mémoire médiateur familial

Introduction

Si le sans-abrisme semblait presque inexistant en France au XXème siècle, une enquête de l’Insee en 2001 et en 2012 a montré que ce phénomène social a augmenté de façon drastique (Brodiez-Dolino, 2018 : 118). Les personnes qui n’ont pas eu accès ou qui ont été expulsés du logement passent la nuit chez des particulier, dans des institutions, dans des hôtels, des squats ou autres habitats qui n’étaient pas initialement conçus pour les accueillir. Dans certains cas, ces personnes se retrouvent simplement à la rue, sans abri (Gardella & Arnaud, 2018). Le sans-abrisme a des effets négatifs sur les finances publiques (Gilliot, Chambon & Aubry, 2021 : 213). Ces faits ont encouragé la révision de la politique d’urgence sociale pour dépénaliser le vagabondage et la mendicité. Les vagabonds n’étaient plus ramassés de force et envoyés au dépôt. Les maraudes associatives sont organisées pour venir en aide aux SDF. Ces démarches reposent sur le consentement libre de l’individu (Brodiez-Dolino, 2018 : 121).

Malgré les différentes tentatives pour aider les SDF à trouver un logement, nombre d’entre eux, ne parviennent pas à trouver un lieu décent qui puisse restaurer leur dignité. De plus, très peu d’entre eux uniquement, recourent aux services qui pourraient les aider comme les centres d’hébergement social (Gardella & Arnaud, 2018). Quelques questionnements viennent à l’esprit concernant les obstacles que rencontre le SDF à trouver un logement et à s’y maintenir : Pourquoi les personnes SDF ne parviennent-elles pas à accéder à un logement ? Est-ce qu’ils peuvent s’y maintenir s’il avait l’opportunité d’obtenir un logement ? Quels sont les facteurs à prendre compte lorsqu’il s’agit d’accompagner les SDF au logement ? Ces différents questionnements conduisent à la question centrale qui s’annonce comme suit : Comment accompagner les personnes sans domicile fixe (SDF) atteintes de troubles psychiques dans l’accès et le maintien dans le logement ? L’objectif de cette étude est de caractériser le public SDF atteint de troubles psychiques. Elle entend aussi identifier les facteurs qui peuvent interférer dans l’accès et le maintien de ces personnes dans un logement. Le but de cette démarche est d’améliorer l’accompagnement de ces personnes pour qu’elles puissent accéder et se maintenir dans un logement.

Cette étude comporte trois parties. La première sera consacrée au contexte de l’étude, c’est-à-dire la notion de mal-logement et les politiques entreprises pour y remédier. La deuxième partie sera allouée au cadre théorique. L’accent sera mis sur le concept d’habiter, les personnes sans domicile fixe (SDF) et les troubles psychiques. Cette revue de littérature devrait conduire à la détermination de la problématique et des hypothèses. La troisième partie sera consacrée au cadre empirique où les méthodes et les résultats ainsi que la discussion seront effectués.

Partie 1. Cadre contextuel

  1. Le mal-logement et la politique du logement en France

Le mal-logement est un phénomène multidimensionnel qui regroupe les différentes difficultés rencontrées dans le cadre du logement (Driant, 2022 : 28). Il pourrait être considéré par exemple, comme le fait de ne pas avoir d’habitation, c’est-à-dire, le fait de se retrouver à la rue, d’être hébergé dans des institutions ou dans des centres d’accueils, dans divers lieux pouvant accueillir la personne sans logement. Mais le mal-logement pourrait également se référer au fait d’habiter dans des lieux inadéquats notamment dans des habitations de fortune, dans des chambres d’hôtels, voire même chez des amis, la famille ou des connaissances. Le mal-logement pourrait se refléter à travers le surpeuplement dans le logement, ou l’absence de confort dans l’habitation. Le logement par exemple est dépourvu d’équipement sanitaire ou de chauffage (Driant, 2022 : 30).

Vers la fin des années 1980, la prise de conscience sur les relations entre pauvreté et difficulté de logement a encouragé l’élaboration d’une loi qui attribue le droit au logement, mise en œuvre en 1990. La promulgation de cette loi a entraîné la construction et la mise en œuvre de politiques nationales et locales, qui ont requis la formation d’un groupe de travail sur la connaissance des sans-abri en 1993. Les informations concernant les sans-abris ne sont pas uniquement fournies par ce groupe de travail, mais aussi par la Fondation Abbé Pierre, à travers le rapport annuel sur l’état du mal-logement en France (Driant, 2022 : 28).

Dans les années 2000, les travaux de recherches n’étaient pas uniquement focalisés sur les sans-abris, mais aussi sur les personnes en « situations marginales de logement », en 2009. Puis, en 2011, les statistiques concernant les situations difficiles de logement ont été publiés par un groupe de travail du CNIS (Conseil National de l’Information Statistique). En 2018, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) a publié aussi son rapport annuel au mal-logement (Driant, 2022 : 28). Ces tentatives de caractérisation du mal-logement et de la détermination du nombre de personnes mal-logé sont effectuées dans le souci d’élaborer une politique adéquate à la situation et efficace (Robert & Vaucher, 2014 : 62).

A la fin du XIXe siècle, les politiques du logement en France avait pour ultime but de développer l’acquisition d’une propriété par les citoyens (Bonvalet & Bringé, 2013 : 123). Puis, elles voulaient également diversifier les offres. Dans cette optique, un parc locatif privé a été construit dans les années 1980 pour améliorer l’accès des jeunes et des personnes très mobiles au logement (Driant, 2014 : 199).

Aux personnes qui ne peuvent pas accéder aux logements, une offre réglementée d’habitat social est proposée. Cette offre veut donner du logement respectant la dignité humaine, tout en étant à prix abordable pour les personnes qui vivent dans des zones géographiques ou le marché du logement est cher. Au début, les personnes qui bénéficiaient de ces logements sociaux étaient les ouvriers avant d’inclure les salariés à revenus modestes. Par la suite, les logements sociaux pouvaient également être acquis par les personnes de la classe moyenne, ainsi que les personnes qui n’avaient pas d’emplois stables. Les conditions d’accès aux logements sociaux étaient donc larges en France et il était permis que les locataires soient maintenus dans ces logements même si leurs conditions initiales d’entrée se sont améliorées. Une telle situation pose des questions éthiques dans la mesure où de plus en plus de demandeurs attendent d’accéder à un logement (Driant, 2014 : 201-202).

La France a construit un des parcs de logement social le plus important en Europe, pouvant accueillir environ 10 millions de personnes, ce qui équivaut à 17% du parc de logements. Les logements sociaux visaient à contrôler le peuplement des villes (Bourgeois, 2018 : 49). En même temps, la proposition de logement social s’inscrivait aussi dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Les personnes qui voulaient habiter dans ce parc social locatif pouvaient y accéder grâce à des facilités de financement. Les loyers sont 40% moins chers par rapport à ceux des logements locatifs classiques (Gobillon & Vignolles, 2016 : 618).

L’accès de ces logements sociaux se fait par sélection des candidats sur la base de certains critères dont la possession d’un titre de séjour d’une durée de validité supérieure à trois mois et les ressources du demandeur. Le logement social veut accueillir les personnes en situation de grande précarité, et ayant différents profils afin de répondre à la nécessité de mixité sociale et de respect du droit au logement. La considération de ces deux objectifs évite la création de « ghettos » dans les quartiers où les candidats n’accèdent pas au logement. Elle permet entre autre d’éviter l’agglomération d’une seule ethnie ou d’un seul profil social, pour promouvoir la diversité sociale et l’équilibre social (Bourgeois, 2018 : 49-50). Dans la plupart des cas, ce sont les familles monoparentales et les personnes âgées qui occupent les logements sociaux. Ils sont suivis par les immigrants (Gobillon & Vignolles, 2016 : 618). La hiérarchisation des demandes et la sélection sont réalisées par les organismes HLM et leurs partenaires institutionnels (Bourgeois, 2018 : 49-50).

La construction de logements sociaux dans les communes répond à la loi du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU). Cette loi encourageait les communes de grande à moyenne taille, de construire leur propre parc social locatif en vue de l’intégration des populations fragiles. En même temps, cette loi visait aussi à permettre l’accès des ménages moyens aux quartiers qui, auparavant, étaient exclusivement habités par les riches. Outre à cela, l’accès au logement a été facilité par l’application du prêt à taux zéro afin de dynamiser la mobilité résidentielle des ménages moyens. Mais si les ménages pouvaient effectivement acheter un logement, les aides de l’Etat pouvaient aussi conduire à une inflation, ce qui ne permet pas aux nouveaux locataires de vivre pleinement des aides qui leur sont attribués (Gobillon & Vignolles, 2016 : 616).

Or, la mobilité résidentielle promue par la loi SRU visait à épargner aux personnes fragilisées, les retombées négatives du stéréotypage souvent associé à leur localisation dans des quartiers pauvres, ainsi que le manque de réseau social. En habitant dans un quartier moins pauvre, l’individu pouvait postuler à un travail plus rémunérateur, avec lequel, il peut s’épanouir. De cette manière, son employeur n’aura pas de préjugé quant à son efficacité au travail et sa productivité. D’autre part, la relocalisation devait également permettre aux employés nouvellement installés, de se rapprocher de leurs lieux de travail. En effet, ils sont relocalisés dans des zones où des infrastructures existent déjà. Mais la relocalisation pourrait aussi signifie pour les ménages modestes, une perte d’un réseau social qui les aidait dans leurs anciens quartiers. Auparavant en effet, ils pouvaient entrer en contact facilement avec les autres personnes qui sont dans la même situation qu’eux, des immigrés ou des descendants d’immigrés. En changeant d’adresse, ce contact est rendu plus difficile. D’autre part, la mixité sociale ne permet pas de combler les écarts entre les habitants de la même commune. Cette distance socioéconomique n’est pas forcément propice au rapprochement entre les ménages riches et les ménages vulnérables, d’où la persistance des problèmes d’intégration sociale pour les personnes vulnérables (Gobillon & Vignolles, 2016 : 617).

Malgré les différentes tentatives pour lutter contre le mal-logement à travers la mise en œuvre de politiques de logement, force est de constater que c’est un phénomène encore très présent en France, selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre (Driant, 2014 : 189). En 2018, 4 millions de personnes mal-logées et 12 millions de personnes fragilisées par la crise du logement ont été recensées en France (Domergue, 2018 : 14).

  1. Situations interpellantes (le cas de monsieur X et de monsieur C)

Dans ce contexte, moi, citoyenne et étudiante en formation d’assistante de service social, je voulais comprendre la problématique du mal-logement. Tout naturellement, lors de mon stage de première année, j’ai postulé au sein du Service d’Accueil et d’Hébergement d’Urgence (SAHU). J’ai eu l’honneur d’être prise dans ce service qui reste une adresse incontournable pour les personnes sans domicile, dans une phase de grande précarité. Les publics accueillis au SAHU sont des personnes mixtes, majeures, isolées et sans enfants. La structure s’adresse en priorité aux personnes sans-abris, mais également à toute personne en situation de précarité et sans tout, à ceux qui vivent une rupture, un isolement, ainsi qu’aux personnes ayant une santé mentale fragile.

Dans ce premier lieu de stage j’ai découvert un réel lien avec la société et ses problématiques actuelles. Plusieurs phénomènes s’accentuent telle que la précarité. Durant ce stage, j’étais étonnée du nombre de personnes sans toit, expulsées et qui rencontrent des difficultés en termes d’accès et de maintien dans un logement, pour de multiples raisons. Ces phénomènes touchent de plus près notre société et affaiblissent les plus vulnérables.

Je me sens fortement concernée par ces sujets et ma soif de comprendre les raisons de cette augmentation massive du nombre de SDF a augmenté. De ce fait, de nombreuses questions m’ont traversé l’esprit : Pourquoi ces personnes ne peuvent-elles pas accéder à un toit, un logement convenable d’autant plus que cela reste un droit inaliénable pour les citoyens ? Selon la loi, « le droit au logement est un droit à valeur constitutionnelle qui vise à garantir à tout individu le droit d’avoir un toit ».

Ma réflexion a commencé avec la première approche : ma rencontre avec monsieur X, lorsqu’il fut accueillir au CHU et orienté par le 115 dans un contexte de période hivernale. Monsieur X vivait avec sa mère, dans le logement familial. Sa mère n’a pas pu le garder à cause de ses problèmes de santé et il s’est donc retrouvé à la rue.

Monsieur X bénéficie du Revenu de Solidarité Active (RSA), et désire retrouver un logement. Auparavant, il a précisé clairement qu’il ne souhaitait pas vivre dans une zone géographique délimitée pour des raisons qu’il ne voulait pas exprimer. Malheureusement, compte tenu de ses faibles revenus, le dispositif actuel ne permet pas de prendre en compte ses souhaits. Monsieur X ne cache pas sa déception et refuse le logement. Ma formatrice lui rappelle qu’en cas de refus de sa part, l’accompagnement peut prendre fin et le service ne pourra plus lui proposer d’autres alternatives, tout en lui rappelant les limites du dispositif et de l’accompagnement. Monsieur X a dû y réfléchir et informer ma formatrice de sa décision. Après réflexion, ce dernier a accepté cette proposition à contrecœur.

Cette première approche m’a poussé à me poser des questions, à faire des réflexions. Mes interrogations ont persisté surtout lorsque j’ai effectué mon stage de deuxième année dans une autre association qui a pour mission de protéger et d’accompagner les majeurs vulnérables, sous protection judiciaire.

Notre public est un public mixte, majeur, souvent en situation de précarité financière. C’est un public en situation de vulnérabilité, cumulant d’autres problématiques telles que des pathologies psychologiques, des addictions, des altérations des capacités physiques et/ou mentales médicalement constatées. Dans ce cadre institutionnel, j’ai rencontré monsieur C, âgé de 72 ans. Il est retraité et touche la « pension CARSAT » de 836,76 euros.

Les faibles revenus de monsieur C ne lui avaient pas permis de se reloger après son expulsion car, les loyers dans le secteur privé sont trop élevés par rapport aux revenus de monsieur et les bailleurs sociaux dans le secteur refusaient de le reprendre en tant que locataire. Monsieur C a connu de nombreuses expulsions pour non-paiement de loyer et pour l’insalubrité dans son logement. De ce fait, son projet de relogement rencontrait énormément de refus et semblait complexe, de par son syndrome de Diogène et ses troubles psychologiques.

Au cours de ces deux expériences enrichissantes, j’ai pu observer les effets démobilisateurs de ces accumulations de complexités de la précarité et des troubles psychologiques. Ces personnes sont très souvent confrontées à un problème majeur qui se manifeste par le risque de ne pas parvenir à se reloger par manque de moyen, ou par une santé mentale fragile, ou par les deux en même temps. Mais même lorsque le logement est possible, j’ai constaté qu’ils n’avaient pas le droit de choisir leurs conditions d’habitation. Leur droit de choisir ou d’exiger quoi que ce soit leur était ôté.

  1. Questionnement et émergence de la question de départ

Le cas de monsieur X et de l’incapacité du dispositif à prendre en compte ses souhaits a évoqué en moi plusieurs questionnements, sur la posture à adopter et sur le positionnement professionnel à avoir devant une telle situation. Je me suis également posé des questions quant aux droits et à l’éligibilité des personnes qui demandent un logement. Avons-nous le droit de nous positionner quand la précarité nous touche ? Sur la question du droit : est-elle compatible avec la réalité ? Finalement, est-ce qu’accompagner une personne sans domicile vers un logement peut être considéré comme une réussite si les critères du demandeur ne sont pas pris en compte ? Peut-on comprendre un refus quand on est dans la précarité ? Comment le professionnel pourrait-il percevoir ce refus ? Dans un tel contexte, quel est le juste milieu entre les souhaits et l’urgence de la situation ? Quel est l’intérêt d’écouter une demande si nous ne pouvons pas y répondre ?

J’ai beaucoup questionné ma formatrice, mais les réponses qu’elle m’a fournies étaient très techniques : « la limite du dispositif, le manque de moyen et la forte demande ». Malgré les explications données, je n’arrivais pas à satisfaire ma curiosité personnelle et professionnelle ; il fallait que je creuse un peu plus. Tout résonnait dans ma tête.

Dans le cas de monsieur X et de monsieur C, il semblerait qu’ils n’avaient pas le choix, qu’ils n’avaient pas le droit d’exiger, de poser leurs propres conditions quant au logement qu’ils souhaiteraient avoir. La question que je me pose est donc la suivante : Comment est-il possible de demander à ces personnes de s’approprier leurs logements dans de telles conditions ? De plus, très souvent, il leur est exigé de vivre dans des zones géographiques très éloignées de leurs zones d’emploi, ce qui ne favorise ni leur insertion professionnelle, ni leur insertion sociale. Une partie de ces personnes rompt avec leur milieu de provenance, ce qui explique d’une part leur isolement et leur repli sur soi. D’autre part, ils rencontrent des difficultés à s’ajuster à leur nouveau milieu imposé et à acquérir les « savoir-faire techniques » pour maintenir leur habitat afin d’éviter la dégradation du logement.

D’après mes observations, il semble important de pointer du doigt les difficultés qui empêchent des personnes vulnérables de s’approprier pleinement leurs logements. L’altération des capacités psychologiques joue un rôle majeur dans leur capacité à entretenir leurs logements dans les normes dites « standards », vers un public en capacité réduite « avec une certaine particularité ».

Le « savoir habiter », celui d’un savoir technique, autrement dit « le savoir entretenir », n’est guère acquis par ces personnes en déficit et pour qui, la gestion du quotidien semble fragile et compliquée à tenir dans le temps, compte tenu de leur déficit mental. La question de l’apprentissage est mise en difficulté. L’appropriation durable est une sorte de mise à l’échec inévitable pour ce public, car ce sont les effets de la maladie qui prennent à un moment donné, le dessus sur la personne.

L’instabilité émotionnelle et psychologique peut démobiliser leur envie de bien faire. Disons que l’image d’un logement est l’effet miroir de notre état d’esprit, une sorte de « projection de soi », proprement dit. Le logement n’est pas juste un tout au terme propre, c’est un lieu de vie qui se vit. En conséquence, est-ce que ces personnes vivent ou survivent dans un logement non approprié ?

Il faut dire qu’un habitat n’offre pas seulement une adresse administrative, mais il offre un peu plus qu’une identification, une sorte d’identité, d’intimité et de dignité. Pour ces raisons, ma question majeure est la suivante : Comment inclure par le logement, des personnes exclues dans un cercle fermé par des normes sociétaires de plus en plus exigeantes ?

Ma constatation concerne des personnes de plus en plus démunies par une société monétaire alors qu’elles ont peu ou pas de ressources adaptées à l’offre du marché, ce qui renforce leur exclusion par les nombreuses conditions d’accès aux logements. 

D’autres freins viennent de la complexité de la coexistence entre l’emploi et le logement : « pas de toit, pas de travail » et à l’inverse, pour avoir une profession, il faut une domiciliation. Or, pour avoir un habitat, il faut une fonction. De ce fait, comment redonner de la dignité à ce public si cette dernière se construit par le biais du travail et du logement ? Une certaine discrimination rend ce public invisible en impactant sur leurs statuts sociaux, ce qui renforce la citation : « Dis-moi où tu habites, décris-moi ton logement, et je te dirai qui tu es, ta place et celle de tes proches dans l’échelle sociale ». Cette problématique est fortement liée au modèle économique actuel, qui n’offre que des prix exorbitants voire inaccessibles à un public dans une grande précarité. Les prix des locations sont souvent plus élevés que les capacités budgétaires des personnes. Malgré les nombreuses aides sociales mises à leur disposition, ce public doit régulièrement se priver et renoncer à certains droits primaires, allant jusqu’à certains droits fondamentaux, tels que l’accès aux soins pour pouvoir accéder à un logement.

De plus, regardons de plus près l’exemple des bailleurs sociaux qui, malgré les prix des loyers dits « modérés », exigent de plus en plus de nombreuses cautions de moyens et de garanties pour accéder à un logement dit « social ». Une sorte d’exclusion, de présélection des dossiers donne une inéligibilité et une illégalité des chances, présentant un frein et un obstacle à l’accès aux logements et montre les lourdeurs administratives qui renvoient à l’incompétence et à la solvabilité de ce public. Ce mode de fonctionnement rend le processus d’accès au logement de plus en plus restrictif.

Dans ce cas, comment se combine la vérité et la complexité de la situation ? Etant censée effectuer un travail de partage d’information et de transparence auprès de bailleurs sociaux, comment le faire ? Comment se positionner quand ceci présente un risque de parasiter l’intégration de la personne qui la place dans des conditions défavorables pour la recevoir ou l’accompagner socialement vers et dans le logement ? De ce fait, j’ai constaté que nous, travailleurs sociaux, sommes confrontés à deux solutions pour éviter de mettre en péril l’image de la personne. La première est le triage des informations, donc une réinstauration de l’image de la personne. La deuxième est la négociation auprès des bailleurs sociaux (à cause de la réputation et la stigmatisation des personnes dont les capacités sont altérées). Le contraire signifie que ce public va rencontrer davantage de difficultés ce qui va prolonger, faire stagner leur impasse face à leurs projets d’insertion. Tous ces questionnements amènent à la question de départ suivante : Comment accompagner les personnes sans domicile fixe (SDF) atteintes de troubles psychiques dans l’accès et le maintien dans le logement ?

Partie 2. Cadre théorique

  1. Le concept d’ « habiter »
    1. Définition de l’habiter

Le concept d’ « habiter » ne peut pas être réduit au simple fait d’occuper un espace. Il a été défini par Hoyaux (2015, p.367-368) comme le fait de « se placer plaçant » c’est-à-dire, d’occuper un espace certes, mais qui révèle l’identité de son occupant. Cette révélation est faite à l’habitant de de l’espace, mais aussi aux personnes extérieures qui l’observent. Ainsi, il peut l’habitant peut s’identifier à travers cet espace tout en laissant les autres connaître son statut social, sa position dans la société, son entourage, les personnes qu’il fréquente, etc. Dans ce cadre, l’espace devient un symbole avec lequel, l’habitant interagit. En même temps, les acteurs externes interagissent aussi avec l’habitant en fonction de leurs interprétations de ce symbole porté par l’habitat. L’habiter est donc une action dans le sens où une personne occupe un espace et interagit avec lui, mais il est également une pensée puisqu’il véhicule des interprétations symboliques de l’espace et porte l’identité de l’occupant de cet espace.

L’habiter pourrait également être défini comme l’interaction de l’habitant avec son monde. Ce monde n’est pas seulement constitué d’éléments objectifs physiques, mais aussi d’éléments subjectifs dans des espaces extérieurs. L’habiter n’implique pas uniquement la mobilisation ou la mobilité et par conséquent, le passage de l’individu d’un lieu vers un autre, mais aussi son déplacement, c’est-à-dire, le passage d’un statut social, d’une position sociale à un autre. Ce déplacement peut se faire même si l’individu n’est pas mobile, car ce n’est pas son corps qui est mis en jeu, mais sa pensée. Il pense pouvoir accomplir un rôle défini dans la société en fonction de ses capacités et de ses expériences et il projet sa pensée dans un autre espace-temps, ou concrètement, en se mobilisant, en faisant un trajet pour arriver dans un lieu qui cadre avec le profil qu’il s’est construit. Par la suite, il se met en visibilité par rapport aux autres, en tentant de diffuser l’image qu’il s’est construite (Hoyaux, 2015 : 375).

Cette définition d’Hoyaux (2015) rejoint celle de Stock (2015 : 427) selon laquelle, l’habiter revient à interagir, faire quelque chose avec une espace porteur de sens et de signification pour la personne. L’habiter revient à investir un lieu et à « faire avec ». Le « faire avec » rassemble toutes les pratiques que l’individu peut exercer sur cet espace et dans cet espace. Il ne s’agit plus uniquement de constituer un espace, mais de voir en lui également, un enjeu ou une ressource, un symbole, bien au-delà du simple objet matériel. En tant que ressource, l’espace est un lieu où s’accomplit l’action et qui, de ce fait, permet la réalisation de l’action. L’espace dans ce cas, devient une condition pour l’action pour se réaliser (Stock, 2015 : 430). L’habiter ne se limite pas uniquement à l’occupation d’un espace, mais s’étend aux comportements, aux représentations, aux sentiments que l’individu entretient envers l’espace et avec lui. L’habiter de ce fait, est un acte complexe qui se réalise à travers le travail, la mémoire et la projection de l’individu pour l’avenir (Gambino & Desmesure, 2014 : 26).

Dans sa tentative de diffuser une image de lui-même aux autres, et de construire son monde à lui, l’habitant cherche à maîtriser l’espace qu’il occupe et le sens du monde. Il interprète son monde, le lieu dans lequel il vit, mais ce monde est partagé avec d’autres personnes avec qui, il doit partager cette interprétation du monde. Habiter revient aussi à construire une représentation partagée du monde et une identité commune. C’est à travers l’autre occupant de cet espace, que l’individu peut s’identifier lui-même. Il peut identifier sa ressemblance et sa distinction de l’autre. Cette connaissance lui permet de maîtriser son propre monde. Dans cet espace, il entre en relation avec d’autres personnes, d’autres habitants. Pour occuper et partager cet espace, les habitants sont amenés à entrer en contact entre eux, à adopter des pratiques et des représentations communes. Leurs comportements sont modelés par des normes respectés par l’ensemble des habitants afin d’organiser leurs actions. Les personnes qui font ces partages sont censées appartenir à la même catégorie sociale et ils partagent le même monde pour assurer leur sécurité notamment, leur sécurité mentale (Hoyaux, 2015 : 381-382).

Ainsi, l’habiter implique la réalisation simultanée de trois choses : la construction de soi, la construction de l’espace et la construction de relations humaines. Il correspond au fait d’être dans le monde, mais aussi de faire le monde (Lazzarotti, 2015 : 335-336). Celui qui habite l’espace devient un habitant, celui qui habite le monde, devient un habitant du monde. Et pour pouvoir cohabiter, l’individu doit savoir habiter. Le concept d’habiter requiert de ce fait, une certaine compétence de la part de l’habitant. Dans ce cadre, chaque habitant du monde doit avoir un sens du collectif car il cohabite avec d’autres habitants, tout en gardant toutefois, une certaine autonomie dans la mesure où il préserve son identité, sa particularité et ne se fonde pas dans la masse. Il développer des affects environnementaux, des attachements avec l’habitat ainsi que des savoirs techniques. En tant qu’habitant il est considéré par exemple, comme un expert de l’usage de son espace d’habitation (Faburel, 2013).

L’habiter entre autres, pourrait être vue comme une expérimentation à travers laquelle, l’individu passe par un territoire et y laisse sa trace. Mais son passage s’inscrit et est observé par d’autres personnes qui peuvent partager cet espace avec lui. L’habiter requiert de ce fait, l’identification des pratiques sociales et spatiales des autres habitants de cet espace. Cette identification et le respect de ces pratiques sociales permettent la vie sociale, le vivre ensemble (Gambino & Desmesure, 2014 : 27). L’habiter confronte de ce fait l’individu et la société, car l’individu vit en société et est influencé par les représentations sociales et culturelles de la société à laquelle il appartient (Martouzet et al., 2016).

Pour Martouzet et al. (2016), l’habiter correspond à une capacité de l’individu à construire l’espace. Cette construction se fait toute la vie et elle implique les relations de l’individu avec d’autres et avec l’espace. Mais la construction de cet espace demande de la réflexivité de part de l’individu qui va l’occuper, ainsi que de sa capacité à situer son action par rapport à lui-même. Outre le fait d’avoir les capacités à construire l’espace, l’habiter suggère que l’individu est apte à rendre intelligible le sens qu’il a donné à cet espace. Il doit montrer aux personnes externes qui n’habitent pas dans le même espace que lui, ainsi que ses voisins, sa capacité à surveiller, à contrôler, à s’adapter aux différentes situations qui pourraient se présenter, afin de confirmer qu’il est apte à construire les lieux et à le maîtriser. Le contrôle de l’espace d’habitation demande une certaine flexibilité à l’individu pour qu’il puisse construire et déconstruire ses différentes compétences à habiter le lieu. En effet, il est soumis aux représentations sociales et culturelles des autres habitants de l’endroit où il se trouve.

Dans cette optique, l’individu peut être amené à faire des négociations avec les autres habitants pour pouvoir construire son identité. Cette négociation est permanente, peut être subie ou initiée par l’individu lui-même. La négociation joue un rôle central dans l’habiter dans la mesure où elle permet à l’individu de se positionner même de façon relative, dans la société. Les négociations peuvent demander des concessions, et des changements. Ainsi, l’habiter alterne les changements et les transitions, au cours des grands évènements qui ponctuent la vie d’un individu. En fonction de son âge et de la situation de la vie, un individu peut passer par un lieu et changer de lieu d’habitation. Pour illustrer ce fait, les jeunes habitent avec leurs parents, mais quand ils deviennent matures, ils décident de quitter le foyer de leurs parents pour construire leur propre vie, dans leurs propres maisons. Quand ils se marient, ils décident d’investir un autre lieu d’habitation et avec la naissance des enfants, ils peuvent construire des espaces appropriés pour accueillir les enfants et les élever. Les négociations se présentent comme cela. L’individu peut se rapprocher ou prendre ses distances par rapport à un lieu en fonction de ses besoins (Martouzet et al., 2016).

  1. L’habitation comme moyen d’existence humaine

Tout au long de son histoire, les peuples humains, ont toujours mis en avant des moyens qui leur permettaient de vivre, d’exister. La nourriture et l’habitat font partie de ces moyens qui ont assuré l’existence humaine. Les hommes se sont implantés dans les zones où les caractéristiques bioclimatiques leur permettaient d’accéder à la nourriture et aux matériaux dont ils avaient besoin non seulement pour leur vie individuelle, mais aussi pour la vie communautaire. Le choix d’ériger un habitat dans un lieu répond au besoin de trouver les ressources matérielles. Puis, peu à peu, les groupes humains se sont sédentarisés et se sont installés durablement dans leurs habitations (Tapie, 2014 : 12).

Du point de vue étymologique, l’habitat dérive du latin habeo qui veut dire posséder, saisir, administrer ou reproduire. L’habiter implique donc la possession ou l’appropriation d’une habitation. Mais le fait d’habiter cette habitation répond à un besoin fondamental de l’homme d’appartenir à un lieu résidentiel. Sur ce lieu, il va projeter une facette de son identité et c’est à travers ce lieu qu’il pourra se sentir habitant. L’habitation est donc un élément constitutif de l’identité de la personne en tant qu’habitant. Non seulement, l’habitation est un bien matériel, un patrimoine, mais aussi un bien immatériel dans la mesure où elle est vectrice de symbole, de mémoire qui peut se transmettre d’une génération à une autre. En tant que bien matériel, l’habitation peut être valorisée (Legrix-Pagès, 2016 : 71).

La maison n’est pas seulement un lieu physique que la personne investit, mais aussi un lieu psychologique où elle accomplit des activités publiques et privées. Dans ce lieu psychologique, la personne construit ses gestes et ses représentations. L’habitation assure la protection de ses habitants en ne permettant pas aux regards indiscrets de voir ce qui s’y passe. Elle est le monde intérieur qui limite le monde extérieur et assure l’intimité de ses habitants. A travers son aspect physique, son architecture, elle dévoile l’identité de ses propriétaires ou de ses habitants. L’habitation assure aussi une fonction contenante pour tous les membres de la famille. Par ailleurs, la famille vient directement à l’esprit en faisant allusion à la maison, au ménage. Ainsi, ce lieu protecteur est la garantie que tous les membres de la famille puissent y trouver leurs places (Dreyer, 2016 : 94).

Après une dure journée de labeur, il est confortable de rentrer chez soi. Sa maison, son « chez soi » est indispensable à l’être humain. Il est crucial pour l’être humain de trouver son « chez soi » mais aussi de défendre son « territoire à soi ». En effet, s’il est indispensable pour l’homme d’avoir son « chez soi », il est également crucial pour lui de marquer son territoire afin, de pouvoir se positionner dans l’espace. Le marquage de territoire revêt alors une dimension existentielle et donne un indice aux autres pour les aider à savoir où l’individu peut être retrouvé. Mais il ne marque pas uniquement son territoire pour se positionner dans l’espace, mais aussi par rapport aux autres, ce qui revient à marquer et à faire remarquer sa position sociale par le choix de sa localisation et son habitation (Schmitz, 2012). C’est dans ce « territoire à soi » que l’habitant du logement peut faire son ancrage car, il investit un lieu qui est à la fois physique et social (Jouve & Pichon, 2015 : 48). Vu sous cet angle, l’habitat pourrait être appréhendé comme un moyen pour satisfaire le besoin fondamental d’appartenance.

En ayant son territoire à soi, chaque individu peut faire la distinction entre ce qui est ici et l’ailleurs. Le territoire à soi va de pair avec l’affirmation de soi et l’affirmation de soi permet de faire respecter les règles et de communiquer avec les autres (Schmitz, 2012). L’appropriation d’un « chez soi » pourrait être interprétée comme étant un moyen de défense, une tentative pour rompre les situations d’exclusion (Fredj, 2015 : 73). L’habitation satisfait également à un autre besoin de l’homme pour survivre : la protection, la sécurité. L’habitat est un besoin primaire pour l’homme (Fredj, 2015 : 70), parce qu’à travers sa fonction contenant, elle protège la famille de l’intrusion, de l’invasion externe (Vinay, 2015 : 128). L’habitat distingue le privé du public, celui qui est à soi et celui des autres et celui qui peut être partagé. Il offre une sécurité résidentielle en protégeant les personnes et les biens (Fijalkow, 2017 : 18).

L’individu aménage son chez soi en contribuant à la décoration de l’intérieur de sa maison, en fonction de ce qu’il possède. Cet acte correspond à la personnalisation de cet espace intime pour le rendre agréable à vivre. Vu sous cet angle, l’aménagement du chez soi est un moyen pour se donner à soi-même du confort. Mais plus que cela, c’est aussi une pratique tournée vers les autres, puisqu’à travers l’aménagement de sa maison, une personne donne aussi un reflet d’elle-même aux autres personnes qui pourraient voir la maison. L’aménagement du chez soi est un autre moyen pour instaurer sa dignité, mais aussi pour soigner sa relation avec les autres. En effet, l’habitation n’est pas uniquement un lieu de vie et de préservation de son intimité, mais aussi un lieu d’accueil et d’hospitalité. C’est là que les amis, les proches sont reçus pour différentes occasions (Jouve & Pichon, 2015 : 48). 

C’est en ayant un « chez soi », un « territoire à soi », que l’individu peut faire une introspection sur son identité et sur ce qu’il souhaiterait devenir. L’habitat est donc un moyen pour développer les capacités psychosociales et un lieu de commencement des échanges humains (Fredj, 2015 : 73). A travers l’appropriation de chaque chambre, les aménagements et les décorations que chaque occupant des lieux fait dans son espace propre et dans l’espace collectif, chaque occupant veut montrer ses traces, laisser des marques permettant de dire aux autres qu’il est là. En même temps, c’est un moyen d’existence et d’affirmation de son identité à travers et dans l’espace physique de la maison (Fijalkow, 2017 : 16).

Le « chez soi » donne entre autres, un confort de vie, puisqu’il permet à ses occupants de faire ce qu’il veut. Le « chez soi » a été aménagé pour répondre aux habitudes et aux besoins des habitants. Ainsi, les occupants d’un logement éprouvent une grande liberté dans leurs actions (Dreyer, 2017 : 10). L’habitation donne à ses occupants la sérénité en profitant de ce qu’elle peut leur apporter (Fijalkow, 2017 : 17). L’habitat devient alors un lieu de création puisque ses occupants disposent de lui pour faire ce dont ils ont besoin et se l’approprie de manière à y retrouver aussi la beauté et le plaisir. C’est donc un lieu d’esthétisme. Mais en distribuant les espaces pour pouvoir y faire leurs activités, l’habitat constitue aussi un lieu d’identification (Vinay, 2015 : 128).

Bien au-delà de la fonction d’abri, le logement contribue à la stabilité sociale de l’individu (Bonvalet & Bringé, 2013 : 123). Le logement attribue à ses occupants, une certaine image, un certain statut social. Ainsi, tout le monde ne peut pas occuper un espace, à moins de détenir des dispositions sociales permettant à l’individu d’habiter dans ce lieu (Dietrich-Ragon, 2013 : 371). Par ailleurs, le choix d’une habitation va se faire en fonction de ses capacités financières, de ses aspirations, de son lieu de travail, de son souhait en ce qui concerne le réseau social qu’il veut construire (Legrix-Pagès, 2016 : 76). Même si l’individu souhaite habiter un lieu, force est de constater qu’il est limité par ses capacités surtout financières. Or, ce phénomène pourrait favoriser l’augmentation de l’écart entre les beaux quartiers et les quartiers de la classe populaire. Certaines personnes habitant certains lieux pourraient être discriminés, tandis que d’autres pourraient être requalifiées et habiter dans un quartier qui soit le plus adapté à leurs situations (Legrix-Pagès, 2016 : 78).

  1. Les enjeux relatifs à l’habiter

La ségrégation spatiale constitue un des enjeux majeurs de l’habiter. Avec le développement des villes, les groupes sociaux s’approprient de différentes manières les espaces, ce qui fait émerger des stéréotypes et creuse la différence entre les beaux quartiers et les ghettos. Pour prendre l’exemple de Near West Side à Londres, la distribution spatiale met l’accent sur les différences ethniques entre les habitants d’un quartier de lotissements sociaux. D’une part, les Italiens, majoritairement propriétaires, s’affirment à travers les manifestations publiques religieuses et civiques. Ils ont un travail qui leur confère un certain statut social (propriétaire d’établissements commerciaux, policiers) et de l’influence auprès du reste de la population. De l’autre côté, les Noirs en général vivent dans les logements publics et ne bénéficient pas de l’influence comme pouvaient l’avoir les Italiens. Leurs réseaux commerciaux ne leur appartiennent pas. Ainsi, cette différence de statut, d’influence et de logement fait en sorte que la société peut favoriser l’exclusion sociale de certaines personnes (Tapie, 2014 : 16-17).

Dans certaines circonstances, l’habiter devient un défi pour les personnes qui sont les plus fragiles de la société, qui manquent de ressources financières pour se payer un logement dans les zones qui leur conviennent. Il en est de même pour les personnes qui, pour des raisons professionnelles et pratiques, ne peuvent pas quitter un endroit. Ils peuvent choisir par exemple, d’habiter dans les zones qui sont les plus proches de leurs lieux de travail. Mais pour différentes raisons, les personnes qui cherchent un domicile se trouvent invalidés par le marché immobilier. Faute de ressources, certaines personnes vivent dans des logements dégradés, ce qui entraînent un cercle vicieux. Le chômage entraîne le manque de ressource, et le manque de ressource ne permet pas d’accéder à un logement. Le non-accès au logement pour sa part, entraine la marginalité sociale. La marginalité sociale s’accompagne d’un marquage social et influence fortement le destin de la personne (Dietrich-Ragon, 2013 : 370). Le fait d’habiter dans un quartier populaire surtout, dans un bidonville, est source de souffrance psychologique pour les plus vulnérables (Dietrich-Ragon, 2013 : 374).

Le logement pourtant, a une valeur normative comme le travail. Une personne qui possède un toit est considérée comme un citoyen, ceux qui n’en ont pas, sont marginalisés. La possession d’une adresse permet à un individu de s’intégrer et d’être accepté en société. En d’autres termes, le logement est la garantie de la citoyenneté (Azevedo, 2021 : 237).

Le non-accès au logement n’est pas le seul enjeu relatif à l’habiter, mais aussi, le refus de la personne à vivre dans un logement. C’est le cas par exemple du logement social. Alors que la personne ne parvient pas à trouver un toit et traverse différentes difficultés sociales et pécuniaires, il y a certaines personnes qui refusent le logement social qui leur est proposée. L’acceptation du logement constitue dans ce cas, un autre enjeu de taille. L’individu peut accepter ou non un logement, en fonction de ses préférences, de son standard et de ses craintes sociales. Une personne peut accepter un lieu d’habitation, sans pourtant parvenir à s’y adapter, ce qui suscite chez elle un sentiment d’être surclassée. L’acceptation du logement dépend entre autres, de la position de l’individu ainsi que son image sociale (Dietrich-Ragon, 2013 : 384).

Ce n’est pas tant le logement, mais aussi la localisation géographique du logement qui lui est proposé qui peut dissuader une personne à accepter un logement. L’aspiration à une vie citadine par exemple, attire les personnes venant de la campagne pour s’y installer. Mais une fois qu’elles arrivent en ville, elles ne parviennent pas à trouver un logement, ce qui les contraint à vivre dans la rue ou dans les bidonvilles. Pour leurs habitants, ces quartiers sont les seuls moyens pour rester en ville et espérer un jour bénéficier de tous les services publics qu’ils pourraient avoir. Cet ancrage en ville quitte à habiter dans un bidonville explique le refus des tentatives de relogement en périphérique. D’autre part, ces habitants du bidonville ont déjà leurs repères en ville, ce qui fait que le relogement leur fait peur. Le refus dans certains cas, pourraient donc être une réaction de riposte à la tentative de les mettre en marge de la société (Ali-Oualla, 2022).

Les failles dans les habiletés psychosociales de l’individu constituent un autre enjeu de taille pour l’accès au logement. En effet, les personnes qui ont vécu dans la grande précarité ou celles qui ont été marginalisées peuvent répéter l’expérience d’exclusion. Parfois même, elles peuvent faire une auto-exclusion en causant volontairement un obstacle aux tentatives de réinsertions sociales. Les obstacles ne sont pas uniquement le reflet du refus de la personne d’aller dans un établissement qui pourrait les stigmatiser. Ils témoignent également des incapacités psychosociales de la personne accompagnée. Tous les usagers n’ont pas les mêmes habiletés psychosociales. La responsabilisation de ces personnes peut se solder par un échec parce que le lieu de vie qui leur est proposé n’est pas en phase avec les éléments de leur identité, ce qui les met mal à l’aise, parce qu’elles n’y se sentent pas à leurs places (Fredj, 2015 : 73).

Si le logement est un droit indiscutable de tout être humain, force est de constater que l’acquisition et le maintien dans un logement ne peut se faire qu’en suivant des règles. Le fait de vivre, d’occuper un espace s’accompagne aussi de l’acceptation et de l’accomplissement de devoirs. Parmi ceux-ci se trouvent par exemple, le respect des domaines privés et publics, le respect des normes sociales ainsi que des normes de sécurité. L’usage des équipements, la densité et la propreté entrent en ligne de compte pour pouvoir habiter un lieu. L’individu qui investit un espace doit suivre ces normes, or, cela pourrait être appréhendé comme une injonction sur son propre espace de vie. Ainsi, il apprend à négocier sa socialisation (Fijalkow, 2017 : 21). 

Les personnes ayant des troubles psychiatriques peuvent être logés dans des logements associatifs à condition qu’elles respectent le règlement intérieur de l’appartement. Ce dernier impose que le locataire ne fasse pas de bruits nocturnes, entretienne son appartement pour que celui-ci soit toujours salubre et ne dégage pas d’odeurs désagréables dans les couloirs. Les habitants des logements associatifs qui ont des problèmes de santé mentale ne sont pas autorisés non plus à entrer en contact avec certaines personnes comme les squatteurs et les dealers. Ces personnes sont surveillées. Pour les accompagner dans leur maladie, les personnes ayant des troubles psychiatriques sont encouragées à suivre des activités thérapeutiques. Le manque d’assiduité dans ces activités thérapeutiques est interprété par l’équipe d’accompagnement comme un non-observance du traitement psychiatrique. Or, une non-observance thérapeutique conduit à des déstabilisations psychiques, inadaptées au respect des règlements intérieurs des appartements (Azevedo, 2021 : 240).

Ainsi, les locataires sont surveillées sur leurs comportements, leurs relations, leurs habitudes de vie (Azevedo, 2021 : 240). Un tel accompagnement du point de vue de l’équipe d’accompagnement, est perçu comme une contrainte, une surveillance et un contrôle de ses moindres faits et gestes pour le patient qui est aussi bénéficiaire du logement. Le contrôle pourtant, augmente le sentiment d’insécurité chez le patient. De plus, en voulant contrôler ses faits et gestes, l’équipe d’accompagnement conduit à la désappropriation du chez soi. L’habitation du logement ne parvient pas à s’identifier au lieu où il vit, car son habitation lui a été imposée. Parfois, elle peut même être meublée, ce qui empêche l’appropriation de l’appartement par le nouvel habitant qui n’a pas les moyens financiers pour s’acheter lui-même des décorations lui permettant de personnaliser son espace de vie. Le logement n’est plus pour lui qu’un simple lieu de vie transitoire (Azevedo, 2021 : 242-243).

D’autres personnes marginalisées comme les punks à chien par exemple, présentent des difficultés à se soumettre aux normes de la société (Pimor, 2014 : 54). Dans ce cas, l’enjeu ne réside pas uniquement sur le fait de trouver un logement pour la personne, mais aussi la levée de toutes ses perceptions négatives envers la société ainsi que de ses rapports négatifs avec la loi, les normes de la société et le logement en particulier.

D’autre part, l’organisation spatiale de son habitat n’est pas toujours évidente pour toutes les personnes qui ont obtenu un logement. Les limitations physiques ou mentales rendent difficile cette organisation de l’espace. Et parfois, l’habitation devient aussi un environnement handicapant dans lequel, l’habitant ne parvient pas à s’adapter (Caouette, Plichon & Lussier-Desrochers, 2015). 

  1. Le « chez-soi d’abord » et le « housing first »

Le « chez-soi d’abord » est la version française du dispositif anglo-saxon « housing first », dont le but est de venir en aide aux personnes sans abri présentant de troubles psychiatriques sévères en leur offrant un logement qui peut leur donner la sécurité, l’intimité et la stabilité résidentielle. Ce dispositif s’oppose au modèle qui prône le traitement de ces personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères d’abord, avant de leur procurer un logement. Le « chez-soi d’abord » veut en premier lieu donner un logement à la personne, puis de lui attribuer un suivi par une équipe pluridisciplinaire comprenant des psychiatres, des travailleurs sociaux, des infirmiers et des médiateurs santé-pairs. Ces derniers sont des personnes qui ont eu aussi dans le passé, une psychopathologie ou des problèmes de logement et d’addiction. La logique du « chez soi d’abord » est donc de mettre le logement à la tête du processus de rétablissement du patient. Entre autre, le « chez-soi d’abord » veut aussi réduire les écarts entre la prise en charge psychiatrique et la prise en charge sociale (Laval & Estecahandy, 2019 : 104).

Le « chez-soi d’abord » marque un changement drastique dans la politique de prise en charge des SDF dans la mesure où il ne considère plus l’hébergement comme étant un passage obligé qui témoigne de la capacité de l’individu à habiter dans un logement (figure 1). Il donne l’accès à un logement sur la base du fait que celui-ci est un droit commun. L’accompagnement de la personne souffrant de trouble psychiatrique se fait de manière flexible pour que l’habitant de la maison puisse s’y maintenir. D’un autre côté, le « chez-soi d’abord » veut mettre à la disposition des demandeurs, plusieurs logements à prix abordables. Il veut aussi prévenir l’absence de domicile, en réduisant le nombre d’expulsions locatives (Laval & Estecahandy, 2019 : 106).

Figure 1 : Différence entre le dispositif « un chez-soi d’abord » et le parcours habituelle d’accès au logement pour les sans-abri (d’après Estecahandy, 2019, p.515)

Le programme se base sur la pluridisciplinarité ce qui implique une intervention commune partagée et non fragmentée des différents professionnels, peu importe leur métier. Le « chez-soi d’abord veut aussi former le locataire en interne pour qu’il puisse acquérir les différentes compétences pour habiter le logement. Mais le programme se tourne aussi vers les médiateurs pairs qui sont aussi dans la difficulté voire même la précarité ; ils sont embauchés à temps partiel et sont accueillis et intégrés par l’équipe. L’accompagnement des locataires valorise leurs compétences personnelles et leurs savoirs expérientiels. Ces derniers sont combinés avec le savoir-faire des médiateurs et des professionnels pour aider au rétablissement du locataire. Ainsi, le « chez-soi d’abord » s’appuie sur une culture commune, une coordination intersite, les transferts de savoirs et un partage entre les différents intervenants (Laval & Estecahandy, 2019 : 108).

Concrètement, pendant les premiers mois, l’accompagnement consiste à aider le locataire à jouir de ses droits sociaux et à aménager son logement. D’une certaine manière, l’équipe d’accompagnement l’aide à s’installer et à se familiariser à sa nouvelle situation (Moreau & Laval, 2015 : 228). En acquérant un logement, le locataire est encouragé à s’ouvrir à d’autres modes de vie que celles imposées par la survie précaire. Ce mode de vie doit être adapté à son nouveau statut de locataire. L’accompagnement couvre aussi d’autres domaines de la vie notamment, la santé, l’emploi, la vie sociale et culturelle, etc. La durée des services d’accompagnement dépend du besoin du bénéficiaire. Par ailleurs, des services de soutien sont prodigués au locataire en vue de son rétablissement. Mais les services de logement sont séparés du traitement (Estecahandy, 2019 : 516).

Les sans-abri qui ont été suivis dans le cadre du « chez-soi d’abord » ont effectivement pu se maintenir dans leurs logements. Ainsi, ils ne viennent plus demander de l’aide auprès des hébergements d’urgences ou de stabilisation. Cela vient du fait que les patients logés ont pu développer leur estime de soi et ont pu progressivement développer leur confiance en eux (Laval & Estecahandy, 2019 : 104-105). De même, la mise en place d’ « un chez-soi d’abord », a permis de réduire les hospitalisations et les incarcérations (Estecahandy, 2019 : 515).

Néanmoins, des limites ou des obstacles ont été rencontrés dans la mise en œuvre du « chez-soi d’abord ». L’accompagnement devrait aider le locataire à s’approprier son logement, à se rétablir. Les interventions de l’équipe d’accompagnement devraient se faire au rythme et en fonction du besoin du locataire. Et pourtant, c’est elle qui signe le bail et l’état des lieux initial du logement, ce qui pourrait être considéré comme un empiètement sur son rôle d’accompagnateur, puisqu’en agissant de la sorte, l’équipe représente le bailleur du logement. Or, le locataire risque de ne voir en l’équipe qu’une entité qui va lui demander les loyers et les exigences relatives à l’occupation du logement. Certains bénéficiaires peuvent douter de l’équipe et ne plus demander son aide même dans les situations où les compétences de celle-ci sont requises (Moreau & Laval, 2015 : 228). Les attentes du locataire ne sont pas toujours en phase avec les constatations et les craintes de l’équipe d’accompagnement. Or, cette situation n’est pas favorable à la réussite du programme et au rétablissement du locataire (Moreau & Laval, 2015 : 229).

Outre à cela, la coordination des interventions de l’équipe avec d’autres intervenants peut poser problème. En effet, le locataire a déjà été suivi avant d’intégrer le programme « un chez-soi d’abord ». Ces acteurs sont intervenus lorsque la personne n’avait pas encore d’abri et leur accompagnement ne s’est pas encore terminé et voilà qu’une autre équipe d’accompagnement vient aussi l’aider dans le cadre du programme. Certaines tâches peuvent se répéter dans les deux équipes et la distinction entre les champs d’action de la première équipe qui accompagnait le bénéficiaire avant son intégration dans le logement, et de la deuxième équipe d’accompagnement d’ « un chez –soi d’abord » n’est pas toujours claire. La première équipe qui s’est chargé du locataire peut accuser la deuxième équipe d’accompagnement ne pas être suffisamment réactive et efficace pour aider le patient (Moreau & Laval, 2015 : 228).

  1. Les personnes sans domicile fixe (SDF)
    1. Caractérisation des SDF

D’une manière générale, l’appellation de SDF (Sans Domicile Fixe) « désigne les populations dormant dans des abris relativement temporaires (de quelques jours à quelques années) ou même parfois dans des sacs de couchage » (Gresillon, Amat & Tibaut, 2014). Il y autant d’histoire, de cas, que de SDF ce qui ne permet pas de les considérer comme étant une population homogène. Néanmoins, il est nécessaire d’avoir une définition des SDF. Ranaivo (2020, p.54) a fait cette entreprise en disant qu’ « une personne est considérée comme SDF, ou sans-abri, à la double condition qu’elle soit dépourvue de « chez-elle » et qu’elle cumule des formes graves et multiples de précarité ».

Chacun d’entre eux sont devenus SDF pour différentes raisons directes et/ou indirectes comme les instabilités dans la relation de couple ou dans la relation familiale, le séjour en prison, un accident ayant entraîné une invalidité, l’addiction à diverses substances, etc. (Langlard & Bouteyre, 2013 : 533). Ces SDF peuvent être des personnes seules, isolées, ou des personnes qui vivent en groupe ou en famille. Dans ce cas, il peut s’agir d’un couple qui vient avec ses enfants ou d’un seul individu adulte accompagné de ses enfants. Les SDF peuvent être des migrants ou des non-migrants. Certains sont encore jeunes, d’autres sont plus âgés. Chacun d’entre eux ont des besoins différents. Les jeunes sont considérés comme étant plus adaptables et donc facile à réinsérer dans la société par rapport aux personnes âgées (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 8-9).

Les punks à chien ou zonards, parfois aussi appelés « jeunes en errance » par exemple, se distinguent des autres SDF par leur apparence avec des tatouages, des piercings, des crêtes et des locks à l’image des punks. Ils sont souvent accompagnés de chiens et vivent en nomade. Ils refusent de se soumettre aux normes de la société et souvent, ils refusent aussi de travailler et de vivre dans les logements conventionnels. Ils mendient à longueur de journée (Pimor, 2014 : 54). Et pourtant, ce groupe comprend aussi d’autres sous-groupes : les satellites, les zonards intermittents, les zonards experts et les travellers (Pimor, 2014 : 56).

L’apparence physique et le mode de vie des punks à chien sont à distinguer de celui du clochard, qui vit seul dans la rue, qui, lui-même est différent des nouveaux pauvres. Pour ces derniers, l’arrivée à la rue ou l’habitation dans un lieu temporaire résulte des conjonctures socioéconomiques. Alors que le clochard est considéré comme étant une personne qui a volontairement choisi sa situation, les nouveaux pauvres ne sont pas considérés comme tels. De ce fait, ces nouveaux pauvres pouvaient et devaient bénéficier d’aides sociales (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 4).

Le clochard est assimilé parfois au «grand exclu », une personne qui est en situation de désocialisation totale. Le passage à celui du grand exclu se fait en étapes : l’étape de l’agressivité, l’étape régressive, l’étape de rupture avec le passé et l’étape de résignation. L’étape de l’agressivité se caractérise par la tentative désespérée de la personne à maintenir son statut social d’avant et le refus de sa situation actuelle de clochard. Ce conflit interne est à l’origine de son agressivité. Puis, peu à peu, il entre dans la phase régressive où il se familiarise avec sa vie dans la rue. Il pense que sa vie va retourner à la normale, mais son espoir est vain. Il impute alors son échec à retourner à la vie normale, à son incapacité, ce qui s’accompagne d’une mauvaise perception de soi et d’un sentiment d’exclusion. Il prend conscience de sa situation et de la fatalité de celle-ci. Il entre alors dans la phase de rupture avec le passé. Il change ses habitudes et son réseau social. Désormais, il fouille les poubelles, ne prend plus soin de son corps, se met à boire et renforce ses relations avec ses compagnons d’infortune. Il ne cherche plus à rétablir le contact avec ses anciennes relations sociales. Or, ces différents changements drastiques sont propices au développement d’une crise identitaire. Lorsqu’il a passé le cap de la crise identitaire, il entre dans la phase de résignation caractérisé par la rupture complète avec sa vie d’avant. Il rejette aussi les valeurs et les normes sociales. Il refuse de travailler et veut profiter d’une forme de liberté. Il se résigne de manière objective à cette nouvelle identité et lui attribue même des avantages qu’il valorise. Or, cela est une forme de déshumanisation. En réduisant au strict minimum ses besoins juste pour survivre, le grand exclu correspond à une personne « sans besoin, dans un univers sans valeur » (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 6-7).

Carotenuto-Garot & Montenegro Marques (2021 : 13-14), ont pour leur part, distingué quatre catégories de SDF en fonction de leur « carrière » de SDF : 

  • Les forcés : Ce sont des personnes fragilisées qui ne se perçoivent pas comme SDF et adhèrent encore aux normes de la société. Elles veulent sortit de leur situation en cherchant de l’emploi. Elles se sentent en danger et stigmatisés en étant dans la rue, ce qui fait qu’elles ne se sentent en sécurité qu’une fois qu’ils ont acquis un hébergement stable.
  • Les sans-domiciles invisibles : Cette catégorie regroupe les personnes qui veulent rendre invisible aux yeux des autres, qu’elles sont SDF. Dans ce cadre, elles peuvent mentir ou dissimuler des informations pour laisser croire qu’elles ne sont pas SDF. A l’instar des « forcés », elles aspirent fortement à la sortie de la carrière de SDF et refusent leur identité de SDF.
  • Les sans-abris intégrés vivent dans la rue et parfois, ils vivent dans des lieux qui n’étaient pas initialement destinés à l’habitation. Les personnes qui font partie de cette catégorie soignent encore leurs corps et ne rompent pas le lien avec le monde extérieur pour garder autant que possible leur dignité.
  • Les incorporés : Ils ont admis que la carrière de SDF est inhérente à leur vie. Contrairement aux trois autres catégories, cette catégorie tourne ses actions vers la survie et quelques sources de plaisir.

Un même individu peut passer d’une catégorie à une autre en peu de temps ou au bout de quelques années selon les circonstances dans lesquelles il vit (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 14). Mais dans tous les cas, les SDF manquent de logement et vivent en errance (Pimor, 2014 : 54). Tous ont besoin d’accompagnement social, mais leurs besoins ne sont pas les mêmes. De fait, leur accompagnement ne peut pas être le même (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 5). Les SDF sont enclins à montrer des comportements irrationnels et sont exposés à un risque élevé de développer des maladies mentales. Ces différents facteurs peuvent conduire à un état proche de la mort sociale caractérisé par un profond désarroi, une incompréhension de ce qu’il leur arrive et un isolement (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 15). Les SDF sont considérés comme étant un groupe victime d’exclusion sociale. Peu importe leur histoire, lorsqu’ils ont perdu leur logement, et qu’ils sont devenus des SDF, ces personnes n’avaient plus de travail et d’argent. Mais ce ne sont pas les seules causes, même si elles sont importantes. Ces facteurs se combinent avec d’autres évènements de vie (Langlard & Bouteyre, 2013 : 532-533).

  1. Précarité et stigmatisations

La précarité est associée aux représentations négatives dont l’insécurité statutaire qui conduit à son tour, à une insécurité sociale. Elle peut même être une source de déshumanisation contrainte pour les personnes qui vivent dans la rue (Vinay, 2015 : 125). En effet, depuis les Trente Glorieuses et l’avancée économique de la France, la pauvreté a fortement diminué. Ainsi, les personnes qui n’avaient pas de toit étaient considérées comme les exceptions, les victimes d’handicaps sociaux. Avec cela, les personnes sans abri étaient considérées comme étant des clochards, malades qui allaient propager non seulement la maladie, mais aussi la pauvreté. Si la société en général a pu progresser et que ces personnes n’ont pas suivi cette tendance, c’est qu’elles sont porteuses de problèmes. Elles pouvaient être considérées comme des personnes déviantes, qui n’ont pas suivi les normes sociales d’où l’importance de les réadapter (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 4).

Cela pourrait expliquer le comportement agressif de ces personnes envers elles-mêmes et leur détachement affectif et relationnel. Elles veulent disparaître physiquement et psychiquement. Or, cela constitue déjà un stigmate. Le stigmate correspond aux marques ou aux traces honteuses porté ou attribuée à une personne (Vinay, 2015 : 125-126). En voulant disparaître physiquement, en voulant cacher sa grande précarité, l’individu s’isole et il est possible qu’il ne prenne plus soin de son corps ou est incapable de le faire. Plus, il est exposé au regard, plus il risque d’être renvoyé à ses manques. Le regard indiscret des passants peuvent être des rappels de son « inutilité sociale ». Plus il est mis à l’écart, plus il est incapable de se reprendre en main et plus, il est stigmatisé. Mais dans ce cycle, les stigmates tendent à devenir les marques identitaires des personnes vivant dans la grande précarité (Vinay, 2015 : 128).

Les personnes qui vivent dans la grande précarité sont plus susceptibles d’accéder à des logements sociaux, mais celles qui ont été socialement intégrées ne parviennent pas à accéder à un logement qui leur convient. Par conséquent, elles se sentent déclassées, car elles ont du travail, des papiers et pourtant, elles ne parviennent pas à acquérir un logement. Et pourtant, elles n’ont pas l’impression d’être les personnes que les observateurs jugent comme étant de faible rang social. L’individu commence alors à trouver que son identité sociale, telle qu’il la perçoit est très différente de son identité sociale réelle. Le décalage entre ces deux types d’identité est à l’origine du sentiment de stigmatisation (Dietrich-Ragon, 2013 : 375).

La stigmatisation provoque une chaîne de réactions que les SDF ne parviennent pas toujours à gérer. L’identité de « punk à chien » par exemple, va de pair avec celle de jeunes à problèmes et toxicomanes, ce qui suscite chez de nombreux observateurs externes qui les voient, le rejet. Il se peut même qu’ils soient rejetés par les associations. En voulant s’affirmer en tant que punk à chien, le SDF adopte toutes les « normes » et conditions imposées par sa famille de rue pour être entièrement intégré dans la famille et reconnu comme adulte. Mais ce qu’il perçoit comme une norme peut être un acte délictueux, ce qui conduit à des démêlés avec la justice. Les condamnations judiciaires peuvent faire partie du parcours de SDF dans certains cas. Or, l’identité d’ex-prisonnier ne fait que confirmer le stigmate qui lui a toujours été attribué, ainsi que le comportement de rejet par l’ensemble de la société (Pimor, 2014 : 61-62).

Cet exemple de différence de réactions envers les différents types de SDF fait preuve aussi du fait que même, les SDF peuvent aussi stigmatiser leurs semblables. Alors que ce groupe devrait jouir des mêmes droits et que l’égalité entre les SDF est un droit acquis, la relation aux pairs n’est pas forcément bonne. Une étude menée auprès des centres d’hébergement qui accueille différents types de publics a montré que les grands exclus pouvaient être stigmatisés, moqués, rejetés par les autres SDF qui étaient accueillis au sein du même établissement, alors que tous ont le même problème : l’absence de logement. Le sentiment de ne pas se sentir comme les autres, créé chez les exclus et les stigmatisés, l’envie d’errer, de ne pas partager un espace avec les autres qui les jugent. Le sentiment d’inégalité découle de la stigmatisation dont elles sont victimes (Chardin, 2016 : 53).

La loi devrait être le dernier rempart pour donner aux SDF de la dignité en étant un ayant droit comme tout autre citoyen. Et pourtant, la loi ne protège que partiellement les SDF, ce qui pourrait aussi les stigmatiser. Cela se manifeste par exemple, par la promulgation de lois assurant la protection de la société contre les SDF, alors que la loi aurait dû susciter la protection de ces personnes par la société. La protection anti-SDF contribue en effet à leur mise à l’écart de la société en les expulsant des endroits où ils se réfugient sous prétexte qu’ils n’ont pas de titre d’hébergement. N’ayant pas de droit de propriété, de nombreux SDF ont été expulsés sans que des mesures de relogement ne soient prises. La loi aussi les tend à réduire les espaces publics qu’ils peuvent occuper à travers le réaménagement des espaces en installant des obstacles sur les trottoirs, ainsi que des vidéosurveillances. Les SDF peuvent être rapidement refoulés par la police. Or, ces différentes mesures contribuent à renforcer la stigmatisation des SDF, en leur rappelant qu’ils ne bénéficient pas du même traitement ni de la même considération que tous les autres citoyens. Une telle stigmatisation n’est pas sans conséquence sur leurs conditions de vie. En les privant de nombreuses ressources, les risques d’aggravation de leur précarité augmentent (Ranaivo, 2020 : 56-57).

Mais la dénomination de SDF elle-même constitue déjà une certaine forme de stigmatisation, car cette appellation comporte une image sociale que le SDF peut ne pas accepter. En acceptant ce stigmate, il risque de laisser à cette identité sociale de le poursuivre à vie. En la refusant, le SDF peut manifester son désir de s’élever. Le SDF n’a d’autres façons pour manifester son refus de cette identité de SDF qu’en refusant les aides sociales qui lui sont proposées. Certains d’entre eux croient qu’en acceptant l’hébergement, ils vont se complaire dans leur situation ou qu’ils vont perdre leur liberté en étant prisonnier de l’hébergement. Le refus du stigmate du SDF pourrait être interprété comme l’envie de se prendre en main pour éviter cette représentation négative et honteuse de soi-même (Chevalier et al., 2017 : 40).

  1. Précarité et santé des SDF

La précarité affecte l’état de santé d’une personne en la fragilisant. Mais l’altération de la santé peut aussi être source de précarité. Certains handicaps ou maladies chroniques, des troubles psychiatriques par exemple, ont pu conduire les SDF à la rue. Mais dans l’autre sens, le fait de ne pas avoir de logement expose aussi le SDF à des modes de vie qui ne sont pas propice à la santé. Il vit dans un environnement qui ne le protège pas, avec ses bruits, la mauvaise qualité de l’air ou de l’eau. S’il tombe malade, il risque de perdre son travail ou tout au moins, de réduire ses revenus (Spira, 2017 : 570).

Le sans-abrisme a été identifié comme étant un facteur de mortalité et de morbidité surtout, dans le domaine de la psychopathologie et les maladies somatiques (Estecahandy, 2019 : 515). Le Collectif Les Morts de la Rue (CMDR) a affirmé qu’en 2021, il y avait au moins 620 SDF mortes à cause de l’absence de moyens d’aide ou de réponses inadéquates aux besoins réels de ces personnes. Et pourtant, le CMDR dit que ce chiffre ne représente pas la réalité du terrain parce que les médecins ne mentionnent pas toujours lors des rapports que le décédé était une SDF. A l’âge de 48 ans en moyenne, les SDF meurent. Ainsi, leur espérance de vie est réduite de 31 ans par rapport à celle des personnes ayant un domicile. Dans près d’un tiers des cas, le SDF meurt d’une mort violente suite à une agression, un accident, à un suicide ou une intoxication1. Mais le décès des SDF est aussi à imputer à des maladies qui ont été mal prises en charge ou qui n’ont pas été signalées par le SDF. Il peut s’agir de cancers, de maladies cardio-vasculaires et respiratoires. Ces maladies apparaissent aussi à cause du mode de vie des SDF qui, dans la plupart des cas, consomment de l’alcool, du tabac et d’autres substances psychotropes, ce qui augmente fortement le risque de développer ces maladies (Poirot-Mazères, 2014).

De nombreux SDF sont alcoolo-dépendants, ou sont dépendants d’autres produits stupéfiants notamment, des drogues injectables, des opioïdes, de cocaïne et d’amphétamine. Nombre d’entre eux présentent aussi des maladies causées par le tabagisme. Ces différentes dépendances affectent leur prise en charge tant sociale que médicale. En effet, de nombreux établissements médico-sociaux refusent de les accueillir. Pour bénéficier d’un logement, ils doivent montrer qu’ils sont sevrés de ces produits stupéfiants. En effet, ces substances sont susceptibles de causer chez leurs consommateurs des troubles du comportement qui peut être difficile à gérer pour l’établissement qui va les accueillir (Adam, 2013 : 48).

Les SDF peuvent aussi présenter les maladies courantes chez le reste de la population en général à la différence que la maladie est souvent plus sévère chez eux. Les SDF peuvent souffrir de maladies sexuellement transmissibles, de maladies digestives, dentaires, respiratoires, des infections urinaires, des escarres et des troubles du comportement alimentaire. Parfois, certains SDF ont des fractures et des contusions importantes. En 2013, environ un tiers des SDF se sont plaints d’avoir de graves troubles du sommeil. Et pourtant, ces SDF sont aussi les personnes qui n’accèdent pas aux soins (Poirot-Mazères, 2014). 

La précarité et l’exclusion sociale constituent des terrains favorables au développement de psychopathologies. Elles sont fréquentes chez les SDF. Parfois, c’est la personne elle-même qui décide de s’auto-exclure. Cela correspond au syndrome de l’auto-exclusion, une manifestation de la pathologie de la disparition. En s’auto-excluant, la personne décide de s’anesthésier pour ne plus sentir de souffrance aussi bien dans sa tête que dans son corps. Par conséquent, il s’isole de plus en plus, et il est difficile de l’aider, d’identifier même le mal qui le ronge (Vinay, 2015 : 129). Pour les SDF, les troubles psychiatriques peuvent devenir un refuge contre la réalité trop dure à supporter (Vinay, 2015 : 130). 

Les troubles psychiatriques comprennent dans la plupart des cas, les troubles de l’humeur, l’anxiété, les troubles de la personnalité, et les troubles liés à la prise de substances psychotropes (Langlard & Bouteyre, 2013 : 532). Différentes formes de schizophrénies ont été décelées chez les SDF. La fréquence élevée de ces psychopathologies pourrait s’expliquer par l’absence ou une mauvaise prise en charge du patient, ou encore, par le non-suivi du traitement. De nombreux patients SDF refusent en effet, de suivre leurs traitements (Mercuel, 2013 : 274).

Une enquête en 2017 a révélé que 32% des SDF avaient un trouble psychiatrique sévère, mais 25% d’entre eux ne sont pas allés chez le médecin. La moitié des SDF souffrant de troubles psychiatrique est dépendante de stupéfiants. Le risque d’avoir des maladies psychiatriques est élevé chez les SDF qui ont eu des difficultés sociales précoces ou des difficultés scolaires, chez ceux qui ont vécu des évènements de vie graves. Ceux qui ont vécu une enfance perturbée sont également ceux qui sont plus susceptibles de montrer des maladies psychiatriques (Spira, 2017 : 572).

Les médecins sont les principaux acteurs qui devraient être mobilisés sur place pour soigner les SDF. Cependant, les personnes qui sont en situation de précarité reçoivent rarement la visite de médecin. Cela vient du fait que les médecins généralistes ne détiennent pas toujours les connaissances relatives aux difficultés sociales et médicales dont souffrent les SDF. Parfois, ils peuvent même être désemparés suite à la constatation de l’accumulation de problèmes de santé et sociales des SDF. La formation initiale des médecins généralistes ne leur permet pas de connaitre les spécificités des besoins de ce public et d’agir en conséquence (Adam, 2013 : 45). 

D’autre part, si certains SDF ont eu accès aux soins, ils n’ont pas été suivis par la suite. Une enquête en 2013 a par exemple révélé que chez les SDF atteints de troubles psychiatriques, 70% avaient déjà eu recours aux soins notamment, une hospitalisation en psychiatrie pour les 25%. Cependant, les soins n’ont pas été maintenus (Mercuel, 2013 : 272). Par ailleurs, les soignants peuvent facilement détecter les troubles sévères comme les états d’excitation maniaque. Par contre, les troubles moins sévères comme les dépressions passent souvent sous silence et ne sont pas diagnostiqués à première vue (Mercuel, 2013 : 275).

  1. Accompagnement social et sanitaire des SDF

L’accompagnement social est couplé à l’accompagnement sanitaire pour aider les SDF à sortir de la rue. Leurs interventions conjointes sont souvent réalisées à court terme (Petiau, 2019 : 45). La superposition entre le domaine social et sanitaire est indispensable pour tenir compte à la fois de l’état de santé des patients accompagnés, mais aussi pour considérer tous les facteurs sociaux ayant conduit à son état actuel. Deux scénarii se dégagent : le premier consiste à encourager les différents intervenants à être polyvalent et à jouer plusieurs rôles dans le cadre de l’accompagnement ; le deuxième consiste à recruter des personnes ayant des compétences pour aider les SDF à trouver un logement ou un hébergement. La pluridisciplinarité de l’accompagnement des SDF a conduit à des changements dans les pratiques professionnelles des intervenants. Désormais, les territoires professionnels ne s’excluent pas mais se superposent ou d’entrecroisent (Schlegel, 2021).

La collaboration entre ces deux champs d’action est censée apporter des résultats sur l’état de santé et la situation sociale des SDF. Mais cette collaboration peut se heurter à la résistance de chaque partie à intervenir, pensant, qu’une activité relèverait de la compétence de l’autre camp. Les interventions auprès des SDF en souffrance psychique pourraient expliquer ce phénomène. La notion de souffrance psychique ne relève pas du champ de la psychiatrie et n’est pas décrit dans les critères permettant de la placer comme étant une maladie mentale. Dans ce cadre, la psychothérapie ne peut pas être indiquée et pourrait être inefficace. Le médecin est alors tenté d’orienter la prise en charge vers les acteurs sociaux, mais ceux-ci estiment pour leur part que les soins psychiatriques de base pourraient être plus adaptés aux conditions du SDF (Petiau, 2019 : 47).

Il n’est pas rare de constater que les professionnels sociaux détectent des pathologies somatiques et psychiatriques, des pathologies liées à l’addiction à l’alcool, mais ils ne connaissent par les actions à faire pour les prendre en charge. Par conséquent, ils les renvoient aux psychiatres pour bénéficier de soins. Cependant, les personnes ainsi réorientées peuvent être retournées à la rue sans avoir reçu le moindre soin ni même une consultation. De leur côté, les soignants sont submergés à la vue d’un nombre croissance de SDF qui viennent demander une consultation. De leur point de vue, ces personnes ont plus besoin d’aides sociaux. Les renvois mutuels peuvent conduire à des tensions entre les soignants et les professionnels sociaux (Petiau, 2019 : 48).

Ainsi, il est difficile de déterminer le champ de compétence des différents acteurs dans une équipe pluridisciplinaire d’accompagnement des SDF. D’un côté, les soignants pourraient considérer les réactions des acteurs sociaux comme étant un transfert de leur impuissance sur les médecins et autres soignants. De l’autre côté, les acteurs sociaux pensent que les médecins entament une psychiatrisation de la misère. C’est la raison pour laquelle, une facilitation de la psychiatrie par le social est proposée dans le cadre de la mise en place d’une équipe mobile psychiatrie-précarité au même titre qu’une amélioration de la sélection des demandes provenant des acteurs sociaux pour que les recours aux psychiatres soient pertinents (Petiau, 2019 : 47).

La difficulté de communication entre les acteurs médicaux et sociaux et les SDF constitue un des obstacles majeurs à leur accompagnement. Des SDF en effet, comptent des migrants qui ne comprennent pas la langue française. Mais mis à part ce groupe, il y a des personnes qui présentent des handicaps comme la surdité qui les empêchent de communiquer avec les autres. A ceux-là s’ajoutent les personnes atteintes d’une maladie neurologique ou psychiatriques qui, du coup, ne peuvent pas s’exprimer ou ont du mal à entrer en contact et communiquer avec d’autres personnes (Adam, 2013 : 49). 

D’autre part, les circonstances dans lesquelles se sont effectuées les rencontres entre acteurs médico-sociaux et SDF ne sont pas favorables à la communication et surtout à l’établissement de confiance mutuelle. En effet, les premières rencontres se font souvent lorsque le SDF est encore dans un état d’ébriété, dans une situation grave après un accident ou après qu’ils aient tenté de se suicider. Les premières rencontres sont souvent peu favorables à l’établissement de la confiance. Il en faut plusieurs pour que les deux parties puissent se faire confiance et discuter de manière constructive. Le but de ces discussions est d’aider le SDF à verbaliser leurs souffrances (Mercuel, 2013 : 274).

L’accompagnement sanitaire et social du SDF ne peut pas commencer si celui-ci refuse l’aide. Or, ce comportement de refus est caractéristiques des personnes en souffrance psychique. Les intervenants sociaux se plaignent parfois du fait que les SDF refusent catégoriquement d’entrer dans une relation d’aide. Des fois, ils refusent les aides qui leur sont apportés et d’autres fois, ils ne demandent même pas de l’aide. Parfois, ils se montrent passifs, mais il y a aussi des cas où ils se montrent agressifs (Petiau, 2019 : 37). Certains intervenants sociaux et sanitaires reçoivent des excréments ou des crachats en pleine figure. Les bénéficiaires refusent de donner leur identité même s’ils entrent en contact régulier avec les acteurs sociaux et sanitaires. Les intervenants sanitaires peuvent se décourager à l’idée de devoir refaire à chaque fois l’accueil des patients SDF (Petiau, 2019 : 45).

Au cas où le SDF recourt aux professionnels médicaux et sanitaires ou lorsqu’ils acceptent de se faire aider, les interventions devraient aboutir à la reconstruction de soi. Se reconstruire implique la sortie de la rue ou de la structure qui n’est pas initialement bâties pour en faire une habitation. Se reconstruire veut aussi dire acquérir une certaine autonomie et sortir de l’assistanat dans lequel, le SDF pourrait sombrer. L’acceptation de l’aide découle souvent de la peur de mourir dans la rue et le désir d’accéder à un statut social reconnu. Certains SDF expriment leur désir de renouer le lien avec leurs familles ou retourner dans leurs pays d’origine sans se couvrir de honte. Les raisons sont diverses, mais derrière celles-ci, les SDF veulent se soustraire des services prodigués par les professionnels sociaux et sanitaires. Seulement, certains SDF ne parviennent pas à se soustraire de l’assistance (Pichon, 2014 : 83).

  1. Troubles psychiques
    1. Définition du trouble psychique

Les troubles psychiques parfois aussi appelés troubles mentaux désignent selon l’OMS (2022), « une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu. Il s’accompagne généralement d’un sentiment de détresse ou de déficiences fonctionnelles dans des domaines importants »2. L’OMS a même élargi cette définition en changeant l’appellation de troubles mentaux en problèmes de santé mentale, ce qui permet d’inclure les personnes atteintes de troubles mentaux, des personnes souffrant de handicaps psychosociaux ou présentant des états mentaux associés à la détresse, à des comportements auto-agressifs et des déficiences fonctionnelles comme étant atteintes de ces problèmes. Les troubles psychiques peuvent se présenter de différentes manières. L’OMS a distingué les troubles anxieux, la dépression, les troubles bipolaires, le troubles post-traumatiques, la schizophrénie, les troubles de l’alimentation, les comportements perturbateurs dyssociaux ainsi que les troubles neuro-développementaux3.

Il peut s’agir d’un trouble de stress post-traumatique (Auxéméry, 2019), ou d’une hystérie. Ces troubles apparaissent avoir subi un traumatisme comme le viol, les harcèlements psychologiques. Les évènements traumatiques sont perçus par l’inconscient, avant d’être transformés par le conscient en des symptômes somatiques comme les convulsions, les toux ainsi que des troubles du langage oral (Abed & Janoory, 2019 : 181). Plusieurs symptômes caractérisent le trouble du stress post-traumatique (TSPT) : la reviviscence, l’évitement, l’altération des cognitions et de l’humeur, l’altération de l’activité neuro-végétative. Si le sujet a été témoin ou a vécu un évènement traumatique unique comme les catastrophes naturelles, il est susceptible de développer un TSPT simple. Toutefois, si l’évènement traumatique se répète (viols, harcèlements, etc.), alors le patient développe un TSPT complexe. Le TSPT complexe résulte généralement d’évènements traumatiques répétés pendant l’enfance ou l’adolescence. Ces évènements traumatiques vont affecter le profil de l’adulte en devenir et son développement. Une fois adulte, la victime a des difficultés régler ses émotions et ses impulsions. Il présente de troubles de l’attention et de la conscience. Son image de soi est altérée au même titre que ses relations aux autres. Son système de croyance est modifié. Les victimes de TSPT complexe peuvent montrer des troubles de la personnalité, couplée à une déficience fonctionnelle et un risque de suicide élevé. Une comorbidité avec les troubles de l’usage de substance a été notée (Bellet & Varescon, 2019 : 23).

La schizophrénie est un trouble chronique dont les symptômes sont très hétérogènes. Cette hétérogénéité fait en sorte que la schizophrénie peut être aisément confondue avec d’autres troubles mentaux comme le trouble bipolaire. La distinction entre ces deux troubles ne peut être faite qu’en observant leur évolution. La schizophrénie évolue de manière continue, tandis que le trouble bipolaire évolue de manière cyclique avec des épisodes aigus et des intervalles libres. L’apparition des premiers symptômes de schizophrénie fait suite à des évènements douloureux marquée par une grande anxiété ou une grande tristesse. Le patient perd son énergie, se montre méfiant et diminue ses performances cognitives. Cette phase peut se dérouler sur plusieurs années sans que des soupçons de schizophrénie n’émergent. Ainsi, le trouble n’est pas encore traité et le patient entre dans la psychose proprement dite. La psychose se manifeste par un épisode psychotique aigu (souvent un délire, agitation et agressivité) et une altération des performances cognitives. Le patient est victime de contenu d’hallucinations acoustico-verbales : il peut entendre des voix par exemple, ou penser qu’une force extérieur le contrôle. Le schizophrène commence alors par faire une fugue ou entreprendre un voyage pathologique, s’automutiler voire même, met fin à sa vie. A ce stade, les performances cognitives du patient sont réduites du fait du trouble de la mémoire et de l’attention, ainsi que des troubles de ses fonctions exécutives. Si le patient n’est pas toujours traité, alors il risque de ne plus se rétablir. Les symptômes de premier rang de la schizophrénie apparaissent alors. Ces symptômes se caractérisent par le fait que l’individu ne parvient plus à trouver la frontière entre le soi agissant et l’autre agissant. Par conséquent, le patient pense que d’autres personnes ou entités leur volent leurs pensées (Franck, 2013).

Les troubles neurodéveloppementaux est la nouvelle appellation des troubles habituellement diagnostiqués pendant la première et deuxième enfance (adolescence). Ils comprennent les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, les troubles du spectre de l’autisme, le déficit de l’attention et hyperactivité, les troubles spécifiques de l’apprentissage, les troubles moteurs ainsi que les autres troubles neurodéveloppementaux spécifiés et non spécificiés. Les troubles neurodéveloppementaux dégradent le fonctionnement personnel et social du patient. Il peut avoir des problèmes à l’école ou au travail (Delègue, 2020 : 113). Les comportements perturbateurs dissociaux pour leur part, sont des troubles du comportement persistant. Le patient montre des comportements défiants qui se manifestent notamment par la désobéissance ou la violation volontaires des lois qui régissent la société. Ces troubles du comportement émergent souvent pendant l’enfance, mais ils peuvent aussi émerger à l’âge adulte (Ugli & Kakhramonovich, 2022 : 103).

Les troubles psychiques peuvent être sévères comme la schizophrénie, mais dans la plupart des cas, il s’agit de troubles mentaux fréquents comme l’anxiété, la dépression, des troubles somatiques. Les patients atteints de ces troubles non sévères sont souvent fatigués, ont des insomnies couplés avec des amnésies. Ils ont des difficultés à se concentrer, sont irritables et se plaignent de différents maux troubles somatiques. Souvent, les patients manifestent des souffrances psychiques. Bien que ces formes ne soient pas sévères, elles peuvent conduire à des troubles mentaux plus sévères (De Oliva Costa et al., 2014 : 525). Les personnes souffrant de maladies chroniques et qui ont des insomnies sont plus exposées aux risques d’avoir ces formes bénignes de troubles psychiques. De même, les personnes qui sont exposées à des environnements stressants comme les soignants présentent un risque plus élevé de développer des troubles psychiques bénignes (De Oliva Costa et al., 2014 : 529).

  1. Le rapport au logement et l’accompagnement des personnes atteintes de troubles psychiques

Le suivi des personnes SDF qui ont été logés a montré que malgré leur accompagnement, nombre d’entre elles retournaient toujours à la rue. Une étude menée dans le comté de King (USA) par exemple, a montré que chez les personnes souffrant de troubles mentaux, 13,4% seulement pouvaient rester dans leur logement pendant 4 ans. 26,8% ne sont pas parvenus à quitter leur statut de SDF. 48,4% étaient occasionnellement des SDF, avec au moins deux épisode de sans-abrisme (Lachaud et al., 2021 : 178-179). Ce fait a été imputé à la réduction des fonctions cognitives de l’individu à cause du trouble mental. Ce dernier conduit à l’incapacité de l’individu à penser et à se comporter de manière appropriée dans sa vie quotidienne et altère en même temps, son réseau social (Lachaud et al., 2021 : 189).

Certains troubles psychiques empêchent les patients de pouvoir habiter un logement. Parfois, l’habitat se dégrade, sans que la personne ne fasse quoi que ce soit pour inverser la situation. Dans d’autres cas, un fort encombrement de la maison est observé, ce qui la rend inhabitable. Dans certains cas, l’habitant de la maison se comporte de manière à ce qu’il soit exclu de la société, du voisinage. Ces différentes manifestations de l’incapacité de l’individu à occuper un lieu s’inscrivent dans le cadre d’un « voyage pathologique » (Fredj, 2015 : 67).

Parfois, les professionnels qui accompagnent les SDF peuvent être tentés de qualifier l’accompagné comme étant un patient atteint du syndrome de Diogène lorsque celui-ci accumule des affaires qu’il a trouvé la journée dans sa maison. Il se peut que ce geste soit le fait de l’habitude qu’il a acquis dans la rue, lorsqu’il n’avait pas de logement et qu’il devait trouver dans les poubelles ou dans la rue, ce qu’il pouvait encore valoriser. Ce geste résulte du manque et de l’incertitude. Mais au fil du temps, l’individu peut répéter ce geste qui, apparemment, est irrationnel aux yeux des observateurs externes (Carotenuto-Garot & Montenegro Marques, 2021 : 15). 

Le retour au sans-abrisme pourrait aussi s’expliquer par le fait que les anciens SDF souhaitent être libres plutôt qu’être accompagnés par un professionnel. Une revue de littérature a montré pourtant, que les troubles mentaux ne permettent pas l’autonomie du bénéficiaire. Une différence d’objectif entre les professionnels et le SDF pourrait donc favoriser les conflits entre eux et l’échec du logement de l’ancien SDF. Les SDF préfèrent en premier lieu, vivre librement, selon leur désir. Puis, ils préfèreraient aussi partager leurs logements avec les membres de leurs familles plutôt que de vivre seul ou accompagné. Ils peuvent même souhaiter la présence de leurs proches voire d’un groupe de proches dans leurs maisons, ce qui est en contradiction avec les recommandations du professionnel. Ce fait pourrait donc motiver le SDF à choisir la liberté, plutôt que le logement où il se sent contrôlé par les professionnels (Richter & Hoffmann, 2017).

Pourtant, lorsque le trouble mental est très sévère, il est quasiment impossible de ne pas accompagner le patient. L’étude de Spicer et al. (2014) a tenté de déterminer les facteurs qui pourraient améliorer les résultats du logement de SDF présentant une maladie mentale. Leur étude a été menée à Sydney (Australie), auprès de 253 hommes sans-abri et atteints de maladies mentales. Ils ont démontré que les anciens SDF pouvaient tenir dans un logement pendant plus d’un an si les soutiens sont donnés à court ou à moyen terme. En n’allongeant pas la durée de l’accompagnement, l’état des anciens SDF s’était stabilisé et ils pouvaient rester durablement dans leurs logements.

  1. Problématisation

Cette revue de littérature montre que l’habitation n’est pas seulement un espace qui assure la fonction de logement. Elle assure aussi la fonction de protection contre les agressions extérieures, et attribue un certain statut social à son occupant. L’habitation est donc un lieu sécurisant et un lieu socialisant dans la mesure où elle permet à ses habitants d’acquérir un certain statut social qui ouvre la porte au travail et à des relations sociales. Pour les SDF, peu importe leurs profils, c’est l’habitation qui manque. Ainsi, ils perdent leurs repères géographiques, parce qu’ils n’ont pas de « chez soi » où aller. Ils perdent aussi leur statut social, car la précarité résidentielle va de pair aussi avec la stigmatisation et l’exclusion sociale. Les SDF vivent dans un environnement dangereux où ils sont exposés à la pollution sonore et à la pollution de l’air. Dans cet environnement, le risque d’avoir des maladies respiratoires et cardiaques est fortement élevé. C’est également un environnement propice au développement de maladies mentales qui peuvent prendre plusieurs formes, allant des formes bénignes comme l’anxiété et la dépression, jusqu’à la forme sévère comme la schizophrénie.

En considérant l’importance de l’habitation pour chaque être humain, nous pouvons déduire que le logement pourrait aider à rétablir la santé et le statut social de ces SDF. Le logement pourrait restaurer leur dignité humaine et leur donner une identité autre que celle de SDF. C’est dans ce cadre que s’inscrit le programme « Chez-soi d’abord » où, les SDF accèdent à un logement directement, même s’ils montrent encore des signes de dépendance à des substances psychotropes, et même s’ils souffrent encore de troubles mentaux. Il est admis que le logement permet non seulement de résoudre le sans-abrisme, mais aussi de rétablir la santé des SDF. Et pourtant, la revue de littérature a montré que ces anciens SDF qui accèdent à un logement sont incapables dans certains cas d’habiter le logement. Comme l’habitation assure plusieurs fonction, l’habiter ne se limite pas uniquement à occuper un lieu. Encore faut-il que l’habitant de la maison s’en occupe, personnalise cet espace de vie, pour la maintenir propre et pour respecter les normes sociales concernant le vivre ensemble.

L’accès au logement ne garantit pas forcément la fin du sans-abrisme parce que certains SDF retournent à la rue pour éviter d’être accompagnés et pour retrouver leur liberté. Certains refusent tout simplement l’aide qui leur est proposée, ce qui désempare à la fois les acteurs sanitaires que les acteurs sociaux. Par ailleurs, leurs maladies mentales les empêchent parfois de pouvoir se maintenir dans un logement, d’aller dans un contexte social en respectant les relations de bon voisinage, etc. Cela nous amène donc à la problématique qui s’annonce comme suit : En quoi les prérequis contribuant à l’habiter permettent-ils l’accès et le maintien dans le logement des personnes atteintes de troubles psychiques ?

  1. Hypothèses

Pour répondre à cette question, il est nécessaire dans un premier temps d’identifier les facteurs pouvant faire échouer les tentatives pour aider les SDF à accéder et à se maintenir dans un logement. D’après la revue de littérature précédente, les troubles mentaux s’accompagnent de troubles de comportements et l’altération des fonctions cognitives du patient. De ce fait, la première hypothèse est la suivante :

H1 : La pathologie psychique paralyse l’acquisition du savoir habiter des personnes atteintes de troubles psychiques.

La revue de littérature a permis également de montrer que le sans-abrisme et les maladies mentales s’inscrivent dans une sorte de cercle vicieux. Lorsqu’une personne est privée de logement, elle est plus susceptible de développer des maladies mentales et lorsque les maladies mentales sont sévères, elles peuvent empêcher l’individu d’habiter le logement et ainsi de suite. Mais la revue de littérature a affirmé également que la maladie mentale et le refus de l’identité de SDF peut amener un individu à refuser les soins qui leur sont proposés. Et pourtant, nous avons également que plus, une maladie mentale n’est pas diagnostiquée plus tôt, plus, les risques que le patient ne se rétablisse jamais augmentent aussi. Dans ce cadre, l’aide social et sanitaire est fortement requise, ce qui amène à la deuxième hypothèse :

H2 : L’accès et le maintien dans le logement des personnes atteintes de troubles psychiques nécessitent un accompagnement.

Partie 3. Cadre empirique

  1. Cadre méthodologique
    1. L’entretien semi-directif

L’entretien est une discussion entre le chercheur et la personne interviewée. Le chercheur mène la discussion et l’interviewé suit. La discussion porte sur des thèmes connus par l’interviewé qui est invité à répondre verbalement et librement. Les réponses données par l’interviewé dépend de ses connaissances et aussi de ses expériences antérieures. Les entretiens semi-directifs abordent des thèmes précis dans un ordre qui n’est pas préétabli, laissant ainsi une liberté à l’interviewé (Baggio, Rothen & Deline, 2017 : 47). L’entretien semi-directif est une méthode qualitative qui fait interagir l’interviewer, l’interviewé et l’objet de l’entretien. Les données collectées par cette méthode font l’objet d’une interprétation de ce qui a été dit, et d’une déduction de ce que l’interviewé a omis volontairement ou non de mentionner (Azioun & Mehdi, 2018 : 31). La réalisation d’un entretien semi-directif peut nécessiter dans certains cas, l’immersion du chercheur dans l’environnement étudié, afin d’entrer en contact direct avec les personnes concernées par le sujet (Quiroga, 2013 : 125).

L’entretien semi-directif repose sur la confiance mutuelle entre l’interviewer et l’interviewé et qui permet aux deux parties de converser. L’écoute constitue aussi une autre condition à la réalisation d’un entretien semi-directif dans la mesure où elle permet au chercheur de faire une relance ou demander plus d’explications, plus de détails concernant les propos de l’interviewé. L’empathie et le partage constituent d’autres conditions pour la réalisation de l’entretien semi-directif. Néanmoins, l’empathie ne devrait pas porter atteinte à la juste distance qui devrait s’établir entre l’interviewer et l’interviewé. Cette juste distance permet en effet, d’assurer l’objectivité de la recherche et de garder par la même occasion, le sens critique. Dans sa démarche méthodologique, le chercheur veille à respecter les droits et la dignité de la personne qu’il interviewe (Azioun & Mehdi, 2018 : 34).

Le principal atout de l’entretien semi-directif réside sur sa capacité à valoriser le point de vue de la personne interviewée. Dans le cadre d’un questionnaire en effet, le répondant n’a pas beaucoup de liberté pour répondre aux questions puisque celles-ci sont fermées ou parce que le participant doit tout juste choisir la réponse lorsqu’une question à champ multiple est présentée dans le questionnaire. Dans l’entretien semi-directif, l’interviewé est une personne ressource qui va exposer, exprimer et partager ses expériences avec le chercheur. Il parle de ses perceptions et représentations des choses, sur le thème abordé. Ainsi, l’interviewer peut connaître le contexte dans lequel, l’interviewé a vécu une expérience, un évènement. Comme le récit de vie de la personne interviewée, ne peut être déconnectée de la vie collective, l’entretien semi-directif donne un aperçu sur les histoires de vies collectives et/ ou individuelles. En donnant la liberté à l’interviewé pour s’exprimer, l’entretien semi-directif fait émerger de nouvelles thèmes, ou d’autres points de vue qui auraient pu être négligés ou inconnus du chercheur (Quiroga, 2013 : 125).

L’entretien semi-directif était entre autres, une méthode qualitative fortement utilisée dans le domaine des sciences humaines et sociales, pour sa capacité à donner au chercheur des informations concernant les mécanismes, les dynamismes des faits dans la société, ainsi que l’organisation. Il est aussi un outil de collecte de données pertinent lorsque l’étude a pour objectif de connaître les représentations sociales et de comprendre les comportements, les attitudes et les représentations sociales de l’interviewé (Azioun & Mehdi, 2018 : 31).

Dans le cadre de cette étude, les entretiens ont été enregistrés puis, retranscrits pour pouvoir réaliser une analyse ultérieurement.

  1. L’outil de collecte de données

Les données ont été collectées grâce à un guide d’entretien, composé de questions ouvertes, permettant au répondant de s’exprimer librement. Les questions invitent à la réflexion et valorisent les connaissances et les savoirs des personnes ressources qui ont été sollicitées pour répondre aux questions. Plusieurs thèmes ont été abordés dans le guide d’entretien :

  • Le profil du répondant
  • La structure au sein de laquelle, le répondant travaille et le public qui y est accueilli
  • La notion de savoir habiter et les approches pour le mesurer
  • L’accompagnement au savoir habiter des personnes atteintes de troubles psychiques
  • Les représentations du public accueilli sur la question de l’habiter
  • Les spécificités d’  « un chez-soi d’abord » et son efficacité notamment sur le rétablissement de la santé psychique de l’individu
  • Les compétences pouvant être acquises par les personnes atteintes de troubles psychiques
  • La réhabilitation psychosociale
  1. La population interviewée (professionnels du secteur)

Les entrevues ont été menées auprès de quatre professionnels du secteur dont les profils sont présentés dans le tableau suivant :

Tableau 1 : Profil des répondants

Profil
1Travailleur dans un centre d’hébergement
2Assistante sociale dans un centre hospitalier en santé mentaleExpérience à l’hôpital où elle a exercé plusieurs poste en intra- et extra-hospitalierMission en intra-hospitalier dans un service d’hospitalisation en soins libres – intervention dans toutes les unitésIntervention pour un logement inclusif depuis décembre 2018
3Coordinateur dans un CHRS qui accueille aussi les Ukrainiens et les hommes auteurs de violence conjugale depuis un an13 ans d’expérience dans un accueil de jour d’un CHRS
4Travailleuse sociale dans une association à but non lucratif de droit commun avec plusieurs dispositifs dont le « housing first », « lieu de vie » où elle travailleDans le housing first, elle offre un accompagnement en soutienPeut intervenir aussi dans d’autres domaines comme la démarche sociale, accompagnement s’il n’y a pas de référent désigné pour la personne

L’anonymat des répondants a été respecté. Ces personnes ressources travaillent dans des structures différentes, avec des missions différentes. Les caractéristiques de leurs établissements sont résumées dans le tableau qui suit.

Tableau 2 : Structures des établissements où les personnes interviewées travaillent

Caractéristiques et missions de l’établissementPublic accueilli
1Centre d’hébergementMissions extra-hospitalières pour adultes (précarité et accès aux soins)Missions de centre médico-psychologiqueMission d’hôpital de jour pour les adultes autistesAdultes avec des troubles du spectre autistique accueillis dans tout le départementPersonnes sans logement dans le nord du départementAdultes diagnostiqués avec des troubles psychiatriques ou psychiquesPersonnes en situation de précarité qui n’accèdent pas aux soinsTrès peu de mineurs (entre 16 ans et demi et 17 ans)
2Centre hospitalier en santé mentaleProposer des soins auprès de patients accompagnés dans le cadre d’une mission de service publicTout public de 0 ans à la fin de viePublic hétérogène (hommes, femmes, insérés professionnellement ou non)Présente des problèmes de santé mentale : état dépressif réactionnel, accident de la vie, pathologie psychiatrique plus ou moins stabilisée, plus ou moins invalidePersonnes en situation d’hospitalisation au long cours
3Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)66 places d’hébergement pour des personnes qui vont être orientées par la suite vers une associationPrise en charge pendant 6 mois avec renouvellementEquipe composée de travailleurs sociaux, en partenariat avec une équipe mobile de psychiatrie, une infirmière spécialisée en addictologiePublic de droit commun (pas de demandeurs d’asile)Familles ou couples avec enfantsPersonnes isoléesPas de profil type des personnes accueilliesPersonnes adultes de 18 à 85 ansHommes et femmes victimes de violencesHommes en détentionTravailleurs qui se retrouvent à la rueDes personnes qui sortent de la psychiatriePersonnes qui avaient une famille puis se sont séparéesPlus de 50% du public ont moins de 30 ans30% du public avec des troubles psychiques voire psychiatriques
4Association à but non lucratifEquipe pluridisciplinaire (2 travailleurs sociaux, infirmière, psychologue)Lieu de vie et espace communautaire23 personnes accompagnéesPersonne de droit commun, avec un parcours d’errancePersonnes atteintes de psychopathologie, de troubles psychiques, d’addictionGrande précarité, sans domicile, avec plusieurs passages en institution, ou passage à la rue pour certains
  1. Analyse de contenu

Une fois retranscrites, les données ont fait l’objet d’analyse de contenu. L’analyse de contenu fait partie des méthodes d’analyse de données textuelles, consistant à faire une analyse thématique d’un corpus. Cela implique l’identification des thèmes, puis la production de verbatim. Le chercheur est amené à faire des déductions et des inférences lors de l’analyse de contenu. L’analyse du contenu cherche à donner du sens aux propos des personnes interviewées (Krief & Zardet, 2013 : 221). Ainsi, cette méthode d’analyse qualitative a pour objectif de tirer des informations qualitatives à partir d’un corpus. Elle veut également identifier les thèmes émanant du corpus. Le corpus peut être de différentes natures : articles, discours, ou encore de transcriptions d’entrevues (Leray & Bourgeois, 2016).

  1. Résultats

L’analyse du corpus a fait émerger les thèmes suivants qui étaient déjà inscrits dans le guide d’entretien avant l’entretien proprement dit : le savoir habiter, l’autonomie et son évaluation, l’accompagnement au savoir habiter des personnes avec des troubles psychiques, les caractéristiques du public SDF avec des troubles psychiques, les différences de représentations entre professionnels accompagnateurs et accompagnés sur la question de la représentation de l’habiter, le logement d’abord, la réhabilitation sociale. Les réponses aux questions posées concernant ces différents thèmes ont conduit à l’émergence d’autres thèmes qui n’étaient pas initialement prévus lors de l’entretien avec les professionnels. Il s’agit de l’enjeu relatif à l’habitat pour les personnes atteintes de troubles psychiques, les rapports des professionnels entre eux et leurs rapports avec les personnes qu’ils accompagnent, les représentations des professionnels concernant l’habitat qui pourrait améliorer l’état de santé psychique du patient, la définition du patient chronique et les freins qui les empêchent d’accéder aux soins, les problèmes de l’hôpital aujourd’hui, les moyens qui pourraient aider les patients à s’insérer dans un projet d’habitat, les prérequis à atteindre pour le public atteint de troubles psychiques et les possibles effets de la transparence sur l’accompagnement des patients avec des troubles psychiques. Certaines questions ont été posées aux répondants en fonction de leurs profils et de leurs années d’expérience dans le domaine. L’interviewée n°2 a donné le plus de réponses en-dehors des thèmes initialement déterminés au cours de l’entretien. 

  • Les enjeux relatifs à l’habitat

Autant, les SDF constituent un groupe hétérogène, autant leurs histoires et leurs accompagnements sont aussi différents d’une personne à une autre. Chaque personne a ses propres enjeux et par conséquent, tous les répondants ont souligné la nécessité de considérer les enjeux et l’accompagnent « au cas par cas ». Tous les répondants avaient donné des exemples qui montrent les enjeux relatifs à l’habitat des personnes présentant des troubles psychiques. Cependant, cette question a été directement posée à l’interviewée n°2 qui a mis l’accent sur la stigmatisation des SDF et les raisons pour lesquelles, cette stigmatisation porte atteinte à l’accès aux soins comme elle l’affirme : « La stigmatisation là, déjà alors, de stigmatiser la maladie psychique. Ce serait déjà franchement, ça éviterait beaucoup de portes fermées à nos patients. Ça va être de développer encore et toujours ces dispositifs : logement inclusif, habitat inclusif ».

Cependant, ce ne sont pas uniquement l’enjeu social relatif à la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques qui constitue le seul enjeu pour l’habitat de ces personnes. L’interviewée n°2 a soulevé la question logistique : « C’est ces alternatives, ces logements alternatifs qui permettent d’avoir une place dans la cité, mais avec une réponse aux besoins de nos patients et ça va être aussi de pouvoir continuer à proposer une réponse médicale et que la psychiatrie peut toujours au moins exister. Proposer des rendez-vous en CMP (Centre Médico-Psychologique) est de plus en plus compliqué aujourd’hui avec le nombre de postes de psychiatres vacants ».

Pour le reste des répondants, l’enjeu réside sur les compétences de l’individu à habiter dans un logement. L’interviewé n°1 a rapporté : « Il existe des gens qui vont se sentir très bien dans un endroit, mais qui va insécuriser tout l’entourage, tout à fait par l’encombrement par exemple. Il y avait un gars, il squattait dans le passage derrière l’hôtel primo bon bah ! Pour lui, c’est là où il vit. Pour les autres, c’est insupportable, c’est une nuisance pas possible. Moi, en tant qu’assistante sociale, je ne vais pas me contenter de son bonheur de vivre là, je vais quand même nous renvoyer à l’ordre public ». Mais ces compétences ont été perdues à cause de la condition particulière exigée par la vie dans la rue. L’interviewée n°4 s’exprime sur ce point : « … pour ceux qui ont vécu un certain temps à la rue, ils n’ont plus forcément les codes pour se retrouver entre quatre murs. Autant qu’on pense que la rue c’est pas sécurisant, et qu’on n’est pas en sécurité ; parfois, c’est le logement qui peut provoquer cette impression parce qu’ils se retrouvent enfermés, seuls, livrés à eux-mêmes, où il n’y a plus d’interactions avec les autres, où c’est calme, trop parfois, trop calme. Vous dormez dans un lit, c’est pas possible tout de suite. Du coup, on va les installer au sol et après, avec le temps, ça vient, mais voilà. Il y a des habitudes de vie à reprendre ». Cela nous conduit au deuxième thème qu’est le savoir habité.

  • La notion de « savoir habiter »

Chaque répondant avait sa propre définition du savoir habiter. Leurs propos sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3 : Les définitions du savoir habiter

N° interviewéVerbatims des définitions du savoir habiter
1Savoir occuper un lieu sécure pour soi et pour les autres, de façon suffisamment adapté
2Je dirais sur le savoir habiter, favoriser une réussite. Le savoir habiter, je dirais, que déjà si la personne ne se laisse pas mourir de faim chez elle, qu’elle arrive à sortir, qu’elle respecte l’environnement à savoir, qu’elle a des relations sans problème avec le voisinage, on est déjà pas mal (…) Le savoir habiter ça va être quand effectivement, la personne va arriver à trouver ses repères, se sentir bien chez elle, se sentir bien dans son environnement et ne pas avoir envie de partir de là où elle vit.
4Le savoir habiter, c’est la capacité des personnes à différents niveaux : déjà d’investir dans le logement, de l’aménager. Ce n’est pas juste un toit. Qu’est-ce qu’elles font dedans ? Ce sont les capacités aussi à pouvoir entretenir son logement, à vivre dedans, en bonne santé et en sécurité. C’est la capacité à être en interaction avec le voisinage avec différents interlocuteurs, la capacité à gérer le budget ; s’il n’y a pas de mesure de protection, à avoir la notion de payer le loyer, les charges, les assurances. Qui je peux appeler si jamais ma chaudière est panne et ça va jusque dans le quartier (…). Ça ne va pas être juste la maison, mais aussi l’intégration. Qu’est-ce qu’il y a dans mon quartier ? La vie dans le quartier (…). Le savoir habiter, ça va être différent à chaque personne.

D’après le tableau ci-dessus, le savoir-habiter correspond à un ensemble de compétence du futur habitant du logement. Il ne s’agit pas d’occuper un lieu, mais aussi d’interagir avec les autres en les respectant. Le savoir habiter implique entre autres, une capacité de l’habitant à trouver ses repères dans le quartier pour qu’il puisse adopter les comportements les plus appropriés lorsqu’il rencontre des problèmes à la maison, comme les pannes techniques par exemple. En d’autres termes, savoir habiter implique une certaine autonomie de la part de l’habitant du logement.

  • Evaluation de l’autonomie de la personne présentant un trouble psychique

Les entretiens ont fait émerger différentes techniques ou démarches pour évaluer l’autonomie de la personne. Pour l’interviewée n°1, il est impératif de ne pas stresser la personne à évaluer en lui mettant une pression sur le temps ou le moment de la visite à domicile. D’autre part, il s’est avéré plus fructueux de ne pas laisser à la charge d’une seule personne la visite à domicile. Il convient d’assigner plusieurs personnes pour faire la visite. Ainsi, l’interviewée n°1 a dit : « Si tu le fais tranquillement sur la durée, une fois c’est toi, une fois c’est ta collègue, une fois c’est ton partenaire. Ben ! à la fin, ça se passe tout seul, tranquille ». Pour l’interviewée n°3, l’évaluation se fait en premier lieu par l’observation dans le cadre collectif. Les observations peuvent se faire en-dehors des visites à domicile notamment, durant les ateliers de cuisine. Les professionnels évaluent certains indicateurs comme l’autonomie de l’individu dans la réalisation des tâches quotidiennes, la préparation de leur nourriture, la propreté, les relations avec les voisins, le paiement de la participation à la nourriture. Les capacités administratives de l’individu peuvent être utilisées pour évaluer son autonomie : sa capacité à faire ses déclarations trimestrielles. Comme les anciens SDF peuvent montrer de nombreuses incapacités, « il y a aussi des compétences à redévelopper, à retravailler » selon l’interviewée n°4. Cela passe par l’accompagnement au savoir habiter.

  • Accompagnement au savoir habiter

Les réponses des interviewés tendent à dire que l’accompagnement au savoir habiter est différent chez les personnes atteintes de troubles psychiques et ceux qui n’en sont pas atteint. Mais dans tous les cas, l’accompagnement est pluridisciplinaire et se fait au cas par cas, en fonction des besoins de la personne à accompagner. Les actions collectives ne sont pas entreprises. Mais la collaboration d’autres professionnels notamment, des infirmiers de l’hôpital est fortement sollicitée par les professionnels interviewés. Cette collaboration permet aux acteurs sociaux de mieux comprendre la personne qu’ils accompagnent comme le témoigne l’interviewée n°3 : « Je te donne un exemple d’une personne qui a des troubles psychiatriques et pour nous, on voyait une autonomie dans le logement donc, on essaie d’avancer rapidement pour l’envoyer en appartement éclaté. Mais la personne refusait et ne nous comprenait pas. En échangeant avec l’infirmier en psy, il nous a donné des pistes en disant voilà, c’est une personne qui craint le changement. Ce n’est pas quelqu’un qui fait exprès. Il faut travailler ça tout doucement avec lui, le faire visiter. C’est quelqu’un qui craint le changement ».

En soulevant cette question de l’accompagnement des anciens SDF ayant des troubles psychique, les difficultés rencontrées par les professionnels dans le cadre de l’accompagnement ont été évoqués. Le premier obstacle à l’accompagnement comme l’a dit l’interviewée n°3, c’est la peur du changement, exprimée verbalement ou non par la personne à accompagner. Se pose ensuite le problème du refus d’accompagnement par la personne. Ainsi, l’amélioration de l’adhésion de la personne au soin ne peut se faire que par l’implication de toute l’équipe pour gérer la situation et pour trouver une solution ensemble en étudiant le cas de la personne. D’autre part, l’interviewée n°3 suggère « un peu de contrôle. On ne va pas se voiler en force quand même. (…) On a essayé d’encourager, il faut que ça soit gérable dans le collectif. Après, le fait que le soin vienne vers eux, c’est plus facile ».

L’accompagnement est individuel et se fait à travers les visites à domicile selon l’interviewée n°4. L’interviewé n°2 a apporté plus de détails concernant l’accompagnement des personnes avec des troubles psychiques : « Je dirais ça va être plus je vais adapter mon accompagnement en fonction du niveau de déficience. Je vais aussi adapter mon vocabulaire, la durée de mes entretiens, de mes accompagnements, le nombre d’objectifs aussi. Je vais être plus dans un accompagnement avec des objectifs qui vont de façon graduelle, plutôt que de travailler plusieurs choses à la fois et surtout, je vais adapter mon langage à mon accompagnement ».

Mais cet accompagnement, devrait être minimal pour développer l’autonomie de la personne accompagnée. L’interviewée n°1 a doit à ce propos : « OK, moi je vous accompagne sur ça. Vous me demandez ça ou on se met d’accord sur ça. Vous avez conscience que voilà…. Ça fait partie de l’autonomie ça que les gens se rendent compte… ». En fonction des constatations lors des visites à domicile, le professionnel social peut prendre des décisions qui vont aider la personne. Ainsi, l’interviewée n°4 a dit : « Parfois, quand on vient au logement et qu’on observe que l’état du logement qu’il faut agir, on ne va pas l’aborder de suite sinon, ils vont se braquer (…). Des fois, d’une façon informelle, à un autre moment et des fois, on va aussi jusqu’à une aide, à les aider à faire avec eux si c’est par un manque de compétences, parce qu’ils ne savent pas faire. (…) Elle voilà, le logement, il n’est pas propre. Il faudrait passer un coup de balai, un coup de serpillère et des fois, ça va suffire. Et d’autres, il faut faire avec eux. Par contre, nous, on ne va pas faire avec eux tout le temps c’est-à-dire qu’on va le faire pour acquérir, lancer et après, si on voit que ça reste la même dynamique et qu’on n’y arrive pas, là, on peut faire appel à des aides à domicile pour maintenir le logement ».

Les entretiens ont fait sortir un autre thème inattendu : les relations entre les professionnels et la personne accompagnée dans le cadre de l’accompagnement. Il s’agit d’une relation qui tient compte des décisions de la personne accompagnée. Celle-ci est libre de refuser l’accompagnement. Il s’agit aussi d’une relation dans laquelle, les deux parties doivent comprendre les enjeux et les finalités pour se mettre d’accord. Cela demande une posture d’écoute et de flexibilité de la part des professionnels car, ils sont dans une situation où ils ne connaissent pas tout et ne doivent ni parler ni décider au nom de la personne accompagnée. C’est ce qu’a affirmé l’interviewée n°1 : « Je fais attention à la personne, à ce qu’elle dit. Je fais attention à la personne encore en précarité ou pas. Ce qui m’intéresse, c’est pas ce que je vais lui raconter, mais ce qu’elle va me dire. (…) Tu poses ton évaluation, tu as ton diagnostic social, tu peux faire ton évaluation sociale et réfléchir en quoi tu peux aider ou pas. En quoi c’est légitime ou pas. Du coup, tu vas vers la personne, où elle est ». D’après l’interviewé n°1, c’est le professionnel qui doit aller vers l’accompagné. La patience est une autre condition dans l’établissement de cette relation d’accompagnement. En effet, les répondants ont tous souligné l’importance de ne pas brusquer la personne à accompagner de peur que celle-ci n’adhère plus au soin ou n’écoute plus le professionnel. La personne à aider peut se méfier des professionnels et parfois, plus de temps est requis pour installer la confiance entre le professionnel et le public atteint d’un trouble psychique. La relation entre le professionnel et l’accompagné, mais aussi, les différences de rapport avec le logement pourraient découler d’une différence de représentation entre les accompagnateurs et les accompagnés.

  • Différence de représentations entre les professionnels et les personnes accompagnées sur le rapport au logement

Deux interviewés sur quatre ont clairement reconnu que les professionnels et les personnes accompagnées avaient une représentation différente de ce qu’est le logement et entretiennent des rapports différents au logement. Ils ont également admis que la reconnaissance du rapport et des représentations de l’accompagné sur le logement est importante. Ainsi, selon l’interviewée n°4, « On a tous des rapports bien différents et ça, faut en avoir conscience sinon, on vient avec nos critères à nous, nos exigences à nous, nos attentats à nous et du coup, on va mettre quelque chose qu’ils ne peuvent pas atteindre forcément parce que c’est trop élevé ». Pour l’interviewée n°3 aussi, peu importe les représentations antérieures sur les SDF et surtout, sur les personnes qui ont des troubles psychiques, il est indispensable de tenter de les aider car « ça vaut le coup d’essayer ».

  • Le logement d’abord et ses effets sur les SDF avec troubles psychiques

Toutes les personnes interviewées ont toutes connu les principes du «logement d’abord ». Une seule personne (n°2), n’a pas de recul par rapport à ce dispositif et ne pouvait pas de ce fait, comprendre les effets de celui-ci sur les personnes SDF atteintes de troubles psychiques. Pour le reste, le « logement d’abord » est particulièrement avantageux dans la mesure où il oblige tous les acteurs sociaux et sanitaires à avoir une autre vision de la prise en charge de ce public. Ainsi, pour l’interviewé n°2, c’est « un changement de paradigme total ». Trois personnes sur quatre ont reconnu que le « logement d’abord » avait des effets positifs dans l’accompagnement à l’habiter parce que le logement aide la personne à mieux s’impliquer dans l’accompagnement. Selon l’interviewé n°3, « C’est plus facile de travailler à travers le logement parce que quand quelqu’un est dans la rue, tu peux mettre tous les rendez-vous que tu veux, c’est difficile de pouvoir rentrer dans un projet de soins, si t’as pas de logement ». Malgré cette enthousiasme des répondants sur les avantages du logement d’abord, force est de constater qu’ils n’ont pas écarté définitivement la possibilité d’adopter l’approche en escalier pour l’accès au logement. L’interviewée n°1 en explique la raison : « La même façon pour la question d’après la logique du parcours en escalier et du logement d’abord, qui, selon le cas, il y en a vraiment je pense, que c’est aidant, d’autres, c’est explosif (…) Je pense que le parcours en escalier a encore du sens pour certains. D’autres en logement d’abord, ça va sécuriser. D’autres, ils ont besoin de relation et un recadrage institutionnel, du collectif s’il n’est pas trop vulnérable ». Ainsi, le logement d’abord ne peut pas être recommandé à chaque fois. Tout dépend du profil du patient.

  • La réhabilitation psychosociale

Mis à part l’accompagnement, le dispositif « logement d’abord », la réhabilitation psychosociale a été aussi évoquée. Il s’agit d’ « un ensemble de procédés visant à obtenir un niveau de vie et d’adaptation satisfaisant par rapport aux attentes, en fonction du besoin ». Elle met la personne accompagnée au centre de sa propre guérison, en reconnaissant, qu’elle a aussi ses compétences et ses aptitudes comme le souligne l’interviewée n°2 : « C’est la rencontre avec la personne et de partir, de construire avec elle et pas nous montrer en tant que sachant, en disant bon, nous on est là, on va te dire tu vas d’abord faire ci, faire ça ». C’est la personne elle-même avec ses compétences qui constituent selon l’interviewée n°2, les prérequis à mettre à la disposition du public atteint de troubles psychiques : « les prérequis, ce sont les ressources de la personne ».

  1. Discussion

Les entretiens semi-directifs avec les professionnels confirment ce qui a été rapporté dans la revue de littérature en ce qui concerne la complexité de l’habiter. Les propos des répondants ont entre autres mis l’accent sur l’importance du logement pour accompagner les personnes souffrant de troubles psychiques, d’améliorer leur état mental et physique. Cela pourrait montrer de ce fait, l’avantage du logement d’abord, par rapport à d’autres dispositifs qui prônent le traitement d’abord pour ce genre de public. L’encouragement des répondants à adopter le logement d’abord est en accord avec les recommandations d’autres articles. Une revue de littérature a montré en effet, que l’approche « logement d’abord » aide l’individu à occuper pendant une longue durée une maison. Cependant, ses effets sur la qualité de vie, la satisfaction du bénéficiaire et sur le taux de criminalité n’ont pas fait consensus (Beaudoin, 2016 : 56). Cela pourrait être la raison pour laquelle, tous les répondants à cette étude n’ont pas totalement écarté la possibilité d’adopter le parcours en escalier pour certaines personnes dont la santé mentale ne leur permet pas de gérer un logement.

La relation d’accompagnement est aussi à reconsidérer. Certes, les répondants ont souligné une fois de plus l’importance de cette relation d’accompagnement et les démarches diverses qui permettent de le faire. Dans cette relation, le professionnel et l’accompagné jouent tous deux des rôles notables. L’accompagné n’est pas uniquement la personne malade, mais elle est également un être humain à part entière qui a des droits et des compétences. Ainsi, les démarches d’accompagnement ne devraient jamais considérer ou mettre l’accompagné en situation de vulnérabilité. Le risque avec l’accompagnement en effet, c’est que l’individu perde son autonomie et qu’il se sente piégé dans un environnement social normatif où chacun de ses gestes est scruté (Deries, 2014 : 6).

L’accompagnement et la réhabilitation sociale constituent tous deux, des moyens pour aider la personne non seulement à accéder à un logement, mais aussi à s’y maintenir. Dans le cadre de notre étude, le respect de la personne et la considération et reconnaissance de ses compétences s’avèrent cruciales pour que l’individu adhère aux soins, et s’implique dans l’habiter dans le logement. Ainsi, le logement d’abord marque un important changement dans le processus de rétablissement des personnes atteintes de troubles psychiatriques et ne disposant pas de logement. Il marque également, un changement dans la manière de percevoir les troubles psychiques eux-mêmes et les patients atteints de ces troubles. Le logement d’abord favorise le rétablissement des patients par et vers le logement. Il est admis que ces personnes ont aussi une capacité à aller mieux même si elles souffrent de troubles psychiques sévères. Cette manière d’appréhender la question de l’habitation pour les SDF souffrant de troubles psychiques ne s’oppose pas aux conclusions des médecins qui disent que certains troubles mentaux ne peuvent plus guérir. Elle cherche seulement à faire la distinction entre le pronostic de la maladie qui peut être critique, et l’avenir du patient. Le rétablissement ici est à prendre dans le sens du mieux-être de la personne. A cela pourrait s’ajouter les changements des pratiques des professionnels de la santé et du social. Cette nouvelle démarche devrait réduire la stigmatisation des personnes atteintes de troubles psychiques (Gilliot, Chambon & Aubry, 2021 : 218).

Conclusion

Les prérequis contribuant à l’habiter des SDF atteints de troubles psychiques ne résident pas uniquement dans les dispositifs politiques et sociaux mis en place pour les aider, mais dans les ressources de la personne à loger elle-même. Nous avons analysé dans le cadre de cette étude, les moyens et les approches telles que le logement d’abord, le parcours en escalier, l’accompagnement des personnes dans l’accès et le maintien dans le logement. Seulement, les professionnels se heurtent à des obstacles qui proviennent de la personne elle-même : son refus d’aide, son manque d’implication dans le maintien dans le logement. Cela permet de conclure que les prérequis les plus sollicités dans l’accès et le maintien dans le logement proviennent du bénéficiaire lui-même.

Seulement, nous avons montré tout au long de notre réflexion, que ces ressources détenues par la personne SDF souffrant de troubles psychiques pourraient être détruites ou diminuées par les troubles eux-mêmes et aussi par le facteur environnemental et le facteur temps. L’environnement et le temps en effet, contribuent à développer et à ancrer chez le SDF des habitudes de rue qui lui font perdre sa capacité à se maintenir dans un logement. Les ravages des troubles mentaux sur le corps et sur les fonctions cognitives de la personne elle-même amenuisent aussi la capacité de la personne. L’accompagnement dans ce cadre est requis pour aider la personne à se rétablir. Ainsi, les deux hypothèses que nous avons posées, ont toutes deux été confirmées.

Notre étude contribue à une meilleure compréhension du phénomène de sans-abrisme et des enjeux auxquels se trouvent confrontés, les professionnels qui doivent accompagner les SDF atteints de troubles psychiques. Elle ouvre la voie, ou tout au moins, des pistes de réflexions pour les professionnels pour les aider à mieux prendre en charge ce public particulier. Néanmoins, les données qui ont été recueillies dans cette étude ont été générales puisque les SDF constituent un groupe très hétérogène. De plus, les troubles mentaux se manifestent de différentes manières. Face à ces faits, nous serions tentés de dire que si cette étude peut contribuer à une réflexion générale sur ces question, il n’en reste pas moins qu’il est indispensable de continuer cette réflexion, en ciblant un trouble psychique déterminé. Nous supposons en effet, que l’accompagnement des entendeurs de voix ne peut pas être le même que celui des punks à chiens. De même, le parcours et l’accompagnement du grand exclu ne peut pas être similaire à celui d’un migrant, d’où l’importance d’affiner plus la recherche dans le cadre d’une étude ultérieure.

Bibliographie

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3 Idem.

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