à la survie des militaires. Dans ce cadre, la résilience organisationnelle est indispensable pour aider les militaires à aller de l’avant. En même temps, la réalisation des opérations extérieures et l’exposition des militaires à différents environnements et risques nourrissent aussi leur résilience individuelle, ce qui permet de maintenir leur engagement et leur motivation à accomplir leurs missions.
Mots-clés : OHF, militaires, résilience organisationnelle, crise
Introduction
Le monde est instable : il évolue dans un environnement incertain marqué par la présence de facteurs de risques comme le changement climatique, l’émergence de pandémies comme la Covid-19, l’éclatement de différents conflits comme ceux opposant l’Ukraine à la Russie, etc. La constatation des risques et l’augmentation de l’intérêt pour la cindynique ou science des dangers a favorisé l’intérêt pour la résilience. Face aux différentes crises, catastrophes naturels et turbulences auxquels sont exposées les sociétés actuelles, la résilience a été désignée comme étant le pilier des réflexions et des préconisations pour éliminer ou tout au moins, pour diminuer les risques (Reghezza-Zitt, 2013).
La notion de résilience organisationnelle était largement évoquée dans le domaine de la gestion d’entreprise, pour se référer à l’aptitude d’une organisation « à rebondir face aux chocs inattendus » (Dkhissi et al., 2023, p.259). La gestion suggère que la résilience d’une organisation correspond à sa capacité à adapter son fonctionnement aux changements et perturbations inattendues ou non, de manière à ce qu’elle puisse assurer ses missions (Dietrich et Riberot, 2021). D’autres auteurs comme Frimousse et Peretti (2021) surpassent cette acception de la résilience organisationnelle et la décrivent comme la capacité à surmonter les crises afin de retourner à l’état normal. Pour ces auteurs, la résilience organisationnelle a pour objectif de créer et de développer de nouvelles capacités (Prior, 2017).
La littérature a établi que la résilience est une notion inséparable de la notion de risques. Dans cette optique, la conception des risques influence également la perception de ce qu’est la résilience. Les risques peuvent être considérés comme des endommagements humains et matériels, des problèmes qu’il convient d’éliminer autant que possible par des approches technicistes et technocratiques. Dans ce cadre, la prise de décision est de type top-down. Le mode de gestion privilégié pour faire face au risque-endommagement ne vise pas à protéger le matériel, mais plutôt à assurer la survie et la pérennité de la société elle-même. Face à cette situation, la résilience est la solution pour permettre le retour à la normale ou à l’état initial (Reghezza-Zitt, 2013).
D’autre part, le risque peut être appréhendé comme étant la résultante de l’interaction de la société avec son environnement. La fin du XIXe siècle a été témoin de l’émergence du concept de risque en tant que « hazard » ou vulnérabilité. Or, cette vulnérabilité peut provoquer des endommagements. Parfois, ce «hazard » est une ressource, mais dans d’autre cas, il est aussi un dommage (Reghezza-Zitt, 2013). La perception du « hazard » en tant que ressource ou dommage dépend de la culture organisationnelle. Ainsi, chez une organisation résiliente, le « hazard » est plutôt vu comme une opportunité pour se développer, pour revoir sa structure, son fonctionnement, pour réviser ses activités plutôt que comme un échec (Gautier, 2023). Vu sous cet angle, la résilience organisationnelle correspond à un changement organisationnel et dans cette optique, la fonction RH intervient pour la piloter et pour favoriser la symbiose entre résilience organisationnelle, résilience des collectifs de travail et résilience des collaborateurs de l’organisation (Frimousse et Peretti, 2021).
Ces deux acceptions de la notion de risque conduit à deux paradigmes de la résilience. Dans le risque-endommagement, la résilience est l’alternative qui permet à l’individu et à la société de résister aux effets dévastateurs de l’évènement catastrophique. Dans le risque-vulnérabilité pourtant, la résilience correspond à la flexibilité, à l’adaptabilité dont fait preuve l’individu et la société face aux changements de l’environnement afin de rendre les interactions homme-environnement positives. L’existence de ces différentes acceptions de la résilience reflète la complexité de la notion, mais aussi les contradictions autour des tentatives de définition de celle-ci car, la résilience ne peut pas être à la fois la résistance et la flexibilité face à une situation (Reghezza-Zitt, 2013).
La résilience dépend de trois facteurs : la capacité maximale de déformation de l’organisation, l’ampleur et la fréquence des crises, et finalement, la disparition de la frontière entre la nature et le social. D’autre part, il est admis que la résilience varie en fonction de trois capacités de l’organisation que sont l’absorption, le renouvellement et l’appropriation (Dietrich et Riberot, 2021). Dkhissi et al. (2023) pour leur part, ont identifié trois dimensions de la capacité de résilience d’une organisation : la capacité de renouvellement, la capacité d’appropriation et la capacité d’absorption. Comme son nom l’indique, la capacité de renouvellement désigne l’aptitude d’une organisation à développer de nouvelles activités ou à innover celles qui sont existantes. La capacité d’appropriation se réfère à la capacité de l’organisation à apprendre, à exploiter les leçons tirées de ses échecs passés, de se rendre compte de la crise et de ses conséquences, afin de pouvoir élaborer les stratégies et concevoir un système post-crise. Dans cette démarche, des pratiques et des solutions correctives sont déterminées. Enfin, la capacité d’absorption correspond à la capacité de l’organisation à tirer profit des opportunités et des menaces externes pour mettre en œuvre des stratégies assurant sa survie.
Ces différents faits soulignent l’importance de la promotion de l’apprentissage organisationnel dans le développement de la résilience (Dkhissi et al., 2023). En effet, la résilience organisationnelle s’inscrit dans une dynamique de « test and learn », permettant aux différents intervenants de développer un nouveau fonctionnement et de nouvelles démarches de développement (Frimousse et Peretti, 2021). La mise en œuvre de la stratégie s’accompagne forcément du déploiement de ressources et de moyens. Les ressources englobent les ressources matérielles, financières et technologiques qui vont dégager des marges de manœuvre pour l’organisation (Gautier, 2023).
Pour Tiberghien et Bout Vallot (2019), la capacité de résilience repose sur le bricolage et l’improvisation, le changement de rôles, la sagesse et le respect mutuel. « Bricoler » et « improviser » reviennent à faire preuve de créativité pour pouvoir donner des propositions innovantes et adaptées aux réalités du terrain. Certes, les acteurs ne peuvent pas improviser complètement mais seulement en partie, en se référant aux schémas préétablis qu’ils cherchent à réadapter aux nouvelles conditions.
Le changement de rôle ne se limite pas uniquement au changement d’activités, de rôle dans le sens littéral des choses, mais aussi le changement d’identité et de vision du monde. En d’autres termes, le changement de rôle implique le changement de la manière avec laquelle, la situation et l’environnement sont appréhendés. Ce changement de regard va influencer la définition de la manière avec laquelle, les intervenants de l’organisation vont agir pour répondre à la situation (Tiberghien et Bout Vallot, 2019).
La sagesse dont il est question dans le développement de la résilience correspond à la capacité de discernement, d’ouverture, d’écoute et de curiosité. Elle permet d’improviser, de faire le nécessaire pour affronter la situation, de se méfier des interprétations hâtives et simplistes, tout en évitant l’excès de confiance. La sagesse pousse l’acteur à s’engager ou non dans une action, à un moment précis et de ne pas se laisser inhiber par des précautions excessives. La prise de décision face à une situation dépend de la sagesse et des émotions de chaque individu, ainsi que de sa perception de ce qu’est le « moindre risque ». Cela fait apparaître une autre caractéristique de la résilience organisationnelle : elle est fonction des relations entre les individus qui constituent le collectif et la culture organisationnelle (Tiberghien et Bout Vallot, 2019), ce qui amène vers le dernier pilier de la résilience identifié par Tiberghien et Bout Vallot (2019), les interrelations respectueuses.
Les individus qui travaillent au sein d’une même organisation doivent faire preuve de respect mutuel. Ce dernier repose sur l’écoute attentive et les échanges d’idées. Ensemble, les interlocuteurs peuvent donner un sens à un évènement et développer l’esprit de groupe. La communication et le respect mutuel agissent entre autres, à fédérer le groupe même lorsqu’il traverse des épreuves. Mais la communication dépend elle-même de la connaissance entre les individus qui s’échangent des informations ou qui discutent entre eux. Elle est plus aisée entre des personnes qui se connaissent bien, qu’entre des inconnus (Tiberghien et Bout Vallot, 2019).
Un autre auteur, Gautier (2023) a identifié et a souligné l’importance de la gestion d’informations dans le cadre de la résilience organisationnelle. Celle-ci permet à toute organisation en effet, de réduire les incertitudes. La qualité des informations à la disposition des acteurs leur permet de prendre les décisions les plus appropriées par rapport à la situation qui se présente. Dans la gestion des informations, l’organisation est amenée à collecter les informations, mais aussi à monter un réseau professionnel qui va agir en temps de crise et assurer la transmission d’informations vers les destinataires qui vont accomplir une tâche précise. La faculté d’une organisation à être résiliente dépend par conséquent de la mise en place et de l’utilisation d’outils de communication et de système d’informations partagées. Les échanges entre les acteurs ne se limitent pas pour autant au cadre formel, mais s’étendent également dans le domaine informel.
Dans le domaine de la gestion, les études faites sur la résilience s’inscrivent souvent dans les recherches sur les crises, ainsi que sur les organisations qui sont exposés à différents risques telles que les organisations à haute fiabilité (Dietrich et Riberot, 2021). Ces dernières n’ont pas vocation à éliminer les risques, mais à les gérer (Rochet et Saint, 2014). L’organisation à haute fiabilité (OHF) est une organisation hypercomplexe dont les composantes sont interdépendantes. Chacune d’entre elles a sa propre hiérarchie de commandement, mais les différentes équipes au sein d’une même OHF collaborent entre elles. Dans ce système, chaque acteur a un fort degré de responsabilité et les rôles de chacun sont clairement déterminés. Plusieurs acteurs prennent les décisions après concertation à travers des réseaux de communication complexe. Dans ce cadre, les feedbacks sont immédiats et fréquents (Rochet et Saint, 2014).
Les OHF sont des organisations réflexives, impliquant le processus de sensemaking. Il s’agit alors pour chaque acteur qui compose l’OHF d’analyser la situation et son évolution, afin de connaître les actions qui devraient être mises en place. Cette réflexivité des acteurs permet une auto-organisation locale et l’ajustement du comportement de l’organisation en temps réel. L’OHF en effet, est exposé à plusieurs risques pouvant porter préjudice à sa sûreté et à sa sécurité, ce qui exige qu’elle soit réactive (Journé, 2019).
Les OHF sont qualifiées d’organisations « apprenantes » puisqu’elles tirent des leçons et apprennent de leurs erreurs dans le passé pour ajuster leur mode de fonctionnement à l’avenir. Les retours d’expériences sont indispensables pour les OHF, mais ils ne peuvent être obtenus à moins que l’organisation ne favorise la transparence en encourageant les acteurs à ne pas avoir peur des sanctions hiérarchiques même s’ils ont fait une erreur. De cette manière, les acteurs des OHF peuvent analyser et discuter des erreurs ayant conduit à l’émergence de la situation problématique. Les OHF se caractérisent également par leur résilience. Étant donné leur exposition aux tensions, elles sont amenées à surmonter différentes sortes d’évènement imprévus (Journé, 2019).
Face aux différentes tensions, la complexité et l’impact drastique de leurs activités, le temps constitue un facteur de pression très forte pour les OHF (Rochet et Saint, 2014). Les OHF sont amenées à faire preuve de vigilance organisationnelle pour pouvoir détecter et corriger ses erreurs. Cette vigilance organisationnelle repose sur cinq facteurs : la focalisation sur les échecs plutôt que sur le succès, la méfiance envers les interprétations simplifiées, la sensibilité aux opérations, l’obligation de résilience et l’expertise (Tiberghien et Bout Vallot, 2019).
Le haut niveau d’incertitude ne caractérise pas uniquement les OHF, mais constitue en même temps, une des conditions de leur développement. La diversité des environnements dans lesquels elles interviennent les oblige à s’adapter et à faire preuve de résilience. Les incertitudes liées à chaque situation constituent une opportunité pour les OHF de se développer à travers l’apprentissage permanent et le développement de capacités. L’incertitude à laquelle, elles sont confrontées peut être une incomplétude ou une ambigüité. L’incomplétude se produit lorsque l’OHF ne dispose que de peu d’informations sur la réalité passée, ce qui empêche également de faire une projection ou une anticipation de l’avenir. L’OHF adopte alors des comportements sans trop savoir si ceux-ci sont les plus adaptés à la situation. L’incomplétude implique de ce fait, que les ressources humaines de l’OHF sont cognitivement limitées à cause du manque de connaissances concernant l’évènement à risque (Rochet et Saint, 2014).
L’ambigüité d’un autre côté, implique l’existence de plusieurs scénarii. Cependant, la probabilité que chacun d’entre eux se produise reste relativement faible. Dans ce cas, l’OHF mise sur le scénario le plus pessimiste avec les conséquences les plus dévastatrice pour prendre une décision. Il est à noter toutefois que dans le cas d’une ambigüité, la prise de décision n’est pas fondée sur l’identification claire du risque, mais plutôt sur un pari ou sur la perception de l’individu. L’ambigüité et l’incomplétude sont reliées entre elles dans la mesure où une diminution d’incomplétude conduit vers l’ambigüité, tandis qu’une réduction de l’ambigüité augmente la probabilité d’incomplétude (Rochet et Saint, 2014).
Chez les OHF, la capacité de résilience dépend du processus de gestion de connaissances. Plus l’OHF produit des connaissances et se montre perspicace dans la gestion de celles-ci, plus elle peut anticiper les évènements, les risques. La capacité d’anticipation permet à son tour d’adopter les changements organisationnels requis face à une situation particulière (Remond, Echajari et Attour, 2022).
Parmi les OHF au service de l’État se trouvent les organisations militaires. En tant que telle, les organisations militaires portent aussi une attention particulière aux erreurs et aux échecs. Elles ne simplifient pas les problèmes et mènent attentivement les opérations en valorisant l’expertise. Celle-ci est détenue et exploitée par les sous-officiers supérieurs des armées. Ces derniers possèdent les connaissances sur l’utilisation efficiente des matériels fournis. Leur expertise leur permet de déterminer les actions à mener, d’analyser la situation et de prendre les décisions. Les forces armées prennent en compte les réalités du terrain et les besoins opérationnels avant l’approvisionnement en matériels. L’attribution et la manipulation de ces matériels requièrent une maîtrise de leurs spécificités techniques ainsi que l’établissement de différents scénarii. Pourtant, force est de constater que la réalité peut être en décalage, voire même dépasser les scénarii préétablis. De ce fait, la réussite de l’opération ne repose pas uniquement sur l’habileté des militaires à manipuler les matériels, mais aussi sur leur adaptabilité et sur leur capacité à mettre en place rapidement, des stratégies appropriées à la réalité (Coye de Brunelis et al., 2022).
Comme toute autre OHF, les organisations militaires s’engagent dans la résilience. Celle-ci leur permet d’affronter les évènements imprévus et les évolutions de la situation sur le champ de bataille. La résilience permet aux organisations militaires entre autres, de gérer les moyens à leur disposition et des facteurs de dégradation de la situation. C’est la raison pour laquelle, les forces armées continuent d’aller de l’avant malgré les possibles pertes et échecs qu’ils expérimentent sur le champ de bataille. La résilience des organisations militaires suggère aussi qu’elles sont en mesure d’adopter plusieurs états (également appelés « variétés) pour répondre aux perturbations ou aux changements de leurs environnements. Dans ce cadre, si leurs environnements présentent plusieurs états, les organisations militaires doivent aussi afficher autant de variétés pour être résilientes. L’adaptation des militaires sur le champ de bataille peut être une invention, une improvisation ou un bricolage adaptatif (Rochet et Saint, 2014).
Cette étude va analyser la construction et l’utilisation de cette résilience organisationnelle dans le cadre des opérations extérieures auxquelles, la France participe activement. Pour elle en effet, sa responsabilité en tant que Conseil de sécurité des Nations Unies l’oblige à intervenir pour maintenir la paix et la sécurité non seulement sur son propre sol, mais aussi dans le monde entier, en particulier, au niveau de ses partenaires en Afrique. Outre à cela, les opérations extérieures représentent pour la France, des opportunités pour entraîner ses partenaires à s’impliquer et à agir pour assurer leur sécurité commune. C’est dans cette optique, que la France a donné son soutien militaire aux forces armées maliennes, ainsi que son appui logistique et ses renseignements (Drain, 2018).
Si la résilience organisationnelle a été bien documentée dans le domaine de l’entreprise, force est de constater que la résilience organisationnelle chez les organisations militaires n’a pas fait l’objet de nombreuses études. Et pourtant, comme nous venons de voir à travers cette brève revue de littérature, elle est indispensable à la faculté des OHF dont les organisations militaires à s’adapter à la situation, mais aussi à survivre dans un contexte d’exposition à de nombreux et différents risques. A travers cette réflexion, nous tentons de répondre à la question suivante : Comment la résilience organisationnelle s’applique-t-elle aux organisations militaires, plus particulièrement dans le cas des opérations externes menées par l’armée de terre ? La présente étude a pour objectif d’analyser le processus d’organisation et de décision en cas de crise dans les organisations militaires. Elle veut entre autres, apporter sa contribution à l’amélioration de la résilience chez les militaires qui partent en mission dans le cadre d’une opération extérieure.
Participants et méthode
- L’entretien semi-directif
L’entretien semi-directif est un échange entre le chercheur et son informateur (trice), basé sur une série de questions prédéfinies englobant les lignes directrices de l’échange. Toutes ces questions ne sont pas forcément posées. En fonction de la réponse fournie par l’informateur (trice), le chercheur peut omettre certaines questions et en poser d’autres (pour demander plus de précisions par exemple). Le chercheur ne suit pas un ordre établi lorsqu’il pose les questions. Le chercheur peut mettre à l’écrit l’entretien (Thommen, 2020). Nous avons également choisi cette démarche lors de la collecte de données. Après avoir demandé l’autorisation des participants pour faire l’entretien, les rendez-vous ont été fixés. Les entretiens ont été enregistrés après approbation des répondants et transcrits pour faciliter leur analyse. L’entretien semi-directif a été choisi afin de permettre aux répondants de s’exprimer librement, sans risquer toutefois de tomber dans une digression. Les questions pré-définies et l’identification des principaux thèmes à aborder pendant l’entretien, ont permis d’encadrer les propos de manière à faire une relance au cas où le répondant a pu déborder du thème étudié, et de demander plus d’informations pour les propos initialement imprévus qui ont pu émerger de leurs propos. Les propos retranscrit sur papier ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Cette méthode consiste à décrire, dégager les informations et à interpréter le contenu d’un texte (Dany, 2016).
- Les participants à l’étude
Quatre militaires appartenant à l’Armée de terre ont bien voulu répondre à nos questions. Tous les répondants ont participé à une opération extérieure :
- Le répondant n°1 est un officier retraité ayant participé à la guerre du Golfe. Pendant cette guerre, le répondant était au poste d’observation au Bureau Opération Instruction (BOI) où il était officier de transmission. Il occupait également le poste d’officier Nucléaire, Bactériologique et Chimique (NBC).
- Le répondant n°2 est un ancien militaire ayant participé à l’opération de l’armée française au Liban au sein de la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) entre 1980 et 1982. A l’époque, il était première classe. Il a participé deux ans au total à cette opération extérieure.
- Le répondant n°3 a lui aussi accompli une opération au Liban, plus précisément à Beyrouth, suite à l’attentat de Drakkar, le 23 octobre 1983. Il a servi au sein de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth (FMSB) entre janvier et avril 1984. Il a également participé à d’autres opérations extérieures notamment, au Tchad où il formait des soldats au combat et occupait le poste de transmetteur.
- Le répondant n°4 a fait sa première opération extérieure au Tchad en 1983. A l’époque, il était caporal-chef et adjoint direct du chef de pièce en régiment professionnel. Dans l’armée, il avait occupé plusieurs postes : porteur de pélot1 (pourvoyeur), mécanicien artillerie, fourrier, pointeur, chef de pièce et sous-officier observateur.
Résultats
- Les risques encourus
Les militaires qui s’en vont en mission pour une opération extérieure sont exposés à plusieurs risques. Parmi eux, le risque de tomber aux mains de l’ennemi lors d’échanges de tirs ou d’être pris en embuscade dans un foyer de tension. Le répondant n°3 donne un exemple de ce risque lors de son expérience à Beyrouth en 1984 : « Moi, j’étais à la tour Murr,(…) la tour la plus haute de Beyrouth qui est à 110m de haut. Et on a été trois radios2, on était sans ascenseur, 36 étages. Fallait monter les boissons, la nourriture, le pain, les piles, les postes radio et tout là-haut. (…) Et un jour, ça s’est mal passé. Ça a tiré de partout et on s’est retrouvés seuls, avec un groupe de combat (…). Ils nous ont tirés dessus à la roquette tout ça et donc, on a reçu l’ordre de nous rendre à l’ennemi qui était en-dessous. (…) et il a fallu se rendre. Alors ça doit être assez facile quand même ! On n’était pas visés directement. On a appris après que c’était la milice Amal qui voulait reprendre la tour. (…) Mais nous, on était dedans, dans la tour. Et puis, notre mission c’était tenir3. C’était un relais radio. Il y avait un groupe de combat qui nous défendait. Il fallait tenir à tout prix, sinon, il n’y avait plus de liaison radio, mais on reçoit l’ordre de se rendre (…) C’était compliqué de se rendre ! »
Les tirs incontrôlés constituent un autre danger auquel sont exposés les militaires. Selon le répondant n°2, les militaires ne pouvaient pas tirer tant que le commandement ne leur en a donné l’autorisation. Mais dans certains cas, il est aussi possible d’avoir un scénario où un autre tir est demandé au militaire sans que celui-ci ne puisse le faire. La distance a été évoquée comme facteur de dissuasion pour suivre les consignes, car la cible était trop loin. Il existe donc un risque que les obus tombent non pas sur l’ennemi, mais sur d’autres personnes, notamment, les frères d’armes du militaire. Dans ce cas, ce dernier doit appeler son officier et lui exposer la situation avant d’entreprendre une action.
Outre à cela, les militaires peuvent être confrontés à un manque de ravitaillement. Certains se sont plaints du manque de nourriture (répondant n°3), d’autres, d’absence d’eau potable. Les militaires devaient puiser de l’eau du puits et la traiter avant de pouvoir l’utiliser (répondant n°4).
- Survenue d’un évènement imprévu et posture des militaires
Des procédés ont été établis pour aider les militaires à prendre une décision rapidement face à un évènement imprévu. Les récits des opérations extérieures des militaires laissent voir différents scénarii possibles avec des degrés de dangerosité différents. Pour chaque situation, les militaires devaient prendre des décisions adaptées en fonction de la réalité sur terrain. Certes, ils ont les ordres du commandement et les procédures, mais il a été révélé que parfois, les militaires doivent aussi prendre une décision de leur propre chef comme le répondant n°4 qui a raconté : « C’est qu’on a une procédure. Quand les obus tombent, tu as un retour pour t’informer sur le tir. L’officier observateur te dit tant de temps en place, tant de pourcentage d’objectifs traités, etc. Les deux premiers étaient comme ça ; la procédure était respectée. (…) Puis, après, quand ça s’est lâché, (…) c’était fini les procédures. On savait que le calcul était bon, on pouvait y aller comme il faut ».
Les militaires suivent des entraînements pour leur inculquer des gestes réflexes à adopter en cas d’urgence. En cas d’alerte, le militaire doit par exemple, mettre un appareil normal de protection, un masque à gaz, le plus rapidement possible. Le répondant n°1 en a parlé : « Lorsqu’on était en place, encore en Arabie Saoudite, souvent, on avait des alertes SCUD. (…) C’est des roquettes qui peuvent tenir des gaz, donc, dès qu’il y en avait, alors on était sous la protection des anti-missiles Patriot américains. Donc, dès qu’un SCUD s’envolait, le Patriot était censé l’intercepter et le faire exploser en plein vol, mais il n’empêche qu’on ne savait pas si le Patriot allait réussir ».
Comme un évènement imprévu pouvait arriver à tout moment, la prise de décision de la part du militaire devait être rapide. Dans ce cadre toutefois, il est nécessaire que le militaire soit sûr de lui, de son action. Questionné à ce propos, le répondant n°4 semble focaliser son attention et sa motivation sur l’aide qu’il pourrait apporter à ses frères d’armes, et de réagir par réflexe, sans se remettre en question tout le temps. Il a affirmé : « Moi, quand on me demande d’envoyer 101 obus sur un ennemi pour appuyer les copains qui sont en-dessous, je n’ai pas intérêt à me planter parce qu’il n’y a pas de retour. Je ne vais pas me dire : je vais recalculer, j’enverrai après les pélots. Non, non, ça tombe ! » Dans ce schéma, le militaire prend l’initiative et le commandement a suivi après avoir vu qu’il avait raison.
Notons que si les évènements précédemment évoqués ne sont pas prévisibles, certaines personnes pouvaient déjà prévoir l’éclatement d’une guerre, à partir des informations qu’elles détenaient. Le répondant n°1 a dit à ce propos : « C’était prévu dans le sens où on savait que c’était une des principales menaces, mais on l’a redouté un peu parce qu’on n’était pas très très bien préparé ». Il y avait des signes avant-coureurs qui laissaient présager le scénario qui se dessinait et l’Armée s’y préparait à travers la formation et l’installation sur les lieux de tension. Selon le répondant n°4, « la mission était déjà en place. Il y avait des parachutistes qui étaient en place, et des militaires qui ont été basculés de Centrafrique où ils étaient prépositionnés au Tchad. (…) Ils ont basculé pour l’opération Manta 1. Il y avait déjà des mouvements qui se mettaient en place ».
- La place du commandement lors des tensions
Le répondant n°4 souligne l’importance de la capacité du militaire à prendre une décision rapide en fonction de la situation. Sa réactivité compte dans l’atteinte de la cible. Mais le commandement joue également un rôle non négligeable en donnant les consignes à suivre face à telle ou telle situation. Les consignes permettent de protéger les militaires comme l’affirme le répondant n°2 : « Ça dépend. Des fois, c’est le capitaine, des fois, c’est l’adjudant, des fois, c’est un autre(…) et c’est pas n’importe qui, qui vient avec nous. Il faut savoir où on va. De toute façon, on ne va pas n’importe comment, surtout la nuit ».
Outre les consignes, le commandement est également impliqué dans la gestion des matériels, et dans la motivation des éléments sur place. Face au risque, il est probable que les militaires peuvent parfois perdre leur sang-froid ou leur motivation. Le commandement agit pour raviver la motivation des militaires comme l’a affirmé le répondant n°3. Celui-ci résume les interventions du commandement dans le cadre d’une opération extérieure : « Le commandement, il nous amène…. Il maintient cet état d’esprit et on est content de partir. A la fois par ce système d’alerte de veille, toujours être prêt avec Guépard et puis, le côté médical, physique : s’entretenir, le panoramique dentaire ».
- Gestion des ressources humaines
- Gestion des différents statuts des personnels
Le manque d’effectif est un problème majeur dans la guerre. Ainsi, il n’est pas rare de recourir aux appelés pour venir à la rescousse. Cependant, il existe des problèmes administratifs dans le recours aux appelés comme le montre le répondant n°1 : « Pour la guerre du Golfe, les appelés, on était encore sous le régime de la conscription. Les appelés ne pouvaient pas partir, donc, il a fallu réunir au sein de l’armée 10 000 hommes et ça n’a pas été facile. Ça n’a pas été facile puisqu’il a fallu même pour nous, (…), aligner les 1 000 hommes du régiment. On n’a pas su faire, parce que sur 1 000 hommes, il y en a qui sont malades, il y en a qui sont en stage, il y a des gens indisponibles. On peut en rappeler certains, mais pas tous. (…) Il a fallu désosser une compagnie pour en renforcer les autres ».
Pour combler le manque de personnel, certains postes ont un statut particulier. Le répondant n°4 a par exemple relaté le statut particulier des caporaux-chefs : « En régiment professionnel, moi, j’étais l’adjoint direct du chef de pièce. Le chef de pièce, s’il tombait, c’était moi qui prenais derrière. Et ainsi, pour tous les autres en fait. On se formait tous pour pouvoir se remplacer au cas où. (…) On était drillé4 à ça en régiment professionnel ». Cela montre l’importance de la polyvalence chez les militaires en opération extérieure. La polyvalence permet aux militaires de se remplacer entre eux, et d’anticiper la réaction de l’autre devant une situation précise. Pour le militaire, la polyvalence lui permet d’occuper plusieurs postes à la fois sur terrain. L’acquisition de cette polyvalence se fait à travers une formation spécifique. Les militaires ont le devoir de suivre cette formation pour pouvoir rester au sein de l’Armée. De plus, le commandement a également fait appel à l’artillerie pour qu’elle vienne en renfort et combler l’effectif.
Lorsque le personnel déployé sur place était polyvalent, chacun savait ce qu’il avait à faire et ce que l’autre allait faire également. En cas d’urgence où il n’y a plus suffisamment d’effectifs, alors chacun agit pour aider les autres. Le répondant n°4 raconte à ce propos : « Les camions avaient déjà consommé leur dotation en munition donc, on a dû faire. On avait nos munitions qui arrivaient juste après, derrière nous. Et après, il fallait redonner des munitions aux pièces, mais là, il faut du monde. Et là, je peux dire, il n’y a personne qui prend les ordres. Les officiers et tout débarquaient les pélots. Le lieutenant qui était mon chef, s’occupait de décharger les obus des camions. Moi, je faisais tirer et lui, il portait les pélots ! On distribuait les pélots, ainsi de suite. »
- Facteurs pouvant démotiver les militaires à partir pour une opération extérieure
A l’annonce d’une guerre et d’une opération militaire, certains militaires montrent beaucoup d’enthousiasme pour partir, mais force est de constater aussi la démotivation d’autres militaires. Ils ne sont pas prêts à affronter la guerre, ni à délaisser leurs épouses et leurs familles pour faire une opération extérieure. Cela fait exploser le nombre de démissions.
La famille pourrait être un facteur de démotivation des hommes pour partir faire une opération extérieure. Les membres de la famille ne sont pas forcément au courant de ce qu’il se passe sur terrain et comme ils tiennent à leurs proches, ils s’inquiètent. Il peut y avoir des erreurs de communication entre le militaire en place ou ses frères d’armes et les membres de la famille de celui-ci. Si les militaires ont droit à cinq minutes d’appel, il est difficile d’appréhender le bruit qu’il peut y avoir pendant ces cinq minutes comme l’affirme le répondant n°3 : « Et alors, le problème c’est que comme ça tirait de partout, les femmes disaient : Attends ! C’est quoi ça ? (…) On raccroche et les femmes sont dans l’angoisse ».
Le manque de soutien pourrait également être un facteur démotivant pour les militaires qui sont en mission à l’extérieur. Selon le répondant n°3, dans les années 1980, il n’y avait pas encore de suivi médical et psychologique des militaires. Les militaires subissaient une pression. Pour les choses qu’ils ne parvenaient pas à accomplir, leurs supérieurs leurs rappelaient qu’ils n’étaient pas des filles. Les hommes devaient alors se surpasser pour ne pas attirer vers eux, les moqueries. Actuellement, les mentalités ont changé et des femmes peuvent intégrer l’Armée. Elles ont les mêmes compétences que les hommes.
D’autre part, il y avait également la montée des instabilités qui requéraient de plus en plus de militaires sur les lieux. Le répondant n°1 a énuméré ces évènements qui avaient pu démotiver les militaires : « Sûrement le fait d’une part, qu’il y a eu de plus en plus de missions ponctuelles, des MCD5, des vigipirates6, des missions plus ou moins glorieuses, plus ou moins intéressantes, mais qui, toujours, emmenaient l’individu loin de sa famille. Et donc, finalement, pour les missions en Afghanistan, à la fin, ils avaient du mal à trouver ».
- Facteurs de motivation des militaires
Les militaires sont conscients du risque que représente la guerre. Pourtant, certains sont toujours enthousiastes pour partir pour une opération extérieure. L’esprit d’équipe constitue un élément fédérateur et un facteur de motivation pour les militaires comme l’a dit le répondant n°2 : « S’il t’arrivait un pépin, ben, faut pas avoir de la peine. C’est comme ça oui. (…) Il n’y avait pas de tension au sein de l’équipe, et c’est ce qui aide à tenir le moral quoi ! »
Les militaires qui étaient très motivés pour partir, voyaient en ces opérations extérieures, des opportunités pour vivre des expériences qu’ils ne trouveraient nulle part ailleurs. Alors, s’il est vrai que certains militaires ne voulaient pas partir, il y avait également d’autres qui voulaient partir. Pour ces derniers, le fait de ne pas être appelés pourrait être interprété comme une humiliation. Le répondant n°1 rapportait le cas d’un soldat qui n’a pas été appelé pour illustrer ce fait : « Il était à la tête d’un régiment d’appelés, mais il y avait quelques engagés quand même. D’ailleurs, peut-être, certains ont pu être intégrés dans le régiment pour renforcer. Mais voilà, son régiment est resté en Métropole, enfin en France, et lui aussi. Et il l’a pris comme une humiliation pour lui, pour son régiment. Il a préféré quitter l’armée ».
- Sécurisation des ressources humaines
Le commandement devait assurer la sécurité de ses éléments et dans ce cadre, les militaires étaient entraînés pour partir dans les plus brefs délais en cas d’alerte. Le répondant n°4 a décrit la posture des militaires en cas d’alerte guépard : « On était en alerte guépard c’est-à-dire qu’on avait nos sacs prêts à tout, prêts à partir. (…) Une alerte s’est déclenchée et effectivement, on est parti en 48h, avec tout le personnel, tous nos matériels, camions, canons, (…), dix tonnes de munitions, plus tout ce qui va pour partir à la campagne. (…). On a débarqué à N’Djamena. Les matériels ont été embarqués sur un 747, cargo civil… ».
La sécurisation des ressources humaines passait entre autres par la composition des personnels qui occupaient un même lieu. Le répondant n°1 a donné une idée sur la manière avec laquelle, les personnels étaient protégés : « On était abrités sous des tentes : 10 personnes, mais les officiers dormaient avec les militaires du rang. Et il y avait un officier par tente c’est-à-dire que tous les officiers ne dormaient pas dans une même tente. (…) Là, on était mélangés et si jamais une tente était prise sous le feu, par exemple, les personnels des autres tentes étaient sains et saufs et pouvaient continuer le combat ».
- Gestion des matériels
Les matériels et les équipements influencent la réussite de l’opération et la sécurité des militaires présents sur terrain. Les matériels donnent plus de confiance aux militaires lorsqu’ils sont sur terrain. La précision des matériels permet aux militaires d’atteindre leurs objectifs. Cependant, dans certains cas, ils venaient à manquer. Certains militaires comme le répondant n°3 a dû acheter un gilet par balle pour se protéger. Comme il ne pouvait pas se permettre d’acheter le gilet, il a dû partager le prix avec deux de ses camarades pour avoir un gilet par balle. Chacun d’entre eux mettait tour à tour le gilet par balle. Aujourd’hui encore, le répondant n°3 parle d’une faille au niveau des équipements dont les militaires sont dotés. Si le militaire a admis que les équipements ne manquent plus actuellement, comme ce qui a été observé en 1983, pendant l’opération extérieure à Beyrouth, ils sont encore très lourds, ce qui pourrait indisposer le militaire.
C’est la raison pour laquelle, les matériels ne devaient être utilisés qu’après approbation de la part du commandement. Les équipements les plus pointus étaient déployés afin de réduire les risques que la cible soit ratée. Dans cette optique, les militaires tiraient à l’aide d’un GPS et lorsque la cible était hors de portée, ils ne tiraient pas. Cela permettait d’avoir des réserves de munitions et de rationnaliser l’utilisation des matériels. L’utilisation des matériels était enregistrée comme le note le répondant n°2. Il comptait tous les chars qui rentraient et tous les chars qui sortaient. Au cas où les matériels venaient à manquer, l’Armée pouvait faire des réquisitions pour emmener et utiliser certains matériels comme l’a démontré le répondant n°4 : « L’avion civil a été réquisitionné par les armées pour emmener notre matériel lourd : les camions, les canons. (…) donc, ça c’était la première manip. Et deuxième manip, on a été mis en place après avec nos matériels par Transall en vol tactique jusqu’à Biltine où là, on était sur la ligne de contact ». Lors de certaines opérations extérieures comme celle relatée par le répondant n°3 pourtant, les militaires étaient partis en laissant sur place les munitions et les autres matériels qu’ils ont utilisés. Ils devaient quitter les lieux en peu de temps.
Le répondant n°4 a également décrit une manière de gérer les matériels pour éviter leur perte : « Chaque pièce d’artillerie a son canon (155TR F1) et son véhicule (TRM 10 000). Et dans son véhicule, on emporte un certain nombre de munitions, d’obus, de charge. Une fois qu’elle les a tirés, c’est rechargé. Derrière, on a une rame qui s’appelle une rame munitions qui, elle, est notre ravitaillement en munitions. Ces rames viennent et rechargent les camions. Mais aussi, il faut préparer les charges, parce que dedans, les pélots, t’as des charges inflammables. (…) Alors, pour que ça aille là où on vise, à la distance où on tire, ben faut en enlever ».
- Les facteurs de résilience chez les militaires en opération extérieure
L’adaptation a été identifiée par le répondant n°1 comme étant un des facteurs de résilience chez les militaires qui font une opération extérieure. La polyvalence a été mise en avant pour éviter que le commandement ne soit anéanti et que les militaires ne puissent plus prendre des initiatives. Des stratégies ont été mises en place comme le pré-positionnement des militaires sur les foyers de tension en anticipation des crises. Mais dans ces différentes démarches, le militaire doit se montrer adaptable pour pouvoir assurer toutes ses fonctions. Dans cette optique, il suit une formation, mais il doit également accepter les changements qui, parfois, peuvent être très brusques. L’adaptabilité peut se manifester par la capacité d’une personne à changer de poste, à assurer le rôle d’une autre personne si jamais, celle-ci était indisponible. Elle implique également une compréhension rapide des enjeux afin de mettre en œuvre le plus rapidement possible les solutions. Or, cela est en lien avec l’expérience de l’individu, ses habitudes comme l’affirme le répondant n°1 : « Et quand on est mentalement habitué, exercé, se retrouver face à la nouveauté, on est moins déstabilisé ».
L’adaptabilité est corrélée avec la mobilité, parce que celle-ci expose l’individu à différents évènements. La confrontation avec ceux-ci renforce les compétences de l’individu et forge chez lui, les gestes réflexes qu’il pourrait adopter dans des situations similaires sur terrain. Le répondant n°1 avance à ce propos : « Alors, il y a les DOM-TOM7, mais encore quand tu pars à l’étranger, carrément l’étranger quoi ! (…) T’arrives dans un pays étranger. Autre mœurs, autre organisation, autre tout quoi ! (…) Tu t’adaptes à la vie et aux missions et puis, bien souvent, un officier c’est de toute façon l’une de ses spécificités, c’est qu’il est multi-casquette ! »
Pour le répondant n°3, la construction de la résilience chez les militaires en opération extérieure, se fait par l’institution elle-même. Il a dit en effet que pour pouvoir être admis à l’armée, chaque candidat passait par une sorte de rituel au cours duquel, il était éprouvé par des propos rabaissant afin de voir s’il allait tenir ou non. Celui qui parvient à surmonter ces épreuves était admis. Ainsi, le répondant n°3 a affirmé : « On est programmé, un peu dans notre tête. Il y a une mise en condition, et il y a une sélection aussi peut-être ».
Si la famille a été identifiée comme étant une des principales raisons pour laquelle, les militaires ne souhaitaient pas partir en mission, elle peut également devenir un facteur de résilience. Le soutien de la famille aide le militaire à devenir résilient une fois sur place. Il a été observé entre autres, que les familles des militaires, s’associaient entre elles pour se soutenir mutuellement comme l’a décrit le répondant n°3 : « Et puis, il y a surtout le soutien comme on disait de la famille, la base arrière. Alors, il arrive n’importe quoi, on a eu des décès, on a eu des …. Quand il y a des problèmes, on s’occupe de la famille. La femme du capitaine, la femme du chef de section, la femme du colonel, la femme du…. Elles ont des clubs ».
Discussion
- L’adaptation des militaires aux risques
La résilience ne peut pas être séparée de risques. Les risques sont inhérents aux opérations militaires, voire même, à la carrière militaire. Les récits des répondants laissent apparaître la peur de risque comme facteur ayant dissuadé certains militaires à accomplir une mission dans le cadre d’une opération extérieure. Certains ont démissionné, d’autres ont divorcé, etc. Les risques rapportés par les répondants peuvent être subdivisés en deux : les risques contrôlés et les risques incontrôlés. Les risques contrôlés regroupent les risques qui ont pu être résolus ou prévenus comme le manque de ravitaillement, la protection des militaires, etc. A l’opposé, les risques incontrôlés regroupent les risques qui ne peuvent pas être anticipés comme le risque que le tir ne tombe sur un frère d’arme.
Dans le contrôle des risques, l’installation des troupes sur les sites notamment, en Afrique, a été évoquée lors des entretiens. Dans ces opérations externes en effet, la France a toujours mis en place à l’avance, un réseau de bases opérationnelles avancées comme celui en Côte d’Ivoire, à Djibouti, aux Émirats Arabes Unis, ainsi que des pôles opérationnels de coopération notamment au Gabon et au Sénégal. Ces réseaux et pôles opérationnels de coopération sont censés donner leur soutien effectif et rapide dans la réalisation des opérations extérieures en Afrique et au Moyen-Orient (Drain, 2018).
Les risques inhérents à la prise de décision peuvent résulter du manque de matériels et d’équipements ou des limites techniques de ceux-ci. Le manque de matériels dans les années 1980 a été relaté. Dans ce cadre, l’amélioration de la gestion des matériels et de l’équipement des matériels constituent une autre manière pour les organisations militaires de réduire les risques qu’ils courent en accomplissant leurs missions à l’extérieur. Pendant la guerre du Golfe, l’utilisation de GPS avant de tirer permettait une décision plus efficace et un meilleur ciblage. L’avancée technologique et sa transposition dans le domaine militaire est censé aider les organisations militaires à améliorer leurs résultats, à éviter les risques ou à défaut, à les réduire. Cette tendance continue même actuellement avec le développement du système robotique militaire mis en place par l’armée de terre afin de servir les intérêts militaires. Les robots et les drones militaires peuvent accomplir certaines tâches pouvant être effectuées par les militaires, mais leur degré d’autonomie fait en sorte que des militaires doivent encore être présents sur les champs de bataille. Le robot dans ce cadre, devient un équipier du combattant (Beaudouin, 2018).
L’avancée technologique permet de ce fait, de résoudre les problèmes de matériels dont l’armée de Terre dans les années 1980 et 1990 souffraient, mais en même temps, permet également de résoudre les problèmes liés à la gestion des ressources humaines. Le développement et le déploiement du système robotique militaire constitue de ce fait, un moyen pour les organisations militaires de multiplier leur efficacité opérationnelle. Ces robots fournissent en effet des informations concernant l’espace de bataille, ce qui augmente la performance du commandement et protège les militaires des dangers auxquels, ils pourraient être exposés sur le champ de bataille. Les militaires peuvent ainsi se concentrer sur les tâches essentielles puisque les robots peuvent réaliser différentes activités voire même, à produire des effets dépassant ceux que l’homme peut produire. En d’autres termes, c’est un moyen pour développer la résilience des militaires (Beaudouin, 2018).
- Comment assurer la disponibilité des militaires, leur engagement et augmenter leurs capacités en temps de crise ?
En temps de crise, la réactivité, les compétences et l’engagement des ressources humaines constituent les facteurs de réussite de l’opération extérieure. Les répondants ont mis en avant l’esprit d’équipe, l’enthousiasme à l’idée de vivre une expérience qui ne peut être vécue ailleurs, mais aussi, la gloire et l’honneur dus aux hommes qui se sont battus pour une cause. Pourtant, les entretiens ont également mis la lumière sur la réticence de certains militaires à aller sur terrain.
Nous avons vu que les militaires sont formés et entraînés afin d’être en mesure de surmonter une crise, un évènement qui pourrait se produire. Le commandement contribue à la motivation des militaires, mais comme les répondants l’ont aussi affirmé, dans certains cas, le militaire doit prendre des décisions ni hâtives, ni trop risquées, mais qui permettent d’atteindre les objectifs initiaux. Cependant, si les militaires sont « actifs » sur terrain, force est de constater que plus l’individu occupe un poste dans la « hiérarchie », plus, il y a risque qu’il se perçoive comme hors d’atteinte ou non concerné par le risque (Jonnet, 2017).
Le recrutement de militaires prêts à s’engager constitue de ce fait, un enjeu pour les organisations militaires. Pour recruter les candidats, les États-Majors français tendent désormais à se tourner vers une politique d’ouverture et à un changement d’angle de vue pour appréhender le problème du recrutement. Dans ce cadre, l’attention n’est plus seulement focalisée sur les problèmes relatifs au recrutement dans l’armée, mais sur la problématique « jeunes », surtout, les jeunes des quartiers populaires. Les états-majors voient à travers cette stratégie un investissement à long terme pour disposer des nouveaux talents, des personnes compétentes qui sont aptes à prendre les décisions appropriées face à une situation précise. Ainsi, les états-majors français ont ciblé des jeunes des quartiers populaires à qui, ils proposent d’autres alternatives pour gagner leur vie et pour améliorer leurs conditions de vie (Jonnet, 2017).
Les hommes qui ont répondu à nos questions étaient unanimes sur le fait qu’ils étaient motivés et impliqués dans leurs missions. Aucun d’entre eux ne semblait montrer des signes de refus pour aller en mission. L’implication et la motivation des militaires à aller en mission semblent résulter du fait que la situation à laquelle ils se trouvaient confrontés exigeait de leur part un double engagement. Mais pour y parvenir, les militaires ont dû faire un équilibrage des impacts négatifs et positifs de leurs missions. Les impacts négatifs renvoient au fait qu’ils soient loin de leurs familles, qu’ils n’ont pas forcément l’autonomie parce qu’ils sont soumis au commandement, etc. D’un autre côté, les impacts positifs de la mission regroupent l’acquisition de nouvelles capacités même si à un certain moment, ils ont vu la réduction partielle ou temporaire de leur capacité d’action. En d’autres termes, l’opération extérieure devient un acte créatif qui forge les caractères et l’identité de l’individu (de Bishop et Olry, 2021).
Dumoulin (2015) a souligné le fait que la carrière militaire est une carrière à risque caractérisée par un taux de mortalité au combat élevé, ce qui ne dissuade pas pour autant les jeunes à s’y engager. Cela provient du fait que les organisations militaires ont cherché des solutions pour diminuer autant que faire se peut les risques de pertes de soldats, en améliorant par exemple les équipements et en recourant au surblindage. Elles ont favorisé également la solidarité entre les frères d’armes, ainsi que la confiance des militaires en leur hiérarchie. Ces différents dispositifs ont permis aux organisations militaires de faire accepter le risque aux soldats, de développer chez eux le sentiment d’appartenance et l’appropriation de la spécificité de l’identité militaire. Par ailleurs, nos répondants ont insisté sur l’importance de la précision des informations, de la fiabilité des matériels et des équipements pour éviter de se mettre dans une situation dangereuse et risquer sa vie ou celle de ses frères d’armes.
La préservation de la vie des militaires s’avère cruciale pour les organisations militaires non seulement parce que les familles peuvent tenir pour responsable l’État au cas où leurs proches disparaîtraient, mais aussi parce que la perte d’un frère d’arme porte toujours un coup dur à l’ensemble de la troupe militaire. C’est la raison pour laquelle, les organisations militaires mettent en œuvre la stratégie du « zéro mort » ou d’« intolérance aux pertes » (Dumoulin, 2015).
Outre à cela, ce n’est pas uniquement la mort qui guette les soldats, mais également les troubles post-traumatiques, les stress et d’autres troubles psychologiques en lien avec leurs expériences lors de ces opérations extérieures. L’apparition du syndrome de la guerre du Golfe en constitue une illustration. Les soldats ayant participé à cette guerre montrent des troubles du système locomoteur, digestifs, tégumentaires et neurosensoriels. Il semblerait que ces différents signes cliniques relevés soient la résultante du stress enduré par les soldats. Les conséquences psychologiques de cette guerre s’avèrent entre autres dévastatrices car, les soldats étaient exposés à des conditions qui favorisaient le développement de la peur face aux alertes d’attaques chimiques, d’attaques par des animaux venimeux, etc. En ce qui concerne les attentats aux armes biologiques, des protections bactériologiques, chimiques et anti-nucléaire ont permis de protéger les soldats sans pour autant les épargner du confinement et de l’isolement. Un tel contexte pousse le soldat à se dire qu’il se trouve dans un environnement à haut risque, qu’il est face à une menace alors même que les risques peuvent souvent être seulement hypothétiques (Auxéméry, 2013). Cela démontre l’importance du suivi psychologique des militaires qui ont survécu aux dangers des opérations extérieures et qui, pourtant, dans les contextes relatés par les répondants, manquait.
- Le commandement et la gestion de crise lors d’une opération extérieure
Les entretiens montrent que le commandement à travers ses consignes, assure la réussite de l’opération tout en préservant l’intégrité physique et mentale des hommes mobilisés sur terrain. Au cours d’une opération extérieure, le commandement fait face au déséquilibre entre la situation et la capacité du militaire à répondre. Or, cela est source de vulnérabilité pour le militaire. Le rôle du commandement est donc, de réduire les vulnérabilités des hommes (de Bishop et Olry, 2021). La réduction de la vulnérabilité des hommes se fait à travers les formations obligatoires et les entraînements, mais aussi à travers les consignes du commandement, selon les répondants. De ce fait, les acquis d’expérience et les acquis issus de la formation sont combinés pour pouvoir répondre à une situation de crise.
Dietrich et Riberot (2021) mettent en relief l’importance de la capacité de l’individu à apprendre dans le renforcement de la résilience. Cette résilience implique une flexibilité de la part de l’individu, car, elle ne s’arrête pas à la maîtrise d’une seule réaction ou une seule solution pour faire face à une situation problématique, mais à la connaissance de plusieurs options pouvant être mises en pratique. C’est à travers l’acquisition de comportements réflexes et l’automatisation de certains gestes, que l’individu peut prendre une décision rapide et efficace. De plus, ses observations du comportement de l’adversaire et l’étude de son mode opératoire, permettent à l’individu d’anticiper les évènements et de détourner la situation à son avantage (Dietrich et Riberot, 2021).
Les répondants ont souligné l’importance de suivre les consignes du commandement dans son rôle d’organisation et de protection des éléments. Le militaire ne prend une décision que lorsqu’il a déjà pris connaissance de la situation, notamment de l’exactitude de ses calculs et de l’urgence de la prise de décision pour sauver la vie de ses frères d’arme. Mais même dans cette prise de décision qui repose sur la réactivité du militaire, il agit après avoir suivi les consignes initialement données par le commandement. En donnant ces ordres, le commandement veut mener à bien certes, la mission, mais en même temps, il rassemble et met à la disposition des militaires toutes les ressources dont ils ont besoin pour pouvoir suivre ses consignes. Le commandement permet entre autres, de protéger les capacités collectives des unités à travers ses ordres, mais aussi à travers ses propres activités (de Bishop et Olry, 2021).
Cependant, la prise de décision dépend de l’information détenue par le commandement et par l’individu lui-même. Les informations concernant la localisation exacte et la distance entre la cible et le militaire par exemple, ont été utilisées lors du commandement. Ces informations ont conforté l’ensemble de l’unité sur sa capacité à atteindre la cible, et l’a dissuadé de tenter une répression à l’encontre d’une cible qui était trop loin d’eux. Ce fait démontre l’importance de l’information non seulement pour le commandement, la prise de décision, l’action, mais aussi pour la résilience de l’organisation. En effet, quand celle-ci dispose d’informations fiables et en quantité suffisante, elle est en mesure de réduire les risques et d’augmenter la résilience de l’unité (Henrotin, 2014, Gautier, 2023). D’ailleurs, nous avons pu noter l’importance des « radios » et les efforts qu’ils fournissent pour assurer la transmission d’information au reste de l’organisation. Ils étaient conscients de l’importance de leurs fonctions dans l’atteinte des objectifs de l’organisation militaire toute entière.
- Résilience et cohésion au sein de l’organisation militaire
L’esprit d’équipe a été relaté par les personnes interrogées comme étant un des facteurs de résilience. A de nombreuses reprises, les répondants ont montré que leur motivation et leurs décisions étaient prises par rapport à ce qu’il se passait du côté de leurs camarades. Ils agissaient pour aider et pour protéger leurs camarades. Selon les observations de de Bishop et Olry, (2021), la cohésion entre les membres d’une même organisation militaire vient du fait qu’ils doivent affronter ensemble de nombreuses épreuves et des dangers. Les militaires sont confinés et sont obligés de vivre sous le même toit pendant une durée plus ou moins prolongée. Par ailleurs, ils partagent également des moments ensemble lorsqu’ils doivent s’entraîner ce qui consolide la cohésion du groupe. Or, celle-ci va servir les militaires lors des nombreuses épreuves voire même pour leur survie.
La cohésion entre autres, exige de la confiance mutuelle. Gelez (2015) a affirmé que la résilience du petit groupe se base sur un échange continue de confiance non seulement entre les individus, mais dans l’ensemble du groupe. Dans un groupe comme celui formé par une troupe militaire, la confiance devait s’installer entre les camarades (relation horizontale) et entre les militaires et leur hiérarchie (relation verticale de subordination hiérarchique). La confiance s’installe entre pairs lorsque l’individu connaît les qualités militaires et les compétences de leurs camarades. Il ne doute plus alors de l’efficacité de leurs actions. Cet échange de confiance entre pair évite entre autres, les conflits relationnels et pousse le militaire à agir pour le bien de ses pairs dans les situations extrêmes. Or, si les conflits sont évités, le groupe se démarque par sa forte cohésion.
La confiance des militaires en leurs chefs repose pour sa part sur la capacité des supérieures hiérarchiques à être reconnus comme tels. Cette reconnaissance de l’identité de chef ne se fait pas uniquement par l’appropriation du poste de chef, mais particulièrement, par la capacité du chef à incarner le profil et les caractères attribués à sa fonction. Outre à cela, il peut développer la confiance de ses subalternes en lui, en communiquant avec eux. La clarté de ses ordres, l’empathie qu’il manifeste envers ses subalternes quand ceux-ci lui parlent, installent un climat de confiance tout en permettant la bonne exécution des ordres (Gelez, 2015).
- L’application de la résilience chez les organisations militaires
Henrotin (2014) a identifié trois niveaux d’application de la résilience : l’individu, la société et la politique. L’application au niveau sociétale de la résilience vient du fait que les violences ou les crises dont elles sont témoins, incitent les sociétés à développer la résilience pour empêcher la dégradation du climat intérieur et pour renforcer la capacité de la population à aller de l’avant. L’application de la résilience au niveau politique suggère que la population victime de crise soit apte à élire ses dirigeants, sans qu’elle ne craigne la répression de l’adversaire. Les entretiens auprès des répondants pourtant, ont laissé émerger uniquement deux niveaux d’application de la résilience. Le premier niveau est celui de l’individu, le militaire qui développe des gestes et des comportements réflexes pour faire face à telle situation de crise. Le deuxième niveau est le niveau sociétal, puisque la résilience de la société lui permet également de faire face aux attaques terroristes et aux différents risques majeurs, d’aider les militaires. Les militaires n’ont pas tenu compte de la dimension politique, car, ils ont signé leur contrat et ils étaient engagés à accomplir leurs missions, peu importe les dirigeants et peu importe le contexte politique.
La résilience est indispensable pour tout militaire qui participe aux opérations extérieures, mais peu importe la résilience et la motivation des militaires, ces opérations prennent fin ou peuvent ne pas avoir lieu en fonction de la décision de l’État. Ce n’est pas uniquement pour les militaires en effet, que les opérations extérieures représentent des risques, mais aussi pour l’État. Ces mobilisations lui coûtent chers. Or, l’État n’est pas toujours en mesure d’assurer les coûts de ces opérations extérieures. Certains coûts liés au transport par hélicoptère ou les transports stratégiques par exemple, sont très coûteux. La mobilisation à l’extérieur risque par conséquent, de se heurter à la contrainte budgétaire et à l’incapacité de l’État à soutenir ces opérations extérieures (Malizard et Droff, 2018).
Conclusion
La résilience organisationnelle ne peut être séparée des organisations militaires lors des opérations extérieures étant donné les risques auxquels, elles s’exposent. Les accidents, les stress post-traumatiques et la mort guettent les militaires des forces armées qui accomplissent des missions à l’extérieur. Outre leur intégrité physique et mentale, les militaires risquent aussi de voir leur vie de famille se briser suite à l’éloignement et tous les enjeux liés à la distance avec la famille même pour des évènements majeurs comme la naissance ou la mort d’un membre de la famille. C’est la résilience individuelle et la résilience organisationnelles qui permettent la poursuite des missions à l’extérieur et la maîtrise des risques. La maîtrise de risque se fait par anticipation, entraînement et formation pour inculquer aux militaires les gestes et les comportements réflexes leur permettant de survivre et d’intervenir dans les situations extrêmes. Cela leur permet d’avoir confiance en eux-mêmes quant à l’efficacité et la pertinence de leurs décisions et actions.
Il est également admis que les scénarii envisagés pour entraîner les militaires et pour donner les consignes ne peuvent être qu’approximatifs, car chaque situation est unique et que les changements sont fréquents en contexte d’opérations extérieures. Cela souligne l’importance de la réactivité et du développement de l’adaptabilité des militaires à la situation. Or, à travers cette démarche, ce n’est pas uniquement la réactivité du militaire qui est aiguisé, mais aussi d’autres compétences qui ont dû être mobilisées pour répondre à la situation extrême. Le commandement agit pour contrôler les risques encourus par les militaires pour que ceux-ci puissent continuer à assurer son rôle, mais agit aussi pour protéger l’ensemble de l’organisation. En exposant le militaire à un environnement unique et en favorisant des interactions spécifiques avec son environnement, la mobilisation en opération extérieure constitue une opportunité pour créer et développer de nouvelles capacités, de nouvelles compétences pour les militaires et pour l’ensemble des organisations militaires.
La présente étude a permis de mieux comprendre la construction et l’importance de la résilience organisationnelle chez l’armée de terre. Elle a mis en relief la place du commandement et des militaires dans l’accomplissement des opérations extérieures et a mis en évidence par la même occasion, l’intervention de la résilience organisationnelle dans différentes situations. Elle a apporté des éléments de réponses quant aux facteurs de la résilience organisationnelle pour les organisations militaires. Par conséquent, elle nourrit aussi la réflexion sur les possibles champs d’action sur lesquels, la gestion pourrait intervenir pour améliorer la résilience organisationnelle. Elle s’est basée sur les témoignages et les partages de quatre personnes ayant de l’expérience en matière d’opérations extérieures et qui ont accompli leurs missions dans différentes zones géographiques et dans des contextes spécifiques.
Néanmoins, elle comporte aussi des limites. Premièrement, nous avons collecté les informations auprès de personnes qui ont fait des missions à l’extérieur dans les années 1980 et 1990. Or, le contexte politique, social et économique dans le monde à cette époque est très différent de ce qui est observé aujourd’hui (tendance à la multipolarisation du monde vs la guerre froide). De même, les problèmes soulevés par les répondants comme les failles au niveau du matériel et de l’équipement peuvent ne plus se poser actuellement, puisque le monde est entré dans l’ère technologique où différentes possibilités s’offrent aux organisations militaires. Il aurait été intéressant de contacter également des officiers qui participent dans les conflits récents comme ceux opposant l’Ukraine et la Russie ou encore Israël et Gaza. Toutefois, nous ne disposons pas suffisamment de recul pour analyser la résilience organisationnelle dans ces deux conflits. Cela semble encourager à la poursuite de l’étude sur la résilience organisationnelle mais en ciblant d’autres OHF.
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1 Obus.
2 Militaire qui dispose du matériel radio transportable pour assurer la liaison au plus près
3 Terme d’infanterie pour garder sous contrôle un point
4 Mises en situation répétées dans le cadre d’exercices militaires
5 Mission de Courte Durée
6 Lutte contre le terrorisme
7 Départements d’Outre-Mer et Territoires d’Outre-Mer