Exemple de mémoire de Management 16/20

Thème : Féminisme de quatrième vague et marketing

Problématique : Quatrième vague de féminisme : Quels impacts pour le marketing 2021 ?

Plan

Introduction
Partie 1. Revue de la littérature
1.1. Le féminisme à travers les âges
1.1.1. Une histoire de féminisme
1.1.1. Des vagues de féminisme
1.2. Féminisme, consommation et marketing
1.2.1. Consommation genrée, publicité et féminisme
1.2.2. Du « femvertising » au « feminism washing »
1.3. La quatrième vague de féminisme et le marketing
1.3.1. Féminisme de quatrième vague et femvertising
1.3.2. Féminisme de quatrième vague et feminism washing
Partie 2. Etude empirique
2.1. Méthodologie
2.2. Résultats
2.2.1. Le quatrième vague de féminisme et le femvertising
2.2.2. La quatrième vague de féminisme et le feminism washing
2.3. Discussion et recommandations
2.3.1. Discussion (synthèse)
2.3.2. Recommandations
Conclusion
Bibliographie
ANNEXES
Résumé

Introduction

Le féminisme est un sujet de société qui connait des périodes d’intensité plus ou moins forte, désignées de temps en temps comme des « vagues » de féminisme. Désormais, on estime qu’à l’entrée de la deuxième décennie du XXIème siècle, le monde du féminisme est à sa quatrième vague ; certains observateurs situent le commencement progressif de cette dernière vague au début des années 2010, notamment avec le fort développement des réseaux sociaux (Granata et al., 2018). En fait, la croissance exponentielle de quelques grandes plateformes de réseaux sociaux semble avoir induit une modification dans les manières de militer pour de nombreux mouvements féministes, en mettant un accent sur la « communication » très élargie. Cette « vague » de féminisme s’est intensifiée à partir de 2017, avec l’affaire Weinstein, provocant le mouvement #MeToo sur Twitter : une recrue d’essence de dénonciation faite par les femmes, de leurs agresseurs, des hommes.

Au-delà de la libération de la parole qu’a créée le mouvement #MeToo – plus connu en France sous le nom de #BalanceTonPorc –, il s’agit surtout d’une réelle prise de conscience du côté de l’opinion publique. C’est un phénomène qui s’étend au-delà de la dénonciation des seules pratiques sexistes, de discriminations et de violences de toute sorte, puisque cela concerne d’autres acteurs que les seules personnes physiques. Effectivement, des entreprises ont commencé à s’intéresser à des enjeux de société tels que le féminisme et se sont engagées à intégrer ce sujet dans leurs actions (production, distribution, promotion, etc.). Dès fois, de tel engagement s’intègre dans une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises). On peut parler alors de politique volontaire « gagnant-gagnant », où d’une part, l’entreprise répond aux besoins des consommateurs tout en améliorant son image de marque, et d’autre part, les consommateurs se sentent entendus et reconnus dans leurs valeurs (Baron, 2018).

Mais cet engagement de la part des entreprises présente parfois des imperfections, manifestes ou non, conscientes ou non. Dès lors, certaines entreprises sont accusées de pink washing, aussi appelé women washing, qui n’est autre que le fait de « mettre en avant un discours féministe pour améliorer son image, sans changer réellement ses pratiques en interne » (Attias, 2018). L’on pourrait prendre comme exemple l’œuvre de Kristen Visbal, Fearless girl, une statue montrant une fille/femme « sans peur » faisant face au Taureau de Wall Street, une œuvre financée par l’entreprise State Street Global Advisors. Cette œuvre a été créée dans le but de promouvoir les fonds d’investissements de cette entreprise, en empruntant des valeurs féministes dont concernant l’égalité femmes-hommes. Néanmoins, l’entreprise a été saisie plus tard par le ministère du travail car les femmes dirigeantes de celle-ci étaient sous-payées par rapport aux hommes (Garanata Beaulieu, Cuccioletta, 2018).

Ces faits interpellent, non seulement sur les enjeux pour l’entreprise du marketing féministe, mais plus encore, sur les enjeux de ce genre de marketing pour les mouvements féministes. Autrement dit, il y a lieu de s’interroger sur l’implication du féminisme dans le marketing, et inversement. De ce fait, se pose la problématique à étudier pour la présente recherche : quels sont les impacts du féminisme sur le marketing, plus particulièrement dans le cadre de cette quatrième vague de féminisme ?

Afin de donner des éléments de réponse à cette question centrale, cette étude s’est déroulée en deux étapes, correspondant aux deux parties de ce mémoire :

– La première partie consiste en une revue de la littérature visant à appréhender les concepts et notions clés sous-tendant cette problématique, dont le féminisme à travers ses différentes vagues (en se focalisant ensuite sur la quatrième) et le marketing féministe (en se concentrant sur les phénomènes de femvertising et de feminism washing).

– La deuxième partie tente ensuite de répondre « empiriquement » à la même problématique.

Partie 1. Revue de la littérature

Dans cette revue de la littérature, il s’agit de définir le cadre général de l’étude en portant l’analyse sur les concepts et notions clés qui sous-tendent la problématique de recherche. Il convient alors d’essayer de comprendre le féminisme et ses manifestations au fil de l’histoire, de manière à situer les mouvements qui sont désormais à l’œuvre à l’entrée des années 2020. C’est ensuite

1.1. Le féminisme à travers les âges

Cette première section cherche à situer dans l’histoire le féminisme dit de « quatrième vague ». Pour cela, il y a lieu d’abord d’essayer de tenir compte dans sa globalité l’histoire du féminisme, à la limite de ce que les historiens ont pu proposer. Ensuite, l’on se concentrera sur les différentes « vagues » de féminisme des sociétés modernes.

1.1.1. Une histoire de féminisme

Ainsi fredonnaient les militantes féministes en fin des années 1960 : « “Nous, qui sommes sans passé, les femmes …” » (Racine-Furlaud, 1981, p. 450). En effet, évoquer l’histoire du féminisme revient à constater un certain vide d’histoire, et cela étant que « les femmes ont toujours été présentes dans la trame de l’histoire, [mais] pas nécessairement dans son récit » (Perrot, 2011, p. 6). Ce vide est, il faut le reconnaitre, attribuable aux manières dont les historiens ont conçu leurs récits dans une perspective largement masculine : le constat est manifeste dès l’antiquité (en citant par exemple des grands historiens grecs et latins tels que Thucydide, Hérodote, Tacite, etc.) depuis laquelle ces récits ont mis les hommes au-devant de la scène, laissant derrière eux l’ombre de « l’autre sexe ». Certes, l’art a longtemps loué la femme notamment par sa beauté et sa douceur ; néanmoins, il y a comme une tendance observée, dans la célébration de la féminité de la sorte, à esquisser ce que la femme est ou doit être, et non pas à relater des faits tels qu’ils sont. Il n’est donc pas étonnant que l’histoire du féminisme n’a pas été suffisamment documentée dans les temps anciens. Autrement dit, dire que le féminisme relève uniquement des besoins ressentis avec la modernité est très réducteur ; de même, étudier le féminisme à l’aune de ses différentes « vagues », dont l’entame est généralement située au tournant de 1900, ne signifie pas que ce phénomène n’a jamais eu lieu auparavant : les historiens (ou plutôt la presque totalité de ceux-ci) ont seulement fait abstraction de son existence, que ce soit volontaire ou par inadvertance (Perrot, 2011).

Il a fallu alors attendre l’initiative de certains chercheurs, chroniqueurs et journalistes pour fouiller dans le passé. Il en est par exemple de grands noms des années 1930 comme Marguerite Durand (fondatrice du journal La Fronde) qui érigeait la bibliothèque féministe en France ou encore Marie-Louise Bouglé qui s’est chargée de recueillir toutes les productions écrites des féministes. Faut-il aussi parler de tentatives réalisées dans l’entre-deux-guerres jusqu’à l’après-guerre, en l’occurrence par des historiens du socialisme qui s’intéressaient aux femmes de la Révolution ainsi que des militantes des années 1940. C’est également dans ce mouvement que Simone de Beauvoir, à travers son ouvrage phare Le deuxième sexe (1949), propose une histoire de femmes et de féminisme en s’appuyant surtout de la collection de Marguerite Durand. Pourtant, la conclusion de l’auteure demeure que « “toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes […] Jamais les femmes ne leur ont disputé cet empire” » (Perrot, 2011, p. 7). Une véritable extension et expansion des recherches sur le sujet a finalement accompagné les années 1970 avec de nombreux questionnements qui surgissent concernant l’identité individuelle et collective des femmes et du féminisme.

Désormais, deux grands ouvrages ouvrent une « autre » perspective historique sur les femmes et leurs mouvements de contestation, à cette époque : celui de Maité Albistur et Daniel Armogathe (Histoire du féminisme en France du Moyen Age à nos jours, 1977) et de Jean Rabaut (Histoire des féminismes français, 1978). Ainsi, selon ce dernier, l’histoire du féminisme comme mouvement organisé se structure en des étapes : allant du féminisme de 1830-1848, en passant par le féminisme républicain ou libéral des vingt-cinq dernières années du XIXème siècle, à un féminisme modéré et conservateur atteignant la fin des années 1930. Mais la revendication féminine en France a bien fait parler d’elle au moins, selon ces ouvrages, depuis le XVème siècle avec la voix de Christine Pisant (intervenant pour défendre le « féminin sexe » dans une querelle de clercs) qui pourrait être vu comme l’une des premières manifestations du féminisme. En fait, de là jusqu’à la veille de la Révolution de 1789, il est surtout question de féminisme qualifié « d’élitaire » qui consiste en une protestation contre la subordination infériorisant des femmes. La pérennité de cette lutte s’explique d’ailleurs par le faible changement qui en résultait dans les sociétés d’alors à propos des conditions réelles des femmes (Albistur & Armogathe, 1977; Rabaut, 1978).

La Révolution française de 1789 serait un tournant pour la naissance du féminisme moderne, faisant découvrir un phénomène social au lieu de se cantonner à des luttes menées par des personnalités distinguées. Toutefois, bien que le passage à l’action politique était manifeste à cette époque (via des pétitions, par exemple), le bilan reste encore faible ; d’autant plus que l’antiféminisme était avéré au sein des révolutionnaires, notamment en considération du girondisme d’Olympe de Gouges amenant à l’exécution de celle qui a osé rédiger les « Droits de la femme et de la citoyenne ». Il fallait attendre la Révolution de juillet 1830 pour voir la renaissance du mouvement féministe, avec l’adhésion de celui-ci au saint-simonisme qui ont permis l’émergence des « premières journalistes » (à l’instar de celles de la revue La Femme Libre créée en 1832. L’on reconnait alors le caractère révolutionnaire et de classe de ce féminisme qui se différencie de ses prédécesseurs par le fait d’agir, cette fois, par les armes de la persuasion et de la parole. Cependant, il y a lieu encore de parler d’un échec à l’obtention du droit de suffrage (Racine-Furlaud, 1981).

Le féminisme « socialiste » caractérise ensuite les années 1880, avec des noms comme Hubertine Auclert et Madeleine Pelletier. Toutefois, la tentative de liaison du mouvement socialiste avec celui du féminisme. Cette période connut aussi le développement du féminisme bourgeois, républicain et anticlérical, à travers la « Ligue pour le droit des femmes », dans une lutte pour l’égalité des droits civils : en guise de résultat de ce mouvement, l’on peut citer le vote accordé à la loi sur l’enseignement secondaire féminin (1880) et la loi sur le divorce (1884). En tout cas, à côté d’un certain activisme du féminisme politisé de Marguerite Durand (avec La Fronde) et du féminisme radical de Nelly Roussel, cette époque (et durant un demi-siècle) est surtout caractérisée par un féminisme généralement modéré, qui se préoccupe avant tout d’adapter les femmes aux changements sociaux et économiques favorisant le travail féminin (Rabaut, 1978).

Enfin, et avant passer en revue les différentes vagues de féminisme qui ont couvert toutes les périodes à compter du début du XXème siècle, il importe de noter le rôle jouer par la Première Guerre mondiale pour le féminisme. Effectivement, cette guerre a vu s’exprimer de manière assez vivace le patriotisme des mouvements féministes, ce qui ouvre de nombreuses opportunités pour ceux-ci d’influencer en leur faveur l’opinion publique et politique. Néanmoins, le désespoir est au rendez-vous au lendemain de la guerre, car le Sénat a refusé d’accorder le suffrage féminin (Racine-Furlaud, 1981).

Cette première appréhension de l’histoire du féminisme montre que celui-ci pourrait avoir existé bien avant les mouvements tels qu’ils sont connus par les XXème et XXIème siècles. En tout cas, les différentes revendications portant sur des valeurs « féministes » ont animé les différents siècles de l’histoire, et certainement bien plus lointain que ce que les historiens ont dorénavant rapporté. Du moins, le féminisme « moderne » tel qu’il apparait désormais à partir de 1900 est assez organisé, ce qui leur a probablement permis une certaine efficacité d’actions ; surtout, au fil du temps et de ses différentes « vagues », le féminisme se montre plus mature à travers ses revendications qui dépassent ainsi les besoins primaires des femmes.

1.1.1. Des vagues de féminisme

Certes, le recours (notamment depuis les années 1970, Pavard, 2018) à la métaphore des « vagues » est contesté par ceux qui y perçoivent une notion réductrice d’un phénomène largement complexe, surtout avec l’enchevêtrement des contextes historiques relatifs au féminisme (Pavard et al., 2020). Néanmoins, l’emploi de cette métaphore dans la présente étude s’appuie sur une large acceptation et utilisation de cette figure (et au sein même des mouvements féministes) pour marquer à la fois une continuité et une rupture entre les mobilisations féministes qui se sont succédées : les précédentes vagues alimentaient les nouvelles tout en créant de nouvelles perspectives dans de nouveaux contextes. Le terme « vague » renvoie ainsi à des objectifs, une aspiration et des pratiques spécifiques (Chabot, 2019; Gerbet, 2020).

La première vague de féminisme fait son apparition sous la Troisième République, et concerne plus particulièrement la période d’entre-deux-guerres. Cette vague déferlait juste au moment où les « suffragettes » outre-Manche se battent pour le droit de vote : celles-ci parvenaient alors à conquérir des droits politiques (outre le droit de vote, celui d’occuper des fonctions publiques ainsi qu’une reconnaissance de leur statut de « personne »). En fait, cette première vague est aussi caractérisée par des actes de violence perpétrés par des militantes activistes : dépôt d’explosifs dans les stades, lacération de tableaux d’art dans les musées, molestation de parlementaires, etc. Les arrestations qui s’étaient alors succédées à partir de 1908 ont commencé à susciter la sympathie du public envers ces suffragettes, surtout lorsque ces militantes ont poursuivi leur lutte en prison par des grèves de la faim. Si le droit de vote effectif pour toutes les femmes n’a été obtenu qu’en 1928 en Angleterre, les femmes françaises ont dû attendre jusqu’en 1944 (Dagorn, 2011).

Les mouvements de la première vague de féminisme ont tendance à chercher à associer leur lutte sociale à une lutte politique en tentant de persuader notamment les syndicats à adopter une démarche égalitaire. « Cette première vague mixte a permis, à l’instar des champs dominés par les sciences économiques, sociales et politiques d’accéder à l’égalité civique » (Dagorn, 2011, p. 3). D’où l’appellation de féminisme « essentialiste » dans le sens d’une recherche pour les femmes d’égalité et d’accès au bien social (Chabot, 2019).

Une fois obtenu le droit de vote pour les femmes, le féminisme est quelque peu mis de côté dans la période de l’après-guerre. Il a fallu qu’une deuxième vague de féminisme traversait les années 1960 et 1970 lorsque les revendications féministes embrassaient une profonde mutation des représentations et des mœurs, avec comme principal objectif la maîtrise du corps fécond ; l’on assistait alors à un élargissement des problématiques féministes. C’est justement l’époque des Trente Glorieuses qui a favorisé l’insertion professionnelle des femmes dans le secteur tertiaire, ce qui a contribué à l’accroissement de leur pouvoir d’achat, leurs conditions de vie, leur autonomie financière ; la préoccupation pour la maternité baisse alors et l’intérêt porte sur la limitation des naissances. Il s’ensuit donc une lutte pour la régularisation du recours à la contraception. L’ouvrage emblématique de cette deuxième vague, Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir attire le féminisme vers la désacralisation de la maternité ainsi que la dissociation de la femme et la mère. La liberté sexuelle et la maîtrise de la fécondité se hissent alors dans les priorités des mouvements féministes (Dagorn, 2011).

Des mouvements très actifs (voire violents) ont, par moment, ponctué cette deuxième vague de féminisme. Il en est de la création du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) en 1968 et du Mouvement de Libération de l’Avortement et la Contraception (MLAC) en 1973. Le contexte politique postérieur à mai 1968 a favorisé la prise en compte des revendications et des réformes, ce qui a certainement contribué à la dépénalisation en 1974 de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) (Chabot, 2019).

Sur le plan intellectuel, le féminisme de deuxième vague est également marqué par l’engouement des femmes pour les Sciences humaines. Cela les conduit à remettre en question le patriarcat, vu alors comme un système d’oppression masculine. Outre-Atlantique, ces recherches ont plus spécifiquement pointé vers la notion de « genre » (gender) qui ne relève d’ailleurs pas de la nature brute mais plutôt d’une construction sociale et culturelle, donc susceptible à de modification. La démultiplication des courants féministes est aussi un fait marquant de cette vague à partir des années 1970 : différentialisme féministe de Julia Kristeva et d’Antoinette Fouque, le féminisme universaliste de Simone de Beauvoir, mais également le féminisme libéral égalitaire, le féminisme radical, le féminisme marxiste, le black feminism, etc. C’est probablement un mouvement précurseur d’une autre vague de féminisme en gestation (Dagorn, 2011).

Après la légalisation de l’avortement en milieu des années 1970, puis des répercussions considérables des actions féministes dans la société d’alors, il s’ensuit un temps d’affaiblissement de ces actions jusqu’aux années 1990. C’est Rebecca Walker qui est réputée être la première à proclamer la troisième vague de féminisme dans un texte datant de 1992, aux Etats-Unis ; mais en France, il est presque communément admis que le début de cette troisième vague se situe lors de la quatrième Conférence Mondiale des Femmes de 1995 à Pékin, avec les mobilisations sociales qui s’ensuivirent.

Le mouvement militant de la nouvelle vague s’est beaucoup rajeuni, intègre plus d’hommes et commence à opérer d’une autre manière par rapport aux vagues précédentes. Cela prenait surtout appui sur des recherches académiques autour du féminisme vers la moitié des années 1990, dont notamment concernant le « genre » avec un foisonnement des études sur ce thème jusqu’au début des années 2000. Il est même possible de dire que c’est l’un des éléments constituant le cœur du mouvement de la troisième vague (Chabot, 2019).

Ainsi, la théorie sur le genre « défend l’idée que les différences entre hommes et femmes sont issues d’une construction sociale autour du sexe et du genre, créant ainsi des normes autour du genre et de la sexualité qui structurent les identités » (Chabot, 2019, p. 25‑26). Cela a alors favorisé la naissance de mouvements féministes qui prônent la reconnaissance d’identités multiples. Il y a aussi une prise de conscience de la nécessité de se rapprocher des hommes dans une cause commune : à l’encontre de la deuxième vague, le féminisme de la troisième vague revendique ainsi la mixité sociale, pour un dialogue femmes-hommes. Mais en même temps, il y a également un rapprochement à la première vague en mettant l’accent sur l’indispensabilité de déconstruire des rôles féminins et masculins.

Articulant les luttes autour des différentes expériences de l’oppression – en tant que transsexuel(le)s, femmes, lesbiennes, gays, prostituées, racisées, etc., cette troisième vague reproche aux féministes égalitaristes, dans l’héritage de la deuxième vague, de faire des « femmes » une catégorie homogène, effaçant dans un faux universalisme les autres formes de domination comme le racisme, l’hétérosexisme, la domination de classe (Dagorn, 2011, p. 6).

L’on reconnait alors l’avènement de féminismes pluriels qui, tout de même, se joignent à l’idée de faire disparaitre tout rapport de pouvoirs que les normes de genre ont institués. L’on parle désormais de deux aspects clés de cette troisième vague de féminisme : l’individualisme et l’intersectionnalité. Le caractère individualiste de cette vague tient compte de la conception par de nombreuses féministes que le féminisme est hautement personnel :

(…) le féminisme moderne ne présente ni leader ni visage emblématique. Pour ces féministes, le féminisme concerne la liberté de choix des femmes dans tous les aspects de leur vie. Elles s’intéressent donc beaucoup plus au droit des femmes au plaisir et à la détermination de leur propre sexualité […], et sont plus susceptibles de considérer toute décision ou tout choix qu’une femme fait comme un choix féministe […] (Mullens, 2018, p. 30).

Quant à l’intersectionnalité, cela se réfère à l’identité féministe générale formée par le mélange de genres, de races, et de sexualités différents. Il s’agit alors d’un féminisme qui se veut être plus inclusif par rapport aux deux vagues précédentes. Ces deux aspects (individualisme et intersectionnalité) du féminisme de la troisième vague entre en quelque sorte en opposition à une vision des militantes de la deuxième vague qui prône plutôt que « seule l’action collective qui permet de corriger les injustices privées » (Bertrand, 2020, p. 28).

Qu’en est-il ensuite de la vague suivante de féminisme ? A vrai dire, l’entrée dans une quatrième vague n’est pas encore une idée partagée par l’ensemble des chercheurs et des différents mouvements féministes. Il est constaté une certaine hésitation à statuer sur l’effectivité de cette entrée : certains auteurs en fin des années 2010 continuent à affirmer que le féminisme est (encore) à sa troisième vague. Force est de rappeler qu’une situation analogue s’est déjà déroulée dans les débuts de cette troisième vague lorsque de nombreux auteurs ont préféré parler de « post-féminisme » et le terme « troisième vague » n’a été explicitement mis en vogue que dans les années 2000 (bien que le commencement de cette vague de féminisme aurait eu lieu dans les débuts des années 1990).

L’un des obstacles fréquemment invoqués pour expliquer cette proclamation tardive et a posteriori de la troisième vague féministe française est le poids des féministes historiques de la seconde Vague encore actives dans le contexte d’un féminisme français relativement institutionnalisé (…) L’histoire du mouvement, sa continuité et les rapports de filiation symbolique entre militantes paraissent primer sur d’autres considérations sociologiques que le facteur générationnel a pu soulever aux États-Unis (Bertrand, 2020, p. 28‑29).

Il importe de noter que les discours mentionnant l’existence d’une quatrième vague de féminisme sont désormais nombreux, surtout dans la littérature anglo-saxonne. De temps en temps, cette affirmation d’une nouvelle vague s’appuie sur les transformations du militantisme via l’expansion considérable des réseaux sociaux. Il est également relevé la vulgarisation (voire une certaine banalisation) de la lutte contre le sexisme à travers les outils offerts par les réseaux sociaux. « Les réseaux sociaux seraient l’outil privilégié pour mener un tel combat, notamment via les pratiques de naming and shaming » (Bertrand, 2020, p. 34). Toutes ces idées sont renforcées par le constat d’un regain féministe depuis notamment le début des années 2010.

Pour sa part, Bertrand (2020) a pu valider l’hypothèse que le monde du féminisme en France a connu l’émergence d’une quatrième vague depuis le début des années 2010, et cela au prisme de trois critères. Premièrement, un gain d’intérêt pour le mouvement, ainsi que les thèmes et les revendications que celui-ci porte dans l’espace public ; ce gain d’intérêt préfigure alors une certaine modification du traitement médiatique et politique de ces problématiques dans un sens favorable à certaines des revendications féministes. Deuxièmement, une modification des pratiques et/ou des idées ainsi que de la rhétorique militante en vue d’adapter le mouvement au contexte politique, social et technique. Troisièmement, l’influence et l’engagement de jeunes militantes traduisant les effets de génération qui pourraient influencer sur l’intensité des mobilisations et le changement d’idées et de pratiques militantes.

En somme, les quatre vagues de féminisme mettent l’accent sur des actions moins isolées qu’auparavant, et plus organisées avec plus de moyens. Cela a probablement impacté sur des résultats plus positifs, et a ensuite orienté les différentes valeurs sur lesquelles les différentes vagues ont particulièrement travaillé. Il est logique ainsi de percevoir une certaine « maturation » des mouvements féministes, au fil de l’évolution de leur revendication et des moyens qu’ils ont utilisés à cet effet. Dès lors, il est possible de dire que, avec sa quatrième vague, le féminisme est désormais entré dans une ère susceptible de transformer sensiblement son contexte d’action, ce qui pourrait modifier alors et de manière notable ses façons d’agir, voire les problématiques qu’il est amené à se manifester. Dans ce cas, il peut déjà être fait hypothèse que les relations du féminisme avec le marketing fassent également l’objet d’une certaine modification.

1.2. Féminisme, consommation et marketing

Parler des relations éventuellement existantes entre le féminisme semble nécessiter un détour du côté de la consommation dans un premier temps, étant donné que l’implication du « genre » dans la communication constitue un des sujets phares des revendications féministes modernes. D’autre part, il y a matière aussi d’apprécier les enjeux du marketing pour le féminisme, et inversement.

1.2.1. Consommation genrée, publicité et féminisme

Déjà, « on continue […] de considérer les activités de production comme plus masculine, et celles liées à la consommation – du moins celles du quotidien (comme les courses, la cuisine) –, plus féminines » (Mathe & Hebel, 2013, p. 4). Cela est alors une source problématique en rappelant que la différence de genre, y compris donc au niveau de la consommation, résulte surtout d’une construction sociale. De surcroit, il apparait encore une consommation différenciée suivant le genre en France.

Effectivement, en se basant sur une étude de 2013 réalisée par le CREDOC (Mathe & Hebel, 2013), il y a des préférences différenciées entre celles des femmes et celles des hommes, des préférences qui semblent être articulées essentiellement sur des stéréotypes de genre. Ainsi, du côté féminin, il y a une plus forte inclinaison pour l’habillement par rapport aux préférences des hommes : l’achat de vêtement serait même un loisir prioritairement féminin, plus souvent réalisé entre mère et fille, entre sœurs ou entre amies. Par contre, l’achat d’habillement est généralement conçu par les hommes comme une action utilitaire, effectuée la plupart des temps en solitaire : pour eux, il est surtout question de répondre à un besoin, ce qui les amène à écourter autant que possible le temps passé en point de vente. Toutefois, lorsque le vêtement est susceptible de symboliser une réussite sociale, les hommes concernés se montrent beaucoup plus positifs à l’égard de la consommation d’habillement. En tout cas, nombreux sont ceux qui délèguent l’achat de vêtement à leurs proches (conjointe, mère, sœur, etc.). Le niveau des dépenses d’habillement-chaussures révèle aussi cette consommation différenciée, du moins sur ce type de consommation, d’autant plus qu’une perspective de transmission générationnelle de cette culture préférentielle genrée se dessine à l’horizon :

Les dépenses des femmes seules sont nettement plus importantes en habillement-chaussures que les dépenses des hommes seuls. L’image sociale de la femme autour du paraître est toujours très forte en France, pays où les dépenses en habillement sont plus importantes qu’ailleurs. L’effet sur cette dépense est le même dans les ménages de plus d’une personne, et la présence d’enfants filles conduit à une plus grande dépense sur ce poste. L’effet du paraître est plus important chez les filles (Mathe & Hebel, 2013, p. 6).

En revanche, les préférences masculines pour l’alcool-tabac, les hôtels-restaurants et les transports sont nettement prononcées par rapport à celles des femmes. Ainsi, la part des dépenses allouée pour ces catégories de consommation est significativement plus élevée dans les ménages constitués de plus d’hommes (vivant seul ou non). Dès lors, l’habitude réservée traditionnellement aux hommes en matière de consommation d’alcool-tabac est plutôt préservée entre les années 1970 et 2000, bien qu’il est avéré une augmentation de la consommation de tabac pour les jeunes générations féminines ; certes, la différence s’estompe tout au long de cette période, mais l’écart demeure encore significatif sur ce point : « La transmission traditionnelle de ce comportement de genre perdure dans notre société » (Mathe & Hebel, 2013, p. 8). Par ailleurs, l’effet-genre apparait moins significatif (bien que persistant) pour le poids de la consommation en hôtels-restaurants, entre ces périodes. Mais les achats et usages automobiles (y compris pour les transports en commun) restent désormais un domaine à forte présence d’hommes au fil de ces années : « L’objet automobile associé à l’image de la vitesse est de tout temps plus investi par les hommes » (Ibid.).

Sur les autres types de consommation, l’on peut dire que les différences s’estompent pour les femmes et les hommes. Les différentiels significatifs perçus, pour l’alimentation à domicile ou encore le logement par exemple, sont vraisemblablement dus pour l’essentiel à des facteurs « physiologiques » (en termes de besoins énergétiques, de résistance au froid, par exemple) plutôt qu’à un effet d’entrainement lié au genre (Mathe & Hebel, 2013).

Néanmoins, les manières de réaliser les achats laissent encore transparaitre un effet-genre important pour les Français. Effectivement, tandis que les hommes semblent de plus en plus être attirés par l’usage des moyens de communication en ligne lorsqu’ils doivent effectuer des achats, les femmes « se montrent plus sensibles à l’ambiance des espaces commerciaux et expriment plus de goût pour la fréquentation des magasins » (Mathe & Hebel, 2013, p. 9). De toute manière, les courses alimentaires demeurent principalement à la charge des femmes (entre 29% et 36% d’hommes en couple sans ou avec enfant n’effectueraient point ces courses) (Mathe & Hebel, 2013) .

Il est légitime de croire que la communication publicitaire est, au moins en partie, responsable de l’évolution (ou de l’entretien) de l’effet-genre dans la consommation. L’exemple de Barbie est évoqué dans le travail de recherche de Margenetre (2020), une poupée naissant en 1959 aux Etats-Unis et très populaire dans le monde entier. La marque a lancé en 2018 la campagne de sensibilisation « Dream Gap Project » qui vise à sensibiliser sur l’importance de l’égalité entre femme et homme et de la lutte contre les stéréotypes féminins : la campagne a été aussi soutenue par la commercialisation de poupées à l’effigie de célébrités telles que Frida Khalo. Néanmoins, les poupées Barbie restent dans la culture et la représentation de la beauté et de la minceur, à l’aune de ce que la tradition veut voir sur les femmes, d’autant plus que les mensurations de ces jouets dépassent les possibilités pour le corps d’une femme (taille trop fine, cou trop long, etc.). Il en résulte que l’exposition d’une enfant à la poupée, jugée dorénavant comme restant sexualisée et stéréotypée, accroit le risque de développer une vision négative sur son propre physique (Margenetre, 2020).

De leur côté, les consommateurs peuvent aussi transmettre des messages à l’endroit des producteurs et des acteurs de la communication publicitaire pour faire évoluer entre autres l’importance de l’effet-genre dans la consommation. Sans encore parler de communication ou de marketing féministe, il faut admettre que les entreprises surveillent de près les comportements d’achat de ses consommateurs (réels et potentiels). D’où l’importance de la consommation dite « engagée » pour tenter d’influencer la production et la communication publicitaire. En fait, la hausse de nombre de variétés de produits et services sur le marché accroit le pouvoir d’influence des consommateurs qui ont alors un très large choix entre les offres existantes. Le suivi de l’évolution des attentes des consommateurs devient donc un impératif pour les entreprises, et l’aspect fonctionnel des produits n’est plus suffisant pour faire vendre et créer des avantages concurrentiels. Dans les pays occidentaux (y compris la France) où les consommateurs ont atteint un certain niveau de maturité, ces derniers revêtent plus particulièrement trois caractéristiques (Chabot, 2019) :

– Ils ont acquis un niveau assez élevé de confort dans leur vie, et cela fait évoluer leurs achats avec des demandes et des attentes plus exigeantes pour l’obtention de plus de confort qu’auparavant ;

– Ils sont « rois » dans le sens où différentes entreprises se mettent en compétition pour servir des consommateurs potentiels ; ce sont donc les entreprises qui dépendent des clients et de leurs choix ;

– Ils sont assez « informés » avec des moyens de plus en plus démocratisés pour accéder gratuitement à des informations sur les marchandises, et cela rend ces consommateurs très critiques et exigeants, non seulement sur les qualités de ces marchandises mais aussi sur les conséquences de leur acte d’achat et de consommation.

Dès lors, les préoccupations sociétales retiennent beaucoup plus l’attention des consommateurs, plus qu’auparavant : ils accordent ainsi nettement plus du sens à leur consommation, mettant l’accent sur le concept de consommation socialement responsable. Un tel consommateur « prend en compte les conséquences sociales de sa consommation et qui essaie d’utiliser son pouvoir d’achat pour induire des changements dans la société » (Bergadaà, 2004, citée par Chabot, 2019, p. 16). En d’autres mots, il s’agit d’un consommateur qui, d’une part, recherche de sens en achetant des produits ou services en adéquation à ses propres valeurs culturelles et préoccupations et, d’autre part, cherche à exprimer ces valeurs et préoccupations à travers sa consommation. Sur ce point, « les femmes étant plus présentes dans la sphère de la consommation, elles investissent plus largement cet espace comme lieu d’engagement politique et citoyen » (Mathe & Hebel, 2013, p. 4).

L’engagement des femmes dans la consommation ne date pas du XXIème siècle car cela a déjà été documenté concernant le début du siècle précédent, en France : cela consistait en deux séries de campagnes réformatrices relatives aux conditions de travail des ouvrières de la couture et à la réduction du temps de travail des travailleurs. Un item de ces campagnes porte, par exemple, sur l’établissement de « listes blanches » élaborées par des femmes bénévoles à l’issue d’observations et d’enquêtes : ce sont des listes de « bons fournisseurs » au sens des femmes de la classe bourgeoise qui considéraient alors les conséquences de leurs comportements de consommation. Il s’agit alors pour ces femmes d’apprendre à faire leurs achats de manière « éthique et responsable ». Le CREDOC juge désormais que, « en tant que simples consommatrices mais dotées d’un fort pouvoir prescripteur, les femmes contribuent à peser sur la consommation par les priorités qu’elles mettent en avant » (Mathe & Hebel, 2013, p. 4‑5). Ainsi, les motivations d’achat des femmes sont visiblement caractérisées, bien plus que celles des hommes, par un certain sentiment de responsabilité, notamment vis-à-vis des critères de fabrication locale, les labels de qualité, et le soutien à des causes humanitaires.

En somme, il est difficile de concevoir la consommation sans considérer ce qu’en pensent les femmes. Par extension, il pourrait même être plus judicieux pour l’entreprise de tenir compte des problématiques féministes dans leurs processus de production, de distribution et de communication. Cela est d’autant pertinent que, visiblement, les deux dernières vagues de féminisme semblent avoir fait une certaine « réconciliation » avec la consommation, « une réconciliation qui associe l’empowerment de la femme à l’expression de la sexualité et au pouvoir d’achat (…), la culture de consommation [étant] considérée comme un lieu permettant [cet] empowerment (…) » (Mullens, 2018, p. 31). Il importe alors d’approfondir l’implication du marketing dans le féminisme, et inversement, à travers les concepts de femvertising et de feminism washing.

1.2.2. Du « femvertising » au « feminism washing »

Avant de parler de l’implication bidirectionnelle entre le féminisme et le marketing, il convient dans un premier temps de noter une approche qui se trouve en quelque sorte à l’opposé de ce phénomène : le marketing de genre. Ce dernier « regroupe les pratiques visant à opérer une segmentation entre les produits et services destinés aux hommes et ceux destinés aux femmes » (Margenetre, 2020, p. 15). A titre de rappel, le « genre » étant une construction culturelle et sociale, qui est parfois distingué du « sexe », cela renvoie alors à une opposition culturelle entre le féminin et le masculin, essentiellement à travers de nombreux stéréotypes qui véhiculent cette opposition. Le marketing genré est donc pointé du doigt, voire considéré comme sexiste et abusif, car se fondant sur des stéréotypes liés au genre et non pas sur des critères strictement biologiques. C’est par exemple le cas des « shampoings pour homme », des « rasoirs pour femme », ou encore des « jouets pour filles/garçons ». Ce type de marketing est ainsi une adaptation (du marketing) en fonction des représentations et stéréotypes culturels entretenus dans la société (Margenetre, 2020).

Ainsi, le marketing du genre se met en contre-pied du marketing féministe, ce dernier se définissant comme « une pratique publicitaire par laquelle des marques portent des messages considérés comme féministes (ou tout au moins visant à redonner aux femmes leur juste place dans la société) à travers leurs campagnes de publicité » (Margenetre, 2020, p. 16). Cela est aussi appelé « femvertising » par contraction de « feminism » (féminisme) et de « advertising » (publicité) : c’est « une publicité ou un message publicitaire qui remet en cause les stéréotypes traditionnels féminins utilisés » (Chabot, 2019, p. 37).

Dans le contexte anglo-saxon, femvertising est généralement associé au concept d’empowerment, un terme également très utilisé dans les mobilisations et revendications féministes depuis les années 1970 : en fait, empowerment renvoie au « fait d’inspirer, d’encourager et de valoriser les femmes à travers certains messages, pour qu’elles reprennent le contrôle sur leurs identités et leurs choix » (Chabot, 2019, p. 38). Du coup, femvertising désigne une communication qui met l’accent sur des messages ou images relatant les réussites féminines, la valorisation et l’encouragement des femmes (Drake, 2017).

Dove serait l’une des premières marques ayant eu recours à une campagne de ce type, intitulée « Evolution » en 2006 : il s’agit pour la marque de dénoncer la représentation en publicité de femmes irréalistes, avec une rupture nette par rapport aux codes traditionnels de la communication publicitaire, en essayant plutôt de redonner confiance aux femmes (les encourageant à se sentir belles). Un autre exemple emblématique est celui de la marque Always avec la campagne « like a girl » (6 millions de vues sur les réseaux sociaux). D’autres entreprises qui ne consacrent pas uniquement aux produits/services féminins entrent aussi dans cette voie (Chabot, 2019). Du moment qu’elles se rapprochent étroitement des revendications des mouvements féministes, ces campagnes sont souvent considérées comme faisant partie des approches féministes. Le recours au femvertising en tant que stratégie marketing, tout en étant dans la lignée des engagements RSE des entreprises, s’est développé surtout à partir des années 2010 (Gerbet, 2020).

Sur ce point, l’on remarque que « ces campagnes incitent à la consommation, ce qui va à l’encontre du discours féministe qui revendique que l’émancipation des femmes ne se limite pas à une question d’argent, d’économie ou de choix d’achat mais qu’il comprend aussi l’existence et l’application de politiques et pratiques sociales » (Chabot, 2019, p. 38). A ce titre, le femvertising peut être vu comme une communication marketing qui cherche à reprendre les clés du féminisme au lieu d’être un simple prolongement d’un mouvement féministe (un appel publicitaire et non pas tellement un mouvement idéologique féministe à part entière) : ces campagnes peuvent à la fois promouvoir l’égalité entre les sexes au niveau de la société et contribuer à améliorer les images de marque de l’entreprise proprement.

Selon Becker-Herby (2016), le femvertising est soutenu par cinq piliers, à savoir :

– Recourir à divers talents féminins : une variété de représentations féminines au lieu de recourir au corps idéal des top models, au sens de l’intersectionnalité ;

– Utiliser des messages pro-femme de manière intrinsèque : au lieu de détériorer l’image de la femme pour pouvoir suggérer un produit/service, porter un message d’empowerment ;

– Aller au-delà des stéréotypes associés aux normes de genre, au-delà des perceptions socialement construites de ce que la femme « doit » être : cela concerne par exemple l’évitement de l’idéalisation d’une femme « maternelle » ou « ménagère », mais promouvant plutôt la réalisation d’activités « neutres » (voire dédiées traditionnellement aux hommes) ;

– Nuancer la « sexualité » : se limiter à la simplicité féminine et non aux poses sexuelles irréalistes, par exemple ;

– Représenter de façon authentique la femme : authenticité, réalisme, adéquation avec les produits/services promus.

Le femvertising connait alors un certain succès et il se produit ensuite un engouement de l’entreprise pour ce genre de marketing. En effet, il a été avancé qu’une communication publicitaire non stéréotypée peut générer jusqu’à 26% de retour sur investissement. De nombreuses entreprises ont ainsi tenté l’aventure en cherchant à prendre part aux « combats » des mouvements féministes (Margenetre, 2020).

Les travaux de Margenetre (2020) a permis de valider l’hypothèse selon laquelle des entreprises « surfent » sur les faits de société et d’actualité pour se montrer comme des défenseurs de nouvelles causes, de nouvelles valeurs afin d’attirer de nouveaux clients. Désormais, une majorité des consommateurs sont conscient de cette réalité et comprend l’engagement des entreprises comme étant alors intéressé. De manière logique, des entreprises se hissent au rang des mouvements féministes en espérant gagner et renforcer la confiance du public envers leurs marques : 88% des Français seraient influencés positivement quant à leurs perceptions de l’image d’une entreprise lorsque cette dernière met en œuvre de « bonne » politique de RSE (responsabilité sociale des entreprises) (Gerbet, 2020).

Dans cette perspective, une approche de femvertising est susceptible d’accroitre les intentions d’achat, outre les retombées en termes de réaction et de connexion émotionnelles (Drake, 2017). Cette approche est probablement efficace dans les cas où il existe un réel besoin exprimé plus spécifiquement par les femmes, ce qui suggère que le femvertising peut constituer un levier très lucratif plus particulièrement pour les entreprises qui proposent des produits féminins et destinés à des cibles féminines (Chabot, 2019). Il en résulte un fort développement du femvertising car les marques voient en ce dernier des stratégies efficaces dans le ciblage des publics féminins :

(…) la valeur moyenne des marques reposant sur un juste équilibre entre les genres est plus élevée (20,6 milliards de dollars contre 16,1 milliards pour les marques s’adressant au monde féminin et 11,5 milliards pour celles s’adressant au monde masculin). (…) L’incapacité à interagir de manière significative avec un public féminin réduit les possibilités de ventes des marques et limite leur valeur (Marketing-Professionnel, 2019).

Du coup, avec le développement du femvertising, les dérives sont également au rendez-vous :

Certaines entreprises se réapproprient les codes et les revendications féministes à des fins purement marketing et dans le but de redorer leur image. En réalité, ces entreprises ne luttent aucunement pour obtenir l’égalité tant espérée entre les hommes et les femmes (Margenetre, 2020, p. 18).

L’on parle alors de feminism washing ou de purple washing, en faisant analogie au green washing qui décrit les actions marketing déployées par des entreprises qui véhiculent un positionnement écologique pour dissimuler les réalités de leurs activités polluantes. Mais, comment reconnaitre alors un feminism washing ? En pratique, la frontière entre ce phénomène et le femvertising n’est pas toujours évidente. Certains observateurs proposent un ensemble de critères pour permettre l’identification des femvertising authentique, comme la parité salariale dans l’entreprise, l’existence de femmes dans des postes à responsabilité, l’objectivisation de la femme, les manières non genrées de faire des publicités, etc. (Margenetre, 2020).

Néanmoins, il y a lieu de reconnaitre les limites en termes d’efficacité du femvertising (et ainsi du feminism washing). Ainsi, certes, pour des consommateurs en majorité se sentant concernés par les causes féministes, la plupart seraient prêts à boycotter les entreprises qui prôneraient des valeurs en opposition à celles de ces consommateurs. Cependant, en pratique, les consommateurs déclarent que les campagnes de communication de ces entreprises n’affectent pas nécessairement leur future intention d’achat envers ces marques ; de surcroit, ces consommateurs hésiteraient à boycotter une marque même si celle-ci véhicule des valeurs contraires aux leurs, du moment que le produit ou service associé à cette marque apporte une réponse assez satisfaisante à leur besoin de confort.

(…) l’utilisation du marketing féministe n’est qu’un moyen de détourner l’attention des consommateurs et ne s’inscrit que partiellement dans une démarche de sensibilisation pour l’accès à l’égalité homme/femme. (…) le « femvertising » n’est qu’un levier marketing qui permet d’améliorer l’image de marque d’une entreprise sans avoir à améliorer la condition des femmes au sein même de l’entreprise. (…) Les consommateurs se déclarent conscients d’être face à du « feminism washing » pour autant, ces entreprises contribuent tout de même à l’éveil de la société et à l’évolution des mentalités (Margenetre, 2020, p. 36).

Après tout, presque la moitié des consommateurs français doutent de la sincérité des entreprises lorsqu’elles communiquent leurs engagements dans le cadre de la RSE. Le problème porte vraisemblablement sur l’aspect de visée commerciale et marketing de la communication publicitaire car cela est longtemps considéré comme relevant de la manipulation, l’artifice et le mensonge. Il subsiste dans les représentations du public de ce que sont la publicité et les outils marketing, laissant entrevoir comme une sorte d’incompatibilité avec les valeurs féministes qui pourraient en être soutenues. Les entreprises se doivent alors de démontrer, de prouver leur réel engagement pour ne pas être accusées de feminism washing, car cela risque de leur coûter encore plus cher que par rapport au fait où ces entreprises ne se sont pas lancées dans des campagnes proféministes.

En somme, l’on peut dire que le marketing féministe offre une double opportunité : d’une part, pour le féminisme en promouvant les causes féministes auprès du grand public (et notamment des cibles particulières des campagnes en question) et, d’autre part, pour l’entreprise qui adopte cette approche étant donné l’intérêt grandissant des engagements en RSE (dont à propos de l’égalité femmes-hommes) aux yeux des consommateurs modernes. Néanmoins, le développement du femvertising à cause de sa relative efficacité dans la perspective de cette double opportunité s’accompagne aussi de dérives, c’est-à-dire la prolifération en parallèle du feminism washing : des entreprises se montrent préoccupées par les causes féministes en dopant leur communication par des messages proféminisme sans pour autant que ces firmes s’engagent réellement dans cette voie au niveau de leurs propres pratiques. Cette situation risque d’affaiblir sensiblement l’efficacité du marketing féministe de par la méfiance du public envers les entreprises qui choisissent de recourir au femvertising.

1.3. La quatrième vague de féminisme et le marketing

Dans cette dernière section de la revue de la littérature, il est question de se focaliser sur les possibles effets du féminisme de la quatrième vague sur le marketing. L’on s’intéressera plus particulièrement alors sur la situation du femvertising dans cette dernière vague de féminisme. Mais également, il y a lieu d’apprécier l’évolution probable du phénomène du feminism washing dans ce contexte assez spécifique.

1.3.1. Féminisme de quatrième vague et femvertising

Désormais, le féminisme de quatrième vague est caractérisé entre autres par le succès du « féminisme en ligne », propulsé par le web 2.0 qui permet la participation active des utilisateurs dans la production des contenus. Les réseaux sociaux constituent certainement le fer de lance de ce succès en considérant à titre illustratif l’essor des campagnes de dénonciations telles que #MeToo et sa version française #Balancetonporc sur le réseau Twitter. Internet et les réseaux sociaux mettent leur puissance à la disposition des mouvements qui défendent des causes de société, dont le féminisme qui semble effectivement profiter des outils d’interaction en ligne pour communiquer plus qu’auparavant.

Les réseaux sociaux permettent aux mouvements féministes de traverser les frontières. Les symboles, slogans, et même les chants féministes sont relayés dans tous les pays via les réseaux sociaux. Nous pensons par exemple à la chanson chilienne « Un violador en tu camino » / « Un violeur sur ton chemin » qui a fait le tour du globe via les réseaux sociaux, jusqu’à être utilisée en France. Les possibilités permises par le Web 2.0 nous donnent ainsi l’impression d’un mouvement mondiale partageant les mêmes slogans, mêmes symboles, et mêmes chants de révolution (Gerbet, 2020, p. 31).

Pourtant, dire que l’avènement du web 2.0 et des réseaux sociaux a transformé complètement le féminisme est une conclusion hâtive et réductrice de la réalité. En effet, il est difficile de concevoir que l’éventuelle mutation des canaux de communication va aussi changer fondamentalement les teneurs des messages à communiquer à travers ces canaux. Tout de même, il faut reconnaitre que le développement des Technologies de l’information et de la communication (TIC) a notablement contribué à une certaine modification (voire en profondeur) des manières de faire du féminisme à l’entrée dans sa quatrième vague. Faut-il par exemple tenir compte de l’émergence d’un « nouveau profil de militantes » sous le poids de la communication numérique, à savoir « les communicantes, les journalistes ou des graphistes, ou tout simplement les digitales natives, qui prennent une part croissante dans les groupes du fait de leur rôle dans l’élaboration de leur stratégie web » (Jouët et al., 2017, p. 24).

Ainsi, dans cette quatrième vague, l’on assiste à un certain rajeunissement des militantes (un phénomène presque systématiquement observé à chaque renouvellement de la vague féministe). Il est logique alors d’avoir affaire à des proféministes plus connectés, ouvrant de nouveaux espaces (essentiellement en ligne) de prise de parole. Mais l’essor du féminisme en ligne ne signifie pas l’abandon des formes et des canaux de communication traditionnels : les termes les plus adaptés seraient probablement « multicanal » et « cross-canal » (la deuxième notion renvoyant à un chevauchement de recours à plusieurs canaux et non plus à l’utilisation de canaux indépendants les uns des autres). Le déploiement des mouvements collectifs féministes en ligne a généré de nouvelles formes de manifestations ne vient pas en substitution du militantisme classique : les pratiques en et hors ligne s’enchevêtrent : plutôt que de suppléer au répertoire traditionnel d’actions, le numérique élargit celui-ci.

Avec l’arrivée de jeunes journalistes engagées, apparaissent alors des médias féminins tels que le magazine papier Causette fondé en 2009, accompagné de magazines en ligne tels que MademoiZelle ou encore Cheek Magazine racheté par le groupe des Inrockuptibles en 2017. (…) L’utilisation des podcasts a aussi connu un grand succès auprès des féministes, avec l’émission La Poudre de Lauren Bastide qui nous parle de « femmes inspirantes » ou encore Victoire Tuaillon et son émission Les couilles sur la table sur les masculinités et leurs enjeux (Gerbet, 2020, p. 31).

Bien que l’évolution des manières de faire n’a certainement pas changé complètement les fondamentaux du féminisme, le recours massif à la communication numérique notamment sur les réseaux sociaux a fortement influencé sur les thématiques abordées. Certes, le corps des femmes et leur sexualité ont toujours constitué des sujets assez débattus dans la troisième vague de féminisme ; mais la massification de l’usage d’internet et des réseaux sociaux (dont une majeure partie des utilisateurs se connecte surtout via des appareils mobiles, rendant encore plus faciles l’accès et les interactions) a permis de repousser les limites de l’espace de discussion de ce qui est considéré auparavant comme tabou : le malaise du face à face est désormais contourné par l’usage des réseaux sociaux où les débats autour de ces sujets sont devenus presque sans gêne (par rapport à ce qui a été lors du féminisme de troisième vague). Les thématiques s’élargissent tout en s’approfondissant, tentant de politiser des questions qui embarrassaient auparavant sur l’espace public, comme concernant les « règles », le plaisir féminin, le « clitoris », les violences gynécologiques et obstétricales, etc.

Ainsi, les réseaux sociaux se voient fleurir des comptes emblématiques du féminisme qui arborent ces thématiques de l’intime sur les corps des femmes et de leurs sexes (sexualité, droit à l’orgasme, masturbation féminine, etc.) avec de nombreux suiveurs : @tasjoui (Dora Moutot), @jouissanceclub (Jüne), @orgasmeetmoi (Charline), en guise d’exemples de comptes célèbres sur Instagram destiné à libérer la parole des femmes et de leur jouissance. Promu par Julia Petri (notamment à travers sa campagne en mars 2019), graphiste qui a créé le compte @Gangduclito, le clitoris est devenu comme un symbole de l’explosion des discours sur ces thématiques de la sexualité et le plaisir féminin : la militante a même réussi à monétiser ses actions de femvertising par la vente d’affiches de « clitoris pop », des Totes bag, des pendentifs en forme de clitoris (Gerbet, 2020; Milelli, 2019).

Un tel intérêt grandissant manifesté par les animateurs des mouvements féministes ne peut qu’attirer l’attention des entreprises à la recherche d’approche plus efficace pour étendre leurs influences auprès du public sensible aux causes féministes. En revenant par exemple sur l’extension des espaces de prises de parole, les grands médias n’hésitent pas à se lancer dans l’aventure en émettant des newsletters féministes, à l’exemple de la newsletter « L » produite par le journal Libération (Gerbet, 2020).

L’on parle d’ailleurs d’un « succès » du femvertising, et les « médias sociaux » sont désignés comme en sont l’explication la plus plausible : les féministes se considèrent être largement plus entendus réellement qu’auparavant grâce à la rapidité, la globalité et l’horizontalité des réseaux sociaux (Gerbet, 2020). « Il se produit une performativité des actions en ligne qui reconfigure les formes du militantisme et redessine les représentations du féminisme dans les médias et dans la société » (Jouët et al., 2017, p. 51). Les collectifs féministes de la quatrième vague s’immergent dans l’ère de la communication en termes de mode d’action et s’approprient presque pleinement les stratégies publicitaires afin de gérer leurs activités en ligne. Il y a une sorte de déplacement de l’engagement féministe, de la coprésence absolue vers la communication médiatisée. Ces collectifs s’entretiennent donc à travers des conversations et des partages en ligne, forgeant une communauté virtuelle féministe assez active (Jouët et al., 2017).

En effet, un aspect important de ces campagnes est qu’elles vivent sur les réseaux sociaux […], où elles sont partagées et diffusées, ce qui ajoute au buzz marketing […]. La façon dont les médias sociaux permettent aux consommateurs de tenir les marques pour responsables de leurs actes et la façon dont les marques réagissent à cela constituent le véritable moteur du femvertising (Mullens, 2018, p. 41).

Les entreprises ont ensuite compris que, de même qu’une campagne de communication sexiste peut avoir des retombées négatives sur les réseaux sociaux, le marketing féministe devrait permettre de faire des utilisateurs de véritables ambassadeurs de leurs marques via ces mêmes canaux. En effet, la participation active des utilisateurs et les contenus générés par ces acteurs façonnent la campagne et la marque en question. Il est possible aussi de penser que, du moment qu’une entreprise se positionne comme une activiste du féminisme, les médias sociaux feront le reste du travail de communication avec le caractère interactif et la forte popularité de ces médias (Mullens, 2018).

En outre, le féminisme de la quatrième vague voit aussi une forte prononciation du « pop féminisme » qui est le produit de la rencontre entre le féminisme et la culture pop. Le pop féminisme peut être défini comme « un féminisme de masse qui se diffuse largement par les réseaux sociaux [et qui] se partage en un clic, une adhésion, une pétition en ligne, un « like » sur Facebook, un retweet [avec] le triptyque […] : sororité, immédiateté, viralité » (Luyssen, 2017). Il est vrai que l’époque antérieure a déjà connu des « icônes pop » comme Madonna et les Spices Girls ; mais « le pop féminisme de la 4e vague est beaucoup plus assumé et très explicitement formulé et diffusé par l’usage de symboles » (Gerbet, 2020, p. 33). Les années 2010 plus particulièrement ont connu des icônes internationalement connues par leur engagement féministe, à l’instar de Beyonce. En France, le pop féminisme s’exprime via des icônes pop féministes dont la célèbre chanteuse belge Angèle avec son tube « Balance ton quoi » (une chanson louée plus tard par les féministes dans les manifestations à Paris du 23 novembre 2019), ou encore Clara Luciani avec son titre « La Grenade ».

Il est possible de considérer le pop féminisme comme une des facettes du femvertising qui s’appuient surtout sur des célébrités et la popularité de certaines personnalités pour véhiculer des messages et revendications féministes. Les entreprises n’ont pas alors tardé à surfer également sur le pop féminisme pour profiter de la large audience qu’elles peuvent s’offrir à travers ce concept. Les mouvements féministes se souviennent certainement de l’usage du slogan « we should all be feminist », tiré de l’ouvrage du même titre de l’auteure célèbre nigérienne Chimmanda Ngozi Adichie, lors du défilé Dior du septembre 2017 : le slogan en question a été inscrit sur un tee-shirt mis en vente à 550 euros, un objet devenant culte à partir de là. La marque argument alors que la mode dispose d’un certain pouvoir d’influence car relevant de la pop culture. L’auteure nigérienne commente alors ainsi : « un tee-shirt ne va pas changer le monde, mais le changement arrive en diffusant des idées (…) l’idée d’utiliser la mode pour défendre le féminisme, c’est subversif » (cité par Gerbet, 2020, p. 35). Pour Alice Pfeiffer, l’utilisation du slogan par la mode peut vraiment trouver sa place dans le femvertising à condition de mettre en œuvre des actions concrètes prouvant l’engagement réel pour la cause féministe, de sorte à éviter l’usage purement et presque exclusivement commercial de ce slogan, un féminisme dit « de marché ».

En somme, même si le femvertising a toujours existé depuis des décennies, l’on peut dire que le féminisme de quatrième vague se caractérise par une intensification de l’aspect communicationnel des actions féministes. Cela se manifeste surtout par l’appropriation des outils de communication numériques par les mouvements féministes, dont via les réseaux sociaux qui constituent un moyen qui met l’accent sur la participation active des utilisateurs, susceptible d’accroitre l’efficacité des campagnes menées sur les grandes plateformes. A priori, cela doit profiter largement à l’avancement des causes féministes, mais les marques et le marketing se sont aussi emparés du femvertising pour pouvoir profiter des retombées positives des campagnes qui se montrent très prometteuses sur les réseaux sociaux. Cela invite les militantes à rester vigilantes vis-à-vis de l’opportunisme marketing de certaines entreprises qui s’intéressent juste au feminism washing : quel serait alors l’enjeu de ce phénomène dans le cadre de ce féminisme de quatrième vague ?

1.3.2. Féminisme de quatrième vague et feminism washing

Si le femvertising connait une certaine réussite dans cette quatrième vague de féminisme, qu’en est-il des dérives vers le feminism washing ? Sur ce point, il faut dire que les informations manquent concernant l’usage du feminism washing par les entreprises à partir des années 2010 (c’est-à-dire dans le cadre du féminisme de quatrième vague). L’on peut tout de même estimer que cette pratique n’est pas absente car l’essor du femvertising constitue une vraie tentation à s’engager dans cette voie, alors que les coûts associés à un réel engagement pour se conformer aux exigences des valeurs féministes peuvent apparaitre élevés aux yeux de ces entreprises (cf. Tableau 1) ; d’où la tentation de contourner ces exigences et de dissimuler la réalité à propos de ces engagements.

Tableau 1 – Huit items du test d’engagement véritable d’une entreprise recourant au femvertising
– Les femmes sont bien représentées (question de représentativité) dans aux postes de responsabilité et à la direction de l’entreprise.
– Rémunération équitable (parité salariale) et démontrée de manière transparente entre les hommes et les femmes travaillant dans l’organisation.
– Présence de femmes partout, dans tous les échelons (sur le plan vertical) et dans tous les organes (sur le plan horizontal) de l’organisation
– Considération de la question de la diversité dans le choix des fournisseurs de l’entreprise.
– Formation sur les préjugés et les biais de genre réalisée pour tous les employés de l’entreprise.
– Programme solide de congé familial déployé dans l’entreprise.
– Pratiques d’embauche inclusives pour tout recrutement dans l’entreprise.
– Absence de marketing de genre (ou toute autre discrimination similaire) dans la communication de l’entreprise (objectivisation des femmes).
Source : Kate Martell (citée par Janssen, 2021)

Néanmoins, le développement des TIC et la puissance des réseaux sociaux constituent un moyen assez efficace pour dénoncer les dérives en matière de femvertising. « Avec les réseaux sociaux, les marques utilisant des publicités sexistes sont tout de suite affichées et dénoncées » (Margenetre, 2020, p. 16). Cela est inhérent aux principes de réactions et de création de contenus effectuées par les utilisateurs de ces réseaux sociaux, ce qui facilite la viralité des informations, favorisant alors la visibilité des publications émises sur les grandes plateformes sociales.

D’ailleurs, ce ne sont pas uniquement les militants féministes qui sont omniprésents et actifs en ligne : comme Internet est désormais intégré dans l’espace public, le public est de plus en plus connecté également, et plus particulièrement le public féminin. Il s’avère même que les femmes internautes, notamment celles qui ont moins de 30 ans, sont nettement plus nombreuses que les hommes. De surcroit, 41% environ des jeunes de 18-25 ans auraient déjà mené des actions ou bien des discussions à caractère politique sur ces réseaux (Chabot, 2019).

Des campagnes féministes ont aussi, et presque régulièrement, été lancées pour entretenir l’intérêt pour le féminisme chez le public : par exemple, la campagne « Who needs feminism » initiée sur les réseaux sociaux par des étudiants de Duke University en 2012, incitant le public à partager les raisons de leur soutien du féminisme. D’autres méthodes utilisées par les mouvements féministes consistent à dénoncer explicitement certains propos, comportements ou actes considérés comme sexistes, déplacés ou racistes : le call-out-culture, plus particulièrement sur Twitter, à l’exemple du « manspreading » (dénoncer la manière dont s’assoient certains hommes dans les transports en commun, avec une tendance à écarter les jambes et prenant alors trop de place). Plusieurs pages féministes sur les réseaux sociaux ont adopté une approche similaire mais en sollicitant surtout des témoignages et des anecdotes de la part des utilisateurs : sur Tumblr, par exemple, à l’instar de payetashnek.tumblr.com (recensant les insultes sexistes) et jesuisunepubsexiste.tumblr.com (recensant des publicités sexistes).

Ces pages sont particulièrement représentatives de la pratique féministe de ces dernières années et se focalisent sur des thèmes redevenus centraux comme le harcèlement sous ses diverses formes et les publicités sexistes (Bertrand, 2018, p. 240).

Dans le contexte du féminisme de la quatrième vague, il se développe ainsi une certaine culture de dénonciation, plus spécifiquement sur les réseaux sociaux. Cela devrait donc réduire considérablement les marges « d’erreur » des entreprises dont les discours sur le féminisme ne sont pas toujours en adéquation avec leurs véritables pratiques : le risque d’être accusé de « washing » est omniprésent sur le web, et les marques victimes d’un « bad buzz » connaissent toujours de difficulté à s’en sortir. « (…) les individus ont redoublé de vigilance quant au discours des marques et celui des entreprises [qui] ont face à elles un public toujours actif et réactif via les réseaux sociaux » (Gerbet, 2020, p. 25).

La méfiance des publics envers les phénomènes de « washing » peut influencer sensiblement leurs comportements d’achat : 64% des consommateurs affirmeraient choisir ce qu’ils achètent selon leur position vis-à-vis des questions sociales, et 36% des consommateurs feraient confiance aux discours des marques à propos de ces questions. De même, 60% des Français pensent que de trop nombreuses entreprises instrumentalisent tout simplement les enjeux de société pour faire vendre leurs produits/services. Avec Internet et les réseaux sociaux, il est très difficile pour les entreprises de cacher leurs pratiques effectives :

« (…) Des communautés, connectées sur internet révèlent et jugent les actions et les faux pas des marques comme jamais auparavant ». Les réseaux sociaux ont permis cela et ont donné énormément de pouvoir au consommateur. (…) lorsque les marques s’approprient et utilisent des enjeux sociétaux dans un but marketing, celles-ci font face à un retour de bâton souvent très violent notamment par le biais des réseaux sociaux. Nous parlons notamment de « bad buzz » ou encore d’effet « boomerang » lié à un positionnement de marque mal défini et/ou souvent opportuniste (Gerbet, 2020, p. 26).

Cette culture de dénonciation a surtout été renforcée par le mouvement « #MeToo », initié par Tarana Burke en 2007 afin de dénoncer les violences sexuelles à l’endroit des minorités, puis très développé à partir de 2017 à cause de l’affaire Weinstein. A titre de rappel, Sandra Muller (journaliste) a lancé en France sur Twitter, le 13 octobre 2017, ce qui va devenir une des campagnes de dénonciation les plus virales sur les réseaux sociaux (plus de 200 000 messages en quelques jours) avec le message « #BalanceTonPorc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d’un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Deux jours plus tard, le hashtag est repris et traduit en anglais par Alyssa Milano (actrice), donnant lieu à la campagne géante de #MeToo. Ces campagnes de dénonciation ont alors cassé l’anonymat et le tabou traditionnel qui entretenaient le silence et la peur des femmes victimes d’agression sexuelle : non seulement ces victimes ont été encouragées à partager ce qu’elles ont vécu, mais la société a vraiment pris au sérieux les témoignages qui ont découlé de ces campagnes de dénonciation. Certains observateurs ont même craint que ces dénonciations massives ne viennent remplacer le tribunal par les réseaux sociaux.

En conclusion à cette troisième section, l’on peut dire que le féminisme de la quatrième vague met l’accent davantage sur le femvertising. Cela s’explique surtout par une amélioration nette des moyens de communication utilisés au rythme des innovations technologiques d’une part, et de la forte participation du public dans les campagnes de communication (notamment sur les réseaux sociaux) d’autre part. Il en résulte aussi une meilleure conscientisation et sensibilisation du public sur les enjeux de société, dont le féminisme qui devient de plus en plus populaire et symbole de fierté chez les femmes (par rapport à l’époque antérieure à cette dernière vague). L’on a affaire alors à un public, à des utilisateurs mieux informés et plus avertis de ces enjeux et qui pourraient plus facilement devenir militants. Certes, cette situation peut attirer aussi (plus qu’auparavant) les opportunistes pour tenter de tirer profit de campagnes de communication féministe. Néanmoins, avec la culture du call-out, les utilisateurs des réseaux sociaux sont à l’affut des moindres faux-pas des entreprises qui essaient de dissimuler les réalités en dessous de leur feminism washing.

Nous sommes alors en mesure d’apporter des éléments de réponse « théorique » à la problématique de la présente recherche, à travers une hypothèse de recherche formulée ci-après :

Hypothèse de recherche : le féminisme de quatrième vague renforce le femvertising « authentique » au détriment du feminism washing, à cause de l’intensification de la présence et de la communication en ligne (Internet et réseaux sociaux) des mouvements féministes promouvant le premier et dénonçant le second.

Partie 2. Etude empirique

Cette deuxième partie du mémoire consiste alors à appréhender empiriquement la problématique de l’étude, ce qui revient à en donner des éléments de réponse en se basant sur des informations issues d’une recherche « sur terrain ». Pour cela, il convient dans un premier temps de présenter la méthodologie pour le recueil et l’analyse des informations empiriques. C’est ensuite que l’on procèdera à l’analyse effective de ces informations au regard des hypothèses de recherche à vérifier. Enfin, il y a lieu de discuter des résultats de cette analyse (c’est-à-dire de faire une synthèse de cette analyse en revenant à l’hypothèse de recherche), puis d’émettre des recommandations en conséquence.

2.1. Méthodologie

L’on rappelle d’abord que la présente étude cherche à appréhender les impacts de la quatrième vague de féminisme sur le marketing en 2021. A titre de rappel également, l’hypothèse de recherche formulée (en fin de la première partie de cette étude) correspondante s’énonce comme suit :

Hypothèse de recherche : Le féminisme de quatrième vague renforce le femvertising « authentique » au détriment du feminism washing, à cause de l’intensification de la présence et de la communication en ligne (Internet et réseaux sociaux) des mouvements féministes promouvant le premier et dénonçant le second.

Cette hypothèse peut ensuite se décliner en deux sous-hypothèses (S-H) s’énonçant ainsi :

Le féminisme de la quatrième vague, avec l’intensification de la présence et de la communication en ligne (notamment via les réseaux sociaux) des mouvements féministes,

– S-H1 : renforce le femvertising que ces mouvements féministes jugent comme « authentique » ;

– S-H2 : affaiblit les cas de feminism washing appréhendés par ces mouvements.

En termes de méthode, il a été opté pour une recherche qualitative étant donné qu’il s’agit surtout d’appréhender des points de vue (des mouvements féministes, notamment) vis-à-vis des deux phénomènes relatifs au marketing féministe (que sont le femvertising et le feminism washing), sans que l’on dispose des détails sur les modalités possibles (issus d’étude antérieure) associées à ces points de vue. Plus précisément, l’entretien individuel semi-directif a été adopté comme méthode d’investigation auprès d’une quinzaine de militants féministes.

Concernant l’outil d’investigation, le guide d’entretien a été élaboré en se basant sur les deux sous-hypothèses de recherche. Ainsi, ce guide d’entretien (cf. Annexe 1) est articulé autour de trois thématiques principales (outre ce qui concerne les informations personnelles de l’interviewé et des informations relatives au mouvement féministe en question) :

– La quatrième vague de féminisme : il s’agit surtout de tenir compte de ce que pensent les interviewés à propos de cette dernière vague, de ce qui caractérise celle-ci (par rapport aux vagues précédentes), et des incidences d’Internet (et plus particulièrement, des réseaux sociaux) et des TIC sur le féminisme ;

– Le femvertising ou le marketing féministe : il y a lieu d’appréhender les points de vue des interviewés quant à, d’une part, la « légitimité » de cette approche (marketing) pour promouvoir les causes féministes et, d’autre part, l’efficacité des actions des mouvements féministes de la quatrième vague (propulsées notamment par Internet et les réseaux sociaux) pour promouvoir le femvertising ;

– Le feminism washing : il est question également de comprendre ce que pensent les interviewés concernant, d’une part, les dérives (éventuellement existants) du recours au marketing féministe et, d’autre part, l’efficacité des actions de ces mouvements féministes (en considérant plus particulièrement l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux) pour identifier et affaiblir le feminism washing.

En principe, la méthode d’analyse des informations qui devraient être ainsi recueillies est l’analyse de contenu. Néanmoins, le guide d’entretien a été dressé de manière à ce que les questions posées aux interviewés (même si elles ne sont données qu’à titre indicatif, l’intervieweur pourrait les reformuler si besoin au fil de chaque entretien) visent des réponses les plus précises possible, se rapprochant alors d’une enquête par questionnaire.

2.2. Résultats

Avant de procéder à l’analyse des informations recueillies à travers les entretiens réalisés auprès de militantes de mouvements féministes en France, il convient de faire une présentation générale de ces informations.

Désormais, une quinzaine de militantes féministes ont accepté de répondre à l’entretien dans le cadre de la présente étude. Ces participantes, toutes de sexe féminin, sont relativement jeunes (moins de 44 ans) dont plus de la moitié sont moins de 25 ans. Cela dit, leur engagement dans le mouvement féministe est également assez récent (la plupart sont membres de leur mouvement respectif depuis moins de deux ans). Pour préserver l’anonymat (exigé dorénavant par certaines des personnes interviewées), les noms des participantes n’apparaissent pas dans ce mémoire : ces interviewées seront appelées par des prénoms empruntés.

Tableau 2 – Profil des personnes ayant participé à l’entretien
Age Profession Dans le mouve¬ment Responsabilité(s) de l’interviewé
Marie – de 25 Etudiante 1.5 ans Colleuse, nouvelle resp. Réseaux sociaux
Nadia 25-44 Journaliste 1 ans Journaliste et colleuse
Odile – de 25 Institutrice 1 ans Colleuse
Michelle – de 25 Etudiante 6 mois Membre
Danièle 25-44 Enseignante 1.5 ans Membre
Dorothée 25-44 Professionnelle du médico-social 5 ans Colleuse / gestion du Instagram
Florence 25-44 Aide-soignante 3 ans Membre
Barbara – de 25 Etudiante 1 an Colleuse
Clotilde – de 25 Infirmière 3 ans Gestion réseaux sociaux
Ruth 25-44 Médecin 2 ans Membre
Lucile – de 25 Etudiante en marketing 3 ans Membre du comité de direction
Odette – de 25 Attachée d’administration 2 ans Co-fondatrice et pilote du mouvement
Julie 25-44 Sophrologue 2 ans Membre
Aurore 25-44 Informaticienne 2 ans Responsable réseaux sociaux
Jeanne – de 25 Etudiante 1 an Membre

Ces quinze militantes appartiennent à trois mouvements féministes dans trois localités différentes (cf. Tableau 3) : Bordeaux, Marseille, Lyon. Ces trois mouvements sont particulièrement actifs en ligne, dont sur les réseaux sociaux, depuis environ deux ans. Les activités en lignes de ces mouvements tournent autour de la publication/collage et/ou partage d’information, création d’évènement, animation et promotion des actions de mouvements féministes sur les réseaux sociaux (et éventuellement sur internet en général). De même pour préserver l’anonymat, les dénominations des trois mouvements n’apparaissent pas dans ce document : ceux-ci seront appelés par leurs lieux de siège respectifs.

Tableau 3 – Mouvements féministes d’appartenance des personnes interviewées
Intervie-wées Siège du mouve-ment Activités en ligne Prése-nce en ligne Objectif de la présence en ligne
Marie
Nadia
Odile
Michelle
Danièle Bordeaux Le mouvement partage sur les réseaux sociaux les activités d’autres mouvements féministes, ainsi que des informations ou articles 2 ans Sensibiliser à la thématique féministe, apporter de la visibilité aux actions menées et participer à la déconstruction sociale
Dorothée
Florence
Barbara
Clotilde
Ruth Marseille Partage des collages / des actualités du mouvement 2 ans Faire passer le message / Archiver / sensibiliser
Lucile
Odette
Julie
Aurore
Jeanne Lyon Créer une communauté de sororité/adelphité
Relayer des informations d’utilité publique, partager les actions de rues effectuées
Publications, principalement via Instagram, de statistiques, enquêtes sur les violences faites aux femmes. Post pédagogiques autour de concepts-clés des mouvements féministes, promotion d’initiatives militantes d’autres associations ou collectif.
Organisation d’évènements via les réseaux sociaux du collectif (Twitter, Facebook, Instagram) / sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles (contenu pédagogique, recueil de témoignages, partages de comptes militants, etc.) / démarchages de collectifs, associations et particuliers 3 ans Mobiliser un maximum de personnes grâce aux partages, toucher un large public, avoir de la visibilité et donner de la visibilité aux évènements féministes
Sensibiliser sur les violences sexistes et sexuelles faites aux femmes
Recruter d’autres membres pour faire grandir nos actions sur le terrain

2.2.1. Le quatrième vague de féminisme et le femvertising

Aucune des militantes interviewées n’a nié le fait que le féminisme est désormais à sa quatrième vague. En revanche, elles sont plutôt en accord sur certaines caractéristiques de cette « nouvelle » vague de féminisme :

• L’inclusivité : « Cette quatrième vague féministe est plus inclusive » [Marie] ; « la quatrième vague, … c’est surtout une question d’inclusivité, vous savez, toute la diversité du féminisme intégrée dans le mouvement, les minorités, et tout et tout, … je pense que c’est là ce qu’on peut caractériser cette nouvelle vague » [Ruth] ; « Il y a de nouveaux enjeux dans cette 4ème vague : plus d’inclusion, des minorités de genre notamment, … » [Odette]. « Cette vague est aussi plus inclusive, femmes de toutes origines, trans, non valides, toutes classes sociales, LGBTQIA+, pute/travailleuse du sexe etc. Personne ne doit être mis à l’écart » [Lucile] ; « la quatrième vague, je dirai que c’est plus inclusif ; il y avait déjà ça dans la troisième vague, mais c’est beaucoup plus maintenant » [Clotilde].

• L’intersectionnalité, de manière analogue au point suivant : « L’enjeu de cette nouvelle vague est d’attirer l’attention sur l’intersection entre les différentes discriminations, qu’elles concernent l’origine sociale, culturelle, l’orientation sexuelle, le handicap, et de renverser l’oppression systémique qui est à la source de celles-ci » [Julie] ; « c’est la prise en compte de l’intersectionnalité » [Jeanne] ; « cette quatrième vague est […] surtout intersectionnelle » [Marie] ; « La “nouvelle vague” du féminisme, à mes yeux, propose d’adopter une approche plus globale, intersectionnelle. C’est-à-dire que les mouvements précédents ont mis en lumière les combats des femmes dont la catégorie socioprofessionnelle et l’appartenance culturelle leur permettaient de pouvoir se consacrer à défendre leurs droits » [Aurore].

• Une controverse intergénérationnelle plus prononcée : « Cette vague est davantage portée par une population jeune, qui exploite de nouveaux outils d’expression : collages, actions en ligne, réunions en non-mixité, … Cette vague remet également en question des éléments apportés par les précédentes vagues, ce qui provoque des affrontements entre ces différentes générations de féministes, notamment entre universalisme et intersectionalisme » [Odette].

• Un rôle majeur de la communication numérique : « Internet, les réseaux sociaux, l’usage des outils de communication moderne sont maintenant banalisés dans tous les mouvements féministes. Tout le monde est habitué à ça, surtout les appareils mobiles, smartphone, tablette, … » [Clotilde] ; « Les réseaux sociaux et internet en général sont une véritable nouveauté dans le féminisme » [Marie] ; « Les réseaux sociaux, les moyens de communication, le fait que de plus en plus de personnes se sentent concernées et investies » [Lucile] ; « L’union entre les luttes contre toute forme de domination, le militantisme en ligne et le fait de pouvoir s’ouvrir et se connecter aux féminismes du monde entier » [Julie].

Sur le dernier point, les interviewées admettent qu’Internet, les réseaux sociaux et les technologies numériques ont des incidences assez profondes sur cette nouvelle vague de féminisme, en termes de :

• Visibilité meilleure des mouvements féministes : « Internet permet une meilleure visibilité et apporte une communauté plus large et ainsi plus de soutien et actions » [Marie] ; « Avec les réseaux sociaux, on est plus visible qu’auparavant ; on nous voit et nous entend mieux qu’avant, c’est certain » [Florence] ; « Beaucoup d’obstacles sont maintenant écartés, et tout le monde peut voir maintenant ce qu’on fait » [Michelle] ; « Cela apporte énormément de visibilité et plus on parle de certains sujets, plus ils deviennent importants et urgents » [Lucile].

• Leviers d’actions de ces mouvements : « [Internet] permet de mieux sensibiliser, de créer des communautés de soutien, de mobiliser des mouvements » [Dorothée] ; « Le militantisme est aussi plus accessible, par rapport notamment à une manifestation difficile d’accès pour les personnes en fauteuil par exemple, ou pour les mères seules avec leurs enfants, …, il “suffit” d’une connexion internet, on peut militer partout, tout le temps, à l’heure où l’on est disponible » [Julie] ; « Je pense que l’usage des réseaux sociaux permet de redonner un coup de jeunesse au mouvement, il est nécessaire pour que les mouvements féministes s’inscrivent dans leurs temps et prennent en compte les problématiques actuelles » [Jeanne].

Mais, en même temps, des effets pervers du développement et de la banalisation de l’utilisation des outils de communication numériques sont aussi mentionnés :

• Des risques émanant des détracteurs : « (…) détournements de certains messages, surexposition des militants à la haine en ligne et absence du droit à la déconnexion » [Odette] ; « La viralité des réseaux sociaux qui peuvent provoquer un engouement de taille, comme le mouvement #MeToo ou un bad buzz comme ce qui s’est passé avec l’affaire Mila qui divise les féministes et donne du grain à moudre à leurs détracteurs » [Julie] ; « Les réseaux sociaux, c’est aussi dangereux. Il n’est pas rare les menaces qu’on reçoit, les insultes, les intox, … et c’est viral aussi » [Nadia] ; « Les antiféministes sont également là, sur les réseaux sociaux, avec des discours parfois, très chauds » [Danièle].

• Des risques inhérents à l’organisation des mouvements féministes : « moindre présence sur le terrain, risque de fracture générationnelle » [Marie] ; « [l’usage massif des réseaux sociaux] peut aussi nuire, et créer un sentiment d’overdose et des burn-out militants » [Julie] ; « les réseaux sociaux peuvent aussi changer beaucoup de chose dans nos pratiques. On peut par exemple délaisser des pratiques anciennes qui sont pourtant des bonnes choses, les manifs, les réunions, …. Être connecté peut faire oublier les interactions humaines » [Odile].

• Des risques relatifs aux plateformes de réseaux sociaux : « Cependant, la censure existe toujours et de nombreux comptes féministes voient leurs travaux supprimés par les plateformes, car ils dénoncent des réalités encore taboues de nos jours » [Marie] ; « (…) les réseaux sociaux, c’est rapide, c’est puissant, c’est viral, mais cela dépend aussi de l’algorithme qu’ils font, parfois aux dépens des collectifs, des mouvements comme nous, les féministes » [Aurore] ; « (…) les réseaux sociaux/internet en général ont aussi développé la surconsommation » [Dorothée].

Néanmoins, le marketing n’est pas toujours vu d’un bon œil par les militantes féministes interviewées. En général, certaines d’entre elles considèrent que le marketing n’est nullement compatible au féminisme.

– « Selon moi, le marketing ne va pas avec le féminisme. Notre vision du féminisme est aussi anticapitaliste, et le fait de recourir à une étude de marché pour véhiculer des messages féministes est contraire à nos valeurs. Il n’y a pas de bon usage du féminisme dans le marketing (…) « Il n’y a pas de marketing féministe légitime selon moi. Il ne peut donc pas y avoir de promotions par les mouvements féministes actuels qui soient bonnes » [Marie] ;
– « Je ne pense pas qu’il y a de marketing légitime quand on parle de féminisme, ou d’enjeux de société en général ; ça se mélange pas bien » [Barbara] ;
– « Pour moi, le marketing féministe, c’est absurde ; c’est de la pure invention commerciale, comment parler de légitimité avec ça ? Impossible ! » [Clotilde]. «

D’autres interviewées nuancent un peu leur hostilité envers le « marketing », en essayant de délimiter la frontière de la légitimité de ce dernier en la confondant avec la légitimité des actions, des activités des entreprises qui ont recours au femvertising. Donc, ces interviewées parlent (implicitement) d’une légitimité conditionnelle :

– « Dans l’ensemble, je qualifierai cette pratique d’opportuniste, voire d’indécente, en particulier lorsque les entreprises exploitent des travailleurs pour leur production, ou que l’égalité femme/homme n’est pas promue en interne. Par exemple, il y a une incohérence lorsque les grandes maisons de luxe affichent des slogans féministes lors des défilés, alors qu’elles créent des complexes chez de nombreuses femmes » [Odette].
– « Je suis mitigée sur la question ; d’un côté, si les marques capitalisent sur le féminisme, c’est une fois encore car il ne peut plus être ignoré, qu’il est “cool” et donc que nous allons vers le mieux. D’un autre côté, cela est abject, car ces marques produisent leurs produits sur le dos des femmes précaires, donc c’est d’une ironie sans nom » [Dorothée].
– « Je trouve ce procédé légitime s’il s’inscrit dans une démarche militante, politique, c’est-à-dire si les associations s’emparent des techniques marketing pour donner plus de visibilité à leurs actions. Je ne trouve pas ça légitime si ça sert à des fins commerciales » [Julie].

Lucile approfondit sa thèse en suggérant de tester la légitimité du recours d’une entreprise au marketing féministe. Pour cela, cette interviewée propose de partir du concept de RSE : l’engagement de l’entreprise pour un enjeu de société, en inscrivant ce dernier dans ses démarches RSE, est-il cohérent en considération de ses discours et de ses pratiques relativement aux domaines concernés ?

En effet certaines entreprises ont recours au femvertising. Dans la plupart des cas, il s’agit d’entreprise voulant surfer sur les sujets “en vogue” pour que les consommateurs ressentent cette notion d’engagement et de RSE. Cependant, selon moi, il faudrait que ces entreprises naissent dans un premier temps dans un but RSE. Car si on fouille en profondeur, on peut s’apercevoir que la parité femme-homme n’est pas respectée, que les hommes sont toujours mieux payés que les femmes, etc. etc. C’est pourquoi le meilleur moyen pour que les entreprises fassent du femvertising “légitime” serait que les entreprises elles-mêmes aient un enjeu de RSE [Lucile].

Il semble alors que l’interviewée veut éviter la généralisation, et relativiser sur cette question de la légitimité du femvertising. La militante rapporte alors un exemple quelque peu exceptionnel, mais illustrant effectivement ce qu’elle qualifie d’usage légitime du marketing pour faire avancer les causes féministes : visiblement, elle veut démontrer qu’il est possible de recourir au marketing, à condition que les enjeux de société priment sur les autres objectifs (y compris commerciaux).

Je pense par exemple à Louise Aubery, plus connue sous le nom Instagram de “MybetterSelf”, créatrice du podcast Inpower. Louise communique énormément sur le body positive et les injonctions patriarcales faites aux femmes. Elle a récemment créé sa marque de lingerie et maillot de bain appelé “Je ne sais quoi”. Sa marque est inclusive, elle diffuse des images de mannequins non retouchées, basées sur le corps réel des femmes, et de tous les corps (on peut par exemple voir une mannequin uni jambe). Les tailles ne sont pas répertoriées par des chiffres mais par des noms “sublime, exquise etc.” Elle a d’ailleurs à cœur de montrer et insister sur ce que la société qualifie de défaut, comme par exemple la cellulite, les femmes rondes, les poils, etc. qui sont en réalité le corps naturel des femmes » [Lucile].

Certaines interviewées épousent ces idées (de Julie) sur la légitimité relative du marketing féministe :

– « Le marketing, c’est du profit pour l’entreprise, c’est du business, de la pub quoi ! Mais si l’entreprise arrive à démontrer que les causes féministes passent avant son business, peut-être même au prix d’un certain sacrifice, oui, oui, ça peut se faire car c’est de l’investissement, ça donne des retombées positives sur le long terme. Si l’entreprise est patiente dans cette voie, moi, je lui donne raison, c’est peut-être légitime » [Ruth].
– « Du marketing féministe légitime, … c’est rare. Oui, ça peut exister, mais vu ce que ça peut coûter de s’engager vraiment pour la parité salariale, la responsabilisation des femmes dans l’entreprise …, alors là, seules des entreprises d’exception peuvent réussir sur ce coup » [Danièle].
– « C’est sûr qu’ils sont très rares à ne pas tomber sous le charme hypocrite du marketing. C’est rare car c’est difficile. Il faut la volonté avant tout, l’authenticité. En fait, je pense qu’il faut d’abord être féministe avant d’entrer dans les affaires pour que ça marche » [Nadia].

Enfin, d’autres interviewées tentent une perspective vers un horizon de plus long terme, en espérant que c’est le féminisme (qui deviendra peut-être un enjeu de société davantage incontournable) qui influencera les entreprises, leurs pratiques et leurs démarches sociétales :

– « Je ne sais pas si on peut dire que ce sont les mouvements féministes qui promeuvent le marketing féministe, mais il y a certes un lien. D’un côté on pourrait dire que les entreprises n’en veulent que pour leur argent, mais de l’autre, on peut aussi penser que c’est le début vers un monde où les entreprises prendront peu à peu, en fonction du temps et des évènements, le féminisme très sérieusement et comme un élément incontournable dans leur choix de business » [Lucile].
– Peut-être un jour, dans un monde meilleur, qui sait, quand les entreprises n’auront plus le choix que de s’engager réellement et ne chercheront plus à cacher quoi que ce soit dans une vraie transparence. Alors là, on pourrait dire que le marketing va servir à quelque chose pour le féminisme. Mais on n’en est pas encore là [Michelle].

2.2.2. La quatrième vague de féminisme et le feminism washing

Certaines participantes à l’entretien décrivent le feminism washing comme un comportement opportuniste des entreprises qui tentent de tirer profit des enjeux de société féministes, c’est-à-dire dans un but a priori, voire uniquement, commercial. Ces interviewées semblent vouloir insister sur le fait que le feminism washing englobe tout recours au marketing féministe par les entreprises, et qu’il n’y a pas de légitimité pour le femvertising :

– « On peut parler de dérives dans le cas d’occasions annuelles, telles que la Saint Valentin, la journée du 8 mars, etc., car les entreprises profitent de ces journées pour promouvoir leur image et vendre leurs produits et services. Le féminisme fait vendre et les entreprises utilisent nos valeurs et combats dans le seul but d’augmenter leur profit et faire parler d’elles. C’est un usage opportuniste, ces entreprises ne se soucient en aucun cas de nos luttes et ne nous aident. Il s’agit seulement d’une technique de vente, et ces actions contribuent au fait que désormais le féminisme fait vendre » [Marie].
– « Je crois que toutes les marques qui recourent au féminisme le font par dérive. Le patriarcat et le capitalisme se basent sur la même chose : l’exploitation. Si on veut abolir l’un, on doit abolir l’autre, et dans ce cas le marketing n’a pas sa place » [Dorothée].
– « Pour moi, toute utilisation du marketing féministe par l’entreprise constitue une dérive » [Barbara].

D’autres interviewées, en revanche, évitent encore la généralisation et distinguent ce qu’elles dénoncent comme dérives du femvertising, et certaines d’entre elles illustrent leurs arguments par des cas avérés de feminism washing. Ce phénomène serait, selon ces interviewées, plus particulièrement identifié lorsqu’il y a

• Usage essentiellement commercial du féminisme, les interviewées mettant l’accent notamment sur le caractère opportuniste des entreprises qui ont recours à cette approche marketing :

– « Dans presque toutes les utilisations puisqu’il s’agit d’utilisation opportuniste » [Odette].
– « Les entreprises sont presque toutes pareilles. A chaque fois qu’il y a opportunisme sans réel engagement et transparence, c’est du pur marketing commercial, quel que soit le discours » [Ruth].
– « C’est clair, quand la recherche de profit est manifeste, y a pas de doute qu’on a du washing, c’est du féminisme pour vendre » [Florence].

• Incohérence entre le discours de la communication marketing et les pratiques réelles des entreprises :

– « C’est pas toujours évident à distinguer d’un premier coup. Les entreprises veulent avant tout séduire, et elles disent toujours de bonne chose, qu’elles se préoccupent de l’égalité entre femmes et hommes. Et elles avancent des tonnes d’informations, des documents pour vous prouver qu’elles s’engagent vraiment dans cette direction-là. Et c’est à que nous, les mouvements féministes qui sommes les plus vigilantes pour mettre à nu ce que le public non averti ne verra jamais d’un coin d’œil. Des incohérences émergent de temps en temps entre ce qu’elles disent ces entreprises et ce qu’elles sont en train de faire, de vendre, de publier, de communiquer, … Et c’est logique puisqu’elles savent ces grandes firmes que nous, les féministes, nous sommes à l’affut de leur moindre faux pas ; donc elles prennent toutes les mesures pour bien paraître « clean ». Ça saute pas aux yeux comme ça » [Danièle].
– « Certaines entreprises veulent mettre à l’honneur les femmes mais desservent la cause, voire nous ridiculise ! J’ai le souvenir par exemple d’être allé faire mes courses au supermarché il y a quelques mois et d’avoir vu un message publicitaire en banderole au-dessus des promotions du côté des produits d’hygiène qui disait “une femme est un être SANS DEFENSE jusqu’à ce que son vernis soit sec”. Cette phrase est très problématique. Elle suggère dans un premier temps que la femme est une petite chose fragile qui n’a pas les capacités de se défendre. Et dans un second temps, elle exprime le fait que les femmes se préoccupent davantage de leur apparence que de leur propre intégrité » [Lucile].
– Les exemples, tout à fait récents, auxquels je pense sont le t-shirt Dior “We should all be feminist” commercialisé au prix de 620€, qui s’empare d’un message de Chimamanda Ngozi Adichie. Je ne sais pas si la marque œuvre en faveur des droits des femmes, sur leur site il n’est pas indiqué qu’une partie du prix de ce t-shirt soit reversée à une cause qui lutte en ce sens, mais il est problématique car l’immense majorité de la population ne peut se l’offrir. C’est un affront, une utilisation abusive de cette phrase issue d’une conférence qui est finalement éclipsée [Julie].
– L’autre cas auquel je pense, ce sont les poupées Barbie à l’effigie de Frida Kahlo, commercialisées dans une volonté de proposer des icônes féminines aux petites filles, mais Frida Kahlo a les sourcils épilés et des mensurations en rien comparable à sa réelle morphologie et à son handicap. Toutes leurs campagnes vantant la beauté des vraies femmes sont en décalage avec les produits que la marque continue de commercialiser, des poupées qui valident et participent même à la création de ces canons de beauté inaccessibles [Julie].

Par ailleurs, presque toutes les interviewées ont admis que le développement de l’utilisation des réseaux sociaux a fortement contribué à l’identification et à l’affaiblissement des pratiques de feminism washing. C’est surtout dans la dénonciation de ces pratiques (entre autres) que les différents mouvements féministes présents sur les réseaux sociaux manifestent leur solidarité (même s’il peut exister une assez forte diversité de points de vue). Ces réseaux constituent alors un nouvel élément contribuant considérablement aux actions de ces mouvements, un point fort constaté par les interviewés :

– « C’est devenu plus facile et plus rapide maintenant d’alerter sur les mauvaises pratiques des entreprises. Tout le monde est sur les réseaux sociaux » [Barbara].
– « Les actions des mouvements féministes sont plus impactantes qu’auparavant car de plus en plus de monde est déconstruit et voit donc le problème. C’est notamment grâce aux réseaux sociaux que ces mouvements prennent de l’ampleur. Les actions sont médiatisées, et cette mise en lumière affaiblit l’image des entreprises qui utilisent le feminism washing, et par conséquent affaiblit cette technique de vente également » [Marie].
– « Avant les réseaux sociaux, c’était assez difficile d’identifier et de dénoncer l’opportunisme des entreprises qui usent de notre idéologie pour se faire de l’argent plein la poche. Mais maintenant, on peut très vite partager des informations sur telle ou telle entreprise, démasquer leurs pratiques malveillantes, dévoiler les publicités mensongères à notre égard, … » [Clotilde].
– « Pour ne pas réciter l’exemple de la cancel culture, je pourrais dire qu’avec la force de frappe de tous les collectifs et toutes les communautés différentes féministe présent sur les réseaux sociaux, les entreprises ayant recours au féminisme washing n’ont qu’à bien se tenir ! » [Lucile].
– « (…) par esprit de solidarité et de défense de nos intérêts, nous n’hésitons pas à pointer du doigt et demander rectification aux entreprises qui dérivent. (…) aujourd’hui la présence et la visibilité des réseaux sociaux sont très imposantes et fortes. C’est un moyen de pression assez efficace » [Odette].
– « Le phénomène MeToo est toujours d’actualité, et c’est pareil avec le marketing féministe » [Michelle].
– « Nous, on fait de notre côté, et on n’hésite pas à mettre à l’index une entreprise qui fait ce genre de chose. Mais on apprend aussi les utilisateurs à le faire, c’est aussi le but des sensibilisations, des conscientisations, de la pédagogie, des centaines de publications qu’on poste sur les réseaux sociaux. Et c’est fantastique car nous, les militantes avérées, on ne travaille plus seul, et les gens participent. Il est vrai que ça demande encore plus d’effort, plus d’engagement de leur part, mais ça avance lentement, et leurs contributions sont très importantes et conséquentes » [Odile].
– « Je suis plutôt positif à ce sujet. Et on est habitué à ça car les gens réagissent à nos publications, partagent nos publications. On voit que les personnes qui collent des commentaires et font des buzz concernant des washing sur le féminisme ne sont pas toutes des militantes avérées. En fait, la quatrième vague c’est ça, c’est aussi du féminisme individualisé, pas forcément dans les collectifs, mais on agit ça et là, pour dénoncer par exemple » [Aurore].
– « C’est la force des réseaux sociaux. Il suffit de mettre du hashtag et le tour est joué. Je pense que ça fera reculer ce feminism washing comme vous dites. Ça craint pour ces entreprises, c’est du sérieux » [Florence].
– « Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, l’identification du feminism washing est plus efficace car plus rapide. Les mouvements féministes ont plus de poids sur les réseaux car ils peuvent toucher plus de monde en même temps. Ainsi, dénoncer une campagne de feminism washing est plus impactante lorsque plus de monde le voit en même temps. De nos jours, internet et les réseaux sociaux sont nécessaires à la visibilité des actions féministes contre les grandes entreprises » [Marie].

Cependant, certaines interviewées veulent nuancer ces propos, invitant à être plus prudent dans l’utilisation des réseaux sociaux pour identifier et faire reculer le feminism washing, mettant en garde contre certains risques :

• Risque d’effets contraires : il ne faut pas oublier que, paradoxalement, les réseaux sociaux sont également des outils puissants pour le marketing, la communication publicitaire, voire pour l’antiféminisme : « Dans la mesure où le feminism washing est relativement récent, je ne sais pas [ ]. De même, la surconsommation au point actuel n’existait pas non plus, donc je ne saurais pas répondre (…) Et en même temps, ces réseaux sociaux et internet permettent à ce feminism washing d’émerger, donc c’est difficile à dire » [Dorothée].

• Risque relatif à la fiabilité et l’authenticité des sources d’information : en effet, la création et le partage d’informations sont généralement libres sur les réseaux sociaux, ce qui pose problème quant à leur traitement, et cela rend parfois très difficile l’identification du feminism washing (il suffit par exemple, pour une entreprise dénoncée de partager ou faire partager de fausses informations à propos de la source de la dénonciation en tentant de la discréditer, pour affaiblir la force de cette publication source :

– « (…) il est parfois compliqué sur les réseaux sociaux d’identifier la provenance des informations, et donc de démêler le vrai du faux. L’immédiateté des informations sur les réseaux, le rythme effréné des publications ne permet pas toujours de procéder à une recherche plus approfondie, de démêler le vrai du faux » [Julie].
– « La puissance des réseaux sociaux fait peur aussi avec les dénonciations, les informations « gratuites » sont nombreuses, les « fake news » prolifèrent et le public tend à accorder de moins en moins de crédit à ce qu’on publie. Ce sont peut-être les grandes entreprises elles-mêmes qui sont derrière ça pour semer l’embrouille et le ras-le-bol des gens concernant nos publications » [Nadia].

La synthèse de toute l’analyse ainsi faite fera l’objet de la section suivante, et donnera ensuite lieu à des recommandations correspondantes.

2.3. Discussion et recommandations

Dans cette dernière section, il s’agit de faire la synthèse de l’analyse faite dans la section précédente, en revenant aux deux sous-hypothèses de recherche formulées pour donner des éléments de réponse à la problématique de l’étude. C’est ensuite que des recommandations seront émises en conséquence.

2.3.1. Discussion (synthèse)

Les points de vue des militantes féministes interviewées convergent lorsqu’elles décrivent la quatrième vague de féminisme : elles avancent notamment que cette nouvelle vague est plus inclusive que les précédentes, caractérisée par son intersectionnalité, prend un certain recul par rapport aux visions des mouvements de l’époque auparavant, et voit une forte implication de la communication numérique dans les actions des féministes. Ces interviewées montrent combien elles (et les mouvements qu’elles représentent) apprécient les apports notables des outils de communication numériques (les réseaux sociaux, en particulier) dans le développement de leurs actions, car ces derniers confèrent notamment une meilleure visibilité des mouvements féministes et constituent un levier d’action pour ces mouvements (sensibilisation et mobilisation, soutien, extension d’influence, etc.).

En même temps, les entretiens ont aussi mis en avant des risques associés au développement considérable de l’utilisation des réseaux sociaux, des risques émanant des détracteurs qui utilisent aussi ces outils de communication numériques (d’où une sorte de bataille d’influence contre les antiféministes), des risques touchant l’organisation des mouvements féministes (l’omniprésence en ligne tarisse souvent les actions en présence physique, pourtant d’une grande importance), et des risques relatifs aux plateformes des réseaux sociaux (dont le fonctionnement et les mécanismes ne sont pas toujours en faveur de ces mouvements).

Cela confirme l’idée d’une vague de féminisme très portée par la communication, ce qui interroge désormais sur l’implication du marketing féministe. Sur ce point, il s’avère que la réconciliation annoncée entre le marketing et le féminisme n’a pas vraiment eu lieu du point de vue des mouvements féministes. A vrai dire, les opinions des interviewées ne convergent pas nécessairement, démontrant encore la pluralité et la forte diversité du féminisme de cette quatrième vague :

– D’abord, il y a celles qui réfutent purement et simplement le recours au marketing pour faire avancer les causes féministes. Pour ces militantes, le marketing lui-même (avec ses notions connexes, dont la communication publicitaire) est incompatible au féminisme. Ici, il faut entendre par « marketing » le recours à toute approche marketing par une entreprise poursuivant un but commercial, ce qui délégitimise le femvertising pour ces interviewées car cela serait « contraire » aux valeurs du féminisme.

– Ensuite, il y a celles qui insistent sur les conditions de légitimation des pratiques marketing par des entreprises qui veulent mettre en avant leurs engagements en matière de RSE tournée vers le féminisme. La légitimité du recours au marketing dépendrait alors de la légitimité des activités et des pratiques mêmes de ces entreprises : est-ce qu’elles satisfont aux critères d’engagement réel et transparent pour le féminisme ? Ces interviewées soulignent donc que cette légitimité est levée une fois que le commercial prend le pas sur les enjeux de société concernant le féminisme.

– Enfin, il y a des interviewées qui essaient d’aller au-delà du court et du moyen terme en espérant que le marketing servira vraiment aux causes féministes dans un futur plus lointain. Certaines d’entre ces interviewées veulent croire que cela pourrait se faire progressivement, laissant les entreprises se voir influencer par les valeurs féministes qu’elles veulent porter dans leurs stratégies RSE, puis dans leurs stratégies marketing.

Ainsi, les mouvements féministes n’ont pas (encore ?) une représentation systématiquement positive envers le femvertising, et vis-à-vis du marketing en général. Au mieux, ils sont très méfiants, et une véritable réconciliation entre le féminisme et le marketing demandera du temps (si cela pourrait un jour avoir lieu) : cela n’aura vraisemblablement pas lieu dans cette quatrième vague de féminisme (en supposant qu’une autre vague se formera dans une ou deux décennies environ).

Dans cette perspective, la première sous-hypothèse de recherche n’est pas validée, une sous-hypothèse selon laquelle le féminisme de quatrième vague propulsé notamment par la communication et les actions en ligne peut promouvoir le femvertising. Cette conclusion repose désormais, non pas sur l’intentionnalité des entreprises de s’engager dans cette approche marketing (le développement considérable du webmarketing et du Community management sur les réseaux sociaux pourraient par exemple inciter vivement les entreprises à recourir au femvertising), mais plutôt sur ce qu’en pense les mouvements féministes.

A propos du feminism washing, deux perspectives coexistent également selon les militantes interviewées :

– D’une part, celles qui conçoivent que tout recours au marketing féministe par les entreprises constitue un feminism washing, y compris donc le femvertising. C’est une continuité de la pensée d’une « école » (que l’on pourrait qualifier de « conservateur ») qui estime qu’il n’y a pas de marketing féministe légitime. Autrement dit, le femvertising est également inclus dans le feminism washing, dans cette perspective ;

– D’autre part, celles d’une « école » (que l’on pourrait qualifier de « progressiste ») qui évite la généralisation et distingue bien ce qui est « dénonçable » comme dérive du femvertising (reconnaissant donc l’existence du femvertising légitime). Suivant cette conception, deux critères au moins pourraient permettre d’identifier le feminism washing, à savoir : l’usage essentiellement commercial du féminisme (le terme « opportuniste » est employé pour désigner le marketing féministe lorsque la recherche de profit prend le pas sur la défense des valeurs féministes) et l’incohérence entre le discours féministe de l’entreprise et les pratiques réelles de cette dernière (un ou plusieurs aspects des actions de l’entreprise, notamment dans ses activités d’exploitation, ne sont pas conformes à certaines valeurs féministes).

Si l’identification du feminism washing ne devrait pas poser trop de problèmes pour la première conception (celle de l’école conservatrice) car il y a hostilité envers tout ce qui a trait au marketing, il n’en est pas vraiment pour la seconde. Certes, et les interviewées confirment assez largement cette thèse, les réseaux sociaux contribuent considérablement à l’identification et la dénonciation des cas de pratiques douteuses d’entreprise qui se déclarent pourtant engagée à une cause féministe. Néanmoins, les entreprises qui s’engagent dans cette voie savent pertinemment qu’elles s’exposent de plus en plus au risque de dénonciation, de par la call-out culture entretenue surtout par les mouvements féministes actifs sur ces réseaux. Dès lors, ces entreprises chercheraient certainement à déployer toutes les mesures possibles (par apprentissage du passé) pour paraître conformes aux valeurs féministes auxquelles elles déclarent s’engager. Il faut s’attendre alors à ce que l’identification des cas de feminism washing soit de moins en moins facile à réaliser. C’est justement pour cela que les mouvements féministes œuvrent et usent de leurs expériences pour permettre cette identification, puis mobilisent l’opinion publique pour dénoncer et affaiblir les pratiques identifiées.

Cette dénonciation est presque souvent couronnée de succès sur les réseaux sociaux, de par la rapidité du partage d’informations, d’autant plus que les utilisateurs commenceraient à s’approprier des outils permettant cette dénonciation. Il faut également noter la solidarité des mouvements féministes en ligne qui, malgré des éventuelles divergences de points de vue sur certaines questions, s’unissent (en se rappelant par exemple des campagnes de dénonciation massives comme le « moment MeToo) presque toujours pour défendre des valeurs féministes. Cela crée alors une pression sociale vraisemblablement efficace pour dissuader les entreprises à s’engager sur le chemin du feminism washing. Internet et les réseaux sociaux prennent alors une place importante dans le succès du féminisme de la quatrième vague.

Toutefois, deux importants risques évoqués par les interviewées limitent les marges de manœuvre des mouvements féministes dans l’utilisation des réseaux sociaux pour identifier et affaiblir le feminism washing :

– D’une part, il y a le risque « d’effets contraires » dans le sens où les réseaux sociaux constituent également (voire avant d’être un outil au service du féminisme) un outil marketing très puissant. En d’autres mots, les réseaux sociaux peuvent bien promouvoir largement aussi bien le marketing féministe que le feminism washing.

– D’autre part, il y a le risque inhérent à la fiabilité et l’authenticité des sources d’information sur les réseaux sociaux. En effet, il ne faut pas oublier la relative liberté de création et de partage de contenus sur ces réseaux, faisant ces derniers des théâtres d’une bataille permanente d’influences, notamment entre les mouvements féministes et les antiféministes.

Ainsi, l’on peut dire que la deuxième sous-hypothèse de recherche est validée avec nuance : le féminisme de la quatrième vague peut affaiblir sensiblement le feminism washing, grâce surtout aux réseaux sociaux qui facilitent la dénonciation des cas de pratiques douteuses identifiées ; néanmoins, la « vigilance » accrue des entreprises qui ont recours à ces pratiques peut rendre assez difficile l’identification de ces cas.

Finalement, il n’est pas étonnant alors que, dans une large mesure, l’essentiel de la communication des mouvements féministes en ligne s’inscrit dans un ton dénonciateur.

2.3.2. Recommandations

Il faut dire que la voie du femvertising est loin d’être en libre accès pour l’entreprise qui souhaite s’engager dans cette voie, dans le contexte du féminisme de la quatrième vague : cela comporte des coûts à considérer et à comparer aux bénéfices potentiels que cet engagement pourrait conférer par la suite. Concernant ces bénéfices potentiels, ils peuvent être assez attrayants car l’opinion épouse de plus en plus les enjeux de société, y compris en matière de féminisme qui s’individualise davantage au fil du temps. Le féminisme ne serait plus un mot « tabou » comme cela était le cas il y a quelques décennies de cela ; de plus en plus de femmes manifestent publiquement et ouvertement leur affiliation à telles ou telles valeurs féministes, le féminisme devenant ainsi un symbole de fierté et non plus une notion associée à une minorité marginale comme auparavant.

Ainsi, pour toute entreprise qui souhaite profiter de ce que peut lui offrir les enjeux de société dans le domaine du féminisme, il est impératif de réaliser une étude pour estimer aussi de manière aussi détaillée que possible ces bénéfices potentiels, plus précisément en termes de population potentiellement touchée, et la conversion probable en clientèle potentielle. L’on pense désormais que l’étendue de l’influence du féminisme s’élargit constamment, voire assez rapidement, au rythme de la viralité des informations sur les réseaux sociaux. Cette étendue et sa vitesse d’expansion sont donc à quantifier absolument, car ce sont les variables principales déterminant ces bénéfices potentiels. Quant aux coûts, sans encore parler des dépenses réelles de mise en œuvre des campagnes de communication, il y a lieu surtout d’appréhender :

– D’une part, les hostilités des militantes féministes du courant conservateur qui sont (encore ?) catégoriquement opposé au recours à l’association féminisme-entreprise commerciale : cela signifie que l’engagement d’une entreprise dans le femvertising comporte toujours un risque porté sur son image et sa réputation, car les mouvements féministes de ce courant de pensée s’érigeront certainement sur son chemin, quelles qu’en soient les circonstances. L’entreprise devrait alors se poser des questions sur la gestion de ce type de risque : lorsque cela se manifeste, quelle(s) stratégie(s) adopter, par exemple entre stratégies offensive (contre-attaquer de front peut comporter le risque d’être vu comme un antiféministe qui s’égare sur le terrain de ses adversaires) ou défensive (privilégier le silence ou bien choisir de communiquer et d’argumenter) ? Cela pourrait même amener l’entreprise à élaborer au préalable une véritable stratégie de « gestion de crise », car il est fort probable que ces militantes conservatrices ne vont pas seulement croiser les bras lorsqu’elles constateront le recours au féminisme comme argument de la communication marketing.

– D’autre part, les conditions et critères imposés par les militants du courant progressiste pour définir la légitimité (ou non) d’une pratique de marketing féministe (en pensant par exemple aux critères et conditions proposés par Kate Martell) : jusqu’où l’entreprise peut-elle aller dans cet engagement en faveur du féminisme, et à quel prix ? Il faudrait absolument quantifier également l’ensemble des coûts associés à la mise en place des éléments correspondant à ces conditions et critères.

Il convient aussi d’encourager les entreprises qui projettent de s’engager dans cette voie à remplir effectivement « l’ensemble » de ces conditions et critères parce que les mouvements actifs en ligne ne tarderont pas à pointer du doigt tout manque de conformité à ces exigences en matière de féminisme. De même, il importe d’encourager ces entreprises à procéder de la manière la plus authentique et la plus transparente possible ; autrement, c’est toute l’image de l’entreprise concernée qui sera mise en jeu, en n’oubliant pas que le « bad buzz » sur les réseaux sociaux sont très difficilement remédiable : les mouvements féministes, gardiens chevronnés du féminisme, sont à l’affut des moindres manque de sincérité, et même lorsque cela ne vient pas de la volonté consciente de l’entreprise en question. Il est alors vivement conseillé d’intégrer tout projet de marketing se rapportant à des valeurs féministes dans les démarches RSE de l’entreprise.

Une consultation réalisée auprès de féministes « experts » en matière de communication marketing « légitimée » (par les mouvements progressistes, bien entendu) pourrait donner des informations très importantes. C’est à partir de toutes ces informations (considérées jusqu’ici) que l’entreprise est appelée à adopter une posture réflexive en se posant au moins les questionnements suivants :

– Est-ce que les valeurs féministes (l’ensemble de ces valeurs et non pas seulement celles sur lesquelles vont porter les campagnes marketing de l’entreprise) sont en synergie avec celles de l’entreprise et sa culture ? Quels changements seront éventuellement nécessaires pour intégrer ces valeurs féministes ?

– Jusqu’où les propriétaires et les dirigeants de l’entreprise veulent-ils aller sincèrement dans l’engagement pour ces valeurs féministes ? Un engagement non sincère s’expose toujours à la tentation de contourner ces valeurs pour seulement paraître conforme à ces dernières sans réelle appropriation de celles-ci, avec les risques que cela comporte.

Conclusion

La quatrième « vague » de féminisme se montre beaucoup plus communicante par rapport à celles des époques précédentes. Cela est surtout dû à l’évolution considérable des moyens existants, notamment avec le développement fulgurant des outils de communication numérique. Cela invite alors à s’interroger sur l’implication de la communication marketing sur le féminisme et inversement. Répondre à cette interrogation revient à appréhender l’évolution du recours au marketing féministe par les entreprises, et plus particulièrement les phénomènes de femvertising et du feminism washing.

Certes, le développement de l’utilisation des outils de communication, et plus spécifiquement des réseaux sociaux, a fortement contribué au développement en parallèle et dans le même sens du marketing. Néanmoins, le féminisme de la quatrième vague ne semble pas avoir véritablement renoué avec le marketing, en considérant les points de vue des mouvements plus « conservateurs » qui qualifient tout usage de marketing pour promouvoir des causes féministes comme relevant du feminism washing. De leur côté, d’autres mouvements plus « progressistes » semblent être prêts à voir du femvertising « légitime », sous certaines conditions attestant le réel engagement envers les valeurs féministes. Dans cette perspective, il est encore hors de propos de statuer que le féminisme de la quatrième vague promeut le marketing féministe.

Tout de même, les réseaux sociaux contribuent largement à la dénonciation du feminism washing, à travers la call-out culture qui a déjà longtemps et à plusieurs reprise fait preuve d’une certaine efficacité, prenant appui sur l’héritage du moment MeToo. Effectivement, outre le fait que les réseaux sociaux permettent aux mouvements féministes en ligne d’étendre leur cercle d’influence et leur force, ces réseaux offrent aussi la possibilité pour les utilisateurs (grâce à la création et le partage de contenus, et les interactions et réactions très développées sur les grandes plateformes) de participer activement (et de manière plus individuelle) à la dénonciation des pratiques de feminism washing. Cependant, des risques limitent cette perspective, dont le risque d’effets contraires (en n’oubliant pas que les réseaux sociaux ont également contribué à promouvoir aux phénomènes de washing) et le risque relatif à la fiabilité et l’authenticité des sources d’information (qui complexifie l’identification et la dénonciation de ces pratiques). De surcroit, la « vigilance » des entreprises qui sont désormais conscientes de la méfiance du public à leur égard rend difficile l’identification des cas de washing dans le marketing féministe.

Par ailleurs, il convient de noter des limites majeures de la présente recherche, surtout concernant la méthodologie adoptée. En fait, interroger d’autres acteurs que les seuls militants féministes aurait permis d’enrichir les informations à analyser dans la partie empirique, ce qui aurait amélioré les résultats de l’analyse. De même, l’on aurait pu obtenir des informations plus riches en portant l’entretien à plus de trois mouvements féministes seulement. Les pistes de recherche pour approfondir le présent travail devraient donc étendre la population de participants à l’étude empirique d’une part, et recourir à une recherche quantitative pour obtenir plus de précision dans les résultats. Une piste de recherche proposée dans ce sens porte sur l’usage du marketing par les mouvements féministes eux-mêmes (et non plus par des entreprises commerciales).

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ANNEXES

Annexe 1 – Guide d’entretien

Informations personnelles de l’interviewé

 Identité (nom) si possible (garder l’anonymat si l’interviewé l’exige)
 Tranche d’âge (entre [moins de 25 ans [ ; [25 à 44 ans] ; [45 ans et plus [)
 Profession
 Nombre d’années d’activité dans le mouvement féministe
 Responsabilité et rôle de l’interviewé dans le mouvement féministe

Informations concernant le mouvement féministe en question

 Dénomination du mouvement :
 Description des activités en ligne du mouvement :
 Depuis quand cette présence en ligne :
 Objectifs associés à la présence en ligne :

La quatrième vague de féminisme

– L’on parle souvent de quatrième vague de féminisme. Si l’on peut parler de « vague », comment décriviez-vous la vague de féminisme actuelle ?

– Qu’est-ce qu’il y a de véritablement nouveau dans cette vague actuelle de féminisme ?

– Quelles incidences d’Internet, des réseaux sociaux, des technologies numériques sur le féminisme actuel ?

Le femvertising ou le marketing féministe

De nombreuses entreprises ont actuellement recours au femvertising, c’est-à-dire le marketing féministe qui consiste généralement à recourir au marketing pour véhiculer des principes ou messages féministes.

– Est-ce que cette approche vous parait-elle légitimé ? (Expliquez). Reformulation de la question : dans quel(s) cas le recours au marketing pour véhiculer des principes ou messages féministes est-il légitime ? (Donnez un ou des exemples récents).

– Est-ce que les actions des mouvements féministes actuels sont plus efficaces qu’auparavant pour promouvoir le marketing féministe « légitime » ? (Expliquez).

– Est-ce que l’usage actif d’internet et des réseaux sociaux en particulier améliore la sélection et l’efficacité du marketing féministe « légitime » auprès du public ? (Expliquez)

Le feminism washing

On parle souvent de feminism washing pour désigner le recours au marketing féministe par des entreprises qui, en réalité, ne soutiennent pas vraiment les causes féministes, mais juste pour redorer leur propre image. En d’autres mots, le feminism washing est un usage opportuniste du marketing féministe.

– Dans quel(s) cas peut-on parler de dérives dans le recours au marketing par les entreprises pour soutenir des causes féministes ? (Expliquez en illustrant par un ou des exemples très récents).

– Est-ce que les actions des mouvements féministes actuels sont plus efficaces qu’auparavant pour identifier et affaiblir le feminism washing ? (Expliquez).

– Est-ce que l’usage actif d’internet et des réseaux sociaux en particulier améliore l’identification et l’affaiblissement du feminism washing ? (Expliquez).

Résumé

La quatrième vague de féminisme est caractérisée par la place centrale accordée à la communication dans les actions menées par les mouvements féministes. Cela est essentiellement dû aux moyens de communication relativement plus performants à disposition de ces mouvements, dont principalement le web 2.0, et plus particulièrement les réseaux sociaux. Il est logique de penser que cette « nouvelle » vague de féminisme rime mieux avec toute perspective communicationnelle, dont les approches marketing. Il y a lieu alors, dans la présente étude d’appréhender l’implication du féminisme dans le marketing, et inversement, dans le cadre de cette quatrième vague. Pour cela, il apparait pertinent de se concentrer sur deux phénomènes que l’on suppose connaitre une certaine évolution à travers ce féminisme de la quatrième vague : le femvertising et le feminism washing. Néanmoins, ce travail de recherche montre que le féminisme n’est pas (encore ?) prêt à une « réconciliation » avec le marketing, notamment en se basant sur les points de vue des mouvements féministes « conservateurs » qui conçoivent tout recours au marketing par les entreprises comme relevant du feminism washing. Au mieux (en se basant cette fois sur les opinions des mouvements féministes plus progressistes), ces entreprises ont intérêt à se conformer à des conditions mises en avant par certains militants féministes pour être qualifiées de « légitimes » dans leur recours au femvertising. A ce titre, le féminisme de la quatrième vague n’est pas à même de renforcer le femvertising. Tout de même le fort développement des réseaux sociaux contribue à la dénonciation des cas de feminism washing, grâce aux actions des mouvements féministes en ligne et des utilisateurs qui s’approprient désormais de la culture call-out. Cependant, le risque d’effets contraires et le risque relatif à la fiabilité des sources d’information, ainsi que la vigilance accrue des entreprises rendent difficile l’identification de ces cas de washing sur les réseaux sociaux, et plus généralement dans le cadre de cette quatrième vague de féminisme.

Mots-clés : communication, féminisme, feminism washing, femvertising, marketing, réseaux sociaux, vague

Abstract

The fourth wave of feminism is characterized by the central place given to communication in the actions of feminist movements. This is mainly due to the relatively more efficient means of communication available to these movements, mainly web 2.0, and more particularly social networks. It is logical to think that this “new” wave of feminism rhymes better with any communication perspective, including marketing approaches. In this study, it is therefore necessary to understand the implication of feminism in marketing, and vice versa, in the context of this fourth wave. For this, it seems relevant to focus on two phenomena that we suppose to know a certain evolution through this feminism of the fourth wave: femvertising and feminism washing. Nevertheless, this research work shows that feminism is not (yet?) ready for a “reconciliation” with marketing, in particular based on the points of view of the “conservative” feminist movements which conceive of any recourse to marketing by companies as belonging to feminism washing. At best (this time based on the opinions of more progressive feminist movements), these companies have an interest in complying with conditions put forward by certain feminist activists to be qualified as “legitimate” in their use of femvertising. As such, fourth wave feminism is unlikely to strengthen femvertising. All the same, the strong development of social networks contributes to the denunciation of cases of feminism washing, thanks to the actions of online feminist movements and users who are now appropriating the call-out culture. However, the risk of adverse effects and the risk relating to the reliability of information sources, as well as the increased vigilance of companies make it difficult to identify these cases of washing on social networks, and more generally in the context of this fourth wave of feminism.

Keywords: communication, feminism, feminism washing, femvertising, marketing, social networks, wave

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