Comment rédiger votre mémoire de Psychologie ?

Cet exemple de mémoire vise à vous donner un aperçu des attentes académiques relatives à la rédaction de mémoire dans ce domaine de compétence.

Titre : La verbalisation des professionnelles de la petite enfance

Introduction

Dans de nombreux pays développés, les parents travaillent si bien qu’ils n’ont plus assez de temps pour s’occuper de leurs enfants. Ces derniers sont alors envoyés à la crèche (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). Les enfants peuvent être accueillis dans une crèche collective publique ou privée. Mais dans tous les cas, l’enfant passe d’une sphère familiale, vers une sphère sociale et professionnelle. Dans ce lieu d’accueil des enfants, la qualité de l’environnement et de l’accueil des enfants prend le dessus par rapport à l’attribution de soin dans un but hygiénique ou dans un but de protection somatique (Binet, Weigel et Le Nestour, 2007 : 208). 

La crèche tient plusieurs rôles en tant qu’espace social d’éducation, espace de développement de l’enfant. C’est un lieu où plusieurs acteurs avec des intérêts divergents interagissent. Au centre se trouve l’enfant, puis, leurs parents et les professionnelles. Il est indispensable de répondre aux différentes aspirations de ces différents acteurs, sans risquer de faire une intrusion vers les intérêts des autres parents. La crèche peut donc aussi devenir dans certaines mesures, un lieu de conflits et d’affrontements (Ulmann, 2012 : 53).

Les professionnelles de la petite enfance qui prennent soin des enfants confiés à la crèche, sont majoritairement des femmes, dont le statut est peu reconnu par les acteurs externes, notamment les parents. Souvent, leurs interventions sont perçues comme limitées à la réalisation d’une tâche domestique. Ce manque de reconnaissance et ce stéréotype négatif des professionnelles de la petite enfance, les pousse souvent à rester dans le silence. Mais ces professionnelles sont mises sous la pression de deux dimensions différentes du travail à la crèche : la relation de service et la relation du travail de care (Ulmann, 2012 : 48-49).

Le langage constitue une faculté humaine importante dans la mesure où il lui permet d’acquérir des connaissances sur des choses qu’il n’a pas forcément vues. Chez les très jeunes enfants en particulier, le langage est crucial pour obtenir des informations (Özdermir et Ganea, 2020 : 2). Ce ne sont pourtant pas les enfants qui sont les seuls à avoir besoin de mettre des mots sur ce qu’ils pensent. Bien au-delà de la parole et du langage, les professionnelles ont également besoin de s’exprimer, de verbaliser pour se faire entendre et pour trouver une solution aux difficultés qu’elles rencontrent. Or, la crèche ne constitue pas toujours un espace alloué à la discussion et aux échanges (Ulmann, 2012 : 48-49). Et pourtant, peu d’études se sont penchées sur la question de la verbalisation comme geste de métier chez les professionnelles de la petite enfance en crèche. Cela nous amène donc à la question suivante : Comment l’intervention en psychologie du travail permet-elle de développer la pensée des professionnelles en crèche sur les différents usages qu’elles font de la verbalisation comme gestes de métier ?

Cette étude comporte trois parties. Dans la première partie, je vais présenter le terrain de l’intervention et la problématique que je vais tenter de répondre. La deuxième partie correspond à la revue de littérature. Dans cette partie, je vais développer les principales notions qu’il convient de connaître pour mieux appréhender notre intervention notamment, le développement de l’enfant et la contribution du langage dans ce processus, le travail en crèche et le développement de la pensée professionnelle. Dans la dernière partie, je vais faire un retour sur mon intervention au sein de la crèche.

Partie I. Présentation de l’intervention et problématique dégagée

  1. Présentation du terrain d’intervention et séances d’observation
    1. Présentation du terrain, des modalités et du cadre de l’intervention

Mon intervention sur terrain est réalisée dans le champ de la clinique de l’activité, en vue d’obtenir le titre RNCP Niveau I psychologue du travail. Pour atteindre cet objectif, la confrontation des connaissances théoriques et de l’expérience personnelle avec l’épreuve du terrain constitue une démarche indispensable. Sensibilisée sur la nécessité de « sortir de sa zone de confort » en choisissant un terrain éloigné de nos expériences professionnelles présentes ou passées, mon binôme et moi avons choisi de nous tourner vers le domaine de la petite enfance.

Le terrain d’intervention est une crèche bilingue (anglais/français) située dans les Hauts de Seine. Il s’agit d’une crèche historique et pilote d’un Groupe de crèches. Le Groupe se compose de cinq crèches bilingues (anglais/français), réparties en Île-de-France. Cinq autres sont encore en projet d’ouverture. Le Groupe base sont projet éducatif sur les pédagogies « nouvelles » comme celles avancées par Reggio Emilia selon laquelle, l’enfant est un protagoniste. Dans ce cadre, le jeu est un moyen d’éveil tandis que l’environnement est un outil. Le groupe se base également sur l’éveil et l’épanouissement des différentes sensibilités de l’enfant dans le respect de son propre rythme, évoqué par Maria Montessori ; ainsi que sur les études d’Emmi Pikler (Loczy) sur la verbalisation, le jeu libre et l’activité autonome.

La crèche où les interventions ont eu lieu peut recevoir jusqu’à 36 berceaux, répartis en deux sections : la section des « petits » et celle des « moyens grands ». La première section regroupe les enfants de 2.5 jusqu’à environ 18 mois ou lorsque la marche est acquise. La deuxième section rassemble les enfants de 18 mois environ jusqu’à l’entrée en maternelle. 

La crèche emploie dix professionnelles de la petite enfance, un agent de services dédié aux repas, à l’entretien et au linge. Les différentes activités et les ressources de la crèche sont placées sous la responsabilité de la Directrice. Les professionnelles de la petite enfance travaillent à temps plein (35 heures) ou mi-temps, en CDI. Elles travaillent par roulement en chevauchements. Quatre roulements existent au sein de l’établissement : l’équipe d’ouverture présente de 8h à 16h, l’équipe « middle matin » de 8h30 à 16h30, l’équipe « middle soir » de 10h30 à 18h30 et celle de fermeture de 11h15 à 19h15.

Toutes les salariés de la crèche sont francophones ou natives anglaises, mais bilingues anglais/français. Les deux langues sont utilisées au quotidien afin que les enfants soient immergés dès leur plus jeune âge dans le bilinguisme précoce simultané, permettant de créer un nouveau système de pensée pour l’enfant, sans passer par la traduction. Toutes les professionnelles sont titulaires d’un diplôme d’infirmier puériculteur, d’éducateurs de jeunes enfants (EJE), d’auxiliaire de puériculture, ou encore du CAP Petite Enfance. Néanmoins, quelle que soit leur formation, elles exercent toutes les mêmes activités et accomplissent les mêmes tâches. Leur spécialisation n’est prise en compte qu’à certains moments seulement.

Après un courriel et quelques relances, nous avons rencontré la directrice de la crèche le 14 décembre 2017, lors d’un entretien riche et ouvert, visant à « élaborer ensemble la mise en place de séances d’analyse de pratiques pour l’équipe ». Lors de cette entrevue, la directrice nous a informés de sa prise de fonction récente, ainsi que des collaborations qu’elle a faites dans le passé, avec des psychologues cliniciens. Ces derniers avaient pour rôle d’accompagner les parents, les enfants et les professionnels. Notre venue constitue donc sa première rencontre avec des psychologues du travail.

La directrice a également fait part des problèmes relatifs à l’analyse des pratiques professionnelles. Pour elle, cela revenait à dire aux professionnelles : « Prenez un temps pour vous faire du bien en tant que professionnelle, pour pouvoir souffler, élaborer, vous poser les bonnes questions, prendre du recul, réfléchir ». Avant même que nous n’évoquions le sujet, la directrice a précisé qu’elle ne participerait pas à nos séances de travail avec les professionnelles, en raison de sa « casquette managériale ». Son but était de ne pas « fausser » le travail effectué et permettre une réelle liberté de parole aux professionnelles afin que « ces temps leur appartiennent », selon les dires de la directrice.

A notre demande, la directrice a souhaité en première intention nous voir travailler sur le « positionnement professionnel ». Nous avons ensuite défini ensemble les modalités d’organisation de notre intervention. Le détachement de l’équipe complète étant impossible, il a été décidé que nous travaillerions par « demi » équipe, c’est-à-dire une fois avec l’équipe de la section des petits et la fois suivante, avec celle de la section des moyens grands, pendant le temps de sieste des enfants.

A l’issue de cette rencontre, la date du 8 janvier 2018 a été retenue comme début d’intervention. 18 séances de travail comprenant deux journées d’observation ont été planifiées entre le 8 janvier et le 18 juin 2018. Le 8 janvier 2018, nous avons validé avec la directrice les dates de nos interventions, à savoir deux journées « courtes » d’observation, quatorze séances de travail d’une heure, une séance « point d’étape » avec la direction à mi-parcours d’intervention et une séance de bilan/restitutions.

Les deux équipes avec lesquelles, nous avons travaillé sont composées au total de dix professionnelles de la petite enfance. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer les professionnelles de la section des moyens-grands et de les présenter et expliquer l’objet de notre présence. Par la suite, ce sont elles qui se sont présentées, et nous les avons écoutées. La section des moyens-grands fait intervenir cinq professionnelles qui travaillent toutes à plein temps. L’une était en congé lors de nos premières séances de travail.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement de l’établissement et la réalisation des missions de la crèche, la directrice nous a fait visiter les lieux et nous a expliqué son fonctionnement. C’est à cette occasion que nous avons aperçu les professionnelles de l’équipe des petits. Mais nous n’avions pas été réellement présentés, ce qui entraîné des difficultés d’intégration pour mon binôme auprès de l’équipe, ainsi que l’ouverture des dialogues lors de nos séances de travail.

Il me paraît nécessaire de préciser que contrairement au cadre requis, nous avons rencontré une autre difficulté. A aucun moment, les professionnelles ne se sont portées volontaires puisque la directrice les a « invitées » à participer à nos séances, par mails en qualité de « participante ». L’ « invitation » faite par la directrice revêt dans ce cas, une forme de convocation ou d’obligation pour les professionnelles. Néanmoins, il me semble que leur travail quotidien leur aurait donné des excuses pour décliner les « invitations » sous divers motifs. Cependant, aucune d’entre elles ne l’a fait. Toutefois, à la fin du travail, elles nous ont confié qu’elles souhaitaient que notre intervention se poursuive. Cela témoigne me semble-t-il, de leur engagement volontaire même si c’était initialement prescrit.

  1. Séances d’observation : le fonctionnement de deux sections et les activités des professionnelles

L’observation était à la base même de notre intervention. Les séances d’observation se faisaient la journée du 15 janvier 2018 pour l’équipe des moyens grands, et le 22 janvier pour l’équipe des petits. Il a été convenu que nos séances d’observations auraient lieu de 8h30 à 16h, quelle que soit la section.

Lors de ces deux journées d’observation, nous avons choisi de demeurer en observateurs silencieux pour laisser « libres » les professionnelles et les enfants. Si le travail en crèche est souvent comparé par de nombreuses personnes, notamment les parents, au fait de « jouer à la poupée toute la journée », il nécessite de la part des professionnelles une attention accrue, une grande vigilance. Il implique de nombreuses tâches et activités qu’il me semblait malvenu d’interrompre. Parmi ces tâches et activités des professionnelles, nous avons noté :

  • Les transmissions aux parents: Cette tâche consiste à noter le matin, les informations sur l’enfant, sur son weekend, ses repas, son sommeil, sa santé. Le soir, cette transmission portait sur la journée de l’enfant à la crèche (déjeuner, sommeil, goûter, changes, comportements, etc.).

Les transmissions peuvent être un moment propice aux échanges entre les professionnelles et les parents pour évoquer les progrès de l’enfant, les problèmes rencontrés, les relations de l’enfant à autrui. Néanmoins, les professionnelles ont mentionné à plusieurs reprises les difficultés qu’elles éprouvent pour construire un dialogue de qualité avec certains parents.

  • Les changes : Ces activités portent sur l’hygiène de l’enfant : changement de couches, accompagnement de l’enfant aux sanitaires, nettoyage du nez, déshabillage/habillage des enfants au moment de la sieste, prise de température, prise de médicaments, application de crèmes, etc.
  • Les activités motrices, créatives ou musicales portant sur l’éveil de l’enfant : Cette tâche est principalement réservée à la section des moyens grands. Pour favoriser l’éveil de l’enfant, la crèche a une salle de motricité, ainsi qu’une salle d’activités dédiée aux arts plastiques. La lecture, les chants mimés ou non, ainsi que la musique ont lieu dans chaque section, dans un espace aménagé à cet effet. Les autres activités telles que les jeux de cubes, les puzzles, légos, assemblages, etc. ont lieu en section.
  • Les repas (déjeuner, goûter, voire collations) ont lieu en sections. La crèche a pour partenaire un restaurateur traiteur nutritionniste bio qui livre les plateaux chaque jour. L’agent qui s’occupe du repas doit ensuite les réchauffer, les répartir en plateaux et les distribuer en tenant compte des allergies ou intolérances éventuelles des enfants. Les plateaux sont destinés à toutes les sections. Les menus sont diversifiés et sont adaptés aux âges des enfants. Pour les plus petits qui boivent exclusivement du lait au biberon, l’agent dédié aux repas ou les professionnelles les préparent en veillant à ce que la température soit adéquate.
  • L’éducation du jeune enfant : Cela consiste à les rassurer, les éveiller, les protéger, les câliner, leur apprendre, leur expliquer, sanctionner, répéter, veiller, surveiller, etc.

Après avoir obtenu l’autorisation, nous avons enregistré ces journées sur un dictaphone. Les enregistrements permettent de réécouter les interventions des professionnelles et de nous remettre dans le contexte de l’observation.

Les deux journées d’observation ont été extrêmement intéressantes et enrichissantes. Elles ont révélées qu’il n’y avait que très peu de différences entre ces deux journées en ce qui concerne les gestes du métier, les tâches et les activités des professionnelles. Par contre, des différences notables ont été remarquées en termes d’accueil, d’ouverture et d’intégration. Comme je l’ai précédemment évoqué, nous avons été présentés à l’équipe des moyens grands, ce qui permettait d’informer l’équipe sur notre présence, notre date d’arrivée, ainsi que l’objet de notre présence. Il n’en était pas de même pour l’équipe des petits qui, bien qu’avisée du fait que deux psychologues allaient rejoindre pour un temps la crèche, n’en savait pas davantage. Par conséquent, les conditions d’accueil à notre arrivée ont été différentes même si dans les deux cas, notre présence a généré l’inquiétude. Lors des séances qui ont suivi les observations, les professionnelles des deux équipes nous ont confié qu’elles avaient l’impression d’être analysées, jugées, évaluées pendant ces deux journées d’observation. En silence.

L’équipe des moyens grands qui nous a rencontrés préalablement, s’est néanmoins ouverte un peu et le travail avec les professionnelles a commencé plus rapidement lors des séances. L’équipe des petits à l’opposé, a mis beaucoup plus de temps pour nous intégrer, pour libérer leur parole et le mouvement avec les professionnelles s’est opéré bien plus tard.

Bien que l’enregistrement a été utilisé pour pouvoir réécouter les interventions des professionnelles et contextualiser l’observation, quelques limites ont émergé. La réécoute des bandes sonores s’est avéré difficile car, les chahuts, les brouhahas, les pleurs, les rires, les chants se mêlent à chaque instant aux propos, échanges, voire « monologues » des professionnelles. La réécoute était également rendue difficile par le passage incessant de la langue française à la langue anglaise et inversement.

  1. Des espaces de discussion aux restitutions
    1. De la commande aux demandes

Les observations devraient avoir des retombées positives pour les professionnelles et aussi, sur les enfants et leurs parents. Mais cela demande un travail collectif et avec le collectif. Notre première séance de travail avec le collectif s’est déroulée le 29 janvier, auprès de l’équipe des moyens grands. Elles sont revenues sur notre journée d’observation dans leur section et ce qu’elles en ont retiré comme impressions, ressentis, voire émotions. A l’issue de cette première séance, dans le but de formaliser le sujet de notre terrain vis-à-vis du CNAM, nous avons adressé un mail à la directrice, où nous avons récapitulé nos échanges du 8 janvier, ainsi que sa commande telles que nous l’avions comprise au travers desdits échanges.

Après lui avoir rappelé certaines de ses propos et après discussion avec un de ses collaborateurs, nous avons reformulé la commande de la directrice comme suit : Comment utiliser le travail en collectif des professionnelles d’une crèche afin de développer leur efficacité et leur autonomie dans le travail au quotidien ? Après la relance faite auprès de la directrice, nous avons choisi de poursuivre notre intervention en partant du postulat que notre reformulation correspondait à sa réelle commande.

La première séance avec l’équipe des petits a eu lieu le 22 février 2018. Cette séance avait pour objectif de leur permettre d’exprimer ce qu’elles ont éprouvé lors de notre journée d’observation. En même temps, la séance visait également à leur présenter et expliquer l’objet de notre intervention, puisque nous n’avions pas eu l’occasion de le faire préalablement.

Ces différentes interventions devaient aboutir à l’émergence des demandes de la part des professionnelles, ce qui a eu lieu à la fin. En accompagnant les professionnelles de l’équipe des moyens grands vers une meilleure connaissance et compréhension des unes et des autres, elles sont parvenues à déplacer les conflits interpersonnels vers des conflits de travail. Elles ont compris l’intérêt d’instaurer dans la durée, un dialogue de qualité entre elles, sans que nous n’ayons à intervenir. D’ailleurs, notre intervention est arrivée à son terme.

Les professionnelles ont fini par exprimer leur souhait pour que notre intervention continue car elle leur «fait du bien » ou « fait cheminer la pensée ». Leur demande principale portait sur la poursuite de notre intervention ou tout au moins, au maintien d’un espace de dialogue portant sur leurs pratiques, leurs gestes de métier, etc.

L’équipe des petits rencontrait des difficultés lors de l’adaptation de nombreux jeunes enfants en peu de temps après le début de notre intervention. Bien qu’elles soient parvenues à y faire face, elles nous ont fait part de leur inquiétude à voir une telle situation se reproduire. Elles nous ont précisé que l’équilibre trouvé au sein de leur équipe était fragile. Elles ont puisé collectivement dans leurs ressources et ont reconnu les risques de « craquer ». Elles perçoivent que le risque est accru en ce qui concerne l’épuisement. Si elles venaient toutes à tomber malades, il y aurait des répercussions sur la crèche et aussi sur la directrice. Elles ont su établir un collectif et se sont soutenues au moment où il y avait des difficultés, alors qu’en d’autres temps, elles se seraient, selon elles, probablement arrêtées de travailler.

Leur demande portait sur l’embauche des « mains » en plus. Conscientes de l’équilibre financier à trouver pour l’embauche d’une personne supplémentaire, même à temps partiel, elles souhaitaient en parler sincèrement, authentiquement, avec la directrice, afin de chercher ensemble des alternatives si une embauche n’était pas envisageable. C’est ce que nous avons tenté de faire au moment des restitutions le 18 juin 2018, en permettant aux professionnelles des deux équipes et à la directrice d’instaurer entre elles une autre forme de dialogue.

  1. Résumé de l’intervention et points saillants mis en exergue au sein de chaque section

A l’issue de notre intervention, je pourrais dire que mon binôme et moi sommes parvenus à intégrer et à être reconnues auprès des professionnelles de la crèche. Cette reconnaissance est essentielle pour la confiance et l’ouverture des professionnelles, ce qui est indispensable pour nous. Ainsi, nous avons constaté au cours de ces six mois d’intervention de réels avancées et développement des professionnelles.

Mais il est important de souligner que les contributions, l’investissement et l’engagement de la directrice ont largement rendu possible les mouvements opérés par les professionnelles pendant notre intervention. C’est elle qui a expliqué le fonctionnement de la crèche, les difficultés qu’elle rencontre. Or, ces informations ont marqué le début de notre réflexion, l’élaboration de notre intervention et la réalisation de notre mission.

Après cette intervention, nous avons constaté qu’en général :

  • Des dialogues professionnels s’étaient mis en place ;
  • Des solidarités s’étaient créées ;
  • Une meilleure connaissance et compréhension des unes et des autres a émergé ;
  • Les professionnelles s’écoutaient différemment à l’issue de notre intervention ;
  • Elles sont parvenues à déplacer les conflits interpersonnels vers des conflits de travail, leur permettant de comprendre que c’est le métier qui parle lorsqu’elles sont en désaccord.

A mon sens, ces différentes évolutions devraient encore se poursuivre même après notre intervention sur terrain. Elles devraient également conduire à des améliorations au niveau des relations des professionnelles avec les parents et avec les enfants.

Après l’intervention, les professionnelles sont parvenues à se demander de l’aide. Or, pour pouvoir s’entraider et pour interpeller ses collègues, il faut oser parler de la source même du problème. Les professionnelles ont pu évoquer des sujets qui ont été rarement abordés car, ils concernent les relations de chacune d’entre elles avec les autres, et les situations qu’elles vivent mais qu’elles perçoivent comme étant incompréhensible pour les autres, ou ne suscitant pas l’intérêt de l’autre. Le fait d’aller vers l’autre et lui exposer ses ressentis et ce qui est vécu en effet, n’est pas chose aisée. Mais à la fin, elles ont pu surmonter les blocages pour dire :

  • « Je ne sais pas comment faire avec toi » ;
  • « Je ne sais pas comment te demander de l’aide » ;
  • « Je ne sais pas comment tu vis tel type de situation ».

Ces expressions permettent d’initier des conversations entre les professionnelles et améliorent la compréhension, le respect et l’aide mutuels. En discutant métier, elles ont pu notamment parler entre elles de leurs pratiques professionnelles, des leurs gestes professionnels et ce dont elles n’avaient pas toujours conscience. Ainsi, des remises en question ont pu émerger à travers les expériences très concrètes telles que le questionnement sur :

  • « Comment fait-on quand tous les bébés pleurent en même temps ? »
  • « Comment améliorer la propreté chez le jeune enfant ? »

Nous avons naturellement interrogé la Directrice sur les changements et les développements qu’elle avait elle-même constatés auprès des professionnelles. Nous l’avons demandé si ceux-ci étaient corrélés avec sa commande initiale. C’est ainsi qu’elle a souligné qu’il n’y avait pas de parti pris ou de prise de position entre les professionnelles pour développer le collectif et l’entraide. Les professionnelles ont construit des ressources collectives, une « boîte à outils » commune et ont développé une capacité à composer désormais avec leurs différences. Elles ont pu mieux communiquer, s’approprient mieux des choses et par voie de conséquence, ont augmenté leur efficacité. La Directrice a ajouté que notre intervention avait lancé une « belle dynamique » et que les professionnelles s’étaient mises dans un nouvel état d’esprit dans leur façon de travailler.

Ainsi, en dépit des difficultés rencontrées au début de notre intervention pour instaurer un cadre propice aux dialogues et s’approprier la posture requise, nous avons su répondre favorablement à la commande de la Directrice et amener les professionnelles à initier une autre forme de discussion avec elle. Je pense donc que les espaces de dialogues sur l’activité que nous avons mis en place dans le cadre de notre intervention ont contribué à permettre aux professionnelles d’une part d’atteindre l’objectif souhaité par la Directrice dans sa commande et d’autre part, d’expérimenter les effets du dialogue instauré entre elles et nous sur le travail.

  1. La problématique dégagée
    1. Questionnements en amont de la problématique

Les questionnements ont émergés suite aux séances d’observation. En effet, tout au long des journées d’observation auprès des deux équipes, j’ai été extrêmement surprise, voire interloquée par le rôle et l’importance de la verbalisation des professionnelles, geste de métier majeur dans le travail en crèche. En revanche, le niveau qualitatif et quantitatif de verbalisation des professionnelles différait considérablement d’une section à une autre. En effet, dans la section des petits, les professionnelles sont presque à chaque instant, dans la verbalisation tant vis-à-vis des enfants que de leurs collègues et parfois même, avec elles-mêmes. Dans la section des moyens grands, la verbalisation est beaucoup moins flagrante et ce, quel qu’en soit le destinataire.

Dans un premier temps, je me suis longuement interrogée sur la raison pour laquelle :

  • D’une part, les professionnelles de la section des petits semblaient verbaliser chaque action, gestes, bruits, pleurs, rires des enfants, mais également chacun de leurs propres gestes et activités ;
  • D’autre part, la verbalisation, nécessaire au développement de l’enfant quel que soit son âge, cessait (ou presque) subitement dès son entrée en section des moyens grands, soit, dès l’acquisition de la marche (ou encore vers l’âge de 18 mois).

Nous avons invité donc les professionnelles à s’en expliquer et à en discuter. En ce qui concerne le premier point, du point de vue des professionnelles de la section des petits, si je connaissais le rôle majeur de la verbalisation auprès de l’enfant dans le cadre de son développement, je n’avais pas mesuré son importance dans toutes ses étapes qu’elles soient psychologiques, affectives, comportementales, relationnelles, etc. Je n’avais pas non plus pris pleinement conscience de la complexité de l’utilisation de la parole pour aider l’enfant, en s’ajustant à son niveau personnel de développement et dans ce qu’il vit, à comprendre les situations, à trouver des solutions, à développer des habiletés sociales. Outre à cela, je n’avais pas bien réalisé à quel point la parole lui permettait également d’acquérir la confiance, la sécurité intérieure et l’autonomie, ainsi que la faculté d’échanger et de communiquer, en stimulant le développement du langage.

En outre, j’ai trouvé intéressante la position des professionnelles de la section des petits. Elles ont expliqué que leur façon de faire au quotidien leur permettait de partager des informations relatives aux enfants avec les autres professionnelles de l’équipe. Parfois, cela leur permettait également de demander du conseil ou de l’aide. Pour les professionnelles, le fait de s’exprimer à haute voix à destination des enfants ou à soi-même permet aux autres professionnelles de la section des petits, d’entendre chaque action menée ou à venir, les difficultés rencontrées, le niveau de compréhension des enfants, etc.

Concernant le deuxième point, il est apparu que les professionnelles de la section des moyens grands n’avaient pas ou peu conscience de « l’appauvrissement » de leur verbalisation.

  1. Emergence de la problématique et présentation de la revue de questions

Les constatations et les premières interrogations énoncées ci-dessus ont stimulé ma réflexion sur plusieurs questions tout au long de l’intervention :

  • Quelles sont les fonctions de la verbalisation en crèche ?
  • En quoi consistent l’activité de verbalisation, ses différentes pratiques et leur évolution ?
  • Pourquoi les usages de la verbalisation semblaient différer d’une section à une autre, voire d’une professionnelle à une autre ?
  • Quels regards portaient les professionnelles sur leurs activités de verbalisation ?
  • Est-ce que les différences de verbalisation observées relevaient d’une prescription ou non ?
  • L’appauvrissement de la verbalisation dans la section des moyens grands pouvaient-il expliquer en tout ou partie les tensions et conflits latents au sein de l’équipe de cette section. En effet, le dialogue instauré entre et avec elles, a permis de mettre en évidence l’émergence de conflits relatifs à une mauvaise communication des informations relatives aux enfants et aux professionnelles et entre elles. Si les informations classiques (heures et types de change, traitement médicamenteux, heures de siestes, repas, etc.) étaient notées et accessibles à toutes, d’autres informations étaient bien souvent passées sous silence notamment, par manque de verbalisation.

Le travail engagé sur le sujet de la verbalisation a donc fait naître des questionnements au sein du collectif. En outre, les termes de « verbalisation », « pratiques », « usages », « pensée », « intervention », « geste de métier », ont émergé à la réécoute des enregistrements et à la relecture des notes des séances d’observation et des séances de travail mises en place pendant notre intervention, ainsi que lors d’échanges avec les professionnelles en dehors des séances de travail. C’est donc naturellement que j’ai souhaité traité de la question visant à comprendre : Comment l’intervention en psychologie du travail permet-elle de développer la pensée des professionnelles en crèche sur les différents usages qu’elles font de la verbalisation comme gestes de métier ? 

Partie II. Revue de littérature

  1. Le rôle du langage dans le développement de l’enfant
    1. Le rôle du langage dans le développement mental

Humboldt compte parmi les auteurs qui ont soutenu l’importance du langage pour le développement des capacités mentales de l’Homme (Losonsky, 1999 : xi). Bien que son œuvre ait fait l’objet de peu d’intérêt, il sert encore jusqu’aujourd’hui dans la pensée sur le rôle du langage. Humboldt considérait en effet le langage comme un outil de communication, mais aussi de cognition et de situation subjective. De ce fait, il intervient dans la pensée, la raison, les idées voire même, du monde entier. Selon Humboldt, le langage constitue la richesse même de la pensée humaine (Pajević, 2016).

Il a été démontré que pour pouvoir se développer mentalement, les enfants ont besoin de fréquentes communications interactives (Healy, 1998 : 137). Lorsque l’enfant joue ou accomplit une autre tâche, il n’est pas rare qu’il soliloque. Le soliloque est admis comme étant un outil permettant à l’enfant d’installer une fonction telle que le raisonnement, les habitudes automatisées, etc. Il joue un rôle crucial dans la construction et l’établissement d’une structure mentale (Beaudichon, 1975 : 379). 

Il n’est donc pas étonnant si à différents stades de développement de l’Homme, les perturbations au niveau du langage marquées principalement par l’appauvrissement du vocabulaire, les incohérences sémantiques ainsi que la réduction de la complexité syntaxique soient associées à des troubles mentaux (D’Alfonso, 2020 : 113). Par ailleurs, les enfants qui n’ont acquis le langage que tardivement montrent des différences neurales avec les enfants qui ont acquis le langage plus tôt. Les enfants qui ont eu un retard pour parler ne peuvent activer que faiblement la zone du thalamus bilatéral et le putamen, l’insula gauche, et le gyrus temporal supérieur pendant l’écoute ou la lecture. Or, ces différentes zones gouvernent l’usage de la parole chez l’être humain (Hawa et Spanoudis, 2014 : 405).

Les relations entre le langage et le développement mental pourraient être expliquées par la théorie émergentiste. A l’instar du cerveau constitué par un système de neurones connectés entre eux, les émergentistes conçoivent la raison comme un réseau de nœuds et des liens entre eux. L’apprentissage du langage est un processus permettant de renforcer les liens entre ces différents nœuds qui forment le réseau. Chaque nœud représente les caractéristiques du langage reliés aux productions (performance). Ce réseau constitue un système dynamique influencé par les changements au niveau cognitif et environnemental (Abbeduto et al., 2006 : 7).

Le développement neural est un processus complexe qui résulte de plusieurs facteurs comme l’acquisition de la motricité, la perception, la cognition, le langage, ainsi que la faculté de régulation psychosociale et l’autorégulation (Burger et al., 2020 : 158). Chez l’enfant, le développement du cerveau est particulièrement rapide pendant les trois premières années de sa vie. Pendant cette période, il a un fort besoin d’entendre, d’écouter, de parler en vue d’atteindre sa capacité intellectuelle, en commençant par sa capacité à communiquer et à socialiser (Zauche et al., 2016 : 329).

Cela rejoint le concept vygotskien du développement qui souligne l’importance du langage et de la mémorisation qu’il considère comme étant une fonction de base pour le développement de l’homme. Cette fonction de base est renforcée par d’autres fonctions pour donner naissance à des systèmes psychologiques complexes. Ces derniers résultent donc de la différenciation du premier système ou fonctions. Il faut remarquer pourtant, que les systèmes anciens ne se résorbent pas pour laisser place à un nouveau système. Ils sont tout simplement transformés tout au long du processus de développement (Schneuwly, 1994 : 282).

Il est probable que l’exposition au langage contribue au développement du cerveau. En effet, il est admis que le développement du cerveau n’est pas uniquement la résultante des gènes, mais aussi des expériences de l’individu avec le monde. Plus il fait de l’expérience, plus il est apte à changer, modifier et mettre à jours les connaissances et les informations qu’il possède. Chez le bébé, l’étape de développement du cerveau se déroule particulièrement, pendant une période sensible pendant laquelle, l’organisation du cerveau est influencée par la qualité des expériences de l’individu. Durant cette étape, si l’individu ne peut pas expérimenter son environnement, il est susceptible que son cerveau ne puisse pas se développer normalement. Dans ce cas, la cécité par exemple, ne permet pas à l’enfant de voir et limite le développement des parties cérébrales qui sont reliées à la fonction de vue. De même, les parties cérébrales reliées à la fonction de langage ne peuvent se développer si la communication avec l’enfant est restreinte. La privation de verbalisation envers un enfant conduit à des déficits verbaux persistants (Goodman, 1987 : 135).

D’autre part, la maturation du cerveau, particulièrement, celle du faisceau de fibres de matière blanche qui est reliée aux régions cérébrales responsables du langage dans le gyrus frontal inférieur conditionne l’acquisition du langage chez le bébé. Le cortex temporal de son côté, est responsable du développement du langage. En d’autres termes, la maturation cérébrale assure l’acquisition du langage chez l’enfant (Friederici, 2017 : 156). De la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, le langage constitue une tâche complexe qui implique plus de zones cérébrales et en même temps, plus d’énergie (Feinstein, 2006 : 269).

  1. Le rôle du langage dans l’apprentissage

Le dialogue avec l’enfant favorise son développement langagier et en ce sens, prend part dans sa construction de la langue. Ainsi, pendant les discussions entre la mère et son enfant, la mère tente de donner une interprétation aux mouvements. Elle peut faire une reformulation de ses gestes pour faire comprendre à l’enfant le sens de ce qu’elle dit. Peu après, l’enfant imite sa mère (Canut, Bocérean et André, 2010 : 1473).

La verbalisation et le langage permet de développer chez l’enfant ses capacités de compréhension et d’apprentissage. Cela inclut le développement de la créativité, de la communication, de résolution de problème, d’analyse, de connaissance, de compréhension. Le langage va aussi de pair avec le développement des facultés sociales de l’enfant (Undiyaundeye et Julius, 2018 : 127). Le langage est désigné comme étant un moyen pour faire émerger la capacité d’apprentissage, d’interaction et de transmission de connaissances chez les êtres humains (Lupyan et Bergen, 2016 : 409).

C’est à travers le langage que les instructions sont données et que les sources d’erreurs sont éliminées. Le langage permet d’expliquer les choses pour ne pas rester dans l’incompréhension. Les connaissances et les informations ainsi transmises influencent le comportement de l’individu. En d’autres termes, le langage permet de guider la personne. Il est plus facile de transmettre les connaissances et de coordonner les actions de chaque individu lorsque ceux-ci partagent les mêmes espaces conceptuels. Et dans cette optique, la création d’un même espace conceptuel dépend de la communication elle-même rendue possible grâce au langage. C’est aussi à travers lui que les conflits ou les mésententes concernant les différents concepts peuvent être résolus (Lupyan et Bergen, 2016 : 410).

Le langage qu’il soit écrit ou oral contribue toujours à l’apprentissage de l’enfant. En effet, la communication avec les autres favorise l’acquisition de nouveaux vocabulaires et syntaxe. La verbalisation fait par l’adulte qui s’occupe de lui est important pour que l’enfant puisse bien entendre et formuler les modèles corrects de verbalisation. Lorsqu’il entend des phrases correctes, l’enfant peut également développer son vocabulaire et maîtriser l’oral (Brisset, 2010 : 77-78). 

Or, ces capacités dans le langage oral favorisent la maîtrise du langage écrit. Cela vient du fait qu’aussi bien le langage oral que le langage écrit requiert la conscience phonologique, la mémoire de travail verbale, les compétences morphosyntaxiques et le vocabulaire (Zorman et al., 2011). L’acquisition de vocabulaire riche chez l’enfant est souvent associée à une bonne capacité de l’enfant à lire et à avoir de bons résultats scolaires ultérieurement (Zauche et al., 2016 : 319). La verbalisation de l’adulte qui s’occupe de lui est cruciale de ce fait, pour que l’enfant puisse apprendre. En d’autres termes, les personnes qui s’occupent des enfants ou qui les apprennent doivent utiliser un langage adapté pour favoriser la compréhension par l’enfant. Cette démarche devrait s’accompagner de la motivation et de l’encouragement des enfants (Brisset, 2010 : 77-78).

L’environnement scolaire et les conditions d’apprentissage conditionnent la performance de l’élève en classe. Cependant, il a été remarqué que la capacité langagière de l’individu pendant son très jeune âge conditionne sa capacité à entrer à l’école, ainsi que sa performance. La compréhension de l’enfant et ses vocabulaires pendant les 24 premiers mois de sa vie influencent fortement sa performance scolaire future et ce, indépendamment de l’appartenance sociale de ses parents (Roulstone et al., 2010 : 29).

  1. Le langage et le développement cognitif

La verbalisation constitue un autre moyen pour stimuler le raisonnement chez l’enfant afin de connaître le fonctionnement de sa langue (Canut, Bocérean et André, 2010 : 1473). Les enfants qui verbalisent sont aptes à mener des réflexions individuelles et à accomplir des tâches, tout en régulant leurs tensions émotionnelles. Souvent, la verbalisation faite par l’enfant est un soliloque au cours duquel, les mots constituent un moyen permettant de réaliser les tâches (Beaudichon, 1975 : 378).

Le langage intervient entre autres, dans la capacité de l’individu à accomplir une tâche, puisqu’il constitue l’instrument de l’intelligence. Le langage facilite l’analyse des aspects de la tâche à accomplir et de détecter les données inintéressantes. C’est également le langage qui favorise la distinction des différences chez l’individu et l’aide à développer des hypothèses, à trouver des solutions, etc. (Oléron, 1952 : 135). Le langage permet à l’individu de choisir l’objectif pertinent et d’activer le processus de stimulus-réponse pour atteindre celui-ci (Cragg et Nation, 2010 : 633).

La verbalisation et plus particulièrement, les interactions entre l’adulte et l’enfant permettent à celui-ci de développer des concepts. Or, le développement de ces derniers est à la base du développement des connaissances. En ce sens, le langage devient un instrument ou un moyen permettant de développer la capacité de l’individu à résoudre des situations difficiles (Gauvain, 2001 : 144). 

Les interactions verbales entre un enfant et un adulte au cours desquelles, l’adulte utilise des verbes montrant l’état mental comme réfléchir, penser, etc. permettent d’augmenter la performance de l’enfant dans la tâche de raisonnement social. En même temps, de tels termes changent l’état émotionnel de l’enfant. Les parents qui adoptent un langage relatif à l’état mental développent les compétences sociocognitives de leurs enfants à un âge très avancé (Roby et Scott, 2018 : 10). Une étude menée auprès de 76 enfants âgés en moyenne de 29.3 mois a montré que les enfants qui entendaient souvent les termes relatifs à l’état mental, en particulier les verbes « penser » et « connaitre », montraient une meilleure capacité pour anticiper les comportements d’un personnage dans un scénario qui leur a été présenté, par rapport à leurs pairs qui n’avaient pas entendu les mêmes termes (Roby et Scott, 2018 : 17).

Le langage joue un rôle important dans le développement de la pensée humaine. En effet, il constitue l’outil permettant à l’individu de s’approprier et d’intérioriser les unités et les structures qui fondent sa langue. Il est à la base des unités de pensée. En même temps, le langage est également un déclencheur de la transition entre les différents stades de développement de la pensée à travers l’apprentissage et les processus cognitifs. En d’autres termes, il constitue une condition essentielle au développement des connaissances. Outre à cela, le langage peut aussi conduire à la réorganisation des connaissances (Bronckart, 2017 : 43). Plus les bébés acquièrent des mots complexes, plus ils sont aptes à comprendre les pensées des autres et leurs propres pensées. Ce même outil leur permet entre autres, de développer des stratégies verbales qui vont leur permettre d’éviter ou d’inhiber les réponses impulsives (Farkas et al., 2018 : 184).

Le langage amène aux représentations par l’individu, mais également à son apprentissage. Ainsi, il intervient dans le changement des états mentaux tels que la perception et l’action. Le langage modèle les représentations mentales qui vont être mobilisées dans le cadre de la perception et de l’action. Cela conduit à la formation de représentations abstraites. Chez l’Homme, certains mots déclenchent une représentation affective (Lupyan et Bergen, 2016 : 414). Les représentations basées sur le langage permettent aux enfants d’acquérir des connaissances concernant des choses qu’ils ne voient pas, ou qui appartiennent au passé. Le langage permet entre autres, de réactualiser ses représentations mentales. Plus l’enfant avance en âge et plus, il est apte à réactualiser ses représentations mentales (Özdermir et Ganea, 2020 : 6).

Chez le bébé, le langage est un moyen pour imaginer. Pendant le jeu de fiction, le langage est utilisé pour faire des mises en scène et pour distribuer les rôles des différents personnages du jeu. Le langage explique également le déroulement du jeu. C’est à travers le langage que l’enfant partage ses significations symboliques à son interlocuteur. Il n’est pas rare de voir un enfant tendre un objet à la personne qui se tient devant lui et l’indique la signification de l’objet pour lui. En réponse au comportement de l’enfant, l’adulte le prend et fait semblant aussi d’utiliser l’objet, et adopte la position d’un spectateur intéressé. Ce fait souligne l’importance du langage dans la construction des significations symboliques (Veneziano, 2002 : 246).

Piaget cité par Bronckart (1977 : 62) souligne que le langage n’est pas à l’origine du développement cognitif de l’être humain, mais contribue à son progrès. Il est donc une condition permettant le développement cognitif. La thèse Piagetienne soutient même que les opérations intellectuelles dépendent principalement de la pensée des schèmes d’actions sensori-moteurs, influencée elle-même par les structures de classes et la logique. Dans ce cadre, le langage n’intervient pas en premier lieu. Le langage dépend du développement cognitif de l’individu et non le contraire. La capacité de représenter dépend pour sa part, de la construction de l’objet cognitif à travers l’imagerie mentale et le jeu symbolique. De là émergent les acquisitions lexicales, sémantiques et grammaticales (Rondal, 2006 : 69). 

Néanmoins, le développement du langage va toujours de pair avec le développement cognitif. Plus les mots acquis sont nombreux, plus l’individu est apte à développer de nouvelles idées, ce qui stimule sa créativité (Undiyaundeye et Julius, 2018 : 127). Le langage influence le développement cognitif en mettant à la disposition de l’individu des ressources représentationnelles. Il facilite entre autres, la possibilité pour l’enfant d’explorer sous différentes perspectives un même évènement. En d’autres termes, le langage permet à l’enfant d’exprimer ses points de vue, ses impressions (Clark, 2004 : 476).

  1. Le travail en crèche
    1. Le rôle de la crèche dans le développement de l’enfant et les activités des professionnelles de la petite enfance 

Les professionnelles de la petite enfance ont pour mission d’accompagner l’enfant dans son développement cognitif, psychologique et social. La professionnelle observe l’expérience de l’enfant avec le monde et contribue à enrichir celle-ci, à travers son aide pour favoriser l’exploration chez l’enfant. La professionnelle peut l’encourager à travers la jubilation ou la concentration. L’accompagnement affectif joue un rôle primordial dans les activités des professionnelles (Palmato-Guillemin et Dujarier, 2010 : 141-142). 

Le travail en crèche ne se résume pas uniquement aux activités de maternage et d’apprentissage sociaux, mais consiste également à construire une relation avec chaque enfant (Ulmann, 2013 : 199-200). Trois formes de relations peuvent s’établir entre la professionnelle et l’enfant selon González et Weill-Fassina (2005) : relationnelle-encouragement, relationnelle-protectrice et relationnelle corrective. La première relation veut encourager l’enfant à poursuivre ses efforts et à récompenser ses habiletés par des félicitations. Le deuxième type de relation consiste à protéger l’enfant devant les risques représentés par son propre comportement ou par ceux des autres enfants. Enfin, le troisième type de relation utilise les remarques critiques pour inculquer à l’enfant des règles de vie en collectif. Le but en est de développer son comportement social. 

Les actions des professionnelles ont pour objectif d’assurer le développement de l’enfant et de veiller à ce qu’il devienne autonome. L’autonomie demande l’éducation et la socialisation de l’enfant. Les professionnelles agissent sur ses conditions de vie et sa personnalité. Elles le protègent et répondent à ses besoins dans la limite de ce qu’elles peuvent accomplir. Mais comme l’enfant se développe physiquement, intellectuellement et psychologiquement, ses besoins changent également. De ce fait, les professionnelles ne peuvent que s’adapter pour mieux répondre aux besoins de chaque enfant, mais aussi de l’ensemble des enfants dans la crèche (González et Weill-Fassina, 2005).

La socialisation et l’autorégulation des pensées et des comportements s’avèrent cruciales pour permettre à l’enfant d’interagir avec son entourage à la maison et aussi dans la crèche. Selon Vygotsky cité par Vallotton et Ayoub (2011 : 170), l’autorégulation ne peut se faire à moins que l’enfant n’acquière ses symboles culturels internes. Les mots constituent des outils mentaux permettant de contrôler et de réguler ses pensées et ses comportements. Vu sous cet angle, les professionnelles doivent aider les enfants à réguler leurs émotions à travers des moyens cognitifs et à travers la verbalisation pour apprendre à l’enfant à respecter certaines règles et à l’encourager à poursuivre certaines initiatives.

Les activités de la professionnelle de la petite enfance consistent à faire une décentration par rapport à son savoir et à la prescription. Ces activités devraient être adaptées à la situation qui se présente. Bien qu’anodine, la réalisation d’une telle activité mobilise de nombreuses compétences de la part des professionnelles (Palmato-Guillemin et Dujarier, 2010 : 142). 

L’intervention auprès de très jeunes enfants demande beaucoup d’énergie. A cet âge, les enfants sont fortement dépendants de l’adulte, ce qui fait que les soins de base sont très intenses. Les professionnelles doivent y répondre immédiatement. La réponse aux besoins physiques et émotifs des bébés demandent une grande réactivité, tout en respectant le rythme biologique de chacun des bébés. Pour réaliser cette tâche, les professionnelles doivent avoir un sens très aigu de l’observation pour discerner rapidement les besoins de l’enfant. Ces derniers montrent en effet, des besoins et des comportements très différents même s’ils ont le même âge : alors que certains se montrent dynamiques, d’autres sont plus calmes. Devant ce fait, l’adulte doit être entièrement disponible pour avoir une relation en tête à tête avec l’enfant (Martin, Poulin et Falardeau, 2009 : 39-40).

Si les relations avec l’enfant peuvent donner à la professionnelle une conception domestique de son métier, elle doit toujours faire preuve de professionnalisme. Cela revient à déspontanéiser sa relation avec l’enfant et ne pas refléter envers celui-ci une figure maternelle (Ulmann, 2013 : 200). Les relations entre l’enfant et la professionnelle ont pour but de développer chez celui-ci un attachement sécurisé approprié au développement de l’empathie, de l’indépendance et de l’accomplissement de l’enfant. Cet attachement rend aussi l’enfant plus social par rapport à ceux qui n’en possèdent pas. Cette relation pourtant, diffère de celle que l’enfant développe avec ses parents (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). Mais il n’est pas rare que certains observateurs externes voient dans les actions des professionnelles, les simples gestes d’une mère à l’égard de son enfant. La considération des actions des professionnelles en crèche comme étant une suppléance domestique peut parfois entraîner le manque de reconnaissance de leur métier (González et Weill-Fassina, 2005).

Outre les tâches destinées aux enfants, les professionnelles de la petite enfance tissent une relation de service avec les parents de ceux-ci. Il s’agit principalement de rassurer les parents sur le fait que la crèche est indispensable au développement de l’enfant (Ulmann, 2013 : 198). Les professionnelles sont amenées à faire des échanges fréquents avec les parents et à réguler de ce fait, leurs comportements pour s’adapter à la diversité des tâches qu’elles doivent accomplir (González et Weill-Fassina, 2005). Mais en même temps, elles doivent aussi entrer en collaboration et non pas en compétition avec les parents, parce que l’environnement familial et l’environnement à la crèche conditionnent tous le développement de l’enfant (Zorman et al., 2011).

Le travail en crèche peut être une source de stress, d’anxiété et de dépression pour les professionnelles de la petite enfance surtout, lorsqu’elles se trouvent confrontées à des situations contradictoires entre les évènements qu’elles ont appris à contrôler par leur formation et leur expérience, et ceux qui sont imposés par la direction. Cette situation est rencontrée particulièrement dans les crèches privées (Palmato-Guillemin et Dujarier, 2010 : 147). 

Outre à cela, le travail en crèche est également soumis à une contrainte de temps. Les professionnelles doivent faire en sorte que toutes les tâches qu’elles doivent accomplir notamment, le repas, les jeux, les soins soient adaptés aux horaires des autres personnels et à celles des parents à leur retour. A la fin de la journée de travail, elles doivent impérativement rendre aux parents, des enfants qui ont bénéficié de tous les soins et les services prévus par la crèche. Et pourtant, tous les enfants n’ont pas le même rythme de travail : certains sont plus dynamiques que d’autres. La gestion du temps consiste donc pour les professionnelles de la petite enfance à régler la tension causée par le rythme de l’enfant et le respect du temps tel qu’il est promis aux parents. Dans certains cas, l’enfant résiste (Ulmann, 2013 : 198).

Les tensions entre les relations établies entre les parents et les professionnelles surviennent souvent en ce qui concerne l’autorité et le lien entre les parents et leurs enfants, et entre les professionnelles et les enfants. Pour mener à bien leurs missions, les professionnelles ne peuvent que nouer des relations particulières avec les enfants. Or, cela pourrait être mal interprété par les parents qui voient à travers ce geste une tentative de concurrence avec la relation qu’ils entretiennent eux-mêmes avec leurs enfants. Les professionnelles dans ce cas, doivent aussi rassurer les parents sur le fait que les services fournis en crèche ne contribueraient jamais à détruire ce lien parents-enfant. Bien que parfois imaginaire, la concurrence affective entre les professionnelles et les parents peut provoquer la dissimulation d’informations de la part des deux parties (Ulmann, 2013 : 200).

Pour faire face à ces difficultés, il n’est pas rare que les professionnelles de la petite enfance procèdent à une régulation. Cela consiste à partager avec son équipe ses difficultés et ses questionnements, mais également, les résultats positifs obtenus auprès d’un enfant. Cette démarche permet d’affirmer sa posture professionnelle et de confirmer sa place pour les enfants et les parents. Cela correspond à l’activité empêchée décrite par Clot : une activité qui a des répercussions psychique sur l’individu, mais qui est pensé au niveau de l’équipe afin de construire collectivement une identité de métier (Ulmann, 2013 : 200).

  1. La verbalisation au cœur des gestes de métier en crèche

Le geste de métier englobe toute action physique ou mentale inscrit dans le domaine professionnel. Dans cette optique, la pensée constitue aussi un geste de métier (Sensevy, 2005 : 4). Mais le geste lui-même constitue une composante de l’action dans la plupart des cas et reflète la contribution du corps dans la réalisation d’une activité. Il n’en est pas la finalité et ne laisse entrevoir qu’une partie de l’action. Le geste permet de ce fait d’identifier l’action et non pas de la définir (Leplat, 2013).

La verbalisation est mise en valeur dans les crèches depuis la prise de conscience que l’environnement de l’enfant influence l’apprentissage du langage par l’enfant. L’environnement qui l’accueille devrait de ce fait, attirer l’attention et amener l’enfant à parler, à donner des informations et à segmenter ses paroles (Hoff, 2006 : 57). Dans cet environnement particulier, deux types de scénario peuvent se présenter en ce qui concerne la place que la crèche donne à la verbalisation tant à destination des enfants qu’à destination des professionnelles. Le premier scénario est un environnement qui laisse beaucoup de liberté aux interactions, ce qui veut dire que les professionnelles créent de nombreuses opportunités pour que les enfants expriment librement leurs ressentis et leurs pensées. Un tel environnement donne beaucoup de marge aux enfants pour agir. Les professionnelles aussi de leur côté, participent à l’interaction en partageant des connaissances aux enfants et en mettant de l’ambiance lors des interactions. Le deuxième scénario est celui d’un environnement où les interactions sont limitées. Dans ce cas, les adultes prennent beaucoup de place et exercent leur contrôle sur les enfants. Par conséquent, ces derniers ne peuvent pas prendre des initiatives, tout comme ils ne peuvent pas exprimer ce qu’ils pensent ou ce qu’ils ressentent (Klette, Drugli et Aandahl, 2016).

La verbalisation est un geste de métier que tous les adultes qui prennent soin de l’enfant doivent adopter afin d’établir des liens préverbaux. C’est avec ces derniers en effet, que l’enfant peut rester en lien avec les objets dont il se différencie (Golse, 2010 : 23). Mais c’est également à travers la communication verbale et les interactions sociales que l’adulte va favoriser l’acquisition du langage par le bébé. Pour avoir un tel effet, il faut que la verbalisation soit stimulante (MacLeod, 2019 : 68-69) et que les professionnelles soient attentives et réactives aux sons ou aux mots émis par le bébé. Les professionnelles doivent donner une réponse à ce comportement dans les cinq secondes qui suivent et la réponse doit être adaptée. Plus la réactivité est élevée et plus l’enfant peut acquérir de nouveaux mots. Plus la réponse est adaptée et plus, l’enfant peut développer son vocabulaire. Une réponse adaptée consiste par exemple à corriger les erreurs de prononciation ou à dire le nom de l’objet que l’enfant pointe du doigt (Blinkoff et al., 2020 : 231). Devant la communication de l’enfant, l’adulte peut faire des reprises initiatives, des reformulations ou des questionnements. Outre la correction, ces démarches apprennent également à l’enfant. Les comportements verbaux et non verbaux sont considérés par l’adulte, ce qui met l’enfant à la place d’un interlocuteur à part entière même s’il n’a pas acquis de nombreux mots pour s’exprimer (Maillart et al., 2011).

La verbalisation des adultes qui entourent l’enfant permet de prévenir les désordres au niveau de la communication ou les retards de langage. Dans cette optique, les adultes doivent parler à l’enfant à tous les stades de son développement et l’aider à reconnaître les objets. Ils adoptent une posture qui va permettre d’aider l’enfant à comprendre ce qu’il entend, et à acquérir de nouveaux mots. L’aide se manifeste par l’encouragement de l’enfant à écouter, puis à arranger les mots. Parfois, les adultes sont amenés à expliquer à l’enfant ce qu’ils lui disent et à faire des répétitions dans le cas où la phrase est trop longue (Undiyaundeye et Julius, 2018 : 132). 

En parlant de verbalisation, il n’est pas uniquement question de la verbalisation des professionnelles, mais aussi de celle des enfants. Ces derniers tentent de communiquer et d’attirer l’attention de différentes manières. La réactivité et la réponse verbale donnée par les professionnelles conditionnent le développement de l’enfant. L’attention avec des mots adaptés est favorisée par les professionnelles pour promouvoir la réception et l’expression de vocabulaire par l’enfant (Zauche et al., 2016 : 325). La professionnelle est amenée à interagir avec les enfants à travers leurs paroles, leurs expressions faciales, leurs commentaires et leurs conversations contribuent au développement du langage chez l’enfant. (Zauche et al., 2016 : 329).

De nombreuses opportunités se présentent à la crèche pour verbaliser, si les professionnelles arrivent à bien le gérer. Le temps du déjeuner ou du goûter par exemple, constitue également une occasion d’interactions. Pendant ce temps, l’enfant ne mange pas uniquement, mais parle et apprend en même temps. Ce geste anodin demande pourtant à la professionnelle de s’asseoir en face de l’enfant et de répondre à ses nombreuses initiatives. Cette occasion permet également d’augmenter le sentiment d’appartenance de l’enfant au groupe et de lancer en même temps, les interactions avec les autres enfants. La verbalisation permet également d’inculquer les comportements appropriés pour manger, les manières à suivre à table, etc. En d’autres termes, c’est une occasion pour augmenter le processus de socialisation des enfants (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). 

Pour aider l’enfant dans son développement, les professionnelles mais également les personnes qui s’occupent de lui adoptent un langage particulier : le langage adressé au bébé. Il s’agit d’un langage simple, où la phonologie, la prosodie, la syntaxe et la sémantique sont modifiées. Ce langage se compose de phrases courtes, avec des pauses plus longues. Le contour intonatif est exagéré et la personne qui parle au bébé élève plus la voix. Les mots sont souvent répétés et les vocabulaires ne sont pas riches que ceux des adultes. C’est un langage qui facilite l’acquisition du langage chez les bébés. Outre à cela, ce langage permet également d’attirer l’attention du bébé vers l’expression mise en relief par la personne qui parle avec lui. Ainsi, cette forme de verbalisation contribue à la régulation des états d’éveil de l’enfant, ainsi que de ses émotions (Devouche et al., 2014).

Les professionnelles de la petite enfance n’adoptent pas le même langage pour tous les enfants. Le choix dépend de l’âge de l’enfant. Ainsi, une professionnelle ne va pas choisir les mêmes mots pour les bébés et les enfants, même si dans les deux cas, les professionnelles parlent à haute voix et utilisent un vocabulaire restreint, avec une exagération lors de la prononciation des mots (Blinkoff et al., 2020 : 231). 

  1. Le développement de la pensée des professionnelles sur leurs gestes de métier par l’intervention en psychologie du travail 
    1. Le cadre dialogique dans le cadre de la clinique de l’activité

Avant de parler de l’intervention du cadre dialogique dans le domaine de la clinique de l’activité, il semble intéressant de définir d’abord le dialogue. Le dialogue englobe différentes situations de communication ou d’échanges. Il peut s’agir d’interactions inter ou intraindividuel consistant en une suite d’actions verbales ou non. Le dialogue cependant, se distingue de la conversation dans le sens où il conduit à une transformation. En dialoguant, l’individu est amené à se transformer ou à transformer une chose. Le dialogue pousse également à la rencontre de l’autre. Il est à la fois interne et externe et spécifique à l’Homme. Le dialogue peut également être défini comme étant la pensée (Kostulski, 2018 : 363-364).

Le dialogue fait intervenir deux personnes dont les statuts et les rôles sont clairement définis dès le début. Il met dans cette optique, les interlocuteurs en position « Moi » et « Toi », ce qui permet de tisser de nouvelles relations entre les deux acteurs (Pouyaud et al., 2016 : 5). Le dialogue selon Pickering et Garrod cités par Fusaroli, Rączaszek-Leonardi et Tylén (2014 : 148) est un comportement linguistique imitatif au niveau duquel, chacun adapte ses comportements et ses représentations en fonction de ceux de son interlocuteur. Ainsi, quand l’un parle à haute voix, il est probable que son interlocuteur va aussi le suivre et hausser le ton. L’adaptation des processus cognitifs au cours d’un dialogue a pour objectif de faciliter la compréhension mutuelle ainsi que la coordination des tâches collectives. Le dialogue vise entre autres, à changer l’état mental de l’interlocuteur (Wilks et al., 2011 : 130).

Le dialogue s’inscrit dans un flux d’actions et de coactions qui se déroulent dans un environnement particulier. Il requiert de ce fait, que les interlocuteurs développent un vocabulaire partagé afin de pouvoir se focaliser et discuter autour d’une tâche particulière (Fusaroli, Rączaszek-Leonardi et Tylén, 2014 : 148).

Le dialogue permet de se souvenir de la situation d’avant et des conditions de travail. Il permet de remonter à la source du problème et d’expliquer les changements qui s’opèrent au sein d’une entreprise ou d’une organisation (Scheller, 2001 : 83). L’individu qui prend la parole en prenant une position de parole incarnée pour évoque un vécu subjectif. Sa verbalisation lui permet de rendre compte de son vécu émotionnel, sensoriel, son vécu de la conscience et de l’action. La verbalisation du vécu constitue un autre moyen pour faire émerger une facette du vécu global ainsi que la succession des actions élémentaires faites par l’individu pour atteindre son but. Ce dernier peut être une prise d’information, de décision ou une exécution (Mouchet, 2016 : 24-25).

Le dialogisme pour sa part, est une faculté de l’Homme consistant à parler ou à communiquer sur des sujets des réalités sociales en se référant aux autres individus, groupes ou communautés. En tant que communication, il constitue un facteur même de l’existence humaine. Le dialogisme se focalise plus sur les relations de l’individu avec les autres plutôt que sur lui-même uniquement. Le dialogisme suppose que chaque être humain construit son monde en fonction des autres et ses actions sont orientées ou influencées par le langage des autres (Marková et Orfali, 2005 : 27).

L’environnement dans lequel, les hommes communiquent entre eux peut être désigné comme étant un système dialogique. Il s’agit d’un système ouvert qui permet aux interlocuteurs de se parler en face-à-face afin de se co-adapter, co-réguler et coordonner leurs activités. Dans cette structure, les interactions et les coactions entre les individus sont régulées. En général, ces interactions dépendent de la voix et de l’intonation adoptée par chaque personne, et de l’établissement au sein duquel se déroule le face-à-face. Mais il est intéressant de remarquer que même les personnes qui ne prennent pas part directement au dialogue peuvent encore exercer leurs influences sur les participants eux-mêmes (Steffensen, 2012 : 520-521).

Le système dialogique se développe à travers la recherche d’équilibre entre les différents systèmes de valeurs. Les tendances comportementales peuvent par exemple, faire partie des valeurs discutés au cours d’un dialogue. Il peut s’agir de la tendance concernant le manque de connaissance, les aspects sociaux du travail, les discours professionnels, le professionnalisme, les échanges d’informations, etc. Le sujet abordé constitue un facteur d’attraction pour les interlocuteurs afin de trouver les comportements les plus adaptés au système. Au cours du dialogue, alors même que chaque individu peut émettre des critiques à l’endroit de l’établissement ou de l’environnement auquel appartient son interlocuteur, les mots et les postures sont bien choisis pour éviter tout conflit au sein du système dialogique. Les deux acteurs cherchent à rester dans la discussion et à maintenir une solidarité (Steffensen, 2012 : 524-526).

La verbalisation rétrospective provoquée porte sur une activité passée, finalisée dont la durée était courte. La période où cette activité est réalisée est considérée par le travailleur comme étant importante. La verbalisation consiste en une mise en tension entre l’activité réelle et l’activité réalisée et à mettre en valeur le dialogue et la dialectique entre l’individu et le collectif. La conscience joue un rôle important dans ce processus de verbalisation. Les enregistrements audiovisuels facilitent la distinction des controverses professionnelles et par conséquent, le développement des personnes (Mouchet, 2016 : 33).

Mais la verbalisation n’est pas une tâche aisée dans la mesure où l’individu ne parvient pas à verbaliser tout seul ce qu’il a vécu. Il peut verbaliser par exemple les savoirs théoriques, procéduraux et pratiques. Mais ce n’est pas le cas pour les savoirs en actes, dont l’individu n’a pas pris conscience. Il pense même ne pas les avoir si bien qu’il s’avère difficile pour lui d’en parler. Or, c’est cette conscience préréfléchie et la verbalisation du vécu subjectif qui permettent de comprendre les actions effectives et le vécu subjectif, éléments essentiels au repérage des sources d’erreur et au développement du professionnel (Mouchet, 2016 : 38). 

D’autre part, certains souvenirs sont difficiles à mettre en mot. Certains souvenirs ne sont pas verbalisables. C’est le cas par exemple du visage d’une personne. Lorsque ce cas se présente, l’individu peut être amené à développer un faux souvenir qui va cacher la mémorisation des évènements réels et conduire à une représentation erronée des faits ou de la situation (Schooler, 2002 : 989).

Après l’analyse de ce qu’est le discours, il est intéressant à présent de se focaliser sur les relations entre le cadre dialogique et la clinique de l’activité. Le cadre dialogique a été évoqué dans la clinique de l’activité pour donner aux professionnels, un moyen pour retrouver l’énergie allouée à la confrontation avec la répétition des activités vécues dans le passé dans le présent et qui risquent de conduire à l’automatisme amorphe. La clinique dialogique consiste à organiser des dialogues professionnels et de faire émerger des controverses entre les professionnels. Le cadre dialogique permet aux professionnels de faire des commentaires croisés sur la base d’image communément produite. Ainsi, il devient possible de donner à chaque acteur de voir son activité à travers l’activité de l’autre et de permettre par la suite, de reprendre le cours de l’activité. Le cadre dialogique constitue dans ce cas, une autre manière de faire une répétition du travail. Cela constitue une autre manière de libérer les professionnels afin qu’ils puissent déplacer ce qu’ils font et ce qu’ils disent à propos de leur travail dans le collectif. Il en découle des automatismes communs qui vont aider les professionnels à mieux répondre à une situation problématique, surtout, pour les novices qui ne sont pas encore aguerris (Clot, 2002 : 49).

La clinique dialogique permet entre autres, d’analyser les processus psychiques qui pourraient constituer un obstacle dans le développement et le déploiement des ressources par les travailleurs. C’est à travers elle que la transformation du travail et le développement de l’activité pourraient être envisagés. En effet, la clinique dialogique pourrait intervenir pour développer l’affect et réviser la situation dans le lieu de travail. Un problème détecté sans être résolu pourrait, à travers la clinique dialogique, être discuté au niveau collectif. Le refoulement des problèmes en effet, conduit souvent à une impasse. Ainsi, le dialogue est exploité pour lancer une reprise-répétition de la situation dans un autre contexte afin de trouver une alternative. Le dialogue sur le travail cherche à restaurer les critères du travail bien fait. La clinique de l’activité considère dans ce cas l’activité personnelle et interpersonnelle, ainsi que l’histoire transpersonnelle des professionnels (Bonnefond et Clot, 2016).

  1. La réflexivité dans le cadre dialogique

La réflexion est un processus langagier qui fait intervenir le langage, mais également dialogique et social. En tant que processus dialogique, la réflexion suppose un dialogue entre deux ou plusieurs interlocuteurs, qui va forcément conduire à des réactions. La dimension sociale de la réflexion implique qu’elle soit réalisée avec ou contre d’autres personnes. De ce fait, elle peut être à la fois individuelle ou collective. La réflexivité favorise le dialogue entre les différentes personnes (Proulx et al., 2012). Mais la discussion permet également de mettre en œuvre une pédagogie de la réflexivité, en encourageant l’articulation entre l’action passée et réflexion sur l’action individuelle et collective, et le réfléchissement de l’action (Mouchet, 2016 : 57).

La réflexivité peut être duelle et viser à stabiliser le système en amenant le Soi actuel à se projeter en tant que sujet à l’avenir. Elle implique la recherche d’un certain état de perfection ou d’un idéal. Ainsi, cette forme de réflexivité pousse l’individu à identifier et à adopter les comportements permettant l’atteinte de cet idéal ou de cet état de perfection. Mais la réflexivité peut également être ternaire et impliquer un dialogue entre le Moi et Toi. L’identité dans ce cas, est considérée sous l’angle de vue du Moi, sous l’angle de vue de Toi, et sous l’angle de vue des autres. L’identité de la personne est définie en fonction des points de vue de Moi, de Toi et des autres, d’où l’appellation de réflexivité ternaire (Pouyaud et al., 2016 : 4). La réflexivité ternaire dans le domaine professionnel, est à l’origine des changements qui émergent à travers les dialogues. A l’opposé, la réflexivité duelle favorise la représentation de Soi et aide à l’accomplissement de celui-ci. Cette démarche se fait à travers les interactions avec d’autres acteurs (Pouyaud et al., 2016 : 9).

Le dialogue est le reflet de la rationalité de l’Homme et permet d’articuler la pensée et le langage. En effet, c’est à travers la verbalisation que chaque Homme ajuste son langage et complexifie ses pensées. La pensée réflexive renvoie à la construction d’habiletés argumentatives au cours d’un dialogue. Elle donne lieu à des inférences mentales sur les systèmes de valeurs, les croyances partagées. La pensée réflexive implique entre autres, des négociations entre les deux interlocuteurs (Auriac-Peyronnet, 2004 : 163-164). 

Dans ce cadre, la réflexion précède toujours le dialogue. Les cognitivistes soutiennent que le dialogue est à la base de la métacognition. Il s’agit d’un processus au cours duquel, l’individu se dédouble et le moi converse avec moi pour développer une pensée. Et la métacognition intervient pour réguler ses propres pensées. Mais le dialogue ne s’établit pas uniquement entre le moi et le moi, mais aussi entre moi et les autres. Ainsi, chaque individu qui participe au dialogue, développe aussi une pensée en fonction des conséquences qui pourraient découler de ce processus. Il ne peut donc avoir lieu à moins que l’individu ne prenne en considération ses significations personnelles et les significations partagées, ainsi que les significations communes. Mais il est important de se baser sur une même représentation de ce que chaque acteur entreprend (Bruchon, 2004 : 51-52).

Le cadre dialogique peut être considéré comme étant un processus collectif de production de sens et de retour réflexif. Le sens et les significations ainsi produits sont utilisés pour guider les actions du groupe face à une situation précise. La production de signification permet également de revoir l’identité d’acteur collectif et de déterminer le comportement responsable en fixant comme balise ces sens communément établis. La réflexion est concentrée sur l’action, pendant l’action afin de voir dans le contexte de leur réalisation les objectifs et les valeurs défendues. Cette réflexion et recadrage sur la pratique professionnelle permet de transmettre le savoir d’expérience et contribue également à la construction de l’identité professionnelle (Lenoble et Maesschalck, 2008). 

  1. Le cadre dialogique et le développement des gestes du métier 

Le développement du geste de métier se fait par l’acquisition d’une compétence (Leplat, 2013). La verbalisation permet de développer les compétences à travers l’apprentissage par l’activité et l’apprentissage par l’analyse de l’activité (Mouchet, 2016 : 56). En permettant la réflexivité, le dialogue permet d’aller au-delà de la réflexion individuelle vers la réflexion collective qui, à son tour, va déclencher des transformations. La réalisation de l’activité individuelle se fait en effet, à travers les actions des autres acteurs présents au sein d’une organisation. La réalisation d’une activité ne peut donc se faire qu’à travers l’anticipation et la coordination des actions et des réponses des autres acteurs par rapport aux activités des uns (Lorino, 2009). Clot (2002, p.41) par ailleurs, souligne la récurrence de ce fait dans la clinique de l’activité comme il l’affirme lui-même : « Une action se libère de l’action des autres non pas en la niant mais par la voie de son renouvellement ». La réalisation d’une activité pourrait de ce fait, être assimilée à un échange dialogique au cours duquel, les acteurs agissent en conversant afin de trouver les modes de coordination et la communication requis pour faire face à une situation inattendue (Lorino, 2009).

Le dialogue permet d’anticiper les évènements qui pourraient se présenter à l’avenir et de proposer des solutions ou des alternatives à la situation problématique. Il favorise également l’émergence de nouvelles idées et nouvelles significations. En favorisant la réflexivité, le dialogue est source de changements et d’adaptations et encourage l’acceptation d’une nouvelle vision de soi-même (Pouyaud et al., 2016 : 9-10).

Le cadre dialogique est utilisé lors des autoconfrontations. Dans cette démarche, il est nécessaire d’établir en premier lieu, un collectif de volontaires qui vont faire des échanges avec les chercheurs. Ensemble, ils procèdent à l’observation des situations de travail et déterminer la séquence d’activité commune. Cette première étape de la démarche permet l’auto-observation. Par la suite, les analyses sont ramenées au niveau du collectif afin de procéder à la dénaturalisation de l’activité, afin de redécouvrir l’expérience. Une telle redécouverte permet à la fois de mettre en relief les points forts, ainsi que les limites. La deuxième étape de la démarche d’autoconfrontation via le cadre dialogique consiste à faire des enregistrements vidéos auxquels sera confronté le professionnel (autoconfrontation simple). Par la suite le même professionnel devra se confronter au même enregistrement, mais aussi aux critiques du chercheur et de ses collègues de travail (autoconfrontation croisée). La troisième étape consiste à restituer les analyses au collectif (confrontation dialogique) (Duboscq et Clot, 2010 : 264-266).

Cette démarche dialogique et l’autoconfrontation croisée ont été utilisées par Tomás (2013) pour étudier les gestes professionnels de trois blanchisseuses. Les professionnelles ont été confrontées aux images de leurs activités. Par la suite, les vidéos montrant leurs gestes et comportements durant leur travail ont été présentées à leurs collègues. De cette manière, les blanchisseuses ont pu lancer une discussion sur leurs propres gestes de métier. Par la même occasion, chacune d’entre elles a pu faire des commentaires lors des dialogues au cours de l’intervention. Il s’agissait alors de lancer et de favoriser la poursuite de dialogue sur le travail. Le dialogue ainsi établi est un dialogue intérieur de chaque professionnelle mais au niveau duquel, les autres collègues de travail interviennent également. Cette démarche permet de confronter chaque professionnelle à ses propres gestes de métier, et de se confronter aux regards des autres professionnelles qui exercent le même métier. Le cadre dialogique s’inscrit dans ce cas dans un travail pour élaborer les gestes professionnels. Le dialogue a été utilisé comme moyen pour faire émerger les controverses sur les gestes. En insistant sur les controverses, le psychologue du travail favorise la prise de conscience sur la complexité du travail psychique consistant à réévaluer les gestes. C’est dans ces termes que les rapports entre les professionnelles et leurs tâches ont pu être améliorés (Tomás, 2013).

L’analyse par le biais d’une telle autoconfrontation ne conduit pas directement à la connaissance de l’activité, mais sur l’étonnement de la personne en ce qui concerne sa propre activité. Les commentaires diffusés deviennent pour l’individu, une construction psychique personnelle et interpersonnelle. La construction psychique interpersonnelle se réalise quand les collègues de travail commentent les vidéos sur les activités et les gestes de la personne lors de la réalisation d’une tâche. C’est ainsi qu’ils confrontent leurs propres manières de faire, leurs gestes de métier afin d’atteindre les objectifs initiaux ou encore, de déterminer de nouveaux objectifs. Le plurilinguisme professionnel s’ensuit. C’est alors qu’intervient le chercheur en analysant les conflits sur l’activité et sur les gestes du métier. Cela pourrait constituer une opportunité pour faire émerger de nouveaux gestes jusque-là inconnus ou peu intéressant du point de vue des professionnels. Ces gestes professionnels peuvent dans ce cas, être appris des autres, ce qui conduit probablement au développement de l’activité (Duboscq et Clot, 2010 : 265-266).

Partie 3. Retours sur l’intervention

  1. Retour sur l’intervention
    1. Analyse de l’intervention : entre théorie et pratique
  • Les causes de la différence de verbalisation entre les deux sections

Les professionnelles qui ont bien voulu participer à notre étude pensent que quand les enfants ont acquis un certain âge ou une certaine faculté comme le fait de marcher, la verbalisation n’est plus très importante car, l’enfant comprend déjà. Selon elles, la verbalisation dans la section des petits avait pour rôle de leur expliquer ce qu’il se passe et de les rassurer. En effet, une participante a dit : « Si l’on verbalise moins chez les grands, c’est essentiellement parce que les enfants ont grandi. Ils ont acquis des compétences en termes de compréhension des évènements et de connaissance du monde qui les entoure. Et par conséquent, il y a moins besoin de verbaliser chaque action. On continue à verbaliser, mais beaucoup moins. Enfant et adulte se connaissent très bien, le quotidien reste le même, l’enfant a moins besoin d’être rassuré tout le temps. Je rajouterais que son développement moteur lui permet d’être beaucoup plus autonome dans ses mouvements, ses actions. L’adulte n’a plus besoin de lui dire : « je vais te porter », « je te mets en position allongée pour te changer »…. Il le fait de lui-même ».

Il faut noter cependant que ce ne sont pas uniquement les professionnelles de la petite enfance dans les crèches qui montrent ce comportement envers les bébés plus âgés. L’influence de l’âge sur la verbalisation se reflète également dans la relation mère-enfant. Dans le jeu par exemple, la mère a tendance à prendre l’initiative et à verbaliser ses actions chez les tout jeunes enfants. La verbalisation a pour objectif de planifier, d’expliquer le jeu et d’assister l’enfant dans le jeu. Pendant son jeune âge, l’enfant est incapable de prendre cette initiative, ce qui fait qu’il demande de l’aide venant de sa mère. Mais lorsqu’il grandit, il comprend mieux et peut désormais prendre la responsabilité pour jouer. La verbalisation diminue car, l’enfant devient plus un partenaire qui est déjà apte à prendre des initiatives. Il est capable de prendre la place de sa mère dans le management de son jeu et remplace peu à peu le rôle de la mère. Cette dernière n’assiste plus l’enfant âgé comme elle le ferait pour un enfant plus jeune (Howes, Unger et Matheson, 1992 : 42). Par ailleurs, il est admis qu’au fur et à mesure que l’enfant avance en âge, non seulement il est apte à reconnaître et à utiliser un plus grand nombre de mots, mais il est également capable d’acquérir de nouveaux mots. Ils perfectionnent entre autres, leurs connaissances des anciens mots (Machado, 2016 : 50).

Les autres professionnelles ne se référaient pas réellement à ce changement. Il semblerait qu’elles aient arrêtés inconsciemment de verbaliser lorsque l’enfant a marché ou qu’il a atteint un certain âge. Ce n’est qu’à travers la verbalisation aussi, qu’elles ont pu expliquer les raisons de leur comportement. Ainsi, une des participantes a dit « J’ai plus tendance à utiliser la verbalisation avec les tout petit car, ils n’ont pas encore beaucoup de repères dans l’espace et dans la routine de la journée. Je pars donc du principe qu’ils ont besoin d’être plus rassurés au fil de la journée. Il est vrai que plus l’enfant grandit, moins j’ai le sentiment de verbaliser, alors que je sais que c’est tout aussi important pour son développement émotionnel et psychologique et son épanouissement à la crèche. C’est vrai que je ne sais pas pourquoi je verbalise moins, alors que dans la section des moyens grands, l’âge des enfants est très varié vu qu’ils peuvent y entrer dès qu’ils savent marcher. Et c’est sûr que parfois, ils ont tout juste un an et ne savent pas forcément parler, ne comprennent pas tout. C’est quand ils sont plus grands que leur développement passe beaucoup par l’objet et qu’on peut ralentir la verbalisation. Mais moi, je crois qu’on ralentit toutes nos activités de verbalisation avec les moyen grands alors qu’on ne devrait pas ». Cela montre que l’arrêt subit de la verbalisation chez la section des moyens grands n’est pas fait intentionnellement chez les professionnelles de la petite enfance. Il a été démontré qu’une personne peut réaliser des activités intelligentes comme l’apprentissage, la perception sans pour autant être consciente de ce qu’elle fait. Dans ce cas, la personne « non consciente » est incapable de verbaliser (Vermersch, 2000 : 273).

Il semblerait que ce changement de geste et de comportement envers les enfants plus grands soit la résultante d’une fausse perception ou impression que l’enfant connaît déjà ce qui se passe et ne demande plus de verbalisation comme le souligne une participante : « Je pense que cela [la verbalisation] diminue naturellement parce que nous avons l’impression que les enfants en ont moins besoin quand ils sont plus grands. Il y a peut-être une part de vérité dans cela…. C’est vrai que leurs repères sont mieux définis que tout bébé… mais quand même, j’ai réfléchi depuis que vous avez posé la question et je pense vraiment que plus de verbalisation serait aussi bénéfique pour eux. Il y aurait peut-être moins de frustration par moment, ou de « caprices ». Et puis, tant qu’ils sont enfants, ils ont encore plein de choses à apprendre. Ils ont encore besoin d’être rassurés, pas tous, mais quand même beaucoup. On doit les aider à enrichir leur vocabulaire. Mais si on ne verbalise plus assez, ils restent avec des mots de bébé ». Les adultes sont donc conscientes de la nécessité de continuer à verbaliser même avec les moyens grands, mais c’est l’expression qui est amenée à évoluer pour s’adapter aux besoins de l’enfant à un stade précis de son développement. Ainsi, une professionnelle s’est exprimée en ces termes : « Après, faut être honnête. Quand on a plein d’enfants à s’occuper et qu’ils sont un peu grands, ben, on se dit qu’ils savent déjà ou qu’ils comprennent bien alors peut-être qu’on parle moins…. Oui, peut-être même beaucoup moins, … mais on devrait pas car ça, c’est pas du bon boulot, vous voyez ? En plus, une fois la parole acquise, on devrait finalement verbaliser davantage pour éduquer et faciliter l’apprentissage et la communication avec l’enfant. Donc, la verbalisation ne devrait pas diminuer, mais se modifier. Mais en vrai, c’est pas ce qu’on fait, je crois ».

  • La prise de conscience de l’importance de la verbalisation et le besoin de formation

Les discussions avec les professionnelles de la petite enfance a permis de montrer que si les celles-ci étaient conscientes de la nécessité de verbaliser pour aider les enfants à s’épanouir, elles n’avaient pas réalisé à quel point la verbalisation était importante. De plus, leur discours fait refléter un manque dans la formation des professionnelles de la petite enfance : la formation à la verbalisation. Une professionnelle a dit par exemple : « …Moi, j’ai pas fait de grandes études et la verbalisation, ben, pour moi, ça a toujours été : « je parle ». Je suis plutôt formé aux petits soins. Mais depuis que vous avez parlé de la verbalisation, ben, ça me trotte tout le temps ! »

Les connaissances des professionnelles en matière de verbalisation et de communication avec les jeunes enfants sont jugées insuffisantes. Après la constatation du manque vient l’incompréhension comme cette professionnelle qui s’était plainte : « Jusque-là, je disais que la verbalisation, c’est un outil pédagogique avec les enfants, indispensable pour son apprentissage et son équilibre affectif, et c’est tout ! Mais en vrai, verbaliser, ça permet aussi à mes collègues de savoir ce que je fais en temps réel et vice versa. Mais ce que je ne comprends pas, c’est finalement pourquoi on m’a pas appris à verbaliser pendant mes études. On nous a appris la méthode Loczy qui est extraordinaire, mais on ne nous a pas appris à la mettre en application. On croit que verbaliser c’est facile, mais c’est pas si évident quand même car, avec des enfants, il faut tout verbaliser et ça, c’est pas un truc qui vient tout seul. On devrait nous l’apprendre ! Peut-être que c’est en cours dans les études supérieures de la petite enfance, mais moi en tout cas, j’ai dû apprendre sur le tas. »

Ce manque au niveau de la formation des professionnelles de la petite enfance pourrait s’expliquer par le fait que la qualité des soins prodigués aux enfants n’est pas jugée en fonction de la verbalisation faite à l’enfant par les professionnelles de la petite enfance. La qualité du care est plutôt évaluée sur la base des mesures prises par la crèche pour assurer la protection et la santé des bébés accueillis. Les préoccupations portent également sur les interactions entre les adultes et les enfants. Dans cette optique, ce n’est pas la qualité de la verbalisation qui est remise en question, mais les réponses et la sensibilité de chacun des interlocuteurs aux stimuli verbaux envoyés par l’autre. Outre à cela, les parents évaluent aussi les activités langagières es enfants et leurs apprentissages. Plus les enfants apprennent des mots, plus le service est considéré comme étant efficace. Puis, le care renvoie également aux relations tissées entre les professionnelles et les parents. Les relations devraient se caractériser par le respect mutuel, l’entraide et l’information (Brownlee, Berthelsen et Segaran, 2007).

De ce fait, les tentatives pour améliorer les formations des professionnelles de la petite enfance tendent à mettre l’accent sur la santé, la protection et les caractéristiques du développement de l’enfant. A cela s’ajoute une autre thématique qui se réfère à la collaboration des professionnelles avec les parents et les partenaires de la crèche. D’autre part, la formation des professionnelles inclut également les conditions nécessaires pour créer un environnement propice à l’apprentissage de l’enfant. La formation en général devrait aboutir à l’acquisition de compétences en matière de :

  • Promotion du développement et de l’apprentissage de l’enfant
  • Relations et communication avec la famille de l’enfant
  • Observation, documentation, pratiques d’évaluation
  • Apprentissage
  • Engagement et implications pour devenir et être une professionnelle de la petite enfance (Zwahr et al., 2007 : 15).

Dans ces différents points, la verbalisation ne tient pas une place importante. Souvent, elle est même ignorée, d’où l’importance de procéder à l’acquisition de cette compétence par les professionnelles. La formation continue des professionnelles pourrait aider à cet effet, pour remettre à jour les connaissances antérieurement acquises par les professionnelles et aussi pour valoriser leurs acquis de l’expérience. Cette formation permettrait en effet d’adapter les connaissances et les compétences des ressources humaines aux attentes des usagers. La formation continue peut apporter des résultats probants si les professionnelles consentent à la suivre et son motivées (Zwahr et al., 2007 : 16).

Des situations contradictoires émergent de ce fait. D’une part, les études ont montré que la verbalisation était cruciale pour aider l’enfant à se développement mentalement, socialement, psychologiquement. Ces études encouragent donc la verbalisation. Et pourtant, d’une autre part, les adultes qui vont prendre soin des enfants n’ont pas reçu de formation pour les aider à verbaliser. Autrement dit, elles suivent seulement leur intuition pour parler aux bébés. Or, la verbalisation va bien au-delà de cette limite. La verbalisation donne un sens à la tâche comme l’affirme cette professionnelle : « Ben, c’est comme s’il fallait le faire [verbaliser], vous voyez ? Changer une couche sans verbaliser, ça n’a pas de sens ! C’est pas des objets les petits ! »

Toutefois, quelques-unes ont pu suivre une formation qui leur a permises de réaliser l’importance de la verbalisation lors des soins donnés aux enfants. Une des professionnelles a dit : « La verbalisation est un de nos outils et son importance nous est enseignée lors de nos formations, de façon plus ou moins importante, selon les études que nous avons suivies ». D’autres ont appris par leurs propres moyens, le rôle du langage pour les enfants comme cette professionnelle : « Pourtant, comme on nous l’apprend, mais moi j’ai un CAP et on ne me l’a pas appris. J’ai vu comment mes collègues faisaient et j’ai copié. J’imagine qu’elle est sûrement étudiée dans la formation d’EJE. Je me suis aussi documentée, et j’ai appris à ce sujet lors de mes expériences professionnelles ».

  1. Regards réflexifs sur mon intervention

Notre intervention a constamment travaillé sur l’explicitation et le dialogue. Cela s’est renforcé particulièrement, à partir de la deuxième moitié de notre mission. Le dialogue et l’explicitation ont été exploités pour permettre aux professionnelles de réfléchir et de porter un regard sur leurs gestes professionnels. Ainsi, nous avons eu la confirmation de la part des professionnelles que cette intervention a eu des répercussions sur leurs tâches auprès des enfants. Désormais, si les principaux points de la prise en charge et des soins apportés aux enfants dans la crèche ne changent pas, elles apportent un regard neuf à leurs missions et à la verbalisation, voire même, aux différentes tâches de routines. Elles ont pu donner un sens à leur travail et à regarder autrement la verbalisation.

Une participante s’est exprimée sur ce point : « Nos tâches sont trop mécaniques. Je sais pas si c’est le bon mot. ‘Y a pas de plaisir. C’est comme si on faisait la vaisselle. ‘Y a pas de sens vous comprenez ? Si on doit changer une couche, tout le monde sait faire. Mais changer une couche en verbalisant, ça apporte vraiment autre chose ! On apporter autre chose aux enfants, que le confort sur leurs fesses. Donc, notre travail, je crois que c’est ça : verbaliser ». Notre intervention a agi comme un déclencheur de la réflexion sur la verbalisation chez les professionnelles, comme le confirme une des participante à l’étude : « Je voyais pas ma façon de faire, mais vous me faites réfléchir là… trop réfléchir même ! ».

Au cours de ces séances de travail, mais également lors d’échanges hors séances, j’ai contribué à accompagner les professionnelles à être dans la réflexion, le mouvement et le développement. Je ne peux pas m’empêcher en effet, de m’interroger si mon bilan aurait été différent si après l’obtention de l’autorisation, nous avons utilisé d’autres méthodes comme l’instruction au Sosie ou l’autoconfrontation croisée.

Mais je n’ai pas agi seule, j’ai travaillé en binôme. Certes, cette démarche peut comporter parfois certaines difficultés. Mais elle a contribué surtout à enrichir ma réflexion et notre travail. En effet, le travail en binôme permet de s’ouvrir aux autres points de vue, de développer la pensée. Cette collaboration a été l’occasion entre autres, de remettre en discussion l’activité des professionnelles, le sujet de l’intervention, mais également notre propre activité en tant que psychologue du travail en fin de formation. Pouvoir confronter ses différences tant au niveau des méthodes, du positionnement personnel, que d’écoute, ou encore d’acceptation de l’autre dans sa singularité est en soi extrêmement formateur, tant sur le plan professionnel qu’en termes d’enrichissement personnel.

De plus, cette dernière année d’enseignement et de préparation m’a confrontée, de manière imposée au départ, au travail collectif, entre pairs. Mais par la suite, j’ai pris conscience de la nécessité de travailler ensemble avec mes pairs, mais aussi pour et avec les destinataires des résultats de mon étude notamment, les professionnelles de la petite enfance. J’ai saisi l’importance d’aller vers les autres pour mieux les comprendre, et en même temps, pour faire une introspection et réfléchir sur ma posture en tant que psychologue du travail.

Je dois admettre à mon corps défendant qu’après cette expérience entre pairs dont je ne voulais pas, il ne me paraît plus pensable désormais d’envisager l’exercice de mon métier, je dirais même plus, de n’importe quel métier, de manière isolée. Le groupe que nous avons constitué en prévision de cet examen et qui perdure depuis, a mis en lumière la puissance du collectif, sa richesse, et chacun de ses membres, uni aux autres. Il me semble que cela ait contribué au développement de l’agir des futurs professionnels que nous souhaitons devenir. Cette expérience m’a conduit à revoir ma position sur le travail à deux, et je n’exclus plus désormais de trouver, le moment venu, le « pair » auprès duquel et avec lequel, je conduirais une fois diplômée, certaines de mes interventions.

D’autre part, en dépit de la distance qu’il m’a été nécessaire de prendre, le sujet initial que je souhaitais traiter n’a eu de cesse de m’interpeller au cours de travail d’écriture. En effet, la verbalisation constitue à la fois un acte de langage et un geste de métier central dans le quotidien des professionnelles de crèche. Plusieurs questions émergent : la verbalisation à destination des enfants n’est-elle pas l’un des gestes de métier prédominants des professionnelles de la crèche ? La verbalisation à haute voix pour soi ou pour autrui n’a-t-elle pas pour objectif de se rassurer, de prendre confiance, réfléchir, informer, etc. ? La verbalisation des difficultés rencontrées, projets en cours et à venir, les interrogations lors des réunions d’équipe ne permet-elle pas de développer le collectif et, partant, l’activité ? Or, aujourd’hui encore, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la possible dimension cachée de la verbalisation en tant que geste de métier à destination des enfants.

Lors de nos journées d’observations et de nos séances de travail, il est nettement apparu qu’en sections, les espaces de travail et d’activités à destination des enfants pouvaient s’apparenter à des espaces de développement des compétences permettant à chacune des professionnelles de donner ses avis, difficultés, interrogations sans craindre le jugement. La verbalisation de ceux-ci était initialement destinée aux enfants, mais également consciemment ou non tournée vers leurs pairs. Le collectif s’empare parfois d’une problématique pour réfléchir à une solution.

Dans ces espaces, les professionnelles ont la possibilité d’échanger leurs points de vue sur les actions menées auprès des enfants, ainsi que sur leurs manières de faire, sans que les retours de leurs collègues ne soient perçus comme injonctifs et ce, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’espaces à visée formative.

Notre intervention a révélé entre autres, que les conflits interpersonnels semblaient davantage avoir lieu dans la section des moyens grands. Or, c’est la section au niveau de laquelle, la verbalisation est nettement moindre. Dès lors, une question pourrait faire l’objet d’une étude à venir : La verbalisation auprès des jeunes enfants pourrait-elle permettre de contribuer au développement des compétences des professionnelles de la petite enfance en crèche ?

  1. L’intervention en psychologie du travail
    1. Le cadre et la posture inlassablement en tension

Tout au long de l’intervention, je me suis trouvée régulièrement en tension entre l’objet de mon activité passée de Responsable des relations sociale, et celle que je découvre pas à pas de psychologue du travail. Toutes deux sont pourtant tournées vers le dialogue, et pourtant, elles sont si différentes.

Concernant le cadre, nous avons rencontré à plusieurs reprises, des difficultés pour le tenir. Je pourrais citer comme exemple le collectif de pairs. En effet, pouvons-nous nous féliciter d’avoir eu dix professionnelles volontaires alors qu’elles ont été invitées, pour ne pas dire convoquées par leur direction ? Je me suis « consolée » en me disant qu’à défaut, nous sommes parvenus à retenir leur attention, puisqu’elles n’ont pas déserté et qu’en outre, elles ont demandé à ce que notre intervention se poursuive. De ce fait, je pense que même si les interventions pouvaient être tendues au début car, il est possible que les professionnelles n’aient pas bien compris les raisons de notre venue, cette barrière s’est estompée et à la fin, elles ont compris, l’importance de notre intervention. Je me souviens de ce que m’a dit une professionnelle : « Je vous ai beaucoup observé, vous deux parce qu’au début, je comprenais pas bien à quoi ça servait votre venue chez nous. Maintenant, j’ai compris. Mes collègues, elles ont dit beaucoup de chose que je pense sur à quoi ça sert, ce qu’on devrait changer, donc je vais pas répéter ».

A l’instar de mes sentiments et ma possible réticence au début de cette étude, les professionnelles avaient également des doutes, et se posaient des questions. Mais à la fin, aussi bien elles que nous et moi personnellement, j’ai pu voir l’importance de cette rencontre. Malgré le fait que nous avons pu surmonter cette tension qui aurait pu limiter la réalisation de cette étude, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur ce qu’aurait fait un psychologue expérimenté à notre place.

En outre, si les dix professionnelles engagées dans notre intervention sont des pairs, au même niveau, quelles que soient leurs formations initiales, nous avons compris très tardivement que chaque équipe comprenait un « room leader » (S en section des petits et F en section des moyens grands), responsable de section mais sans lien hiérarchique. Le room leader est habilité à gérer l’organisation quotidienne de la section, à mener l’équipe sur les activités, à superviser le planning quotidien, à remonter certaines informations à la direction tels que les problèmes rencontrés par l’équipe, les projets, etc. Nous avons composé avec cette difficulté en œuvrant notamment à laisser à chaque professionnelle, avec un temps de parole maîtrisé, la possibilité de s’exprimer sur les sujets travaillés en séance. Néanmoins, là encore, je m’interroge sur le respect du cadre.

Par ailleurs, nous avons vécu deux suppressions de séances, ainsi que des séances parfois raccourcies. Ces changements avaient lieu pour ne pas bouleverser le planning. Parfois, les séances ont été raccourcies à cause des absences, etc. De ce fait, il pourrait y avoir des impacts sur le déroulement des séances. Devons-nous estimer que le cadre a été attaqué ?

Concernant la posture, je dois admettre que le fait de m’éloigner de ma zone de confort, c’est-à-dire la posture que j’ai acquise dans mes expériences antérieures, voire actuelles, n’a pas été de tout repos. Aujourd’hui encore, je me questionne sur ce point et ce, d’autant plus après cette première intervention en binôme. Parmi ces interrogations, deux demeurent :

  • Il nous a été dit d’éloigner la verbalisation des émotions du dialogue entre, et avec les professionnelles. En effet, celle-ci revient davantage au métier de psychologue clinicien. Nous avons donc choisi d’utiliser la verbalisation des émotions pour permettre à celles-ci de reprendre leur juste place en faisant parler les professionnelles sur les situations concrètes de leur travail quotidien. Résolument tournée vers l’humain – bien que n’ayant pas choisi de devenir psychologue clinicienne – je sais néanmoins qu’un futur clinicien de l’activité se doit d’abord de s’intéresser aux gestes de métier, à l’activité. Cependant quand ceux-ci concernent des individus qui travaillent dans le métier du care, comment faire pour tenir à distance les émotions intrinsèques aux êtres humains, dans une pratique quotidienne, et de facto, présentes dans l’exercice de leur métier ?
  • Très certainement par nature, j’ai toujours été davantage dans l’observation (des individus et des environnements) et l’écoute active, plutôt que dans le questionnement et la loquacité. Comme évoqué précédemment, B. quant à lui, m’a paru à la fois dans l’écoute, mais également plus prompt à parler de manière aisée et fluide, et à interroger. Mais le psychologue du travail, à la posture indéniablement différente de celle de consultant, conseiller ou médiateur, et dont le métier tend notamment à ouvrir des cadres dialogiques authentiques sur les gestes quotidiens du travail, ainsi qu’à provoquer la controverse entre professionnels peut (ou doit) – il être également le taisant ? Et si oui, comment ?

Dans le cadre de ce travail réflexif, d’autres sujets de tensions ont émergé. A plusieurs reprises, je me suis surprise à écouter les professionnelles comme une DRH le ferait, à évaluer, à « jauger », à sanctionner parfois même en silence, en imaginant une solution, un compromis…. Après, je me reprends pour mettre à distance cette posture d’autrefois, en me rappelant que « là, tu ne sais rien », « l’experte, ce n’est pas toi », « elles savent mieux que toi ». Je devais revenir à l’humilité, l’étonnement, l’écoute et la découverte.

Une séquence en particulier m’a interpellée. B. et moi avions présenté à toutes les professionnelles et à la direction nos parcours respectifs au début de notre intervention. Nous avons également présenté nos parcours respectifs, ainsi que l’objet de notre présence : une intervention de psychologue du travail, en fin de formation. Pourtant, peu de temps après le début des séances de travail, M1 a évoqué les difficultés que la crèche rencontrait avec un petit garçon à l’intégration difficile, évoquant même, une potentielle pathologie psychologique. Elle nous a interpellés à ce sujet afin d’avoir notre avis. J’ai alors compris qu’en dépit de nos explications, la confusion persistait encore « psychologue » et « psychologue du travail ». Il me paraît désormais tout autant fondamental de savoir à quelle place, les professionnels et la direction nous mettent, que de prendre conscience de celle que nous choisissons volontairement ou non, de prendre.

  1. Analyse de l’activité et mouvements dialogiques

Les dialogues avec les professionnels a permis de montrer la complexité de la fonction contenante des professionnelles de la petite enfance, telle qu’elle est décrite par Mellier (2002 : 26-28). Selon cet auteur, malgré l’investissement des professionnelles pour répondre aux attentes des enfants, elles sont dans l’incapacité de répondre à tous leurs besoins. Ce sentiment d’impuissance est perçu comme un échec parfois difficile à contrôler. Nous avons vu par exemple, lors de l’intervention que certaines professionnelles ne savaient pas quoi faire lorsque tous les bébés pleurent en même temps. Mais quand la souffrance est trop grande, l’individu sombre dans le déni pour se protéger (Mellier, 2002 : 27). L’intervention en psychologie du travail a été favorisée dans la crèche où nous avons travaillé pour favoriser l’expression de ce sentiment d’abord, individuellement, puis au sein du groupe. Notre intention était de faire en sorte que l’équipe de travail puisse réfléchir ensemble et faire des échanges. 

Selon Mellier (2007 : 27) en effet, lorsqu’un membre d’un groupe est dans la souffrance, l’équipe doit agir comme étant un contenant capable de contenir ses anxiétés et l’aider à prendre soin des enfants. Le rôle de contenant groupal a été mis en relief. Quand l’enveloppe groupale est suffisamment sécurisante, elle permet le développement des enfants et l’assurance d’un lien entre eux. Dans le cas contraire, le groupe peut jeter l’anxiété non contenue à l’extérieur notamment au niveau des parents, de l’administration ou de la direction. Une telle projection permet en quelque sorte de protéger les enfants en leur épargnant la diffusion de l’anxiété. En d’autres termes, il s’agit d’une autre manière pour ne pas maltraiter les enfants. Et cela explique en partie aussi les raisons des fréquents conflits entre les professionnelles. Au lieu de renvoyer leurs inquiétudes et toutes leurs émotions négatives sur les enfants, elles entrent en conflits entre elles (Mellier, 2002 : 27-28).

Notre intervention au sein de la crèche, au niveau des professionnelles de la petite enfance a été une opportunité pour lancer la verbalisation de chacune d’entre elles sur leur travail, ainsi que le dialogue entre elles, autour du travail. Pour elles, le cadre dialogique a été une occasion pour se libérer et pour prendre du recul sur les choses qu’elles font inconsciemment, les postures et les gestes professionnels qu’elles adoptent sur leur lieu de travail, sans trop y penser. Une fois que notre intervention en tant que psychologue du travail a été lancée et que nous l’avons orientée vers le dialogue, les professionnelles ont pu jauger l’importance de la verbalisation en tant que geste du métier. Une professionnelle s’est exprimée ainsi à ce propos : « La verbalisation permet de se rendre compte de ce que l’on va faire avant de le faire, d’anticiper l’action, donc, je pense que ça nous permet de prendre du recul sur notre pratique et donc d’ajuster notre accompagnement des enfants si nécessaire. Par exemple, si je dis à voix haute à un groupe d’enfants que nous allons faire quelque chose, le fait de le dire et d’anticiper va peut-être me permettre de me rendre compte que ce n’est pas une bonne idée, ou qu’il vaudrait mieux faire autre chose, s’y prendre autrement. C’est un peu comme si au moment où ça sort de ma bouche, ça ré-rentre dans ma tête. Autrement, ça fait réfléchir quoi ! ».

Pour une autre participante, la verbalisation a aussi une autre fonction : « C’ [la verbalisation] est aussi une communication supplémentaire des informations en équipe. Si je dis à l’enfant : « Nous allons nous coucher dans le dortoir », tout le monde saura où me trouver. La verbalisation permet à tout le monde de mieux se repérer dans sa journée de travail et de savoir ce que chacun a à faire. (…) Ben, moi j’ crois bien que la verbalisation est un vrai geste dans notre métier. Je ne le voyais pas comme ça avant votre intervention car, parler, c’est normal, automatique. (…) Si on ne verbalise plus dans nos gestes de la journée, c’est une grosse partie de notre boulot qui disparaît et c’est la pagaille ».

Outre la prise de conscience sur la centralité de la verbalisation en tant que geste du métier indispensable au développement de l’enfant, notre intervention en clinique de l’activité a poussé aussi la discussion entre les professionnelles, sur les failles, les manques en matière de dialogue, de verbalisation entre les professionnelles elles-mêmes. Si auparavant, elles accordaient peu d’importance aux dialogues entre les professionnelles, elles sont devenues plus ouvertes pour dialoguer avec leurs collègues de travail en vue d’améliorer leurs tâches auprès des destinataires c’est-à-dire, les enfants, mais aussi leurs parents. Elles ont donné plus d’importance au dialogue pour améliorer aussi leur environnement de travail comme le dit une autre professionnelle : « Et puis, faut voir un truc méga important aussi : on s’embrouille beaucoup entre nous, le staff, dans cette section. Et c’est peut-être aussi parce que comme on verbalise moins, y ‘a moins d’infos entre nous, on s’aide moins bien aussi que chez les petits. Je crois que le travail d’équipe est moins efficace et c’est normal. J’vois, j’avais un autre métier et quand ‘y avait pas une bonne com’ entre nous, c’était pas efficace. Mais alors pas du tout ! Et quand on dit : « on n’a pas le temps », on ment ou on se ment. On le prend pas, c’est tout ! Et puis, ‘y a plein d’autres façons de dialoguer, s’informer, s’entraider, et tout. Ici, c’est pareil. Je crois vraiment que chez les moyens grands, on pourrait utiliser la verbalisation pour mieux communiquer et le reste, comme chez les petits finalement. Eux, ils font bien, c’est « fluent » ».

Le retour réflexif des professionnelles sur les effets de la verbalisation sur l’organisation et le climat de travail a permis de montrer que la verbalisation non seulement vers les enfants et les autres professionnelles permettait d’améliorer les conditions de travail et la qualité de vie au travail. En effet, un individu isolé ne peut pas prendre conscience de ce qu’il vit et d’exploiter son expérience afin d’en tirer les connaissances de base qui vont améliorer ses gestes professionnels. L’exposition à une situation familière conduit au savoir faire, mais c’est la verbalisation qui permet à la personne de connaître les choses qu’elle sait faire. Autrement dit, la verbalisation aide la professionnelle à prendre conscience de ce qu’elle sait. Ainsi, la présence d’autres acteurs notamment, un médiateur, un chercheur, un psychologue du travail facilite le guidage pour faire prendre conscience de ses connaissances aux professionnelles (Vermersch, 2004). Outre la prise de conscience, la verbalisation permet aussi d’aiguiser la pensée et la réflexion. La pensée ne peut se faire qu’à travers le langage selon l’approche cognitive (Carruthers, 1998 : 42). 

Pour les professionnelles, la verbalisation sert entre autres, à éviter les conflits entre elles pour pouvoir harmoniser le travail : « Nous essayons aussi de favoriser la communication entre professionnelles afin de donner du sens à nos actions au cours de la journée, à notre travail…. Cela évite souvent pas mal de quiproquos ou d’incompréhension. On voit bien que quand on ne verbalise pas ou pas assez, on se dispute beaucoup entre collègues. On se reproche des trucs alors que parfois, ça été fait, mais comme on ne peut pas tout noter dans la tablette ou le cahier de transmission, il y a des fuites dans les informations. Et du coup, on oublie aussi parfois de dire des choses aux parents dans les transmissions et des fois, c’est important. Ça peut être par exemple, une grosse angoisse dans la journée d’un enfant qu’on a eu du mal à comprendre ou un repas difficile ». Certes, l’observation des professionnelles est indispensable pour mieux les comprendre, mais la verbalisation de leurs activités permet de connaitre l’organisation interne de leur établissent et de favoriser les interactions langagières en situation de travail (Ulmann, Betton et Jobert, 2011 : 29).

Ainsi, la verbalisation constitue un outil pour trouver une alternative aux difficultés. Les espaces de discussion se sont avérés particulièrement indispensables pour les professionnelles afin qu’elles trouvent une solution aux problèmes. Une participante a ajouté : « Et puis clairement entre nous, c’est parfois vraiment tendu. Ça arrive parfois qu’on ne se parle pas pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines. Tout ça, parce qu’on n’a pas communiqué assez. On peut se dire : bien sûr qu’on n’a pas le temps, mais c’est pas vrai car, déjà, si on ne verbalise plus avec les enfants, on communique indirectement avec nos collègues. Et des fois, quand on a un problème avec un enfant, si on parle à haute voix avec l’enfant, les collègues écoutent et si elles peuvent ou qu’elles savent, elles nous aident et on gagne du temps. Sinon, faut attendre le déjeuner quand on mange ensemble, mais on n’a pas toujours envie de parler que du travail ; ou alors, les réunions d’équipe, mais alors souvent, on a oublié ou il est trop tard ou on n’a pas le temps ».

Dans certains cas, c’est la personne qui parle à haute voix qui parvient à trouver toute seule la solution et parfois même, c’est l’enfant qui l’aide à trouver la solution. La participante affirme : « Comme je parle tout haut à l’enfant, je sais pas comment expliquer, mais j’entends ce que je dis et ça m’aide des fois à trouver toute seule la solution. Des fois aussi, c’est bizarre je sais, mais c’est comme si c’est les enfants qui me donne la solution, avec des regards, des fois des mots, des gestes. Et puis d’autres fois, pour pas perturber l’enfant, je demande pas d’avis à mes collègues si j’ai un problème, mais en verbalisant mon problème à l’enfant, parce que je le fais avec d’autres mots qu’avec mes collègues. Mes collègues s’y mettent aussi et on trouve des solutions ensemble pour m’aider, ou alors ils trouvent à ma place. Quand on verbalise, je connais les tâches de chacune et je m’adapte. Voir et entendre ses collègues verbaliser avec les enfants est aussi un moyen d’évaluer sa propre pratique : est-ce que moi je fais comme ça ? Est-ce la bonne manière de faire ? Et de la même manière, les transmissions sont facilitées car, les informations concernant les enfants ont été entendues au fil de la journée. Cela évite les oublis lors des transmissions aux parents ».

A travers les dialogues et les échanges entre les professionnelles, nous avons également aidé les professionnelles à penser que la verbalisation est un outil stratégique dans la mesure où elle favorise la cohésion et l’esprit d’équipe, qui, selon Mellier, est indispensable à l’accomplissement de la fonction de contenance. Dans cette optique, une des professionnelles a dit : « J’aurais trouvé ça intéressant qu’on creuse un peu parce que je crois bien, et j’en ai parlé à mes collègues qui pensent comme moi, que vous avez touché du doigt un truc stratégique. Je crois que quand on verbalise tout le temps, avec tous les enfants, tout est plus simple et aussi, ça permet de mieux se comprendre entre nous et à mieux travailler ensemble avec le groupe des pros ».

Puis, le cadre dialogique et la verbalisation ont permis aux professionnelles de la petite enfance de prendre conscience des points faibles lors de leur intervention. Le fait de refouler ses propres sentiments et ses propres pensées au fond de soi-même ne permet pas de bien discerner les choses. Or, lorsqu’elles ont été confrontées à leurs propres pratiques et qu’elles devaient en parler, trouver les mots pour pouvoir dire ce qu’elles vivent, ce qu’elles ont fait, elles ont pu identifier la source du problème. Or, une fois que la source du problème ait été identifiée, il devient plus facile de trouver ensemble la solution. Une participante a dit à ce propos : « Mais c’est vrai que je vois ce que vous voulez dire. ‘Y a un truc avec les bébés de manière générale. Pas qu’ici. Où on dit qu’il faut vraiment beaucoup leur parler. Je pense que c’est aussi beaucoup pour le langage aussi, parce que comme ils peuvent pas s’exprimer…. Mais oui ! ‘Y a pas de raison qu’on ne continue pas avec les grands ! »

Outre à cela, c’est à travers la verbalisation que les professionnelles ont pu prendre conscience de leur geste de métier, notamment la verbalisation. Longtemps ignorée et réalisée inconsciemment, la verbalisation apparaît pour certaines comme étant une nouveauté, dont elles ont toujours disposées, mais que tout à coup, elles en ont saisi le sens comme l’affirme cette autre professionnelle : « C’est comme si je voyais, (alors que je devrais savoir !) un nouveau truc de mon métier… » Cette affirmation semble montrer l’existence d’une différence entre le travail prescrit et le travail effectivement réalisé. La professionnelle parle d’une chose qu’elle devrait savoir, mais qu’elle a l’impression d’être nouvelle. Dans la situation de travail il est possible qu’il existe une partie qui ne peut être prescrite intégralement ou être anticipée. Ainsi, elle demande de la part du travailleur des ajustements pour assurer la réalisation du travail et sa qualité au même titre que la sécurité de l’environnement et de la personne. Et pourtant, force est de constater qu’il s’avère difficile pour les professionnels de combler cette différence entre ce qu’ils devraient faire et ce qu’ils parviennent à réaliser dans la situation de travail réel. Cela peut conduire à un déni de la réalité chez les professionnels (Dejours et Molinier, 1994 : 36). Et c’est par le biais de la verbalisation que la prise de conscience peut avoir lieu (Vermersch, 2000 : 273).

Mais si les professionnelles ont pris conscience de l’importance de la verbalisation, l’autoconfrontation leur a permis également de constater qu’elles ont des difficultés à verbaliser. En effet, verbaliser ne se résume pas uniquement à mettre en mot ce qui vient à l’esprit. Il s’agit d’un processus beaucoup plus complexe et les professionnelles de la petite enfance l’ont compris. Elles ont saisi que pour accomplir leurs missions au sein de la crèche, il faut encore qu’elles fournissent plus d’efforts. Une professionnelle a dit : « Quand vous avez parlé de ça, je me suis dit : « mais pourquoi ça les étonne ça qu’on parle ? » et « mais si ! Moi j’parle tout l’temps ! » Parce que vous voyez, quand des fois, je raconte des choses de mon travail avec mes copines, je dis : « je parle ». Je pense pas à « je verbalise », mais c’est important les mots. Donc, en vrai, je verbalise et ça, c’est un vrai job, mais je me rends bien compte que je le fais pas correctement ou pas comme je devrais. En vrai, chez les moyens grands, on est beaucoup occupées avec les jeux, les cris, les pleurs. ‘Y a du bruit tout le temps je crois et c’est peut-être pour ça que je verbalise moins : ça ferai du bruit en plus. Mais c’est pas ce qu’il faut faire. »

  1. Hypothèses sur la verbalisation en crèche
    1. Les multiples destinataires de la verbalisation

Mon étude est née de l’observation du changement de verbalisation des professionnelles quand l’enfant acquiert les prémisses du langage ou commence à marcher. Mon observation confirme ce que d’autres auteurs ont déjà observé avant moi. Les professionnelles qui s’occupent des enfants dans les crèches n’adoptent pas la même posture ou le même geste d’un enfant à un autre, et d’un groupe d’âge à un autre. En effet, les professionnelles n’attendent pas beaucoup de choses de la part des enfants très jeunes, ce qui n’est pas le cas chez les bébés plus âgés. Ainsi, devant un bébé qu’elle estime ne rien comprendre, la professionnelle va accompagner les gestes de routine comme le fait de lui donner à manger, ou de jouer, avec des mots. La professionnelle tente à travers ses mots d’expliquer au bébé ce qu’elle fait (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). Les professionnelles tentent d’adapter leur langage en fonction de l’évolution des aptitudes de l’enfant (Abbeduto et al., 2006 : 4). 

Ainsi, la verbalisation s’arrête lorsque le bébé atteint un certain âge. A ce moment, les professionnelles semblent plus se focaliser sur leurs propres rôles et sur ce qu’elles entreprennent que sur les besoins et les comportements des enfants. Outre à cela, si les professionnelles verbalisent ce qu’elles sont en train de faire aux enfants, elles ne verbalisent pas pour autant les gestes et les comportements des enfants (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). Et pourtant, la production langagière de l’enfant est corrélée avec la quantité et la qualité des mots utilisés par les adultes qui s’occupent de lui (Zauche et al., 2016 : 322).

Une étude menée auprès des crèches norvégiennes a même révélée que nombre de professionnelles qui s’occupent des enfants ne leur parlent pas et n’établissent même pas de contact visuel avec les enfants. Les enfants mangent tous seuls et ne parlent pas. Lorsqu’ils émettent des sons pour interpeller les professionnelles, celles-ci n’y prêtent pas forcément attention, ce qui laisse penser que les verbalisations sont mêmes réduites lorsqu’il s’agit d’activités routinières (Klette, Drugli et Aandahl, 2016). Cela m’amène à penser dans le cadre de la première hypothèse que :

H1a : les verbalisations faites par les professionnelles en crèche sont principalement destinées aux enfants.

Et pourtant, nos interventions sur terrain ont permis d’observer que les professionnelles, même en s’adressant aux bébés, tentent également d’interpeller leurs collègues. Le but en est d’avoir une organisation harmonieuse du travail dans la crèche, afin que chaque travailleur connaisse ce que les autres sont en train de faire. De plus, les professionnelles ont reconnu que l’absence ou le manque de communication nourrissait les tensions au sein du groupe. Cela nous conduit à une autre sous-hypothèse :

H1b : Les verbalisations faites par les professionnelles en crèche sont également destinées aux autres professionnelles de la petite enfance.

Puis, comme les enfants ne viennent pas de leurs propres initiatives au sein de la crèche, mais placés par leurs parents, ceux-ci deviennent aussi les usagers indirects de la crèche. Les professionnelles doivent établir une relation de confiance avec eux et collaborer avec eux pour avoir des informations sur l’enfant, qui pourraient être exploitées afin de contribuer au bien-être de l’enfant. Par ailleurs, les transmissions permettent de faire un rapport aux parents de ce qui se passait en crèche. Mais le manque de verbalisation et le manque de confiance, de reconnaissance, selon les professionnelles peuvent les pousser à cacher certaines choses aux parents. Cela conduit donc à la sous-hypothèse suivante :

H1c : Les verbalisations faites par les professionnelles en crèche sont également destinées aux parents des enfants accueillis en crèche.

  1. La verbalisation, potentiel outil de développement des compétences professionnelles ?

La verbalisation est une production langagière qui n’est pas spontanée. Elle est construite intentionnellement et en toute connaissance de cause, en vue d’apprendre ou de développer. Le langage verbal crée en ce sens, un certain rapport entre le sujet et son environnement. Mais le langage permet également de transformer l’activité. Lorsqu’un sujet met en mot ses actions, il réorganise ses activités et les modifie. La verbalisation contribue de ce fait, à changer le rapport au monde et le rapport à l’activité (Balslev, Lenzen et Ronveaux, 2019 : 7).

Dans le domaine professionnel, la verbalisation a été utilisée dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience, pour faire un retour réflexif sur l’expérience de travail. Cette démarche visait à induire le développement mental. En effet, l’individu, à travers la verbalisation ne dialogue pas seulement avec son accompagnateur, mais également avec le métier et la procédure de validation des acquis de l’expérience (Balslev, Lenzen et Ronveaux, 2019 : 9). La verbalisation permet en effet d’établir un rapport distancié avec l’action, de relativiser l’expérience et d’en prendre conscience. Or, la prise de conscience et la réflexion sont à la base même de la modification des actions et des choix des individus. En admettant que le développement professionnel ne peut avoir lieu à moins que l’individu ne procède à des changements au niveau de l’action ou de l’environnement, alors la verbalisation réflexive conduit au développement professionnel (Balslev, Lenzen et Ronveaux, 2019 : 14). 

D’ailleurs, à l’issue de notre intervention, nous avons constaté que les professionnelles de la petite enfance ont pu faire une réflexion sur leurs gestes de métiers et sur leurs manières de faire lorsqu’elles prennent soin des enfants, à travers la verbalisation. C’est ainsi qu’elles ont pu identifier les causes de leurs problèmes et les solutions pour y parvenir. Elles ont même pu élaborer ensemble des connaissances pour faire face à certaines difficultés que chacune d’entre elles a déjà expérimentée, mais qu’elle n’arrivait jamais à mettre en mots jusqu’à notre intervention. Nous supposons de ce fait, que cette prise de conscience va les pousser à remettre en question leurs pratiques professionnelles et leurs gestes de métier, en vue de les améliorer. Cela m’amène à l’hypothèse que 

H2 : La verbalisation pourrait constituer un outil de développement des compétences professionnelles.

Conclusion

La verbalisation est cruciale aussi bien pour le développement des enfants que pour l’amélioration des conditions de vie des professionnelles de la petite enfance au travail. La verbalisation est à la base de la prise de conscience et de la réflexion sur ses pratiques professionnelles et sur ses gestes de métier. J’ai pu observer au cours de cette intervention avec mon binôme que les professionnelles n’avaient pas conscience de l’importance de la verbalisation, le confondant au simple fait de parler. Inconsciemment, elles ont arrêté subitement de parler aux enfants de la section des moyens grands et ce n’est que lorsqu’elles ont verbalisé leurs actions qu’elles s’en sont rendues compte. Elles accomplissaient leurs activités de routine, inconsciemment, jusqu’à ce que l’intervention en psychologie du travail ne leur pousse à prendre conscience de ce qu’elles connaissent déjà et de ce qu’elles accomplissent presque de manière routinière. 

Il serait intéressant de ce fait, dans l’amélioration de la qualité des services fournis aux enfants et à leurs parents, d’aider les professionnelles à verbaliser. Cependant, il existe en enjeu en ce qui concerne les moyens pour évaluer la verbalisation des professionnelles et la qualité de celle-ci sur les services fournis. D’autre part, la crèche ne favorise pas beaucoup la verbalisation comme moyen de développement de l’enfant. A cela s’ajoute l’hétérogénéité des parcours de formation des professionnelles, ce qui rend encore difficile la tâche du psychologue du travail à animer leurs réunions, pour les aider à verbaliser. Alors que certaines ont acquis une notion de la verbalisation, d’autres n’ont qu’une idée très vague de la verbalisation. Et pourtant, la verbalisation est leur principal geste de métier.

Cette expérience personnelle avec mon binôme et les professionnelles de la petite enfance a été particulièrement enrichissante pour moi. D’une part, elle m’a permis de voir d’autres facettes du travail en crèche et de m’ouvrir à d’autres idées et activités. D’autre part, j’ai pu inférer que le travail du psychologue du travail était aussi important pour aider les professionnelles à améliorer leurs conditions de vie au travail. En même temps, le psychologue du travail tient un rôle important dans la verbalisation dans la mesure où les relance qu’il fait, les questions qu’il pose, stimulent la réflexion des professionnelles et les amènent à faire une introspection.

Pourtant, force est de constater que ce rôle du psychologue du travail n’est pas encore reconnu. Dans le contexte de mon intervention dans cette crèche par exemple, les séances ont été limitées, certaines conditions ont été particulièrement difficiles à remplir et je n’avais plus d’opportunités pour poursuivre mon intervention malgré les demandes des professionnelles. Outre à cela, les professionnelles et le personnel de la crèche lui-même n’arrivent pas à faire la distinction entre le psychologue et le psychologue du travail. Si le psychologue est le bienvenu pour aider à prendre soin des bébés accueillis, la venue d’un psychologue du travail pourrait être mal vue. Il a fallu plus de temps pour que les professionnelles prennent conscience de l’importance de cette discipline. Cette constatation pourrait donc ouvrir une autre réflexion sur la manière avec laquelle, les interventions des psychologues du travail en crèche pourraient être améliorées.

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