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Introduction

La norme a fait l’objet de nombreuses études visant à déterminer son rôle dans les actions sociales. Il en a découlé la constatation de son importance pour le fonctionnement de la société et dans la régulation sociale (Caron-Bouchard et Renaud, 2010 : 12). Les sociétés humaines ont toujours mis en place des normes afin de de promouvoir les interactions pro-sociales (FeldmanHall, Son & Heffner, 2018 : 1). Si des études ont été menées en ce qui concerne certaines normes en particulier qui permettent de réguler les actions des membres de la société, très peu se sont intéressés à la question de savoir les normes qui régissent le fonctionnement d’un CHRS, qui est notre terrain d’étude.

Les CHRS constituent une des institutions les plus anciennes à accueillir les personnes en vue de leur insertion. Dès le milieu du 20ème siècle, les précurseurs des CHRS commencent à voir le jour pour accueillir les femmes qui se livraient auparavant à la prostitution. Puis, ils ont également visé la moralisation des conduites sociales des citoyens après la guerre. Ainsi, le CHRS découle de l’intervention sociale qui a pris place bien avant cette époque. L’établissement d’un CHRS répondait à l’objectif de lutter contre la pauvreté marginale (Bregeon, 2009). Depuis les années 1950, les CHRS se sont multipliés pour fournir l’aide social à l’hébergement. Aujourd’hui encore, les CHRS tiennent une place non négligeable dans le système d’hébergement social.

Avec le temps, le public accueilli dans les CHRS évolue également. Si les prostitués et les personnes qui sortent de l’hôpital étaient les principales personnes accueillies en CHRS, force est de constater que ces structures accueillent également d’autres profils de demandeurs d’hébergement : des ex-détenus (D’Haen, 2007), différentes personnes marginalisées, rencontrant différentes difficultés sociales (Thiery, 2008). Parmi ces difficultés se trouve la consommation de produits psychoactifs qui a été décelée chez les CHRS (ANESM, 2015 : 44).

L’utilisation de produits psychoactifs est réglementée voire même interdite pour certains, étant donné leurs impacts sur la santé publique et sur l’individu lui-même (Rehm et al., 2019). Le contrôle de la consommation de ces produits psychoactifs devient donc primordial pour les chercheurs et les acteurs qui prennent en charge les consommateurs de ces produits psychoactifs qu’ils soient licites ou illicites. Les normes qui régissent le contrôle de ces produits dans les CHRS intéressent la présente étude. Elle cherche à étudier également les relations entre normes établies et qualité de l’accompagnement par les travailleurs sociaux, ainsi que les résultats en termes de consommation et d’organisation au sein du CHRS.

La première partie de cette étude se consacrera au contexte d’étude. Elle correspond à l’analyse de l’état de l’art sur les normes et l’accompagnement CHRS. De ce fait, dans cette première partie, nous allons présenter notre lieu de stage et également lieur d’étude. Puis, nous allons aborder la notion de norme et de normativité. Cette sous-partie sera suivie par le développement du concept d’addiction, de la notion d’accompagnement. Après, les pratiques professionnelles et les mutations qui s’opèrent au niveau de leurs activités seront abordés dans l’avant dernière sous-partie. Ces éléments vont nous permettre de faire une problématisation et de formuler des hypothèses. Cela conduit logiquement à la deuxième partie allouée à l’étude empirique. Dans cette dernière partie, nous allons présenter la méthode adoptée pour collecter les données. Celles-ci seront alors analysées puis discutées.

Première partie. Contextualisation et problématisation

Chapitre I. Contextualisation et pré-enquête

I.1. Le terrain d’étude : un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale

I.1.1. Présentation générale des CHRS, leurs missions et objectif

Les CHRS sont destinés à accueillir des populations qui traversent des épreuves difficiles que ce soit du point de vue économique, familial ou social. Ils accueillent des personnes qui sont confrontées à l’absence de logements afin que celles-ci puissent retrouver leur autonomie sociale. Les CHRS sont sous le contrôle de l’Etat qui les finance. Cependant, leur gestion est souvent assurée par des organismes privés notamment, des associations. Sont englobés dans cette appellation de CHRS les CHRS d’urgence, les CHRS de stabilisation et les CHRS d’insertion. Les CHRS d’urgence comme leur nom l’indique, sont dédiés à l’accueil pour la nuit. L’hébergement y est donc de courte durée (une à sept nuits par mois tout au plus). Les CHRS de stabilisation pour leur part permettent aux personnes accueillies d’y résider deux à trois mois, de jour comme de nuit. Enfin, les CHRS d’insertion correspondent à des foyers ou des appartements qui peuvent héberger les bénéficiaires pendant six mois. Ce délai est renouvelable (Michalot & Simeone, 2010 : 110-111).

Les CHRS ont été qualifiées de « propriétés sociales » par Ganne & Thiery (2019 : 54-55). Ces propriétés sociales sont soumises à des règlementations internes et se caractérisent par des contrôles faites sur les résidents. Il ne s’agit pas d’un lieu de vie où chaque résident jouit d’une intimité individuelle ou familiale. Les contrôles sont mis en exergue dans le but de rappeler aux résidents la nécessité de fournir des efforts pour assurer leur insertion sociale.

Les missions des CHRS sont définies par l’article L.345-1 du Code de l’action sociale et des familles qui stipule qu’ils doivent accueillir les personnes et les familles qui rencontrent de graves difficultés lorsque celles-ci le demandent. Les difficultés peuvent être d’ordre économique, familial, logement, santé, social (Balandier, 2017 : 83). L’accueil d’une personne vulnérable correspond déjà à une étape de la reconstitution de soi. En agissant ainsi, les intervenants au sein de la structure d’accueil reflètent leur croyance en la personne accueillie, ses qualités et ses potentiels (Soulet, 2008 : 102).

Le CHRS offre aussi des services d’accompagnement individuel aux personnes qu’il accueille (Jacquinot, 2017 : 72). La constatation de l’augmentation du nombre de mineurs présents dans les CHRS par exemple a incités ceux-ci à intervenir dans le cadre de l’accompagnement ou le soutien à la parentalité. Certes, il ne s’agit pas de la première vocation des CHRS, mais l’évolution de la population qu’ils accueillent les pousse à agir ainsi (Ganne & Thiery, 2019 : 56). Les principales actions des CHRS se résument donc à l’accueil d’urgence et à la réadaptation sociale. Cette dernière ne se limite pas uniquement au placement de l’individu dans le centre, mais veille également à ce que la personne soit compatible avec son environnement (Bregeon, 2009).

De ce fait, les principales missions des CHRS consistent à donner de l’assistance aux personnes nécessiteuses notamment, les marginaux, mais aussi les personnes qui se trouvent confrontées à des difficultés sociales (Thiery, 2008). Le but des CHRS est d’assurer l’insertion sociale des personnes qui rencontrent des problèmes sociaux, à travers des contrats qui vont leur permettre de se conformer et d’acquérir les capacités demandées par la société afin qu’elles soient acceptées par la celle-ci. Ainsi, les professionnels des CHRS cherchent à orienter les accompagnés vers le droit commun et à retrouver une certaine stabilité dans des institutions communes et à l’acquisition d’un logement et d’un emploi (Fleury-Gorkowski, 2018 : 17).

Les interventions en CHRS fait appel à une équipe pluridisciplinaire comprenant des éducateurs spécialisés, des moniteurs, des éducateurs et des psychologues. L’intervention est co-construite avec la personne prise en charge dans la mesure où elle est réalisée selon les désirs et les demandes de l’usager. Quatre points focaux sont considérés dans le cadre de cette prise en charge : le logement, l’emploi, la santé et la réinsertion sociale (Jacquinot, 2017 : 72).

I.1.2. Les personnes admises en CHRS

Les personnes admises en CHRS sont celles qui ne possèdent pas de domicile fixe et présentant différentes pathologies. Certaines d’entre elles montrent des conduites addictives ou sont victimes de violences physiques ou psychologiques. La population accueillie par les CHRS se caractérise aussi par une rupture sociale (Jacquinot, 2017 : 72).

Si dans la plupart des cas, les personnes admises en CHRS sont en situation de grande précarité, ces dernières années ont été témoins de l’admission d’autres populations notamment, les personnes qui viennent de sortir de l’hôpital, ce qui fait du CHRS un lieu de déshospitalisation. Certaines d’entre elles poursuivent leur cure ou font une rééducation. A cause de leurs maladies ou de toutes autres raisons, ces personnes se retrouvent sans ressources ni logement. Depuis quelques années, les CHRS accueillent également des ex-détenus, des personnes qui tendent à s’orienter vers la prostitution (D’Haene, 2007). Ainsi, les CHRS ne se focalisent plus uniquement sur les populations marginalisées, mais s’ouvrent de plus en plus sur des populations qui rencontrent différentes difficultés sociales (Thiery, 2008).

Souvent, les personnes accueillies dans les CHRS sont des couples ou des adultes isolés. Mais au fur et à mesure que le temps passe, le nombre de mineurs qui sont accueillis dans ces structures augmente. Les femmes sont plus nombreuses à intégrer les CHRS par rapport aux hommes. Ces femmes sont souvent responsables d’un ménage monoparental et s’occupent seules de leurs enfants. Certaines d’entre elles ont dû fuir le domicile conjugal suite à des violences perpétrés par leurs maris ou leurs conjoints surtout, pendant les premiers mois de leur grossesse (Thiery, 2008).

L’étude menée par le CREAI et le centre ORS (2013 : 22-24) a déterminé les caractéristiques sociodémographiques des personnes admises en CHRS. Ils ont conclu qu’un peu plus des personnes accueillies étaient des hommes et que ceux-ci occupaient pour la plupart, des places de stabilisation. L’âge moyen des résidents étaient de 34 ans. La majorité des résidents étaient célibataires, de nationalité française. Les étrangers sont déjà en situation régulière. Une faible proportion est en attente de titre de séjour (8.7%), demandeurs d’asiles (4.5%) et réfugiés (2.5%). La rupture d’hébergement familial constitue la principale cause de leur orientation vers les CHRS. Après cette première cause, les résidants ont été accueillis en CHRS suite à leur sortie d’un établissement social ou médico-social. La rupture d’hébergement amical, les violences conjugales et la rupture conjugale ainsi que l’absence d’hébergement sont les autres raisons de leur venue en CHRS. D’autres raisons de plus faible fréquence ont été mentionnées : sortie d’hospitalisation ou de prison, demande d’asile, fin de contrat de location ou de bail, hébergement précaire, surpeuplement dans le logement, arrivée en France sans qu’il n’existe de structures permettant de les accueillir, maladie.

Le CREAI et le centre ORS (2013 : 24-26) ont entre autre dressé le profil des résidants. Ils ont pu déterminer que 85% d’entre eux possèdent un diplôme (CAP/BEP, BEPC dans la plupart des cas). Plus de 70% des personnes n’avaient pas de travail et étaient inscrits à Pôle Emploi, tandis que 16% seulement avait une activité professionnelle. Plus d’un quart n’avaient pas de ressource financière et vivaient du Revenu de solidarité active (RSA). Quelques-uns percevaient des prestations familiales ou des revenus d’activités, revenus de formation.

Dans certaines mesures, les CHRS peuvent aussi accueillir des personnes issues des établissements psychiatriques. Ils sont admis dans les CHRS en tant qu’adultes handicapés et bénéficie de ce fait, d’une allocation pour adultes handicapés (AAH). L’accueil était alors limité à deux ans. L’admission de ces personnes en CHRS s’inscrit dans le cadre de leur dépsychiatrisation et la modification de leur statut d’assisté en sujet agissant. Cela implique leur reconnaissance en tant que participants à part entière à leur propre réinsertion sociale (Boudjemai, 2013 : 54-55).

Parfois, les CHRS accueillent des personnes qui sortent de prison. Cependant, l’accueil de ce public peut dans certains cas porter préjudice à la gestion de l’ensemble de la population accueillie en CHRS vu qu’elles tendent à reproduire à travers les CHRS collectifs, ce qui se passe dans les prisons. Dans ce cadre, les personnes qui sortent d’incarcération peuvent perpétrer à l’intérieur du CHRS les trafics, l’appel par le numéro matricule ainsi que les rapports de domination (Chantraine & Delcourt, 2019 : 51).

I.1.3. Les problèmes liés à l’alcool, la polyconsommation et les règlements en CHRS

Les activités des CHRS sont régies par la loi et en ce sens, l’article L.3421-1 du Code de la santé publique interdisant la consommation des substances ou des plantes considérées comme étant des stupéfiants. Ce délit est passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros. Cependant, si cette règle est clairement établie et annoncée dans la loi, celle-ci ne prévoit pas que les personnes témoins d’un tel acte dénoncent le délit à l’autorité judiciaire. Seuls les fonctionnaires astreints sont tenus de dénoncer le délit au procureur de la République s’ils ont vu ou connaissent le délit (Balandier, 2017 : 73-74).

L’Agence Nationale de l’Evaluation et de la qualité des Etablissements et Services Sociaux et Médico-sociaux (ANESM, 2017) a recommandé aux structures d’accueil des personnes marginalisées dont les CHRS, de définir des procédures et des sanctions en ce qui concerne la consommation de substances psychoactives licites comme l’alcool, le tabac, les médicaments prescrits, etc. et d’interdire la consommation de substance psychoactives illicites. En même temps, elle encourage la mise en place de stratégies de réduction des risques et des dommages encourus par les personnes consommant des produits psychoactifs. Pour ce faire, elle souligne l’importance de la formation de l’équipe qui se charge de l’accueil et de l’accompagnement des usagers en matière de risques et dommages liés aux caractéristiques des produits psychoactifs. En se référant à cette recommandation de l’ANESM, il est donc admis que la prohibition de la consommation de produits psychoactifs qu’ils soient licites ou non, fait partie de la bonne pratique professionnelle, et constitue de ce fait, une norme chez les établissements accueillant des personnes en marge de la société.

Et pourtant, ni les contrats de séjours et les documents individuels de prise en charge, ni les règlements de fonctionnement basés sur les articles L.311-7 et R.311-37 visant l’ordre public n’interdit pas la consommation d’alcool ou de tabac dans les CHRS (Balandier, 2017 : 76). Les usagers sont donc libres de faire leur choix pour utiliser ou non les substances psychoactives. La seule question qui se pose se réfère aux effets de ce choix libre sur l’environnement selon l’espace où la personne souhaite consommer le produit : les parties communes ou l’espace privatif de l’établissement. Les parties communes sont en effet les lieux d’application du règlement de fonctionnement, ce qui suppose aussi le respect des règles de vie collective, des biens et équipements collectifs, ainsi que le comportement civil envers les autres personnes qui partagent ces espaces. En ce sens, la consommation de substances psychoactives dans les espaces communs est interdite (Balandier, 2017 : 77-78).

De plus, si l’interdiction d’alcool est écrite dans les règles dans de nombreux établissements médico-sociaux, force est de constater que celle-ci n’est pas suivie à la lettre. L’alcool est toléré et les personnes accueillies peuvent être fortement alcoolisées. En d’autres termes, si la consommation d’alcool est tolérée, c’est pour permettre aux travailleurs sociaux de faire leur travail. Elle est tolérée si la personne ne se montre pas violente envers les autres et si elle ne nuit pas aux autres (Liénard, 2019 : 118). Etant donné que la consommation de substances psychoactives pourrait conduire à l’exclusion de l’usager, certains CHRS préfèrent ne pas en parler à leurs partenaires, préférant dire qu’ils n’ont pas de problèmes de consommation d’alcool (Mutatayi, 2014 : 18).

Au cas où les professionnels de l’établissement se montrent exigeants en ce qui concerne le respect des règles, les personnes accueillies cherchent des subterfuges pour consommer le produit psychoactif tout en bénéficiant des services proposés par la structure d’accueil. Dans le cas d’un CHU par exemple, l’alcool est interdit dès l’accueil. La consommation d’alcool pendant le séjour est sanctionnée par le renvoi de la personne. Comme résultat, le séjour de l’usager est écourté. Cela ne l’empêche pas pour autant, de revenir faire sa demande une autre fois et la structure va l’accueillir (Bruneteaux, 2006 : 111). Dans d’autres cas, l’usager, bien conscient des règlements, mettent en œuvre des tactiques leur permettant de boire sans pour autant se faire prendre : certains cachent la bouteille, d’autres sortent par les fenêtres pour récupérer les bouteilles et les consommer pendant la nuit (Bruneteaux, 2006 : 117).

Le règlement intérieur des établissements médico-sociaux est réactualisé tous les cinq ans. En général son élaboration repose sur des règlements intérieurs d’autres établissements et revu par l’ensemble des équipes qui travaillent au sein de l’établissement. Selon la loi 2002-2, ce règlement intérieur devrait être accessible à l’usager. Cependant, ce n’est forcément pas le cas. Même chez les travailleurs sociaux, mis à part les grandes lignes comme l’interdiction de consommer de l’alcool, le contenu du règlement intérieur est mal connu (Liénard, 2019 : 117).

I.2.Les missions au sein du Centre d’hébergement et de réinsertion sociale et émergence de la situation de départ

I.2.1. Présentation du lieu de stage

Le stage s’est déroulé au sein de l’Association Eole. Celle-ci est née de la fusion des Associations Martine Bernard et FARE le 1er octobre 2014. L’association Martine Bernard (infirmière major de la Croix Rouge) créée le 28 mars 1951 avait pour but de venir en aide aux sans-abris et aux prisonniers libérés. Au fur et à mesure que les problèmes rencontrés par les personnes en difficulté ont changé, les activités de l’association Martine Bernard ont également évoluées. L’association FARE pour sa part, a été créée le 20 mars 1986 et offre un lieu d’accueil de jour.

La fusion entre ces deux associations résulte de la réflexion qui a débutée en 2010 entre cinq associations de la métropole Lilloise. Ces cinq participants œuvrent tous dans le domaine de l’accueil, l’hébergement et l’insertion des personnes qui rencontrent des problèmes sociaux. C’est ainsi que les deux parties se sont rendues compte des similarités au niveau des valeurs qu’elles défendent, mais aussi au niveau des réponses qu’elles donnent aux populations prises en charge. La fusion des deux parties permet de développer des projets, d’avancer des propositions aux pouvoirs publics et aux différents partenaires.

L’Association Eole défend les valeurs humanistes dont le respect de la personne, la non-discrimination, la citoyenneté, la solidarité et la laïcité. Les missions de l’association se réalisent à travers des projets répondant aux besoins identifiés chez les usagers, et s’inscrivant dans le respect des politiques publiques d’insertion sociale et professionnelle. L’association Eole propose d’accueillir, d’héberger, d’accompagner et d’insérer aussi bien au niveau social que professionnel, les personnes en difficulté sociale. Pour mener à bien ses missions, l’association travaille en réseau et de pair avec les structures territoriales. Elle a créé deux pôles d’intervention : le pôle inclusion social et le pôle IAE. Le premier pôle se charge de la gestion des lieux d’hébergement comme les CHRS, les maisons relais. Le pôle IAE pour sa part, se charge de l’insertion par l’activité économique c’est-à-dire qu’il se charge d’accompagner l’usager à trouver un emploi afin qu’il puisse s’insérer aussi bien dans le milieu social que professionnel. Dans le cadre de mon stage, j’ai été positionné sur le pôle inclusion sociale au sein de deux CHRS de l’association, notamment le CHRS HS (Homme Seul) et LHSS (Lits halte soins santé), ainsi que le Centre d’hébergement Urgence (CHU).

  • Le CHRS HS

Le CHRS HS du Pont Bleu peut accueillir 42 hommes sans logements ou hébergement, et souhaitant se réinsérer socialement et professionnellement. L’établissement dispose de 40 places pour les personnes orientées par le Service Intégré d’Accueil et d’Orientation (SI-SIAO) à qui, l’Association communique quotidiennement ses disponibilités. Deux autres places sont allouées aux personnes orientées par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) du Nord avec lequel, nous avons passé une convention.

Une place est réservée au placement extérieur. C’est une mesure d’aménagement de la peine accordée par le Juge d’Application des Peines (JAP) qui s’applique aux détenus en fin de peine ou à des condamnés à une peine n’excédant pas une année. Cette mesure a été instituée pour lutter contre la surpopulation des établissements pénitentiaires, mais aussi pour permettre au détenu de préparer sa sortie et d’augmenter ses chances de réinsertion. Une autre place est réservée aux permissionnaires. La permission de sortir accordée par le JAP a pour objet la préparation de la réinsertion du condamné, de maintenir ses liens familiaux. Elle permet entre autre au condamné d’accomplir une obligation exigeant sa présence (examen médical ou scolaire, vote, etc.).

Le CHRS HS accueille et héberge les hommes âgés de 18 ans et plus, selon trois dispositifs distincts, propriétés de l’Association ou fruit de conventions passées avec des bailleurs publics et privés. Ainsi, le parc d’hébergement est constitué de

  • un collectif d’une capacité de 29 hébergements isolés et de deux places en sureffectif pour un permissionnaire et un placement externe situé à Lille (propriété de l’Association).
  • Un semi-collectif pour 5 hommes à Lille, loué auprès de Vilogia
  • Un diffus : 6 appartements conventionnés avec des bailleurs sociaux permettant l’accueil de 6 hommes en totale autonomie sur la métropole Lilloise
  • Le LHSS

Le LHSS est un dispositif d’accueil d’urgence pour hommes. Le service dispose de 9 places d’hébergement, réparties sur le même site que le CHRS HS. Le LHSS se présente comme une alternative à l’hospitalisation et/ou au maintien dans le milieu hospitalier pour les personnes ayant besoin de soins continus, mais qui n’ont pas de domicile pour les réaliser. Une présence éducative y est assurée chaque jour de 7h30 à 22h. Un surveillant de nuit prend le relais chaque nuit de 22h à 7h30. La durée légale de séjour en LHSS est fixée à deux mois maximum, mais elle peut être redéfinie et/ou renouvelée en réunion d’équipe avec l’équipe médicale, selon l’état de santé général de la personne. Le LHSS dispose d’une équipe mutualisée avec le CHRS et de temps partiels médicaux (médecin et infirmière) spécifiques à ce service.

  • Le CHU

Le CHU accueille 32 hommes seuls. Il se base sur quelques principes comme l’accueil inconditionnel, la non sélection des publics et l’hébergement de courte durée. La situation d’urgence se définit par la notion de danger encouru tel que la mort, la détérioration irréversible de la santé, l’entrée ou l’enfoncement dans un processus de désocialisation, etc. Ainsi, le CHU s’adresse aux « personnes sans-abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale ». Comme son nom l’indique, le CHU est considéré comme un lieu de transit ou de crise. Cependant, l’évolution du public accueilli et de leurs besoins tend de plus en plus à changer cette donne depuis quelques années. Le public accueilli est de plus en plus fragile et éloigné des dispositifs de droit commun.

La mission principale de ces trois dispositifs est d’accueillir, d’héberger et d’accompagner de manière individualisée des hommes, vers l’insertion ou la réinsertion dans le tissu social, économique et culturel. Ils visent tous l’autonomie des personnes accueillies. Pour ce faire, l’équipe propose aux personnes accueillies d’adhérer à un contrat d’insertion personnalisé établi avec lui, selon ses moyens et ses compétences.

Les personnes accueillies sont invitées à participer à la vie du CHRS. Dans ce cadre, la parole et l’écoute jouent un rôle important. Des réunions d’expression sont régulièrement organisées chaque mois, en présence de la chef de service. Le rôle de l’équipe est de susciter une dynamique afin de créer dans le collectif, une énergie qui amènera les personnes accueillies non pas à subir, mais à être parties prenantes de toutes les actions menées.

Conformément à la loi et aux valeurs défendues par l’Association, nous pratiquons l’accueil inconditionnel et respectons la continuité de l’hébergement. L’accueil d’une population en constante évolution amène l’équipe à se repositionner sans cesse.

La procédure liée aux évènements indésirables permet d’encadrer les décisions à prendre en cas d’éventuelle sanction à poser. Ces évènements sont débattus en équipe afin de considérer l’adaptabilité et la singularité de chaque situation. Les décisions sont prises de manière collégiale, lors de réunions d’équipe, permettant ainsi un recul et une analyse des faits posés.

Pour mener à bien les missions des trois dispositifs, l’association dispose d’une équipe éducative pluridisciplinaire composée d’éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, assistantes sociales, secrétaires, surveillants de nuit, assistant de vie sociale, conseillère en économie sociale et familiale, agents d’accueil et d’une cheffe de service par établissement.

I.2.2. Ma mission au sein du CHRS

La démarche associative de réflexion autour de la consommation d’alcool au sein des structures de l’association EOLE, financée par la MILDECA, a permis de faire un bilan au début de l’année 2020. Ce bilan met en exergue la nécessité d’accompagner les personnes concernées par la problématique d’alcool dans une démarche progressive de réduction des risques au sein des hébergements collectifs accueillant un public isolé. En plus des démarches réalisées dans le cadre de l’accès aux soins, il reste nécessaire d’accompagner aussi bien les équipes que les usagers, autour d’un travail de prévention et de réduction des risques. Le but en est de rendre l’usager davantage acteur de sa santé.

L’action proposée se déroule sur une durée de douze mois et comprend plusieurs étapes. En tant que stagiaire, j’ai été envoyé en mission, en tant que chargé de projet auprès de deux structures d’hébergement de l’association : le CHRS Homme Seul et lit halte soins santé, ainsi que le CHRS d’urgence. Mon stage se déroulait sur une base de 350 heures, allant d’octobre 2020 jusqu’en mai 2021. Les objectifs opérationnels de mon stage étaient de :

  • Engager une démarche d’accompagnement des équipes autour de la réduction des risques alcool, en autorisant de manière encadrée, les consommations à l’intérieur des sites collectifs, en utilisant des outils de prévention
  • Développer les compétences des salariés autour des différents comportements de consommation, des différents produits et la pratique professionnelle en matière de réduction des risques
  • Permettre l’évaluation continue de cette action via les réunions des services, l’organisation du séminaire interservices le 9 mars 2021 et une enquête de terrain, réalisée grâce aux questionnaires semi-directifs auprès des résidents des deux CHRS de l’association

Une restitution des évaluations auprès des équipes éducatives des résidents des deux CHRS s’est déroulée à la fin du stage.

I.2.3. Situation de départ et expériences au sein du CHRS

Je travaille en addictologie depuis l’obtention de mon diplôme d’éducateur spécialisé en 2006. J’ai d’abord opéré en tant que chargé de prévention à travers des programmes d’éducation à la santé et l’utilisation d’outils pédagogiques de prévention. Dans ce cadre, j’ai travaillé avec l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) dont les activités s’inscrivent dans la politique de santé publique d’éducation et de promotion de la santé. Cette association propose plusieurs créneaux d’intervention :

  • Le soin en addictologie via les Centres de soin ambulatoire de prévention en addictologie (CSAPA)
  • Un service prévention
  • La création d’outils pédagogiques et de programmes éducatifs en promotion de la santé
  • Un service de formation pour les professionnels

L’ANPAA s’adresse et accueille différentes populations : personnes en situation de grande précarité, jeunes de tous âges scolaires, etc. Nos principes d’intervention s’ancrent dans une logique de non-jugement des pratiques de chacun, tant sur le plan de la prise en charge, du soin, que celle de la prévention. Depuis plusieurs années, cette dernière s’est basée sur les préceptes de la réduction des risques.

Depuis le démarrage de mon activité, j’ai eu l’occasion de travailler dans tous les services, avec un fil conducteur depuis les 15 ans d’expériences auprès du public en grande précarité. J’ai toujours eu un poste à mi-temps dans une équipe de CSAPA appelée « équipe mobile addicto-précarité ». Initialement, cette équipe a été créée pour accompagner les résidents des CHRS de la métropole lilloise et du département du Nord, vers le dispositif de soin en alcoologie. Cette équipe utilise des outils d’accompagnement tels que l’entretien motivationnel (Rollnick, Miller & Butler, 2009) et l’écoute active. Nous travaillons en partenariat étroit avec les équipes de ces structures en participant aux réunions d’équipes et en faisant une co-consultation avec les suivis ciblés par leur soin.

La réduction des risques fait donc partie de la démarche d’accompagnement, tant au niveau des équipes éducatives qu’au niveau des usagers des produits qui regardent non consultations avancées ou permanences dispatchées, dans les lieux d’hébergement de la métropole lilloise. J’ai peu remarqué en 15 ans, l’évolution des pratiques de ces structures en métropole lilloise, passant pour certaines, d’un règlement intérieur où la consommation d’alcool est interdite, à son autorisation dans certaines parties de la structure. Je pense à l’ABEJ (Association d’hébergement social), premier CHRS à autoriser la consommation d’alcool dans les parties privatives des résidents. Cette démarche a permis de mieux problématiser ces pratiques de consommation au quotidien. A contrario, d’autres structures d’insertion sociales, notamment, des CHRS à Lille et à Béthune sanctionnent régulièrement la consommation d’alcool dans l’enceinte de leurs établissements. Cette interdiction peut aller même jusqu’à l’exclusion (remise à la rue) des hébergés dits « hors la loi institutionnelle ».

Récemment, d’autres centres d’hébergement ont pris le risque d’accorder l’autorisation de consommer. A ce sujet, le centre d’hébergement Valgiros (Paris) d’une capacité d’accueil de 21 personnes a expérimenté l’autorisation de l’alcool en 2016, et a lancé un plan de formation des équipes pour l’encadrer. La structure autorise désormais la détention d’alcool. Depuis, il y a moins de résidents qui consomment devant le centre. Auparavant, cela générait des tapages qui gênaient fortement le voisinage. De plus, les personnes sont moins incitées à boire avec leurs copains de rue. Ils boivent plus doucement, sereinement et de manière plus sécurisée. Jusqu’à présent, aucun abus n’a été signalé. L’autorisation de consommer de l’alcool au sein de la structure s’est traduite par une responsabilisation des résidents sur leur consommation d’alcool.

L’idée de travailler la question de la réduction des risques et des dommages (RDRD) au sein de l’association EOLE (Lille) émane d’une longue expérience personnelle et de terrain, ainsi que d’un constat initié par les chefs de service éducatif des CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) et de la direction des établissements d’Eole. Trois constatations peuvent être faites :

  • Les addictions sont fréquemment repérées chez les usagers par les travailleurs sociaux dont «les missions s’articulent autour de l’accueil, de l’hébergement, de l’accompagnement et de l’insertion sociale et professionnelle des personnes en difficulté sociale »1.
  • Les comportements induits par les substances psychoactives notamment, l’alcool, à l’origine de manquements aux règlements de fonctionnement, s’ils s’avèrent dommageables pour la vie en collectivité dans les dispositifs, peuvent être sanctionnés par des réalisations de contrats d’occupation ou d’hébergement sur décision de justice2. Ces fins de prise en charge exclusives interrogent les missions inclusives de l’association. Sont-elles éthiques ? Correspondent-elles aux besoins des populations ?
  • Les consommations de boissons alcoolisées par les usagers interrogent également la clinique : un travailleur social peut-il sanctionner un usager pris sur le fait, consommant indument dans l’établissement, alors que celui-là connaît par ailleurs sa dépendance au produit, ses conduites d’alcoolisation risquées ? Est-ce déontologique ? Quid de la représentation de la personne alcoolo-dépendante dans les structures ? Est-ce une personne fragilisée qu’il s’agit d’accompagner sans jugement vers le droit commun ou un déviant dont les transgressions sont sanctionnées ?

Conjointement avec une référente volontaire, travailleuse sociale de l’association (CESF et formée à la RDRD en addictologie) et l’ANPAA (mon employeur), a été réalisée un premier travail (dont j’ai fait partie) de recueil de données, de formation et d’échange de pratiques auprès des différents services de l’association. Nous avons traduit le projet en 12 actions validées par la direction et mobilisant les personnels de plusieurs structures dont celles des deux CHRS (CHU et CHRS HS). Le projet s’est étalé sur la période du 12 septembre 2018 au 11 décembre 2019. L’objectif général était d’engager une réflexion et une action transversale aux services de l’association sur la thématique des addictions. Le but en est de faire évoluer la prise en charge des usagers par les travailleurs sociaux dans une politique interne harmonisée. Les ateliers ont permis de :

  • Identifier les acteurs du projet, de situer ces derniers dans le cadre associatif
  • Définir et objectiver en partant des notions et représentation des professionnels participants
  • Interpréter les résultats d’un questionnaire interrogeant l’existant c’est-à-dire l’accompagnement médico-social d’usagers consommant des substances psychoactives
  • Renforcer la bienveillance des personnels par la communication non violente (CNV) et interroger les habitudes d’écoute, les obstacles à l’empathie
  • Donner un apport théorique en addictologie
  • Favoriser la prise de recul sur les pratiques professionnelles et la gestion des émotions
  • Avoir une réflexion sur les règlements intérieurs : aident-ils ou desservent-ils l’accompagnement d’usagers dépendants ?
  • Savoir repérer l’offre de soins en addictologie

Nous pouvons explorer les résultats de ce projet à travers deux niveaux de lecture : l’enquête sur le projet par le questionnaire « Addictions parlons-en » ; et l’analyse des règlements de fonctionnement.

  • L’enquête « Addictions, parlons-en »

Pour réaliser l’enquête, un questionnaire a été distribué en novembre 2018 dans les services de l’association. Cette étude statistique descriptive a eu pour objet de recueillir les observations disponibles des salariés sur la problématique des dépendances. Le questionnaire comprend 21 questions dont les principaux items portaient sur :

  • Les définitions profanes et savantes des addictions
  • Les possibles et les probables psychotropes consommés par les usagers
  • Les conséquences comportementales et sanitaires des consommations dans les structures
  • Le travail engagé pour accompagner l’alcoolo-dépendance
  • Les dispositions réglementaires sur la consommation d’alcool dans l’établissement, les sanctions posées
  • Leur connaissance de la réduction des risques, du travail partenarial en la matière
  • Leur formation en alcoologie, les apprentissages et les compétences à acquérir

La pré-enquête a permis de collecter les réponses auprès de 44 répondants soit 50% des effectifs de l’association. 11 questionnaires sont issus de répondants travaillant en maison relais. 18 viennent des accueils de jours et du service logement ; 10 de professionnels de foyers accueil famille (AF) et des CHRS ; 5 des services accueil logement temporaire (ALT) et des lits halte soins santé (LHSS).

L’enquête a montré que la compréhension de l’addiction dont témoignent les enquêtés est correcte, et proche de la définition conceptuelle du psychiatre Aviel Goodman. Selon ce dernier, l’addiction est « un processus par lequel un comportement, pouvant fonctionner à la fois pour produire du plaisir et pour soulager un malaise intérieur, est utilisé sous un mode caractérisé par l’échec répété dans le contrôle de ce comportement et sa persistance en dépit de conséquences négatives » bien que, dans le discours des répondants, la notion de plaisir soit absente.

Outre à cela, l’enquête a révélé que les consommations connues relevant d’un accompagnement effectif, médico-social sont le tabac (97.7%), l’alcool (93.2%), le cannabis (84.1%), les médicaments (68.2%), l’héroïne (3.6%) et la cocaïne (38.6%). 45% des usagers auraient une consommation problématique d’alcool se traduisant au quotidien par

  • Des problèmes de santé (90.9% des 45% d’usagers alcoolo-dépendants)
  • Des problèmes de comportement individuel (79.5%)
  • Des difficultés de suivi médico-social (75%)
  • Des nuisances envers autrui : bruit, incivilité (63.6%)
  • Des violences (59.1%)
  • Un irrespect des règlements de fonctionnement (50%)
  • Des effets mimétiques d’entraînement

Les travailleurs sociaux disent également intervenir sur « le collectif », quand l’ivresse individuelle s’exprime violemment, qu’il s’agisse d’attaques, de passages à l’acte physique envers autrui ou d’actes de paroles agressifs. Par ailleurs, lors des suivi individuels, lorsque le discours est confus et que l’état de conscience du résident est modifié, le rendez-vous et l’entretien sont reportés.

Interrogés sur les dispositions relatives à la consommation d’alcool des usagers dans leurs services, 65.9% des travailleurs sociaux déclarent celles-ci interdites. Par contre, 31.8% affirment qu’elle est autorisée. 54.5% confirment l’existence de sanctions prévues en cas de consommation avérée là où la boisson est interdite. Les résultats du questionnaire sur l’application des règles informent que les sanctions théoriques des actes réprouvés, celles stipulées dans le règlement sont généralement celles posées et prises. Concernant le sens éducatif de la sanction, un quart des personnes sondées atteste de son effet positif sur l’usager. Le reste ne se prononce pas ou relativise ses bénéfices : les effets constructifs sont de courte durée, la sanction infléchit peu ou prou le rapport problématique, irrépressible, compulsif de la personne confrontée au produit.

L’accompagnement addictologique est avéré. 59.1% des enquêtés déclarent connaître la réduction des risques ; 79.5% disent assurer des missions d’orientation des usagers vers les professionnels des lois de l’information, de l’aide psychosociale et du soin, le tiers des partenariats et conventionnés. Les personnels ont noué des liens inter associatifs, interdisciplinaires et professionnels avec des Consultations jeunes consommateurs (CJC), des Centres d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), des CSAPA, des Etablissements publics de santé mentale (EPSM) et Centres médico-psychologique (CMP). Moins de 41% des travailleurs disent avoir bénéficié d’une formation spécifique et complémentaire en alcoologie. Pour gagner en compétences, 81.8% des personnes interrogées serait intéressé par des groupes d’échanges de pratiques sur les interventions territoriales en addictologie. Des formations sur des sujets connexes sont en outre plébiscitées. Elles portent sur

  • Les causes psycho-traumatiques de l’addiction et le stress qui en découle. Ceci pouvant s’accompagner de conduites addictives chez les usagers confiés aux travailleurs sociaux, en rapport avec les blessures nées d’expériences violentes
  • La prévention et la gestion de la violence due aux addictions. Si l’épidémiologie tempère le lien de cause à effet, il existe une toile de fond de corrélations complexes, statistiques et croisées entre le passage à l’acte, l’usage de la force et la consommation de substances psychoactives3
  • L’entretien motivationnel se définissant comme « un style de conversation collaborative permettant de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement pour le traitement des dépendances à l’alcool par William R. Miller et Stephen Rollnick, respectivement psychologue et professeur d’université aux Etats-Unis et au Royaume-Uni… »4

Ainsi, l’enquête confirme les observations de la direction, le maître d’ouvrage du projet. Les pratiques de consommation, non sans conséquences sur les dynamiques de groupe et d’accompagnement, sont une réalité de terrain. Dans les Hauts-de-France, rappelons-le, les dommages sanitaires liés à la prise de boissons alcooliques sont beaucoup plus fréquents que dans d’autres Régions (bien que la région suive la tendance globale de baisse de consommation quotidienne d’alcool chez les 15 – 75 ans en France).

  • Analyse des règlements de fonctionnement

Le règlement de fonctionnement prescrit par la loi de rénovation de l’action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002, relève du code de l’action sociale et des familles. Il assure les droits fondamentaux individuels5 des personnes accueillies dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), ainsi que les règles de la vie collective quotidienne. Les conditions d’utilisation des espaces privés selon le groupe d’appui national (GAN) impliquent la participation des personnes accueillies par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réadaptation sociale (FNARS)6, les agences départementales et nationales pour l’information sur le logement (ADIL/ ANIL [Agence nationale pour l’information sur le logement]). Ils recommandent concernant l’alcool, « l’interdiction absolue de sa commercialisation au sein de l’établissement et de ne prévoir une clause d’interdiction totale de consommation que si elle s’avère justifiée pour des raisons de santé et de sécurité, eu égard au projet spécifique de l’établissement notamment, pour les personnes dépendantes. En revanche, une interdiction générale et automatique ne paraît pas opportune. Il conviendrait alors de sanctionner non pas le principe de consommation, mais des éventuelles violences ou dégradations liées à une consommation d’alcool »7. D’autant plus que si l’ivresse publique est réprimée alors même que la fabrication et la vente de boissons titrant un degré d’alcool élevé sont interdites et les lieux de vente et de consommation encadrés, la consommation d’alcool n’est pas illégale en France. Qu’en est-il de sa réglementation dans l’association et plus précisément dans les deux structures d’hébergement où l’enquête de terrain va opérer ? Pour mieux comprendre la situation, nous avons résumé dans le tableau suivant les réglementations dans différentes structures

Tableau 1 : Réglementations des établissements en matière de consommation d’alcool

EntitéRéglementations
Centre d’hébergement d’urgence stabilisée Agnès Fénart-HalluinRien n’est précisé sur la détention de boissons. « La consommation d’alcool à l’intérieur de l’établissement est interdite »8
CHRS Hommes seuls Hébergement collectif Lits halte soin santé (LHSS) Résidence du Pont-Bleu LilleRien n’est précisé sur la détention de boissons. Cependant, « la consommation d’alcool à l’intérieur de l’établissement est interdite »9
Pour les salariés de l’association« Il est formellement interdit d’accéder au lieux de travail et d’y séjourner en état d’ivresse (…). La consommation de boissons alcoolisées dans les locaux de travail est interdite sauf dans des circonstances exceptionnelles et avec l’accord de la direction lors du repas seul, du vin, du cidre et de la bière peuvent être consommés en quantité raisonnable »10

Nous remarquons que ces clauses interdisent expressément la consommation d’alcool dans ces structures. De plus, des sanctions peuvent être encourues si la règle est enfreinte. D’autre part, seuls les travailleurs sociaux, dont l’ébriété au travail est proscrite, sont autorisés à boire à certaines conditions seulement. Comment expliquer ce fait ? Le travailleur social à qui, l’alcool est autorisé selon certaines modalités, fera-t-il naturellement preuve de retenue là où les usagers, à qui l’alcool est interdit, feront systématiquement preuve de non gestion excessive ?

Si l’autorisation de consommation d’alcool induit des effets psychologiques et sociaux positifs dans les établissements de l’action médico-sociale, des « déplacements personnels » dans un cadre plus sécurisant pour l’usager dépendant, encore faut-il déterminer les dispositifs ou la permission serait pertinente. Peut-on généraliser l’autorisation de consommer aux deux structures précitées ? Ce droit fait-il l’unanimité chez les personnels ? Les résultats de l’enquête « Addictions, parlons-en » ne le précisent pas. Il convient alors de le savoir pour finaliser le projet là où les conditions de réussite sont présentes.

Ma participation à une réunion d’équipe dans un établissement d’hébergement collectif où la consommation d’alcool est interdite, a visiblement inquiété les personnels de l’équipe, quand bien même, le projet institutionnel justifiait notre venue. Comment le comprendre ? La démarche inquièterait-elle d’autres structures de l’association ? Cette crainte supposée expliquerait-elle la faible participation des personnels à cette enquête ? Si oui, pourquoi ? Ces différentes constatations issues de mon expérience et de l’enquête suscitent l’intérêt pour la notion de conflits de normes et ses impacts sur les pratiques et la place des travailleurs sociaux dans l’accompagnement des usagers des produits psychoactifs, au sein des structures d’hébergement et de réinsertion sociale. Cela nous conduit à analyser la notion de normes et de normativité.

Chapitre II. Normes et normativité

II.1. Définition d’une norme

Le terme « norme » a été vu pour la première fois au 12ème siècle. Le mot latin norma désignait alors l’équerre, un instrument qui permet de contrôler le tracé de lignes droite. Cette acception a été étendue à d’autres disciplines notamment, en droit pour parler d’un instrument servant de guide donnant un modèle de comportement à suivre. Ainsi, la définition de la norme elle-même au début, revêtait une dimension technique (Ghozia, 2020 : 17).

Boudon & Bourricaud (1990) cités par Ramognino (2007 : 24) font la distinction entre la norme et la valeur en définissant les normes comme étant « des manières de faire, d’être ou de penser, socialement définies et sanctionnées ». Dans cette optique, les normes sont des prescriptions résultant des réflexions faites par le professionnel dans le cadre de son travail, et de sa tentative de régulation rationnelle des pratiques (Ramognino, 2007 : 25). En tant que prescription, la norme correspond à un modèle qui décrit ou définit «ce qui devrait être » ou l’expression de la volonté de l’homme qu’une chose « doit avoir lieu » (Millard, 2006). Les normes descriptives sont impliquées dans la formation de l’identité de la personne et vont dicter ses comportements. Ainsi, les normes assurent des fonctions politiques, sociales et psychologiques (Caron-Bouchard et Renaud, 2010 : 13).

D’autre part, la norme pourrait également être définie comme étant une construction cognitive destinée à réguler les interactions entre les individus et à négocier les actions à mener (Ramognino, 2007 : 26). Elle peut être considérée à la fois comme une règle qui découle d’un processus, ou comme un processus permettant d’organiser la collectivité. De ce fait, la norme intervient dans la gouvernance de l’organisation (Mione, 2006 : 106).

Une norme entraîne l’identification d’une nouvelle pratique ou de celle qui devrait être suivie par un groupe social. Peu à peu, cette pratique s’installe et conduit à des contraintes qui vont faciliter l’identification des personnes qui ne suivent pas les règles établies. Ces contraintes peuvent être imposées par les forces de police (Livet, 2012 : 55) et de la magistrature dans le domaine public. Au sein des établissements, le respect des normes est surveillé par le conseil de discipline (Langendorff, 2007 : 74). Des sanctions sont déterminées pour chaque déviance par rapport aux comportements dictés par les normes, ce qui traduit l’attente normative de la société pour que chacun de ses membres observent le comportement « régulier » établi par les normes (Caron-Bouchard et Renaud, 2010 : 12). Pourtant, la norme est une possibilité. Son acceptation est entièrement le choix de chaque individu (Rabault, 2019).

Toutes les normes n’ont pas la même importance. Ainsi, il existe des normes inférieures qui sont appliquées par quelques groupes d’individus voire même à un établissement, et des normes supérieures qui régissent un pays, comme la Constitution, la loi ou le règlement (Rabault, 2019). La supériorité d’une norme par rapport à une autre vient du fait de sa capacité à fonder la validité d’une autre norme. D’un autre côté, il existe des normes à portée générale et celles à portée individuelle. Les règles juridiques par exemple, font partie des normes à portée générale (Millard, 2006).

II.2. Les différents types de normes

II.2.1. Les normes sociales

Les normes sociales regroupent les règles et les standards permettant de régir les comportements des membres d’un groupe social (Ge, Sheng & Zhang, 2020). Elles correspondent à un code moral collectif qui régule les activités sociales dans différentes situations de la vie quotidienne (Caron-Bouchard et Renaud, 2010 : 13). Elles rassemblent le comportement conforme à celui attendu d’un individu par une collectivité. En d’autres termes, les normes sociales incarnent ce que la société attend d’un individu. De ce fait, elles caractérisent une communauté et se trouvent à la base même des jugements de valeur portés sur la personne. Les normes sociales sont liées aux valeurs (Langendorff, 2007 : 72).

Les normes sociales permettent principalement de guider les comportements des chaque membre de la société et de lui donner des repères concernant ce qu’il devrait faire face à une situation donnée (Langendorff, 2007 : 72). Elles sont fixées en vue d’atteindre les objectifs du groupe et de réaliser leurs activités. Pour s’assurer de la conformité des membres du groupe aux règles établies, les normes sociales se basent sur des systèmes de sanctions ou de reconnaissance sociale pour chaque écart ou conformité vis-à-vis des règles (Ge, Sheng & Zhang, 2020). Parfois, c’est l’individu lui-même qui s’inflige des sanctions lorsqu’il ne se conforme pas aux normes sociales. Il ressent alors un malaise ou une culpabilité. Dans d’autres cas, la société elle-même affiche des réactions sociales qui font comprendre à l’individu sa déviance : prise de distance, rejet, éloignement, etc. (Langendorff, 2007 : 73).

Les normes sociales peuvent être descriptives ou injonctives. Les normes sociales descriptives indiquent aux membres du groupe les comportements acceptables, effectifs et sécurisants à adopter face à une situation particulière. Elles appellent l’individu à mobiliser ses ressources cognitives pour réfléchir rapidement sur ses comportements et pour prendre les décisions adaptées devant une situation. Les normes sociales descriptives se réfèrent aux comportements fréquemment adoptés par les membres d’une société et qui peuvent être en accord ou en contradiction avec les normes sociales injonctives. Ainsi, les normes descriptives peuvent encore être subdivisées en normes descriptives positives ou négatives. Les normes descriptives sont positives lorsqu’elles ne vont pas à l’encontre des normes injonctives, mais dans le cas contraire, elles sont dites négatives (Ge, Sheng & Zhang, 2020).

Les normes injonctives de leur côté, reflètent les jugements de valeurs du groupe, ainsi que les bons et les mauvais comportements du groupe d’appartenance de l’individu. Les normes sociales injonctives amènent l’individu à penser à l’adéquation de ses comportements par rapport à celui de son groupe d’appartenance. Les normes sociales injonctives n’ont d’effets sur l’individu que si le comportement de celui-ci est accepté ou non par un ou plusieurs membres de son groupe d’appartenance. Les restrictions que l’individu observe proviennent dans ce cas, de la peur de la sanction sociale que le groupe pourrait lui infliger. D’une manière générale donc, les normes sociales injonctives correspondent aux codes de conduites acceptés par la société (Ge, Sheng & Zhang, 2020).

Les normes peuvent être directement formulées dans les documents de référence ou les documents officiels. Elles englobent les lois, les règlements d’entreprises, de groupements, d’associations, d’établissements. Mais dans d’autres cas, les normes sociales peuvent être implicites c’est-à-dire non inscrites dans des documents. Ces normes sociales implicites sont directement intériorisées par chaque individu qui compose la société. Elles correspondent aux comportements coutumiers, qui s’inscrivent dans les mœurs (Langendorff, 2007 : 73).

II.2.2. Les normes morales

Les normes morales correspondent à des règles morales qui devraient être suivies par chaque individu (Harms & Skyrms, 2008). Elles sont définies comme étant la perception qu’une action est moralement correcte. Elles incitent donc l’individu à évaluer son degré de responsabilité sur les conséquences découlant d’un comportement précis (Juraskova et al., 2011). Les normes morales influencent fortement de ce fait, l’accomplissement de ce dernier par l’individu. L’accomplissement d’un comportement comporte désormais une dimension morale ou éthique (Huang & Chen, 2015 : 1687). La détermination du comportement moral à adopter dans une situation précise se base sur ce que l’individu attend de lui-même. Les normes morales personnelles sont issues d’autres normes sociales partagées auxquelles sont transposées, l’expérience antérieure de l’individu (Turaga, Howarth & Borsuk, 2010 : 212). Les normes morales permettent à l’individu de faire une autocritique et de critiquer les comportements qu’il considère immoraux (Lefkowitz, 2015 : 391).

Les normes morales sont considérées comme des sous-catégories de normes sociales étant donné qu’elles régulent les comportements ayant des impacts sur soi-même et sur les autres (le fait de ne pas voler ce qui n’appartient pas à soi par exemple). Mais il est également fréquent que les normes morales aillent à l’encontre de désirs biologiques jugés déviants comme l’inceste par exemple. Certains besoins jugés urgents par l’individu comme le fait de s’enrichir vite en volant la richesse des autres par exemple, sont atténués par les normes morales. Elles peuvent même les éliminer (FeldmanHall, Son & Heffner, 2018 : 2). En se conformant à la norme morale, l’individu montre que la conformité à cette norme est plus avantageuse par rapport aux profits personnels qu’il peut faire (FeldmanHall, Son & Heffner, 2018 : 5). FeldmanHall, Son & Heffner (2018 : 2), ont identifié quatre normes morales fondamentales : la justice, l’altruisme, la confiance et la coopération.

Le modèle d’activation d’une norme développée par Schartz (1970) cité par He & Zhan, (2017) montre la démarche par laquelle, une norme morale conduit à une action environnementale ou pro-sociale. Ce modèle identifie trois facteurs qui influencent la disposition d’une personne à adapter ses actions et ses comportements aux normes morales. Il s’agit des normes personnelles, de la connaissance des conséquences de ses actes et l’attribution de responsabilité. Les normes personnelles renvoient aux obligations morales que l’individu s’impose à lui-même pour accomplir ou non certaines actions. L’attribution de responsabilité se réfère aux sentiments de culpabilités à l’idée d’être à l’origine des impacts négatifs de ne pas s’être comporté selon les préceptes.

Les normes morales induisent des comportements responsables. Elles influencent également l’attitude et les intentions. Elles reflètent les pensées profondes de l’individu concernant ce qui est bien et ce qui est mal. Les valeurs morales aident à la distinction entre le bien et le mal (Chan & Bishop, 2013). Cette norme morale personnelle va obliger l’individu à faire certains gestes et à se comporter d’une certaine manière devant telle ou telle situation. Cela correspond à l’obligation morale. La norme morale implique de ce fait, le sens de la responsabilité morale de l’individu envers son entourage et son environnement (Fawehinmi et al., 2020 : 3).

Les normes morales contrairement aux normes sociales, ne visent pas le développement d’un groupe, mais se focalisent sur le développement d’un groupe idéal constitué uniquement d’individus qui respectent la norme. De ce fait, elles ne s’orientent pas uniquement vers un seul groupe, mais aussi vers des groupes extérieurs (Livet, 2012 : 58). Elles sont appliquées dans la régulation de situations où des acteurs pourraient entrer en conflit d’intérêt (Verbeek, 2008 : 77). Elles harmonisent les échanges interindividuels en se basant sur des attentes communes (FeldmanHall, Son & Heffner, 2018 : 8).

La légitimité d’une norme morale repose sur la justification qu’en donne les membres d’une société. Elle est jugée légitime lorsqu’elle permet d’exprimer les valeurs et le mode de vie adopté par l’ensemble de la communauté et conduit de ce fait à sa distinction par rapport à ses rivales. La légitimité des normes permet de définir la culture morale de la société et assure l’ordre social (Lefkowitz, 2015 : 387).

II.2.3. Les normes techniques

Les normes techniques sont élaborées par différents acteurs poursuivant des intérêts divers et parfois divergents. Ainsi, elles peuvent faire l’objet de négociations (Le Moënne, 2013). Ces dernières aboutissent à un consensus ou à l’approbation générale de toutes les parties prenantes impliquées dans une opération. La norme technique correspond à une spécification technique ou un document élaboré sur la base des résultats obtenus suite à une recherche scientifique, technologique et expérientielle. Pour être valide, la norme doit être approuvée par un organisme qualifié (Wolff, 2010 : 57) comme l’ISO (Organisation Internationale de Normalisation) ou le CEN (Comité Européen de Normalisation) par exemple.

Les normes techniques comprennent les normes de moyens et les normes de résultats ou normes d’objectifs. Les normes de moyens décrivent les méthodes à adopter pour aboutir aux résultats recherchés notamment, l’établissement d’un processus ou la fabrication d’un produit. Les normes de moyens incluent les normes de base, les normes de terminologie, les normes d’essais et les normes d’analyse. Les normes de résultats ou normes d’objectifs pour leur part, désignent les caractéristiques du produit ou du processus obtenu par le déploiement des ressources décrites dans les normes de moyens. Elles en définissent également les performances (Wolff, 2010 : 57).

Etant donné que les normes techniques aient été construites sur la base des résultats issus de la recherche et de l’expérience, elles pourraient être assimilées à un référentiel constitué de connaissances codifiées et donnant des indications sur les procédés à utiliser. Les normes techniques contribuent alors à la diffusion de nouvelles connaissances et innovations (Wolff, 2010 : 62).

Les normes techniques promeuvent les innovations et améliorent les procédures de fabrication ou de production. Par la même occasion, l’établissement des normes techniques répond à l’exigence des clients ou d’autres entités d’assurer la qualité et la sécurité des produits vendus aux consommateurs. Outre à cela, l’émergence des standards comme l’ISO 14000 et l’ISO 26000 reflètent l’importance que la société actuelle accorde à la protection de l’environnement et à l’ensemble des responsabilités sociétales des entreprises. Maintenant, ces normes qui régularisent les pratiques des entreprises sont aussi imposées aux services publics voire même aux Etats, en vue d’améliorer la gouvernance globale. L’augmentation du recours au processus de normalisation et le développement des normes techniques allait de pair avec la révolution industrielle (Frydman, 2018 : 299).

II.2.4. Les normes juridiques

Lagelle (2014 : 42) reprend la définition des normes juridiques donnée par Jacqué (1991) selon laquelle, la norme juridique est « un modèle de direction des comportements des sujets de droit. Elle contient un jugement de valeur à partir duquel seront appréciés les comportements des sujets de droit afin d’en déterminer leur licéité ou leur illicéité ». Or, cette définition ne permet pas vraiment de faire la distinction entre les normes juridiques de celles qui ne le sont pas. Elle s’inscrit dans le cadre de la définition de toutes les normes, d’où la nécessité de se référer aux autres caractéristiques des normes juridiques.

Les normes juridiques sont attachées à un système de normes par une méthode qui respecte les règles de l’Etat de droit (Jouanjan & Müller, 2007 : 28). Leur juridicité provient d’une norme juridique préexistante (Jouanjan & Müller, 2007 : 66). La valeur d’une norme juridique est acquise à partir d’une autre norme supérieure (Roth, 2016). Elles englobent les arrêtés, les décrets et les lois élaborées par le législateur sur la base de la Constitution (Labbée, 2011 : 16-17). Les normes juridiques comprennent le droit objectif et le droit subjectif. Le droit objectif régule les comportements sociaux et les relations entre les citoyens pour que les volontés individuelles ne viennent pas perturber l’intérêt de la majorité. Le droit subjectif pour sa part, renvoie aux prérogatives permettant à chaque citoyen de défendre ses intérêts (Matsanza, 2012 : 24).

Les normes juridiques revêtent un caractère obligatoire ce qui fait que leur transgression est passible d’une sanction étatique. Ce caractère les distingue des autres normes notamment morales qui sont dictées par la conscience de l’individu (Labbée, 2011 : 15). Cette force obligatoire vient du fait que ce sont les membres de la société eux-mêmes qui sont conscients des impacts négatifs de la transgression de cette norme, si bien qu’ils ont cherché un moyen pour s’assurer du respect de celle-ci. C’est la raison pour laquelle, certaines normes sociales se transforment en normes juridiques. De ce fait, la norme juridique est prescriptive et non pas descriptive (Monnier, 2006 : 23-24). La norme juridique découle de ce fait, d’un contrat social en vue de réguler la société. Les citoyens attendent de l’Etat qu’il les protège, assure leur bien-être et leur sécurité (Matsanza, 2012 : 24). Les normes juridiques sont capables de s’imposer aux citoyens parce qu’elles ont été formalisées et parce qu’elle ne rend pas personnelle les rapports entre les structures étatiques et les structures sociétales. Les normes juridiques doivent faire l’objet d’une mise à jour régulière en fonction de l’évolution de la société (Matsanza, 2012 : 25).

Les normes juridiques délimitent la liberté d’action, les droits et les devoirs des citoyens. Elle s’impose comme étant une garantie de la sécurité et de la protection des citoyens contre les actions qui viennent à l’encontre de la volonté collective. Les normes juridiques délimitent également l’espace public et l’espace privé, au même titre que l’intérêt général et les intérêts particuliers afin de pouvoir contrôler les actions de chacun et régler les conflits (Matsanza, 2012 : 24).

II.3. Le rôle des normes

Les normes servent de modèles pour les citoyens. Elles sont des exemples à suivre, mais dans certains cas, les normes constituent une source d’inspiration. Elles assurent de ce fait, une fonction de guidage ou de référence d’action. Et comme elles permettent de connaître l’écart entre ce qui est normal de ce qui ne l’est pas, les normes permettent de faire une évaluation ou de porter un jugement. Ce sont des outils de vérification et de mesure (Kastler, 2019 : 46).

Au niveau individuel, les normes sont nécessaires à la socialisation et à l’émancipation de l’homme. En ce sens, les normes permettent à l’individu d’être considéré comme étant un sujet et un acteur social (Ramognino, 2007 : 22). La conformité de l’individu à ces normes constitue de ce fait, un gage de l’acceptation et de la reconnaissance de l’individu par le reste du groupe ou de la société (Ferrary, 2010 : 183). Il faut noter que les normes agissent également au niveau de la société et des lieux de travail. Dans ce cadre, les normes sont acquises puis intériorisés par les employés afin de cadrer leurs comportements et d’assurer l’isomorphisme des organisations (Mione, 2006 : 106).

Les normes favorisent la confiance mutuelle et les interactions. Il est plus aisé d’interagir lorsque l’environnement dans lequel se produisent ces interactions est connu et que les acteurs qui interagissent peuvent prévoir ce qu’il pourrait se passer dans cet environnement social particulier. Or, la prévisibilité de l’environnement social dépend du respect des normes partagées entre les individus qui composent l’environnement. Les normes servent donc de régulateurs de certains aspects de la vie sociale (Robichaud, 2012 : 245-246).

Les normes sociales sont requises pour régler les conflits de deux pratiques afin que la société puisse se développer. Elles interviennent dans la coordination des pratiques. Pour la société, la conformité aux normes sociales constitue un élément permettant d’éviter la disparition ou la régression du groupe (Livet, 2012 : 54). Elles sont donc nécessaires à la détermination de la bonne pratique ou de la nouvelle pratique à observer au sein d’un groupe (Livet, 2012 : 55). En régulant les comportements des individus, les normes sociales interviennent dans le maintien de l’ordre social (Ge, Sheng & Zhang, 2020).

Du point de vue juridique, les normes techniques peuvent être utilisées pour fixer l’indemnisation à donner à une victime en cas de préjudices qu’elle a subies sur son corps. Les normes techniques permettent en effet, d’évaluer le dommage corporel à travers les différents barèmes ou critères considérés pour déterminer les préjudices subis ainsi que leur importance (Ghozia, 2020 : 19-20).

Dans le cadre professionnel, les normes permettent de régir les relations entre les professionnels, ainsi qu’avec les personnes extérieures à la profession, mais qui sont indirectement impliquées dans la réalisation de celle-ci. Ces normes qui se présentent sous forme de règles, de recommandations et de principes permettent d’établir un environnement de travail propice à l’accomplissement du travail. Ces normes permettent entre autres, de maîtriser les savoirs et les savoir-faire (Prairat, 2012 : 125).

D’autre part, les normes techniques notamment, les normes de qualité assurent une meilleure performance du produit ou du processus, en optimisant l’utilité de chaque individu qui intervient dans le processus de production. En même temps, elles améliorent la coordination des activités des professionnels (Wolff, 2010 : 59).

II.4. Le conflit de normes et ses conséquences

Dans la mesure où certaines normes ont été intériorisées, il s’avère difficile pour l’individu de les changer. C’est également la raison pour laquelle, les individus ne peuvent pas accepter que d’autres normes différentes aux siennes puissent exister. Les normes influencent profondément en effet la perception de l’individu, si bien que celui-ci peut les confondre à la réalité commune. Pour pouvoir changer les normes établies, l’individu doit se « dés-identifier de ces règles codifiées » (Langendorff, 2007 : 73).

L’opposition aux normes établies est souvent perçue comme un comportement négatif entraînant des effets indésirables pour les membres d’une organisation. Cependant, ce comportement pourrait également contribuer à l’amélioration du fonctionnement de l’organisation. Il se peut en effet, que la transgression ou la déviance positive permette de concilier les différentes légitimités contradictoires au sein d’une structure. L’activité d’une structure requiert en effet, la coopération de différents acteurs qui ont leur légitimité déterminée mais contradictoire, ce qui pousse à la recherche de compromis. Un schéma se dessine à partir de cette observation : l’existence de deux régulations concurrentes notamment, les régulations autonomes d’une part, et les régulations de contrôle d’autre part. La recherche de compromis est également nécessaire pour adapter les règles aux pratiques. Mais dans ces deux cas, la transgression des règles et des normes établies contribue à faire émerger de nouveaux moyens pour atteindre les objectifs de l’organisation et de réviser la référence normative. Vu sous cet angle, la déviance positive ou la transgression ne traduit pas toujours une résistance au changement, mais une volonté de changement. Or, ce dernier ne peut avoir lieu que par l’adoption de nouvelles normes sociales (Barel & Frémeaux, 2010 : 93).

La déviance positive est corrélée à l’innovation. Cette dernière requiert en effet, une nouvelle régulation et un nouvel ordre social. Le conflit des normes ne cible pas particulièrement les buts de la Direction d’une structure. Il s’agit plutôt d’une quête d’efficacité économique. En agissant ainsi, l’innovateur veut accomplir son propre projet (Barel & Frémeaux, 2010 : 95).

Pourtant, la déviance, la non-conformité de l’employé aux normes établies ne sont pas toujours bien vu par les dirigeants. Ainsi, ce comportement considéré comme une transgression qui ne peut conduire qu’à des résultats négatifs, se solde souvent par la sanction de l’employé (Barel & Frémeaux, 2010 : 103).

Mais ces conflits de normes vont bien au-delà de la sphère professionnelle pour s’étendre à la société et plus particulièrement, aux actions de certains activistes ou d’associations ou encore de groupements qui défendent des valeurs morales et certains comportements de manière très fervente telle que le respect de la vie humaine, et qui se dressent par conséquent contre les partisans de l’interruption volontaire de la grossesse. Ils perçoivent leur lutte comme ayant une validité universelle et de fait, doit être acceptée indiscutablement par tous. Or, ils se heurtent aux partisans du courant adverse qui clame le droit des femmes d’interrompre leur grossesse si celle-ci pourrait préjudice à la mère. Une telle situation conduit à une tension entre les partisans des deux normes opposées clamant chacun de leur côté avoir raison, et présentant chacun leurs arguments (Mathieu, 2005 : 7).

II.5. La normativité chez Canguilhem

Le philosophe Canguilhem distingue la loi et les normes. Les normes résultent de la persistance de l’anormal (Halpern, 2013 : 164). Il fait également la distinction entre les normes biologiques et les normes sociales. Dans cette optique, il soutient que les normes sociales relèvent des facteurs externes. Les normes biologiques par contre, relèvent de l’interne, notamment, des organes et sont de fait, vitales. L’application des normes sociales pourrait rencontrer des obstacles dans la mesure où la norme peut être trop différente de la réalité vécue par l’individu, ce qui ne facilite pas le travail de normalisation. Mais les normes biologiques pour leur part, dépendent de l’individu lui-même (Halpern, 2013 : 169).

Pour Canguilhem, chaque être humain est capable d’élaborer des normes afin de pouvoir se distinguer et se développer. Ces différentes normes sont inhérentes à la vie de l’être vivant (Halpern, 2013 : 166). L’œuvre de Canguilhem notamment, sa thèse en 1943 a permis de distinguer le normal et le pathologique. Dans son travail, il décrit le normal comme l’aptitude de l’individu à créer de nouvelles normes (Moya Diez, 2018 : 179). Canguilhem souligne aussi l’importance de la normativité qui permet à l’homme de résoudre les problèmes relatifs à son environnement en avançant des solutions. La normativité selon Canguilhem ne considère pas l’adaptation comme étant la solution pour faire face au problème (Ramognino, 2007 : 16-17).

Canguilhem considère la santé comme étant une norme biologique absolue traduisant que l’organisme fonctionne normalement (Klein, 2008 : 217). Le philosophe avance la normativité pour connaître les rapports entre la maladie et la santé, et attribue un nouveau statut au malade. Les travaux de Canguilhem aboutit déduisent que ce qui est normal est également une normativité. Cette corrélation entre la normalité et la normativité conduit à dire que toute normalité ne peut être que subjective. Par ailleurs, chaque individu définit ses propres normes. S’il est établi que chaque personne a son propre état de santé, la santé qui est la normalité ne peut aucunement être la résultante d’un fonctionnement selon les normes universelles. Pour atteindre la normalité, l’individu doit de ce fait réorganiser ses propres normes (Klein, 2008 : 219).

Pour Canguilhem, la santé est un processus vital dynamique dans lequel, chaque situation est nouvelle. Elle dépend du vécu et de l’expérience de vie de la personne. Cependant, la santé n’est pas la règle de la vie. C’est la vie qui devient une norme de santé. L’expérience de vie aide la personne à comprendre la maladie et la santé (Klein, 2008 : 220). Mais l’organisme normal va adopter des comportements qui vont lui permettre de faire face aux perturbations du milieu. Mais si l’organisme tombe malade ou entre en crise, il ne pourra plus adopter ces comportements qui peuvent devenir inopérants. L’organisme va alors montrer d’autres comportements non ordonnés (Moya Diez, 2018 : 192).

Pourtant, en créant ses propres normes, la position sociale de l’individu pourrait être remise en question. Se pose alors le problème relatif à la confrontation entre l’individu biologique et l’individu social. La référence à ses propres normes conduit à l’individuation qui pourrait être en contradiction avec la normativité sociale. Pour pouvoir s’intégrer dans la société, l’individu construit sa vie sociale sur la base de la normativité sociale. Vu sous cet angle, la norme ne s’impose pas uniquement au niveau interne mais aussi externe. De ce fait, le normal est à la fois statique et dynamique dans la mesure où elle comporte des mesures auxquelles, l’individu s’adapte et d’autres auxquelles, il impose ses propres normes (Klein, 2008 : 221).

Chapitre III. Le concept d’addiction

III.1. Définition de l’addiction à travers l’évolution du concept et la naissance de l’addictologie

La loi romaine semble être la première à faire allusion à l’addiction en la décrivant comme une sorte d’asservissement. Ce dernier suppose que l’individu se voue à un maître. Mais d’autres disciplines notamment, la médecine a donné une autre définition de l’addiction en parlant d’une dépendance physiologique. Du point de vue juridique, il s’agit d’une maladie mentale qui rend la personne non responsable de ses actes. Dans certains cas, la pensée populaire place les personnes dépendantes comme des victimes de leurs addictions, tout en leur attribuant dans d’autres cas, le rôle d’une personne différente, voire criminelle (Reith, 2004 : 286).

A la fin du 19ème siècle, Sigmund Freud décrit les toxicomanies, les comportements caractérisés par une envie ou une appétence envers une chose. Mais ce fut la psychanalyse anglo-saxonne qui a développé le terme d’ « addiction » dans les années 1930. L’addiction à la drogue a été la première à être décrite en 1928. Le terme addiction semble alors révéler de manière plus éloquente le phénomène d’addiction correspondant à la lutte de l’individu contre une partie de lui-même (Fortané, 2010 : 8-9).

L’addiction ne peut aussi être séparée de l’évolution de la société et de la pensée néolibérale concernant le contrôle, l’identité, la liberté de la personne. Dans cette société néolibérale, la consommation est considérée comme étant un moyen permettant d’affirmer son identité et semble inhérente à la construction de son style de vie. La liberté laisse la libre voie à chaque personne d’être et de devenir ce qu’elle veut être. La pensée néolibérale donne la liberté à la personne de choisir. La liberté devient de ce fait, une obligation pour que l’homme se réalise et se gouverne. Cela est valable pour la consommation et la liberté ainsi que la capacité de l’homme à expérimenter différentes options de régulation. Dans cette acception, l’homme est libre de choisir de construire une identité et d’adopter un style de vie en utilisant ce que lui offre le marché, mais en même temps, il est aussi libre de suivre les normes imposées par la société et les institutions (Reith, 2004 : 285).

A partir des années 1970 commence à émerger une réflexion sur les conceptions psychopathologiques de l’addiction en se basant sur les principes de la psychanalyse. Une tentative a été faite en vue de rapprocher la toxicomanie et l’alcoolisme dans ce que Pierre Fouquet a désigné sous l’appellation de toxicopathie. C’est ainsi que commencent à se développer les premiers éléments de l’addictologie. Mais à cette époque, cette science ne portait pas encore le nom d’addictologie (Fortané, 2010 :7-8). Ces dernières années, l’addiction ne pose pas le problème de l’addiction sous l’angle de la licéité ou non du produit consommé, mais sur ses conséquences au niveau de l’individu et de la société (Jauffret-Roustide, 2014 : 62).

III.2. La polyconsommation

La polyconsommation se produit lorsque l’individu consomme plusieurs produits psychoactifs en même temps. Dans ce cas, les effets de chaque produit ne s’additionnent pas mais se multiplient (Fortané, 2010 : 20). Le rapport de l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) (2012 : 119) relate que cette tendance a été observée ces dernières années et est même devenue une norme dans certains pays. Elle provient du fait que les usagers peuvent changer de drogue s’ils rencontrent des obstacles leur empêchant de trouver leur drogue de prédilection. Ainsi, les consommateurs d’ecstasy peuvent aussi basculer vers la méthamphétamine, de la kétamine ou des pipérazines. De même, les consommateurs d’héroïnes peuvent prendre des benzodiazépines s’ils n’en trouvent pas (ONUDC, 2012 : 119). Dans d’autres cas, la consommation d’un autre produit psychostimulant se fait en vue de substituer la substance privilégiée par une autre. Ainsi, les personnes qui sortent d’une cure de désintoxication à l’alcool sont susceptibles d’augmenter leur consommation tabagique. La consommation de tabac dans ce scénario est augmentée pour compenser ou substituer le manque d’alcool (Spach, 2018 : 60).

Outre à cela, les drogues sont consommées en vue de cibler des comportements précis notamment, la réduction du sommeil, l’augmentation de l’endurance. Les usagers peuvent donc combiner les drogues dans l’espoir de trouver des effets combinés de divers stimulants. Dans le cadre de la polyconsommation, les drogues sont consommées, l’une après l’autre. Mais il n’est pas rare que l’usager les consomme en même temps. Dans la plupart des cas, la polyconsommation consiste à mélanger l’alcool avec des drogues illicites comme le speedball, un mélange de cocaïne et d’héroïne (ONUDC, 2012 : 119). D’autres combinaisons restent possibles : tabac/ cannabis, alcool/ tabac/ cannabis (Karila, 2008 : 70), tabac/ alcool et spiritueux/bière (Spach, 2018 : 58).

La polyconsommation renforce certes, les effets recherchés, mais en même temps, elle augmente aussi les effets secondaires des substances consommées. Cela a des impacts négatifs sur la santé. La consommation d’héroïne et de fentanyl en même temps peut entraîner l’arrêt respiratoire et la mort. De plus, la polyconsommation encourage l’augmentation de la quantité de drogues consommées, ce qui conduit à une surdose (ONUDC, 2012 : 120).

La consommation d’alcool avec d’autres substances psychoactives provoque des dysfonctionnements neuraux, des dommages au niveau des neurotransmetteurs. Les usagers qui consomment un tel mélange peuvent présenter des troubles de mémoires et des incapacités à apprendre. A cela s’ajoute des troubles cardiovasculaires. La consommation concomitante de cathinones, d’alcool et de cannabis provoque des nausées et des vomissements chez le consommateur. La consommation de tabac avec du khat ou ses dérivés conduit à des troubles de sommeil, dysfonctionnements physiologiques et des douleurs lorsque le consommateur urine (Lopez-Rodriguez & Viveros, 2019).

La polyconsommation est favorisée par la présence de plusieurs drogues illicites sur le même marché. Cela facilite la consommation et la dépendance chez le consommateur. La conduite addictive résulte des effets des drogues comme le cannabis sur les récepteurs cérébraux. Plus le consommateur commence tôt à prendre ces substances, plus il est enclin à devenir dépendant et à augmenter sa consommation voire même à en abuser. Il faut noter que la polyconsommation est aussi motivée dans certains cas, par la recherche d’excès surtout chez les jeunes (Karila, 2008 : 71-72).

III.3. Les causes de l’addiction

Les inégalités sociales influencent les rapports de l’individu aux drogues. Elles influencent en effet, les perceptions de l’individu sur le produit, sur les consommateurs et sur les réactions de la société envers les usagers de ces produits psychoactifs (Jauffret-Roustide, 2014 : 62). Dans cette optique, les populations défavorisées, chômeurs, moins diplômés sont également ceux qui fument régulièrement du tabac. Ceux qui consomment de l’alcool sont des adultes âgés de moins de 25 ans. La tendance s’inverse chez les adultes de plus de 25 ans où l’alcoolisme atteint souvent les chômeurs. Les consommateurs de cannabis pour leur part, sont souvent des personnes qui ont reçu un niveau élevé d’éducation (Jauffret-Roustide, 2014 : 64).

L’addiction est fréquemment rencontrée chez les personnes en situation de grande précarité. Les substances psychoactives assurent un rôle protecteur pour leurs consommateurs, en leur défendant contre les risques perçus face à la réalité extérieure, et à leurs propres ressentis internes. Les substances psychoactives sont considérées comme étant un substitut de l’autre, et par conséquent, compense le besoin de reconnaissance et de sécurité (Fierdepied, Sturm & Baubet, 2014 : 64-65). La consommation de substance psychoactive est perçue par les personnes qui présentent une carence identitaire, comme un moyen pour elles de se sentir exister aux yeux des autres. Cela est très fréquent chez les personnes qui ne sont pas reconnues ou qui se sentent mal-aimées de la société et qui, par conséquent, éprouvent un vide existentiel (Brugvin, 2010 : 26). Certains alcooliques consomment l’alcool dans le but de faire face au sentiment de persécution par le monde extérieur (Jacquinot, 2017 : 73).

La consommation de produits psychoactifs pourrait être interprétée par l’individu comme un moyen pour faire sa revendication sociale. La consommation de tel produit en effet, implique un rapport de force avec les autorités. En brisant les normes sociales, le sujet tente de faire une subjectivation. Ce comportement lui confère une identité négative et inacceptable aux yeux de la société. Cette nouvelle identité lui permet de repousser ses relations avec les autres et d’impressionner. Une telle identité est perçue comme étant valorisante pour la personne en situation de grande précarité sociale dans la mesure où, elle lui permet de se singulariser par rapport à la masse. La consommation de produits psychoactifs implique de ce fait, une identité de recouvrement, qui est au-dessus de l’identité de victime ou d’impuissant (Fierdepied, Sturm & Baubet, 2014 : 65-66).

Le comportement d’addiction ne relève cependant pas uniquement de causes individuelles, mais aussi environnementales. L’environnement actuel semble de plus en plus addictogène, en incitant les personnes à consommer encore et encore. Cette surconsommation ne concerne pas uniquement l’alcool ou les drogues illicites, mais aussi d’autres produits. La culture de l’excès et de l’absence de limite est dorénavant installée (Couteron, 2011 : 66). Pour prendre l’exemple de la France, l’acceptation d’une personne par un groupe social passe parfois par la consommation de vin. Des professionnels même conseillent leurs patients à consommer de l’alcool afin de se prémunir du risque cardiovasculaire. D’autre part, le vin tient un rôle dans la culture et la tradition française (Gillet & Mossé, 2009 : 14).

Dans cette optique, l’usage de substances psychoactives revêt une dimension culturelle et sociale. Si l’usage de tels produits semble stigmatisé chez les femmes, il est plus toléré chez les hommes où il constitue un signe de virilité caractérisé par la prise de risques. Chez les femmes, la consommation de produits psychoactives fait suite à des traumatismes ou des abus sexuels. Vient ensuite l’influence de leur conjoint sur leur décision de prendre le produit. Ainsi, une femme ayant pour conjoint un consommateur de drogue est susceptible de subir l’influence de celui-ci et de sombrer dans l’usage du produit. C’est d’ailleurs son conjoint qui va l’initier aux drogues et à l’injection (Colbeaux, 2012 : 11).

III.4. Les conséquences de l’addiction

III.4.1. Les conséquences sur la personne dépendante

La personne alcoolo-dépendante montre à court terme des troubles de coordination psychomotrices ainsi que des troubles cognitives (Rhem et al., 2019). A long terme, l’éthanol qui est la substance psychoactive contenue dans l’alcool pourrait induire un cancer, affecter le système immunitaire et différents organes (Rehm et al., 2019). La consommation excessive d’alcool peut provoquer une cirrhose du foie et une psychose alcoolique (Gillet & Mossé, 2009 : 17). Le cancer découlant de la consommation excessive sur une longue durée d’alcool cause le cancer affectant les voies aérodigestives supérieures (Nalpas, 2013 : 46). La diminution de l’immunité des consommateurs d’alcool chronique les expose à des risques d’infections. Ils courent aussi le risque de contracter l’hépatite B ou C (Pesci-Bardon & Prêcheur, 2013 : 26).

Les consommateurs de méthamphétamine sont susceptibles de présenter des problèmes cardiaques. Ils sont sujets à l’hypertension artérielle, aux arythmies cardiaques et cardiomyopathies. Le sujet peut entre autres souffrir du syndrome coronaire aigu qui se manifeste le plus souvent par une douleur thoracique. Les problèmes cardiaques peuvent conduire à la mort subite du consommateur. Les propriétés hypertensives et vasoconstrictives de la méthamphétamine peuvent être à l’origine des accidents vasculaires cérébraux ischémiques, d’hémorragies intracérébrales surtout chez les jeunes (Karila et al., 2010 : 1249).

A l’instar de ce qui se passe chez les alcoolo-dépendants, les usagers de méthamphétamine souffrent également d’altérations neurocognitives. L’usager ne peut plus traiter rapidement une information. Il éprouve des difficultés pour maintenir son attention, sa concentration. De ce fait, il ne peut pas apprendre correctement. Sa mémoire épisodique et sa mémoire de travail se trouvent particulièrement affectées par l’usage de la drogue. Par contre, les usagers de méthamphétamines ne présentent pas de troubles moteurs. Les fonctions motrices se trouvent même améliorées (Karila et al., 2010 : 1249-1250).

La consommation excessive de drogue comme la méthamphétamine est à l’origine de bouffée délirante aigue ou de schizophrénie paranoïde. La consommation chronique provoque des symptômes psychotiques chroniques se manifestant par des hallucinations auditives, visuelles et tactiles. Parfois, le sujet peut avoir un sentiment de persécution ou croit deviner la pensée. Il développe des illusions, et tiennent des discours incompréhensibles (Karila et al., 2010 : 1250).

Dans le cas de l’alcoolo-dépendance, le patient présente une altération de ses fonctions métaboliques. Cela se manifeste par le diabète de type 2. Par la suite, il peut montrer une dénutrition. 5 à 30% des alcoolo-dépendants présentent une malnutrition car la majorité d’entre eux tendent à remplacer par l’énergie calorique apportée par l’alcool, les calories qui, normalement, devraient être obtenues par l’alimentation. Ce cas est particulièrement élevé chez les personnes en situation de grande précarité. A cela s’ajoute la réduction du débit salivaire, ce qui trouble le fonctionnement des dents. Souvent, les alcooliques présentent des caries ou perdent leurs dents. L’érosion dentaire suivant la consommation excessive d’alcool se manifeste par la perte des tissus durs de la dent (Pesci-Bardon & Prêcheur, 2013 : 26-27).

Les alcoolo-dépendants peuvent causer des accidents de la route. Ils peuvent aussi être impliqués dans les rixes ou se suicider (Gillet & Mossé, 2009 : 17). Il faut remarquer que les accidents ne se produisent pas uniquement sur la route, mais également à domicile. L’individu peut sombrer dans le coma. Certains consommateurs se montrent violents envers les autres après leur consommation (Nalpas, 2013 : 46).

Les consommatrices de drogues sont plus exposées aux risques de violences conjugales par rapport aux femmes qui n’utilisent pas de drogues. Les consommatrices de crack et de marijuana en particulier sont très vulnérables face à la violence de leurs conjoints. Cela vient du fait que la drogue affecte la capacité de jugement de ces femmes et qu’elles n’arrivent plus à discerner les gestes et les paroles déplacées et/ou menaçants de leurs partenaires. Elles peuvent subir les agressions sexuelles de leurs partenaires. Or, les fréquentes violences qu’elles subissent les poussent encore à consommer plus de drogues. Cela a été observé chez les consommatrices d’héroïne et pourrait traduire une tentative de remédier aux conséquences de l’agression par une automédication. Il existe donc une relation bidirectionnelle entre la consommation de drogue et les risques de violences conjugales (El-Bassel et al., 2005 : 468-469). L’addiction est à l’origine de problèmes judiciaires. Nombre de consommateurs ont été arrêtés pour comportement anormal ou pour possession de produits illicites, etc. (Karila, 2008 : 24).

III.4.2. Les conséquences sociales de l’addiction

Du point de vue professionnel, l’addiction est source de réduction de la performance de l’individu au travail. Il peut s’absenter fréquemment de son lieu de travail. Chez lui, le consommateur de drogue montre souvent une négligence envers ses enfants et ne fait pas les tâches ménagères. En d’autres termes, l’addiction empêche l’usager d’accomplir ses obligations majeures en tant qu’employé, parent, époux, etc. (Karila, 2008 : 24). La toxicomanie a été rapportée comme un des facteurs de négligence des enfants chez les jeunes parents consommateurs de drogues. Or, cette négligence les expose au risque de perdre la garde de leurs enfants (Emard & Gilbert, 2016 : 133). La consommation de drogues réduit significativement la disponibilité physique et émotionnelle de ces parents pour leurs enfants. Par conséquent, les enfants de parents toxicomanes présentent souvent des problèmes de développement. Ils se montrent hyperactifs et développent des troubles de comportements. Les enfants de toxicomanes souffrent entre autres de problèmes intériorisés comme l’anxiété et la dépression. Comme résultat, ces enfants ont souvent des retards scolaires (Laventure et al., 2016 : 274).

L’enfant est considéré par les parents toxicomanes comme étant un réconfort, une guérison et une opportunité pour eux pour donner à cet enfant tout ce dont, ils n’ont pas bénéficié pendant leur enfance. Mais l’enfant leur rappelle progressivement, l’écart entre eux et l’enfant, ce qui brise la vision idéalisée de la parentalité. L’enfant peut devenir un trouble-fête pour le mode de vie notamment, la consommation et leur rappeler leurs failles en tant que parents. L’enfant rappelle aux parents toxicomanes leurs propres enjeux affectifs et relationnels qu’ils n’arrivent pas encore à résoudre (Emard & Gilbert, 2016 : 144).

L’addiction est source d’accidents aussi bien dans le milieu professionnel (au cas où l’usager utilise une machine alors qu’il est encore sous l’influence de produits psychoactifs) que dans le milieu social (en causant des accidents sur la route). Le sujet peut devenir violent et se disputer avec son épouse, ses voisins, voire même arriver aux mains lors d’une bagarre, etc. (Karila, 2008 : 24). La violence de l’usager adulte pourrait résulter de son intoxication conduisant à un agir criminel en agissant sur certaines zones du système nerveux, contrôlant l’agressivité, l’impulsivité et les inhibitions. Une autre théorie avance le fait que la montée de violence est provoquée par les conflits pour obtenir la drogue alors que l’usager ne dispose pas de moyens financiers pour payer sa dose. Pour assouvir son besoin de consommation, il recourt à la violence. Dans cette même visée, la troisième théorie stipule que les vendeurs de drogues veulent avoir un contrôle social du marché et qu’ils règlent par la violence les conflits (Brochu et al., 2010 : 154-155). Les quartiers gangrénés par le commerce et la consommation illicites de drogues sont marqués par une augmentation de la violence, nécessitant les interventions fréquentes des forces de l’ordre (Telles, 2014). L’addiction entraîne toujours des coûts sociaux (McGregor, Callaghan & Hunt, 2008 : 358). Chez les jeunes, la consommation de drogues illicites et plus particulièrement, la polyconsommation est associée à une montée de violence et des démêlés avec la justice (Brochu et al., 2010 : 153).

De ce fait, les consommateurs de drogues sont stigmatisés et considérés comme des personnes sales, des individus déviants avec qui il faut prendre de la distance. A partir de là commence la marginalisation et l’exclusion sociale de ces personnes. Les perceptions négatives sur ces personnes incitent les acteurs externes comme n’étant pas prioritaires pour bénéficier de services de santé étant donné qu’ils ont fait le choix d’adopter ce style de vie dépendant de la drogue malgré la connaissance de ses conséquences sur leur santé (Room, 2005 : 147). L’addiction conduit donc l’usager à s’isoler de la société (McGregor, Callaghan & Hunt, 2008 : 359), d’où l’importance de l’accompagnement.

Chapitre IV. La notion d’accompagnement

IV.1. Définition de l’accompagnement

L’accompagnement a connu un regain d’intérêt après la reconnaissance de l’insuffisance des ressources d’émancipation institutionnelles pour aider les citoyens en quête d’emploi ou traversant des moments délicats de sa vie. Cette prise de conscience s’est accompagnée de l’identification des ressources personnalisées comme étant un moyen d’émancipation de la personne, orientant ainsi l’intérêt des professionnels vers un accompagnement individualisé correspondant à un modèle d’innovation du travail sur une personne. L’accompagnement implique une aide co-construite basée sur la connaissance du milieu d’appartenance de l’autre et l’exploitation de celui-ci pour en faire un espace de ressources pour les actions (Fretel, 2013 : 56).

Fretel (2013 : 61-63) a recensé plus de 70 mots montrant diverses perceptions de l’accompagnement dans le domaine de l’insertion professionnelle. Les répondants ont été divisés en trois groupes selon leurs représentations du terme accompagnement. Le premier groupe renvoie à la considération du terme accompagnement au niveau de l’individu, plaçant celui-ci au centre de l’accompagnement et soulignant que le professionnel suit l’accompagné. La passivité de l’accompagné va transformer les relations entre les deux parties en une sorte de maternage où l’accompagné suit l’accompagnateur. Le deuxième groupe rassemble les personnes qui voient en l’accompagnement, un parcours pendant lequel, le professionnel suit l’accompagné et l’aide afin que son projet soit élaboré. L’accompagnement est donc considéré comme un enchaînement d’actions, un processus dynamique qui s’accomplit pendant une durée plus ou moins longue. Dans cette optique, les répondants ont même souligné la possibilité qu’un individu peut être accompagné toute sa vie. Le troisième groupe pense que l’accompagnement implique une discussion pour déterminer les outils à déployer. Cette définition fait émerger la dimension technique de l’accompagnement dorénavant considéré comme une prestation ou une offre de services.

L’accompagnement pourrait être considéré comme étant un dispositif de lutte ou de solution aux difficultés rencontrées par l’accompagné. L’accompagnement peut être un accompagnement/maintien ayant une visée sociale et relationnelle ou un accompagnement/visée dont le but est de dynamiser la personne pour accomplir un projet. L’accompagnement fait intervenir un professionnel qui va accompagner, et une personne cible qui doit être accompagnée (Paul, 2012 : 15). Cette dernière doit avoir un projet afin qu’elle ait des désirs. L’accompagné devient un sujet désirant qui va s’auto-réaliser et prendre ses propres responsabilités. De ce fait, il devient le seul responsable des résultats obtenus à partir de l’accomplissement de son projet, que ceux-ci soient positifs ou négatifs (Paul, 2012 : 18).

D’autre part, Paul (2012 : 16) fait correspondre l’accompagnement à une posture particulière. Elle parle d’une posture éthique invitant le professionnel à remettre en question ses perceptions concernant son rôle et les raisons qui lui ont poussé à aller vers l’accompagné, ainsi que les caractéristiques des personnes qu’il va accompagner. En tant que posture éthique, l’accompagnement suggère l’absence de violence envers l’autre, ce qui ne peut se faire à moins qu’il ne renonce à ses idées de domination et de toute-puissance envers l’autre. L’accompagnement est aussi une posture de non-savoir, c’est-à-dire qu’il favorise les idées et qui émergent de ses échanges avec l’accompagné. Son rôle consiste donc à susciter le questionnement et non pas à affirmer ce que dit l’accompagné. Cette posture du non-savoir empêche le professionnel de développer des idées hâtives qui pourraient sous-estimer les connaissances et les ressentis de l’accompagnement. Désormais, le professionnel est invité à l’ouverture et aux changements pouvant être évoqués par l’accompagné.

Paul (2012 : 17) ajoute entre autre, que l’accompagnement est une posture de dialogue d’une personne à une autre et ne revêt pas une dimension instituée, dans laquelle, le rôle de chacun est déterminé. L’accompagnement est une posture d’écoute poussant le professionnel à écouter certes, mais également à interagir avec son interlocuteur et à susciter les questionnements. Ecouter veut dire négocier les compréhensions afin de pouvoir partager le sens de ce qui est dit ou envisagé. Outre le fait d’être une posture, l’écoute constitue en ce sens, une technique. Enfin, l’accompagnement correspond à une posture émancipatrice pour que l’autre puisse se construire, apprendre et interagir avec le professionnel. En tant que posture, l’accompagnement doit être régulièrement redéfini et ajusté.

L’accompagnement est orientée vers l’accompagné afin qu’il se découvre lui-même et puisse faire un choix et prendre des décisions qui vont conditionner ses actions présentes et futures (Paul, 2009 : 97). Vu sous cet angle, l’accompagnement correspond à une modalité de relation avec l’accompagné dans une situation professionnelle notamment la protection et le soin aux autres (Paul, 2012 : 14).

IV.2. Les différentes formes d’accompagnement (counseling, coaching, tutorat, consultance, parrainage, compagnonnage)

Paul (2009 : 92) a défini différentes pratiques englobées dans le terme générique d’accompagnement : counseling, coaching, sponsoring, mentoring, tutorat, conseil, parrainage ou compagnonnage.

  • Le conseil suppose que le conseiller guide la personne conseillée ou l’indique une voie (Paul, 2009 : 92). De ce fait, le counseling s’inscrit dans le cadre de l’orientation de la personne vers sa voie professionnelle (Guichard, 2008). Cependant, les deux acteurs (conseiller et conseillé) mènent une réflexion ensemble sur un projet (Paul, 2009 : 92-93). Dans la lutte contre l’addiction, le counseling a été utilisé pour aider et soutenir le consommateur de produits psychoactif à avancer dans sa tentative pour arrêter l’utilisation de ces produits. Le counseling téléphonique par exemple, a été adopté pour soutenir le fumeur dans ses démarches pour arrêter de fumer. Plus les appels téléphoniques sont nombreux, plus la lutte contre le tabac est efficace. Le counseling est souvent réalisé en groupe (Lalonde, 2009 : 22) comme les alcooliques anonymes par exemple.
  • Le sponsoring est assimilé au parrainage et implique le parrain, une personne qui a pour mission d’assurer l’avenir de la personne qu’il parraine. Le sponsor aussi parie sur cet avenir. Ainsi, le parrain cible l’avenir du parrainé (Paul, 2009 : 93). Les alcooliques anonymes qui ont un parrain sont plus susceptibles de s’impliquer dans les différentes étapes permettant de prolonger leur abstinence (Suissa, 2012 : 165). Le parrain peut être un ancien alcoolique qui a su surmonter son craving et s’abstenir de boire de l’alcool. Sa responsabilité consiste à aider son filleul à rester sobre et à résister à la tentation de boire de nouveau. D’autre part, le parrain amène aussi le filleul à adhérer aux exigences du groupe qui va l’aider à s’en sortir. Le parrain se montre disponible et accessible à son filleul à chaque fois que celui-ci a besoin d’aide, exactement comme ce qui a été observé dans le counseling (Mason, 2021 : 128).
  • Le coaching renvoie à l’idée de performance et d’efficacité. Le terme coach est plus connu dans le domaine du sport pour désigner la personne dont la mission est d’entraîner une équipe ou un sportif. Dans cette optique, il donne des conseils et accompagne l’équipe ou le sportif afin de l’amener vers la réussite professionnelle ou personnelle. Le coach entraîne ainsi le coaché pour qu’il puisse changer, se développer (Paul, 2009 : 93). Le coaching permet de suivre la progression de la personne accompagnée et de coordonner les actions, les traitements supplémentaires et aider à l’optimisation de techniques en cas d’émergence de nouveaux problèmes (McKay et al., 2009 : 128).
  • Le mentoring met en scène le mentor, une personne sage et expérimentée qui, de par son expérience, va pouvoir accompagner vers le passage à un niveau supérieur (Paul, 2009 : 94). Les deux parties apprennent de l’autre dans cette relation de mentoring. Le mentor aide l’usager à apprendre, à entretenir des relations sociales et à développer son identité (Miller, 2021 : 506).
  • Le tutorat implique le tuteur, qui a été à l’origine tirée du registre horticole. Le tuteur défend et protège le tutoré. Le tuteur est considéré comme un encadrant dans le domaine de la formation. Il accompagne lors de l’insertion professionnelle. Le tutorat vise à la fois la production et l’éducation de l’individu (Paul, 2009 : 94). Dans le cadre de l’accompagnement, le tuteur se charge de stimuler chez le tutoré, un changement d’habitude. Cela peut se faire par une expérience avec et par le tutoré. Il ne s’agit pas de lui faire prendre conscience des résultats de ce que l’individu fait, mais de ce qu’il fait à partir de ce qu’il lui arrive (Vitali & Barbier, 2013).
  • Accompagnement et compagnonnage désignent l’accompagnement par un ancien, d’un apprenti sur le plan technique et moral (Paul, 2009 : 94). Le compagnon peut être un ami, un partenaire ou un collègue (Rajon, 2009 : 41-42). Le compagnonnage suppose que les deux acteurs soient sur le même piédestal et qu’ils établissent une relation symétrique et mutuelle. Les compagnons partagent des objectifs et un idéal communs. Parfois, il se peut qu’ils aient aussi traversé les mêmes rudes épreuves. La relation de compagnonnage est donc une relation désintéressée. Ils marchent ensemble sur le même chemin (Rajon, 2009 : 42). Dans le domaine médical, les médecins et les malades sont à égalité. Le patient a le droit de savoir afin qu’il puisse décider avec le médecin des traitements et des protocoles à suivre. Le professionnel soignant doit éduquer le patient afin qu’il puisse se soigner lui-même. Le compagnonnage est donc amené à durer et cette relation amène le professionnel à changer. Ce changement est produit par l’autre qui interagit avec lui (Rajon, 2009 : 43).

IV.3. La relation d’accompagnement

La relation d’accompagnement est une relation professionnelle établie autour d’un projet et encadré par l’institution référente. C’est sur ce projet que les deux acteurs de l’accompagnement discutent. La relation d’accompagnement stimule chez l’individu l’envie de s’impliquer dans le projet et d’agir pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixé. Vu sous cet angle, cette relation transforme l’intention en projet et en actes concrets. Outre à cela, elle permet de transformer la personne elle-même à partir de cette expérience dans laquelle elle agit, mais elle subit aussi les conséquences de ce qu’elle fait (Paul, 2020 : 127).

L’accompagnement s’inscrit dans une relation caractérisée par la mise en valeur de l’accompagné en tant que sujet responsable et sujet de droit. Mais dans cette forme particulière de relation se pose la question de savoir ce qui relève de l’autonomie et de la responsabilité de l’accompagné (Paul, 2012 : 14). L’accompagné est considéré comme étant un sujet actif ayant une volonté d’améliorer sa situation. Il est un sujet en maintenance ce qui veut dire que le professionnel doit faire en sorte qu’il ne perde pas ses qualités et que toutes ses fonctions ne soient pas altérées. L’accompagné de ce fait doit se maintenir en état et s’il a perdu son activité professionnelle, il doit retrouver une situation stable. Mais comme les usagers accompagnés dans le domaine social rencontrent des difficultés, ils sont aussi considérés comme étant un sujet à révision, amené à prendre du recul et à faire une analyse sur leur parcours (Astier, 2009 : 52).

Dans cette optique, le professionnel ne doit en aucun cas, prendre des décisions ou faire à la place de l’accompagné (Paul, 2012 : 16). Il ne travaille pas sur l’accompagné mais avec lui. Ainsi, il ne va plus imposer des changements à l’accompagné, mais va attirer l’attention de celui-ci sur les moyens lui permettant de faire face à ses difficultés et les conditions requises pour résoudre le problème. Le professionnel peut rappeler à l’accompagné les normes et les règles sociales qui vont avec sa prise de décision (Paul, 2012 : 18).

La relation entre l’accompagnateur et l’accompagné s’établit dans le respect de la dignité de la personne accompagnée, de la prise en considération de ses caractéristiques comme ses intérêts, son rythme de travail. La relation d’accompagnement exige aussi le respect de la confidentialité de certaines informations concernant la personne accompagnée. Mais la relation d’accompagnement se base surtout sur l’empathie éprouvée par l’accompagnateur envers la personne qu’il est censé accompagner. Il est indispensable pour lui de comprendre aussi la souffrance de l’accompagné sans toutefois tomber dans le piège de la perte de la bonne distance par rapport à celui-ci (Melchior, 2011 : 124). La relation d’accompagnement requiert entre autres une confiance mutuelle qui permet au professionnel de prendre conscience des spécificités de l’accompagné et de ses aspirations. En même temps, cette confiance pallie les problèmes relatifs à l’imprévisibilité et à l’insécurité (Paul, 2012 : 19).

Si les pratiques d’accompagnement se réalisent autour de l’accompagné et selon son propre rythme, il convient que l’accompagnateur avance au même titre et au même rythme que l’accompagné. Il ne doit pas aller devant lui de peur de l’influencer. Mais pour que l’accompagné puisse avancer, l’accompagnateur doit lui fournir les conditions lui permettant d’accéder à de nouvelles ressources et à vivre aussi de nouvelles expériences. C’est à partir de ces éléments que l’accompagné pourra devenir autonome et procéder à des changements (Paul, 2009 : 97).

Pour ce faire, le professionnel doit se rapprocher de l’accompagné dans les moments difficiles que celui-ci traverse, ou lors des prises de décision. Les professionnels deviennent ainsi des acteurs clés dans la dynamique de changements (Paul, 2009 : 101). Etant donné que ce n’est plus uniquement le professionnel qui intervient dans l’accompagnement mais l’usager aussi, chacun des deux acteurs apprend de l’autre, ce qui mène à dire qu’ils sont amenés à se rencontrer (Astier, 2009 : 53). Le professionnel accepte de regarder l’accompagné comme un autre qu’il convient d’approcher, et de nouer une relation avec lui. Cette relation introduit l’idée d’une réciprocité entre l’accompagnateur et l’accompagné. Ces deux acteurs sont mus par le désir d’entrer en relation avec l’autre et de découvrir l’autre qui n’est pas soi. C’est à travers le regard porté sur l’autre, que l’un peut révéler la beauté de celui-ci en tant que personne (Pereira, 2007 : 71-72).

IV.4. L’accompagnement des personnes souffrant d’addiction

L’accompagnement d’une personne souffrant d’addiction peut se faire à travers l’aide apportée à celle-ci pour qu’elle puisse gérer sa consommation. Et comme cette dernière résulte de plusieurs facteurs inhérents à son environnement interne et externe, l’intervention vise à transformer le rapport de la personne au monde. Les compétences et les ressources à la disposition de la personne accompagnée sont identifiées afin de déterminer les éléments à activer ou à développer chez le consommateur. L’accompagnement de la personne addict s’étale sur une durée plus ou moins longue afin de maintenir la relation avec l’usager et de parvenir à une certaine forme de stabilité lors de la gestion de la consommation. Le passage d’une étape à une autre se fait progressivement. La situation est maintenue autant que faire se peut pour empêcher que l’individu ne sombre dans une plus pire situation (Soulet, 2008 : 100-101).

Accompagner les personnes addicts revient aussi à agir sur leurs représentations d’elles-mêmes. Désormais, elles sont prises en considération afin qu’elles puissent avoir envie de prendre la responsabilité quant à leur consommation de produits psychoactifs. Dans ce cadre, l’accompagnateur se base sur les expériences de consommation de l’accompagné afin de l’aider à avoir la maîtrise sur sa consommation de produits psychoactifs. Cette gestion de la consommation est source de fierté chez les consommateurs (Soulet, 2008 : 103). Le sujet possède en effet une expertise profane découlant de ses recherches et de son vécu professionnel. Ces expertises sont fortement requises lors de leur accompagnement. Certains sujets deviennent des experts ou des ressources dans leurs domaines. Cette expertise peut être renforcée par le croisement de l’addictologie avec l’éducation thérapeutique de l’usager (de la Tribonnière, 2016 : 593-594).

L’éducation thérapeutique fait partie de l’accompagnement des personnes dépendantes aux substances psychoactives. Le but de cette éducation est de permettre à l’individu d’acquérir les compétences pour mener à bien les soins. L’éducation thérapeutique se fait en partenariat avec les soignants (Couteron, 2011 : 69). Bien que balbutiante encore dans le domaine de l’accompagnement des personnes dépendantes de produits psychoactifs, l’éducation thérapeutique du patient a commencé à être utilisée en addictologie et portait sur les thèmes suivants : la maladie alcoolique, la maladie chronique et les désordres alimentaires, la maladie alcoolique et le tabagisme, le sevrage tabagique, la substitution sous méthadone. Le CHU de Montpellier par exemple a mis en œuvre un programme d’éducation thérapeutique destiné aux patients présentant une polyaddiction afin de déterminer des organisations et des outils spécifiques permettant de les aider (de la Tribonnière, 2016 : 592).

Comme le degré de dépendance à l’alcool va de pair avec certaines conditions de vie notamment, la précarité sociale, les problèmes affectifs, médicaux, etc. l’accompagnement consiste également à mener des actions afin de modifier ces conditions de vie et par la même occasion, la sévérité de la dépendance (Michel & Morel, 2012 : 188). Les intervenants cherchent alors à améliorer la qualité de vie de l’usager pour que sa vie ne soit pas trop dégradée. Pour ce faire, une relation d’aide et de soin est installée. Ce cadre correspond plus à une négociation avec l’usager plutôt qu’une relation entre expert qui sait ce qui est bien pour le patient, alors que celui-ci est aussi expert de sa pratique de consommation. La relation d’aide demande de ce fait, une révision de la qualité de vie telle qu’elle est perçue par l’usager et non pas par l’intervenant (Fieulaine, 2013 : 8).

L’accompagnement de l’usager ne se limite pas uniquement à l’aspect social, mais aussi médical. Or, certains toxicomanes peuvent oublier de prendre leurs médicaments. Les prises irrégulières de médicaments de substitution par exemple, ne permettent pas de guérir le patient. L’accompagnement du sujet vise à alors à veiller sur l’observance thérapeutique (Eymard, 2007 : 170). Dans cette optique, l’accompagnement par les professionnels passe par un ajustement social du sujet et la promotion de son autonomie. Cela revient à aider l’individu à suivre scrupuleusement son traitement et de l’accompagner pour qu’il bénéficie d’une meilleure qualité de vie (Eymard, 2007 : 180).

IV.5. La réduction des risques : une évolution des normes de pratiques d’accompagnement de personnes souffrant d’addiction

La réduction des risques correspond à l’éducation donnée à l’usager sur le mode d’emploi de la substance qu’il utilise. De cette manière, l’usager pourra en faire un usage éclairé, ce qui permet de réduire les impacts sur lui-même et sur son entourage. Ce ne sont donc pas uniquement les usagers qui font un excès ou une utilisation dangereuse des substances psychoactives qui doivent suivre cette réduction des risques, mais l’ensemble des usagers de ces produits (Auriacombe, Fatséas & Daulouède, 2017 : 100). Ainsi, il s’agit d’ « une approche centrée sur la diminution des conséquences néfastes de l’usage des drogues plutôt que sur l’élimination de l’usage, en hiérarchisant ces problèmes et en s’adaptant à l’usager de drogues » (Sabir et al., 2013 : 42). La réduction des risques pourrait être évaluée sur la base du nombre de décès par overdose, le nombre de transmission de VIH ou d’hépatite (Sabir et al., 2013 : 42).

La réduction des risques repose sur l’évolution de la considération de la population prise en charge. Auparavant stigmatisée voire même rejetée, la personne alcoolo-dépendante est désormais reconnue comme citoyen et sujet social. La réduction des risques veut aussi combiner une approche globale ainsi qu’une approche individuelle lors de l’accompagnement de l’usager (Couteron, 2011 : 64). Dans cette pratique, les intervenants vont vers les usagers. Les interventions portent d’abord sur l’aspect social de l’accompagnement  afin que la personne puisse se rétablir et se sentir comme membre de la société. Les usagers sont accompagnés dans la valorisation de leurs ressources pour évoluer et changer leurs comportements. De cette façon, l’usager se trouve donc au centre de la réduction des risques (Couteron, 2011 : 67).

La réduction des risques se présente sous différentes pratiques selon le produit consommé. Pour les drogues illicites par exemple, elle consiste à diminuer les risques infectieux. Pour la consommation d’alcool par contre, la réduction des risques implique la diminution de l’exposition à l’alcool et le contrôle de la consommation. Les alcooliques dans ce cadre, ne sont pas forcés de faire une abstinence, mais peuvent également opter pour une consommation contrôlée. Pendant plus de 10 ans, Sobell et Sobell ont cherché à démontrer cette nouvelle option pour les alcoolo-dépendants. Ils ont conclu que les personnes fortement dépendantes à l’alcool doivent s’abstenir d’en consommer pour guérir. Mais pour les sujets qui ne présentent pas un tel degré de dépendance, la réduction de la consommation constitue une alternative encourageante, d’autant plus que cette catégorie compte de nombreuses personnes par rapport à la première catégorie d’alcoolo-dépendants. Et pourtant, cette option n’est pas toujours considérée par les intervenants auprès de la personne (Michel & Morel, 2012 : 187).

La réduction des risques repose donc principalement sur la consommation contrôlée (Michel & Morel, 2012 : 188). Elle veut aussi responsabiliser le consommateur pour qu’il consomme rationnellement en vue de préserver sa santé et son bien-être. Par la même occasion, sa prise de responsabilité l’encourage à éviter certains dangers également considérés comme étant des risques (Reith, 2004 : 295). D’autre part, la médication permet d’aider l’individu dans cette démarche. Certains médicaments comme le Selincro® (nalméfène) permettent de réduire la consommation d’alcool. Ce médicament est prescrit aux personnes qui affichent une importante consommation occasionnelle, mais qui ne veulent pas faire un sevrage. Le Selincro® a montré ses effets dans la réduction des risques liés à la consommation (Poloméni, 2013 : 2).

La réduction des risques entend également agir au niveau des impacts sociaux de la production, publicité, vente et consommation d’alcool. De ce fait, les accompagnateurs cherchent à agir sur l’environnement dans lequel, l’individu vit pour tenir compte de tous ses besoins. Le but est de faire comprendre à l’accompagné les risques liés à son comportement et de les réduire, à faciliter l’accès de la personne aux soins. La réduction des risques implique l’alcoolique pour qu’il puisse fixer lui-même ses objectifs de soin (Michel & Morel, 2012 : 188).

Les interventions pour la réduction des risques ciblent plusieurs segments de personnes : les femmes enceintes, les conducteurs, les élèves et les étudiants, les acteurs présents dans les lieux de consommation. Dans cette optique, les serveurs sont formés pour prévenir l’ivresse des consommateurs et les violences dans leurs lieux de travail. Ils sont également formés en matière d’accompagnement à domicile des personnes en état d’ébriété (Michel & Morel, 2012 : 190).

Selon les objectifs et les modes d’intervention, la réduction des risques peut se faire à travers la consommation contrôlée, les médicaments, les interventions brèves. Ces dernières consistent à faire un entretien en face à face avec l’alcoolique pour l’informer sur les risques liés à la consommation d’alcool et de le convaincre à modérer sa consommation. Ces interventions peuvent être faites dans les soins de santé primaire ainsi que dans le cabinet de médecine générale. Une intervention multimodale peut être envisagée dans le cadre de la réduction des risques chez les plus jeunes, en agissant dans le milieu scolaire et à la maison. Mais les interventions peuvent prendre une plus grande envergure, à travers les politiques publiques et les interventions à destination du grand public. Ces dernières se font par exemple, à travers la limitation de l’accès à l’alcool, des publicités vantant l’alcool ou l’augmentation des taxes sur ce produit, mais également, à travers la sensibilisation et l’avertissement du public (Michel & Morel, 2012 : 191-192). Cela engage les travailleurs sociaux. Le chapitre qui va analyser l’évolution au niveau des pratiques des travailleurs sociaux.

Chapitre V. Les travailleurs sociaux

V.1. Les mutations du travail social et l’évolution de la place et des rôles des travailleurs sociaux

Ces dernières décennies, le monde est témoin de la massification de l’exclusion et un changement des représentations de l’objet social. La marginalisation s’amplifie avec le rejet des personnes qui ne suivent pas le progrès. Ces personnes sont considérées comme étant les « inutiles du monde ». La société actuelle favorise l’individuation. La performance est évaluée au niveau de l’individu : ses performances, sa réussite, son parcours. L’individu assume de ce fait, une plus grande responsabilité. Mais pour les personnes fragilisées, une telle tournure s’accompagne d’impacts négatifs (Bouquet, 2006 : 126).

L’évolution concerne les demandes des usagers, le travail social est lui aussi appelé à évoluer. Il est actuellement témoin d’une professionnalisation des fonctions au sein d’une organisation. La professionnalisation ne concerne pas l’individu lui-même, mais surtout sa fonction et celle de tous les autres qui travaillent au sein d’une même organisation. La gestion des emplois se fait en tenant compte des compétences des travailleurs sociaux. Le travail social se rationnalise et le professionnalisme organisationnel est attendu de la part des travailleurs sociaux (Artois, 2018 : 33).

L’évolution dans le domaine du travail social implique un changement dans le rapport de l’individu à la société. Le changement est rendu possible grâce à l’autodétermination, le respect des droits de l’homme, l’amélioration des conditions de vie. Le changement au niveau du travail social ne peut se faire pour autant, sans se référer aux normes sociales (Chouinard, Couturier & Lenoir, 2009 : 36-37).

Dans ce changement, le travailleur social joue le rôle de médiateur entre la société et la personne victime d’exclusion, mais entre le bénéficiaire des services et le projet dans lequel s’inscrit sa prise en charge. Le travailleur social s’applique à stimuler l’engagement du bénéficiaire à son propre projet d’intervention, en tenant compte de ses ressources externes, de ses relations et de son environnement. L’engagement suppose que le principal concerné s’exprime et agit. Le travailleur social avance des alternatives au bénéficiaire, mais il tient compte des désirs du bénéficiaire. L’expression et les actions du bénéficiaire se fait à travers son empowerment c’est-à-dire, à travers sa responsabilisation. La médiation dans le cadre du projet dépend en grande partie de l’humanisme du travailleur social (Chouinard, Couturier & Lenoir, 2009 : 42-43).

Les changements obligent les travailleurs sociaux à développer des expertises et à innover leurs pratiques (Bouquet, 2006 : 127). L’individu reste toujours au centre des interventions sociales, mais dans cette démarche, les travailleurs sociaux luttent pour la reconnaissance affective, la reconnaissance de la valeur et la reconnaissance de la personne sur la base de l’estime sociale qu’il doit bénéficier. La reconnaissance affective implique l’amour et l’intimité. La reconnaissance de la valeur suggère que la personne est un ayant droit et une personne ayant une valeur égale à celle d’autres ayants droit. La personne prise en charge est une personne qui effectue une contribution sociale et en ce sens, devrait obtenir l’estime de la société (Bouquet, 2007 : 40).

Les travailleurs sociaux contribuent désormais à l’élaboration de politiques sociales ou interviennent dans le changement des politiques préexistantes et qui ne sont plus en adéquation avec les besoins des usagers. Ces actions des travailleurs sociaux sont menées d’abord au niveau de leur organisme employeur et par le biais d’autres organisations. Les interventions des travailleurs sociaux se font à travers la médiation et l’accompagnement. Contrairement à ce qui a été observé auparavant, au lieu de travailler sur la personne, le travailleur social travaille avec la personne considérée comme étant un acteur engagé. Dans une société marquée par l’individuation, le collectif est mis en valeur en tant que garant de l’individuel. Le travailleur social n’est plus une aide pour la personne accompagnée, mais un acteur qui intervient dans les changements locaux et territoriaux (Bouquet, 2007 : 41).

Dans le processus d’individuation, la société peut imposer à l’individu de se conformer à certaines normes comportementales. Le travailleur social pourrait encourager l’individu à s’affranchir de celles-ci, sans pour autant se distancier du groupe et s’inscrire dans le développement local territorial. Le projet individuel est considéré comme une base de ce développement. Le travailleur social travaille aussi bien au niveau de l’individu qu’au niveau du collectif pour tenter de comprendre l’origine du mal-être et ses enjeux (Bouquet, 2007 : 41).

Mais dans toutes ces démarches, le travailleur social subit une pression provenant de la confrontation de deux modèles de société : la prévention des problèmes sociaux par l’intégration des exclus ; et un autre modèle basé sur la gestion, la norme, la réduction des risques, la sécurité. Le premier modèle semble de plus en plus abandonné au profit du deuxième modèle. Alors que le premier focalise les actions sur la personne, le deuxième se réfère à la normalisation des pratiques et des comportements (Bouquet, 2007 : 42).

V.2. Evolution des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux

L’évolution de la pratique des travailleurs sociaux résulte des normes imposées par la loi. La loi de modernisation de l’action sociale et médico-sociale, la loi 2002-2 également connue sous le nom de Loi des droits des usagers par exemple remet en question le statut des professionnels et des usagers. Cette loi en effet, donne la liberté aux usagers de participer à la vie du CHRS. Elle remet en cause aussi les relations que chaque partie développe envers l’établissement. Or, pour appliquer cette loi, les travailleurs sociaux doivent absolument laisser la parole aux résidents et à les écouter. C’est ainsi que certains CHRS mettent à la disposition des résidents des espaces de participation et d’expression des résidents. Outre à cela, leur posture a également changé. En laissant la liberté aux résidents d’exprimer ce qu’ils ressentent et de participer à la vie au sein du CHRS, les professionnels deviennent les éduqués. Les résidents pour leur part, ont acquis de nombreuses responsabilités (Guilbert, Overney & Eliçabe, 2016).

Dans cette nouvelle donne, aussi bien le rôle des accompagné que celui des accompagnateurs est modifié. Par conséquent, la pratique professionnelle des travailleurs sociaux est également amenée à changer. C’est dans cette optique que depuis les années 1990, les actions des travailleurs sociaux sont plus considérées comme étant une intervention sociale d’aide à la personne. Parler d’intervention suppose que la pratique n’est plus professionnelle. Le travail considéré auparavant comme un processus se transforme dorénavant en des interventions ponctuelles. Le travailleur social doit alors contrôler des contextes spécifiques notamment, sa relation avec la personne accompagnée. La relation se trouve au centre de la pratique des travailleurs sociaux. Or, cette relation redéfinit les places et le statut de l’accompagnateur et de l’accompagné (Ion, 2009 : 138-139).

Les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux s’inscrivent dans le cadre de la recherche de la justice sociale afin d’assurer un accès équitable aux ressources et aux différentes opportunités pour décrocher un travail ou encore pour améliorer les conditions de vie. Ils assurent également le bien-être psychosocial des personnes prises en charge (Bessaha, Schuler & Moon, 2017 : 181). Mais ces différentes situations entraînent le travailleur social dans une zone d’incertitude. Le travail social semble de ce fait se rapprocher d’une profession à pratique prudentielle c’est-à-dire qu’il met le travailleur dans une situation d’incertitude, ce qui le pousse à se montrer prudent lors de l’accomplissement de son travail. Mais comme tout travail demande de la prudence, il est nécessaire d’ajouter que les pratiques professionnelles prudentielles sont caractérisées par le fait que l’incertitude provient de la singularité et de la complexité de chaque cas dont le centre est l’être humain. L’incertitude occasionne des conflits d’interprétations entre pairs. La pratique prudentielle se démarque également par le fait qu’elle se base sur des savoirs et des savoir-faire abstraits souvent non formalisés. L’application des protocoles se heurte dans ce cas à la spécificité de chaque personne et l’incertitude devient irréductible (Vrancken, 2012 : 29).

V.3. L’implication des normes dans le travail social

Les normes permettent de faire une division du travail social en tenant compte des compétences des intervenants sociaux (Artois, 2018 : 33). Elles fixent également d’une certaine manière, les conditions permettant à une personne d’être admise dans les structures d’hébergement sociales telles que les CHRS. Ainsi, si les demandes sont nombreuses pour accéder au CHRS, certains critères qui ne sont pas établis par la loi, mais esquissés par les intervenants sociaux afin de leur permettre de faire le tri des personnes pouvant être admises en CHRS de celles dont les demandes doivent être rejetées. Parmi ces critères comptent par exemple, le sexe (les femmes sont préférées aux hommes), l’état d’alcoolisation apparent (les personnes sobres ont plus de chance par rapport à celles qui sont en état d’ébriété) et l’agressivité perçue (les personnes calmes sont préférées aux agressives) (Michalot & Simeone, 2010 : 116). La considération de cet état d’alcoolisation est plus élevée chez les professionnels qui n’ont pas acquis beaucoup d’expérience (Michalot & Simeone, 2010 : 120).

Les lieux de travail de ces professionnels sont régis par des règlements intérieurs qui conduisent à des contraintes aussi bien au niveau du temps que de l’espace. Les horaires par exemple sont déterminés. Il en est de même pour les lieux accessibles aux résidents, aux visiteurs et aux éducateurs. Ce contrôle pourrait être perçu par les résidents comme une intrusion dans leur vie personnelle. Certains résidents se plaignent de pratiques infantilisantes à leur égard. Ce ressenti est d’autant plus forte que la personne accueillie a été autonome dans le passé. Ils ne se sentent plus maîtres de leur vie en se soumettant aux différentes normes (Ganne & Thiery, 2019 : 58-59).

En même temps, ils permettent aussi de réguler les comportements des personnes qui sont amenés à travailler ou à cohabiter dans ce lieu. Pour prendre l’exemple des CHRS, l’accueil de personnes qui vivent en marge de la société nécessite une normalisation afin qu’ils puissent se socialiser (Liénard, 2019 : 115). Par ailleurs, l’accompagnement des résidents dans les CHRS a pour but de les aider à suivre les normes établies par la société afin qu’ils puissent être acceptées par elle. Et pourtant, certains résidents ne suivent pas les normes établis aussi bien par la société que par l’établissement d’accueil. Les comportements déviants de certains résidents sont sources de frustration et de souffrance pour les travailleurs sociaux (Fleury-Gorkowski, 2018 : 19).

L’addiction en particulier pose la question du rapport de l’usager avec la loi et les normes établies par la société. Les comportements addictifs sont considérés comme des comportements de déviance, mais en même temps, ils sont aussi assimilés à des pathologies ou des troubles psychiques. Mais les acteurs sociaux interviennent auprès de ces personnes et inscrivent leurs actions autours de la relation. La relation avec ces personnes demande une construction de représentations de celles-ci. Or, la représentation qu’en fait le travailleur social s’inspire du système de représentations sociales (Boutanquoi, 2008 : 59). La relation d’accompagnement nouée entre le travailleur social et l’accompagné constitue un espace de travail où tous deux réfléchissent sur la norme et la déviance (Boutanquoi, 2008 : 63).

Cependant, s’il est admis que le travailleur social fait une médiation, les normes sociales établies sont amenées à évoluer. Sa médiation confronte en effet, le projet et la norme sociale (Chouinard, Couturier & Lenoir, 2009 : 43). D’autre part, les normes imposées par les règlements de l’établissement peuvent se confronter aux valeurs et aux principes du travailleur social, causant ainsi, une souffrance éthique (Melchior, 2011 : 128).

Chapitre VI. Problématisation et formulation des hypothèses

VI.1. Problématisation

VI.1.1. Synthèse de l’état de l’art

Les CHRS accueille une population vulnérable, en marge de la société et pouvant présenter des problèmes avec des produits psychoactifs. Si la situation de cette population lui ouvre les portes des CHRS, les bonnes pratiques professionnelles recommandées par l’ANESM ne sont pas forcément en accord avec les comportements et les modes de vie de certaines personnes accueillies en CHRS. Et pourtant, les règlements de fonctionnement n’interdisent pas la consommation d’alcool ou de tabac dans les CHRS. Par conséquent, les résidents sont bien libres dans leurs choix d’utiliser ou non les produits psychoactifs licites. La question qui se pose est alors de connaître les espaces où l’usager peut utiliser le produit. L’espace commun n’est pas adapté pour ce genre d’utilisation étant donné que c’est un espace de vie collective et l’individu est donc tenu de respecter cet espace collectif. Par contre, l’espace privatif de l’établissement pourrait devenir un lieu de consommation du produit si sa liberté et les caractéristiques de cet espace sont prises en considération.

Le respect rigoureux des règlements et la normativité semblent difficiles à mettre en place dans les CHRS étant donné que tous les consommateurs de ces produits psychoactifs ne montrent pas forcément des comportements déplacés avec les autres résidents ou avec leurs voisins. Le silence des professionnels sur la consommation de tels produits à l’intérieur de leurs établissements ne permet pas de faire un contrôle. Par ailleurs, ceux qui ont interdit formellement la consommation de tels produits dans l’établissement se heurtent aux subterfuges des résidents pour les consommer en cachette. Certains établissements dont l’établissement où j’avais réalisé mon stage ont décidé d’accompagner les résidents ayant des problèmes de consommation d’alcool dans une démarche de réduction des risques.

Et pourtant, les actions et le fonctionnement des établissements comme les CHRS sont régis par les normes. Ces dernières permettent d’harmoniser et de coordonner les actions et les relations entre les professionnels, entre les professionnels et les résidents, et entre les résidents eux-mêmes. Les normes sont des régulatrices sociales, destinées à délimiter la frontière entre ce qui est acceptable, souhaitable et évitable. Mais plusieurs normes entrent en jeu dans le fonctionnement des CHRS. Il y a par exemple, les normes juridiques qui définissent les actions et les populations accueillies en CHRS, les normes sociales qui renvoient aux comportements que les différents acteurs qui se côtoient doivent adopter pour assurer un environnement sain et calme, les normes morales qui poussent les professionnels à baser leur relation avec les usagers sur l’empathie, le respect de ceux-ci même s’ils n’affichent pas un comportement conforme aux normes et aux représentations de la « bonne personne » telle que la société l’entend. C’est également les normes morales des travailleurs sociaux qui les pousse à considérer la personne qu’ils accompagnent comme étant un ayant droit, un être humain qui possède des compétences. Cette mise en valeur de l’accompagné caractérise la relation d’accompagnement mise en œuvre dans diverses actions à l’heure actuelle.

En d’autres termes, le respect des normes installe une société en paix. Et pourtant, force est de constater que les normes peuvent se contredire et certaines d’entre elles ne sont pas mises à jour. Les normes sociales qui stipulent la prise de distance ou la sanction de personnes qui adoptent un comportement déviant comme l’addiction par exemple, est en contradiction avec la norme juridique et la norme morale des travailleurs sociaux qui, interviennent par empathie pour la personne qui est devant lui. Certaines normes semblent inapplicables. La littérature rapporte que les établissements comme les CHRS interdisent la consommation d’alcool. Pourtant, force est de constater qu’il est quasiment difficile de contrôler cette dernière en CHRS pour différentes raisons : subterfuge des résidents, respect de leur choix de vie dans un espace privatif où ils vivent, crainte que les résidents ne viennent boire dans les espaces communs et incommoder le voisinage.

Pour le travailleur social, il est indispensable de respecter les normes car, celles-ci permettent de coordonner les activités des acteurs qui interviennent dans le CHRS. Par ailleurs, les normes permettent également d’optimiser les actions des travailleurs sociaux. Et pourtant, ils se trouvent confrontés aux conflits entre les normes. D’une part, il y a la prohibition de produits psychoactifs imposé par l’établissement ; et d’autre part, l’addiction qui met les résidents dans une situation de vulnérabilité, ce qui relève bien de la responsabilité des CHRS en matière d’insertion sociale et d’hébergement. La constatation de ces obstacles a conduit à l’émergence ces dernières années, de la notion de réduction de risques. Le sujet est amené à apprendre les moyens lui permettant d’utiliser de manière plus convenable le produit psychoactif dans le but de réduire les impacts négatifs de celui-ci sur le consommateur et sur son entourage.

En parallèle avec l’émergence de la réduction de risques, les sociétés actuelles sont également témoins de l’évolution du statut et des missions du travailleur social, ses pratiques professionnelles et le statut même de l’usager. Désormais, le travailleur social devient un accompagnateur et l’usager devient un accompagné. Mais le statut de l’usager ne s’arrête pas là, car contrairement à ce qui a été observé auparavant, il devient un acteur important dans sa propre guérison et sa propre insertion sociale. L’usager et l’accompagnateur se trouvent sur le même piédestal, chacun apprend de l’autre pour faire émerger une expertise pouvant résoudre les problèmes qui se posent à l’usager. Ce dernier doit faire un choix, prendre des décisions éclairées. L’accompagnateur représenté par le travailleur social est amené à apprendre de l’autre et à respecter ses décisions.

La mutation au niveau du statut de l’usager et du travailleur social s’est également accompagnée de mutations au niveau de ses pratiques professionnelles. Le travailleur social intervient auprès de l’usager. De même, il ne travaille plus sur le sujet, mais avec le sujet. Cela ramène à l’idée d’un changement du rapport que le professionnel entretient avec son métier et les personnes qui entrent en contact avec lui sur son lieu de travail. Or, un tel changement met souvent face à un dilemme car, les mutations qui se sont opérées au niveau du travail social encouragent les professionnels à se conformer aux normes. Et pourtant, aller vers l’autre ne peut se faire à moins de prendre en considération les différentes spécificités de l’autre. Or, la normativité relève du collectif ce qui n’est pas sans contradictions avec l’individuation et la considération des caractéristiques de chaque usager. Cela suscite plusieurs questionnements.

VI.1.2. Questionnements émanant de l’état de l’art et émergence de la problématique

La loi de 2002 sur les institutions sociales et médicosociales souligne l’importance de l’évaluation de celles-ci afin de pouvoir prendre du recul pour apprécier les pratiques des différents intervenants. Il est nécessaire que les réponses apportées par les acteurs sociaux soient en adéquation avec le cahier de charge. L’évaluation suggère entre autre, la détermination si l’établissement et plus particulièrement, ses employés s’écartent des normes en ce qui concerne l’accueil des résidents, le fonctionnement de l’établissement, les manières de faire (bonnes pratiques) (Boutanquoi, 2008 : 65). Or, la normativité renvoie également à la question de la considération de l’accompagné en tant que sujet (Boutanquoi, 2008 : 66).

Vu sous cet angle, le travailleur social va se conformer aux normes c’est-à-dire aux règlements régissant l’établissement pour lequel, il travaille. Or, dans notre revue de littérature, nous avons montré que la plupart des établissements comme les CHRS n’acceptent pas la consommation de produits psychoactifs. Certes, cela n’est pas clairement écrit dans les règlements internes pour certains établissements. Il n’empêche que la recommandation de bonnes pratiques professionnelles adressée par l’ANESM (2017) incite l’élaboration de procédures interdisant la consommation de substances psychoactives.

Pour s’assurer du respect de ces normes, l’ANESM invite les établissements des structures d’accueil des personnes marginalisées à définir des sanctions pour les personnes qui dérogent à ces règles. Etant donné que les normes doivent être respectées, la première question qui émerge est de savoir comment les travailleurs sociaux s’y prennent-ils pour faire respecter les règles des CHRS en ce qui concerne les produits psychoactifs ? Est-ce qu’ils disposent de tous les moyens lui permettant de mener à bien ses missions ?

Nous avons décelé toutefois quelques contradictions entre les normes établies. Nous avons rapporté l’article L.345-1 du Code de l’action sociale et des familles qui définit les missions des CHRS : celle d’accueillir les personnes et les familles rencontrant des difficultés de différents ordres lorsque celles-ci le demandent. Là se pose une autre question, l’addiction est-elle une difficulté ? Est-ce une difficulté qui relève du domaine social et du domaine sanitaire ? La consommation mais surtout l’addiction à des produits psychoactifs constitue-t-elle un délit ou un problème de santé ?

Il faut rappeler par ailleurs, que notre revue de l’état de l’art a montré qu’il existe une relation entre problèmes sociaux et consommation de produits psychoactifs licites ou illicites. Certes, les tendances diffèrent d’un produit à un autre, ce qui fait que certains produits sont expérimentés par les personnes socialement aisées, tandis que d’autres sont consommés par des personnes en situation de grande précarité. Néanmoins, nous avons développé les liens entre désir de construire une identité sociale protectrice et consommation de produits psychoactifs. De même, nous avons rapporté que les personnes en situation de grande précarité peuvent substituer par la drogue ou l’alcool certains produits auxquels ils n’ont pas accès notamment, la nourriture.

Pourtant, ce sont bien ces personnes en situation de grande précarité que les CHRS doivent accueillir et aider en vue de leur insertion sociale et leur logement. Quelques questions émergent de ces faits. Les consommateurs de produits psychoactifs ont-ils leurs places au sein des CHRS ? Si oui, comment leur faire adhérer aux normes établies par l’établissement concernant la consommation de ces produits psychoactifs ? Vont-ils accepter cela ? Comment les travailleurs sociaux pourront-ils les accompagner en respectant la norme juridique et la norme de l’établissement, ainsi que ses propres normes morales et son système de valeurs découlant de sa culture et de son éducation ? Quelle norme, le travailleur social pourrait ou devrait-il suivre ?

Un dernier fait nous interpelle au cas où le consommateur de produits psychoactifs parvient tout de même à être hébergé dans un CHRS. Les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux et la coordination des différents intervenants qui vont aider l’accompagné sont également régies par des normes. Les normes se basent sur la prise en considération du collectif. Et pourtant, d’après mon expérience auprès de ces personnes et d’après les récits recueillis dans les différentes études que nous avons relatées dans le cadre de cette étude, la prise en charge de ces personnes requiert la considération du sujet qui est unique. Chaque cas est unique. Le profil et l’histoire de toutes les personnes accueillies en CHRS sont différents. La question qui se pose dans ce cas est la suivante : comment le travailleur social pourrait-il accomplir sa mission dans le respect des normes alors que l’accompagnement ne peut être qu’individuel ? Ces questionnements et réflexions nous conduisent à la problématique suivante : Quels conflits de normes viennent transformer les pratiques et la place des travailleurs sociaux dans l’accompagnement des usagers de produits psychoactifs au sein des structures d’hébergement et de réinsertion sociale ?

VI.2. Formulation des hypothèses

L’objectif ultime des aides prodigués aux personnes dépendantes aux produits psychoactif est de parvenir à soustraire l’individu de l’emprise de la substance et son abstinence. Cette dernière peut être totale, mais il est également possible de trouver des démarches progressives qui tendent vers l’abstinence. Les personnes qui suivent déjà un traitement pour cela, peuvent subitement rechuter à cause de la violation de cette abstinence. Le non-respect de l’abstinence est souvent mal perçu par l’individu qui se culpabilise et tend à penser qu’il ne peut plus réussir à se défaire de la substance dont il dépend. Cela ouvre la voie vers la rechute, mais parfois, il encourage aussi l’individu à surmonter la situation. Le consommateur de produits psychoactif reste dans ce scénario le seul maître qui va choisir la voie qui lui semble bien adaptée à sa situation. Il peut opter pour agir sur la quantité de produits qu’il consomme et la modification de son mode de consommation. En même temps, l’individu peut aussi choisir de faire une abstinence totale (Bowen, Chawla & Marlatt, 2013 : 40-41).

Dans certains pays comme la Suisse pourtant, l’abstinence ne constitue plus la seule voie pour les consommateurs de produits psychoactifs de s’en sortir. Désormais, la société suisse accepte que l’usager prenne des produits de substitution pour ne plus recourir à une pratique compulsive. Par ailleurs, les programmes et les politiques encouragent l’utilisation de produits de substitution (Carrandié, 2006 : 112). L’abstinence en effet, est difficile à maintenir (Carrandié, 2006 : 118). Cependant, elle semble bien nécessaire pour certains patients afin qu’ils puissent entamer leur transformation personnelle (Carrandié, 2006 : 119). Notre revue de littérature pour sa part, a rapporté le concept de réduction des risques et de dommage comme une autre forme de rapport entre l’individu et la substance psychoactive. Ces différentes études mentionnent donc, la position de l’abstinence, comme étant un résultat idéal, permettant à l’individu de se défaire complètement de l’emprise de la substance. Cependant, elles montrent aussi que cette abstinence n’est pas facile à obtenir, ou tout au moins, pas de manière directe et rapide. L’accompagnement du consommateur de substance psychotrope à notre avis, devrait se faire progressivement. D’ailleurs, la relation d’accompagnement et durable et s’inscrit dans le respect de la personne accompagnée, ce qui nécessiterait selon nous, une prise de conscience de sa part, de son identité et de ses objectifs de vie. cela nous amène donc à la première hypothèse :

H1 : Les pratiques d’accompagnement des travailleurs sociaux en CHRS s’organisent aujourd’hui autour de la réduction des risques et des dommages (alcool et autres produits), remettant ainsi en question le dogme de l’abstinence totale.

Dans cette acception, les usagers peuvent utiliser les produits psychoactifs mais devraient quand même le faire convenablement, en pensant aux dangers qu’ils apportent aussi bien pour le consommateur que pour l’entourage. Et pourtant, cette politique de réduction des risques et des dommages pourrait être à l’origine des changements au niveau du travail social notamment, dans la recherche du sens par le travailleur social. Ce changement pourrait même aller vers l’émergence d’une autre forme de travail social : le travail social palliatif (Soulet, 2007 : 16). Nous avons par ailleurs parlé dans notre état de l’art, des mutations qui surviennent dans le travail social. Cela nous conduit à la deuxième hypothèse :

H2 : Autoriser les résidents à consommer de l’alcool dans un CHRS transforme l’accompagnement éducatif des travailleurs sociaux et place ces derniers en difficulté quant à la gestion du cadre de la prise en charge des personnes alcoolo-dépendantes.

Deuxième partie. Partie empirique

Chapitre VII. L’enquête de terrain

VII.1. Présentation et justification de la méthode de collecte de données 

Pour vérifier les hypothèses, j’ai mis en place depuis le 1er octobre 2020 une expérimentation qui a pour but de tester les effets de la mise en œuvre du projet d’autorisation de la consommation d’alcool, financé par la MILDECA dans deux structures où j’avais fait mon stage : le CHRS HS et le CHU de la métropole lilloise. Dans ces deux services, les professionnels sont tenus d’appliquer le règlement formel ou informel. Le règlement interdit aux résidents de se regrouper dans les chambres lorsque celles-ci ne sont pas les leurs. La promiscuité a été constatée toutefois dans les chambres privatives car, elles permettent d’accueillir au minimum 2 à 4 personnes. Il est interdit de consommer du tabac dans l’ensemble de la structure, mis à part la cour intérieure. La consommation d’alcool est tolérée depuis un an dans les chambres et aucune limite de quantité n’a été fixée.

L’étude d’impacts n’est pas focalisée uniquement sur les résidents, mais aussi sur les salariés notamment, les équipes éducatives et les fonctions support de services. L’évaluation s’est faite en me basant sur les indicateurs d’évaluation transmis par les deux cheffes de service pilote de ce projet. Les résultats de cette première démarche exploratoire ont été déjà synthétisés dans la première partie de cette étude.

Cette première démarche a été complétée par des entretiens semi-directifs auprès de la même population auprès de qui, j’avais réalisé l’expérience quelques mois plus tôt. L’entretien semi-directif est une démarche qualitative visant à obtenir de la personne interviewée, un récit sur ce qu’il fait et ce qu’il vit au quotidien. Pour éviter que le répondant ne tienne des propos hors sujet, l’interviewer doit faire des questions de relance permettant de recadrer les propos dans le cadre de l’étude. Les relances permettent entre autres d’obtenir des précisions sur les propos de l’interviewé. L’entretien semi-directif est adapté pour comprendre et connaître le fonctionnement d’une organisation (Foudriat, 2007 : 61-62). Les objectifs de la méthode de l’entretien semi-directif sont en adéquation de ce que je cherche à mettre en évidence, car je veux comprendre les transformations qui s’opèrent au niveau des CHRS et surtout au niveau des pratiques et de la place des travailleurs sociaux. Les investigations auprès des professionnels des deux structures d’hébergement se sont déroulées de mars à avril 2021.

Les entretiens ont duré entre 45mn et 1h09mn. Neuf entretiens ont été réalisés. Avant de commencer les entretiens, je mettais à l’aise le professionnel interviewé en lui parlant du quotidien et en posant le cadre de la séance. Afin d’installer un climat de confiance, je demandais au professionnel de ne pas citer les noms des personnes qu’il suivait lors de ses accompagnements éducatifs. Mon stage et ma méthode d’immersion ont beaucoup contribué à l’installation de ce climat de confiance. Au début de chaque séance, je me suis renseigné sur la consommation de produits psychoactifs ou non des participants et leurs rapports à ceux-ci.

J’ai étayé mes réflexions en faisant une observation participante. A l’instar de l’entretien semi-directif, l’observation participante est également une démarche de collecte de données qualitative demandant l’implication du chercheur par sa présence physique. L’observation participante consiste à faire une observation quotidienne sur une durée plus ou moins longue d’un groupe. Il observe les manières, les postures des acteurs pour accomplir leurs travaux, leurs langages et leurs relations. L’observation comporte toutefois deux limites principales : la méfiance des observés et la subjectivité car, la manière avec laquelle, les faits sont observés et interprétés relèvent de la perception de l’observateur (Foudriat, 2007 : 62-63). Cependant, je ne pense pas avoir rencontré le problème de la méfiance des personnes que j’ai observées parce que j’avais fait un stage auprès d’eux. Je les ai donc côtoyés pendant une certaine durée, ce qui, à mon avis, était suffisant pour éliminer les méfiances et la tentation de cacher des faits ou de modifier leurs comportements. Les problèmes relatifs à la subjectivité pourraient être atténués par le fait que les données sont croisées avec celles obtenues par l’expérience antérieure et les entretiens semi-directifs. Ainsi, l’observation participante semble justifiée dans mon cas d’autant plus que cette démarche pourrait me donner des détails que les répondants n’auraient pas forcément pu dire lors des entretiens.

J’ai réalisé alors une observation participante à partir du mois d’octobre jusqu’au mois de décembre 2020 dans les deux services. J’ai assisté aux entretiens d’accueil, j’ai aussi suivi certains travailleurs sociaux et ai même participé à certaines soirées avec les résidents. J’ai également participé aux réunions d’équipe éducative au sein des deux services en octobre 2020, afin de comprendre les enjeux et le fonctionnement pédagogique de la population étudiée. Ce fut une occasion pour moi pour étudier le rapport entre les cheffes de services et la hiérarchie. Après, j’ai fait un retour des évaluations dans le cadre de ma mission de stage lors d’un séminaire interservices en mars 2019.

VII.2. Présentation de la population étudiée

J’ai choisi d’étudier les travailleurs sociaux en situation de travail dans les CHRS. A cet effet, je me suis concentré sur les personnels éducatifs des deux services d’hébergement du lieu de stage, le CHRS HS/LHSS et le CHU de l’association Eole. J’ai interrogé neuf professionnels de l’accompagnement socioéducatif : 4 au CHRS HS/LHSS et 5 au CHU. Nous pouvons définir la population étudiée suivant deux niveaux de lecture :

  • Les professionnels intégrés à l’équipe pluridisciplinaire réalisant les entretiens et faisant les accompagnements éducatifs. Ce premier niveau regroupe les éducateurs spécialisés, les assistantes sociales et le moniteur éducateur.
  • Les professionnels intégrés à l’équipe éducative centrés sur l’accompagnement de certaines démarches extérieures (santé, social, rendez-vous, etc.) et du collectif qui ne fait pas d’accompagnement individuel. Ce sont les professionnels les plus confrontés au rappel du règlement institutionnel. Ce deuxième niveau rassemble les Assistants Sociaux Educatifs (ASE).

Les entretiens se sont déroulés de manière anonyme. Toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes questions sont tous des volontaires. Les entretiens se sont déroulés sur leur lieu de travail en accord avec leur direction et dans un bureau individuel. Les entretiens en audio ont été enregistrés et les interviewés ont signé un accord de confidentialité au préalable. Leurs profils sont présentés dans le tableau suivant :

Tableau 2 : Profil des professionnels interviewés. AS : Assistante sociale, ASE : Assistant Social Educatif, MECS : Maison d’Enfant à Caractère Sociale

NomAgePosteExpérienceParcoursConnaissance des règlementsConsommation de produits psychoactifs
CHRS HS/LHSS
Marie S. Naudeux24AS– 1 an dans la structure – 1.5 an sur terrain
– travail pour un CAARUD en remplacement (6 mois) – formation en addictologie (master)Connait les 2 règlements– tabac régulièrement – alcool pendant les fêtes
Mehdi Lewand34Moniteur éducateur– 3 ans chez Eole – 6 ans dans l’hébergement social (veilleur de nuit puis travailleur social)– peu formé en addictologieConnaît et a vécu les 2 règlements– alcool de manière festive – tabac
Audrey Savreux34– 13 ans chez Eole– stage chez Eole – embauche– très peu d’alcool – tabac régulièrement, mais souhaite arrêter
Marie Michaud64AS– 20 ans – connaît plusieurs services de l’association (accueil de jour des familles)– DEUG en psychologie – plusieurs formations en addictologie – initiée à la technique de l’entretien motivationnel pour faire une écoute attentive de la personne en difficulté avec les produits psychoactifs
– boit de l’alcool rarement et en petite quantité
CHU
NomAgePosteExpérienceParcoursConnaissance des règlementsConsommation de produits psychoactifs
Géraldine Campus34AS– 5 ans au CHU – 8 ans d’expérience de terrain
– travail dans des structures autres qu’Eole où selon le cas, la consommation était encadrée ou non – plusieurs formations en addictologie (entretien motivationnel)Connaît les 2 règlementsTabac et alcool régulièrement
Marie Kinder28

– diplôme d’éducatrice spécialisée – études en psychologie – travail dans la protection de la jeunesse dans des structures de type MECS en interneConnait peu l’interdit de consommer de l’alcool– Plusieurs sortes de produits occasionnellement – alcool de manière festive – tabac régulièrement
Alexandre Tymo59– 17 ans chez Eole – veilleur de nuit (foyer famille, foyer femme) – poste au CHU– agent polyvalent d’accueil (de jour, de nuit) – ASE – aucune formation en addictologie
Rachid Guse30ASE– 3 ans dans le service– veilleur de nuit (2 ans) dans une autre structure d’hébergement – pas de formation en addictologie– aucun produit psychoactif – ne comprend pas l’origine des consommations d’alcool des résidents

NB : La présentation des répondants s’était faite par structure. Afin de garder l’anonymat des participants, leurs noms ont été changés.

VII.3. Outil de collecte de données

Pour collecter les données, j’avais construit une grille d’entretien composée de questions semi-ouvertes permettant à mon interlocuteur de s’exprimer ouvertement. Les premières questions de l’entretien ont été construites suite à mon immersion sur le lieu de stage. Les questions peuvent être regroupées en trois catégories au regard des thématiques potentiellement rencontrées par les travailleurs sociaux au cours de leurs activités :

  • Règlement de fonctionnement
  • Réduction des risques et des dommages
  • L’accompagnement socio-éducatif

Ensuite, j’ai élaboré 13 questions de relance que j’ai utilisées, au besoin lors de mes entretiens de recherche. Les conversations ont été enregistrés puis retranscrits après chaque conversation.

Chapitre VIII. Présentation et analyse des résultats

Fonctionnement des CHRS et conséquences des mesures d’interdiction

Les participants qui ont bien voulu répondre à mes questions à l’exception d’une seule personne ont tous vécu l’interdiction de la consommation d’alcool avant que l’établissement n’accepte l’autorisation de consommer de l’alcool dans certains espaces. De ce fait, ils ont pu suivre l’évolution des comportements des résidents, mais également, les changements que cette autorisation a pu induire chez eux en tant que professionnels, sur leurs représentations du produit et des personnes qui consomment des produits psychoactifs. Ainsi, nous pouvons déterminer le fonctionnement des CHRS pendant l’interdiction et après l’autorisation.

  • Fonctionnement des CHRS pendant l’interdiction

Les répondants dans les deux structures ont rapporté l’inexistence d’une notification qui interdit l’alcool, qui est un produit légal et par conséquent, difficile à interdire. Néanmoins, choix des deux structures à prohiber la consommation d’alcool sur les lieux semble découler de la constatation de certains troubles causés par certains consommateurs. La norme d’interdiction serait une initiative du chef de service et discutée avec l’équipe si nous nous référons à ce que rapporte ML: « Par moment, dans certaines structures, il y avait des mises à pied quand la personne était soit trop ivre, ou qu’elle consommait dans sa chambre. Cela n’était pas inscrit dans le règlement de fonctionnement, mais c’était dit dans l’équipe avec le chef de service ».

Pour s’assurer que cette norme soit respectée, les sacs étaient fouillés à l’entrée. Les professionnels demandaient aux usagers s’ils avaient de l’alcool. Ceux-ci devaient déclarer s’ils en avaient un. Si c’était le cas, l’alcool était confisqué et stocké au bureau. L’usager le récupérait uniquement en sortant. Or, les consommateurs ne voulaient pas être interrogés sur la présence d’alcool dans leurs affaires. Sachant bien les règlements, ils cherchent des subterfuges pour faire monter en cachette l’alcool dans la chambre. C’est la raison pour laquelle, des fouilles inopinées étaient réalisées dans les chambres. La transgression de la règle relative à l’interdiction de l’alcool conduit à une mise à pied, qui a été relaté par tous les participants à l’étude. Mais ce qui a le plus interpellé une des participantes (Audrey), c’est la sanction réservée aux récidivistes : « A l’époque de l’interdit, nous faisions des fouilles de chambres sans prévenir et si on retrouvait de l’alcool, il recevait une mise à pied. La sanction correspondait entre 3 et 6 jours d’exclusion. Avant, tu étais en état d’ébriété ; tu as créé des problèmes en lien avec l’alcool ; tu étais mis à pied ; voir si cela se reproduisait, une exclusion définitive sans forcément une solution de relogement prévue pour la personne ». Si les mises à pieds étaient fréquentes à l’époque de l’interdiction, cette mesure ne conduisait pas toujours aux résultats escomptés

  • Limites de l’interdiction de consommer de l’alcool

Tous les participants à l’étude ont relaté différentes limites de la mise en exergue de cette mesure d’interdiction de consommer de l’alcool dans les CHRS. Mais ces différentes limites pouvaient être regroupées en trois catégories : les limites relatives à l’application et l’applicabilité de la mesure elle-même, les problèmes inhérents aux usagers et les problèmes endossés par les professionnels.

  • Les problèmes inhérents aux usagers 

La mise à pied pousse les consommateurs à consommer dehors au vu de tous, ce qui incommode les personnes qui se trouvent sur leurs lieux de consommation. Pour eux, cela affecte l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. En prenant l’exemple de l’entrée d’alcool en cachette dans l’établissement, MG dit : « D’avoir fait entrer de l’alcool dans le bâtiment peut aussi engendrer un sentiment de culpabilité chez la personne, ou de honte… ». Et MSN d’ajouter concernant l’impact de cette mesure sur le consommateur et plus particulièrement, sur l’image qu’il se fait de lui-même : « Ce n’est pas facile pour eux de prendre leur canette, de devoir boire dehors à la vue de tout le monde, des voisins, devant des familles et de faire face aux regards des autres. Au lieu de le faire dans leur espace privé, ils étaient obligés de le faire au regard de tous. Cela ne les aide pas dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et cela les met encore plus à l’écart, alors que la consommation d’alcool est légale ». Certes, certains consommateurs ne se soucient plus de ces regards, mais d’autres sont très affectés comme l’a dit GC : « Il y a deux types de consommateurs d’alcool : les grands marginaux qui n’ont pas peur de montrer leur consommation et les autres qui n’assument pas leurs pratiques »

Outre à cela, l’interdiction de consommer dans l’établissement poussait les consommateurs à aller à l’extérieur. Or, cela comporte beaucoup de risque pour eux. AT a rapporté qu’ « avant, il y avait beaucoup de possibilité pour eux de se faire racketter, frapper lorsqu’ils devaient boire dehors (…) Je prends l’exemple de H. Chaque fois qu’il buvait dehors, il se faisait violenter, il perdait tous ses papiers et/ou voler son argent. Il revenait avec des bleus, des coups, etc. ». Du point de vue pratique, les mises à pied n’étaient pas des solutions efficaces, car selon ML : « Les personnes s’alcoolisaient encore plus pendant ces mises à pied. Elles attendaient dehors en consommant. On s’apercevait qu’il y avait une augmentation de l’alcool lorsqu’elles étaient rejetées ». GC a apporté l’explication à cette forte consommation : « Avant de rentrer, ils consommaient énormément avant de rentrer. Pour certains consommateurs, il y avait la peur du manque et beaucoup d’angoisse chez eux, quant à cette gestion. Les états d’alcoolémie étaient très avancés le soit pour éviter d’être en manque d’alcool pendant la nuit ». Or, la gestion du manque est problématique pour les professionnels des CHRS. JB s’explique à ce propos : « Alors que c’était interdit, et je peux savoir qu’une personne peut mourir d’une crise de manque physique. Pour moi, une personne qui est dans une régularité de consommation, ce n’est pas la même personne qui consomme occasionnellement. Je veux dire que je n’aurais pas la même attitude. Pour moi, une personne qui consomme au quotidien, c’est une personne qui peut être en danger, si elle est en manque, elle est en danger. Je ne réagirai pas de la même manière. (…) Les gens ils savent, il commence à trembler, à transpirer, mais c’est un syndrome de manque. C’est identifié ! On sait que cette personne a besoin de boire un coup sinon, ça ne va pas aller. Donc, des fois, les interdits… ».

  • Les problèmes rencontrés par les professionnels

Les professionnels eux aussi rencontrent des problèmes pour appliquer et faire appliquer la mesure de l’interdiction. Les actions menées pour faire appliquer la mesure ne cadrait pas forcément avec les principes du professionnel, il pouvait même se sentir mal à l’aise, mais il appliquait, impuissant les règlements. Audrey rapporte : « On fliquait les entrées et on demandait l’ouverture des sacs en ciblant certains résidents ». Mais c’est une posture bien gênante selon MSN qui a dit : « Cela [l’autorisation] permet de moins fliquer. Avant, à l’entrée, on fouillait les sacs, on était dans le contrôle. Ce n’était pas une position agréable en tant que travailleur social de devoir s’immiscer dans leur intimité. On devait juger si la personne avait trop d’alcool et décider de garder les consommations dans le bureau. Ce n’était pas une position très confortable ».

Le fait de fliquer suscitait la méfiance des consommateurs et les poussait à ne pas tout révéler aux travailleurs sociaux. Cela ne permet pas à ces derniers de les accompagner correctement. Or, l’accompagnement est leur vocation. GC rapporte à ce propos : «Alors qu’avant, on savait pertinemment que les résidents consommaient dans les chambres, c’était un peu le jeu du chat et de la souris et finalement, on était dans un rapport de sanction, répression et flicage plutôt que dans un rapport d’accompagnement vis-à-vis de leur consommation ». En d’autres termes, les travailleurs sociaux ont pris conscience du fait que leur rôle n’était pas le « flicage » et la sanction, mais l’accompagnement. La constatation de cette faille les met dans une position inconfortable.

A cela s’ajoute le mépris des accompagnés. Les sanctions ne les mettaient pas en sécurité, mais cela ne rassurait pas non plus les professionnels. AT raconte par exemple : « Avant, il y avait beaucoup plus de mis à pied. Les sanctions prévoient deux avertissements, ensuite, une mise à distance dans un autre CHRS de l’association jusqu’à la fin de l’hébergement dans un autre CHRS de la métropole. Il y a des personnes violentes sous effets de produits psychoactifs. Dernièrement, le veilleur s’est fait agresser physiquement. On a dû mettre fin à l’hébergement de cette personne ». Les professionnels pouvaient également se faire insulter par les hébergés.

  • Les problèmes relatifs à l’application de la mesure

D’autre part, le règlement interdisant l’alcool dans le bâtiment semblait caduque parce que les consommateurs parvenaient toujours à faire entrer le produit dans le bâtiment sans se faire prendre. Par ailleurs, l’interdiction ne les empêchait pas de consommer. Audrey raconte par exemple son expérience : « Nous retrouvions des bouteilles dans les toilettes communes et les chambres. En tant que travailleur social, lorsque cette règle était appliquée, je n’en dérogeais pas. Je jouais souvent au jeu du chat et de la souris. Comme ils savaient qu’on allait leur demander en rentrant, soit ils les dissimulaient ailleurs, puisque nous les retrouvions dans la structure ». Finalement, l’interdiction a eu pour effet d’affecter les relations entre le travailleur social et la personne hébergée.

Par conséquent, malgré l’interdit, certains travailleurs sociaux ne rapportaient pas les faits qu’ils ont trouvés. Ils choisissent d’entrer en contact discrètement avec la personne et lui rappeler les règles en vue de le protéger de la mise à pied avant de passer à un niveau supérieur dans l’application des règles. Certains travailleurs sociaux comme AT misent sur la flexibilité même pendant l’interdiction. Il rapport à ce propos : « Quand je rentre dans certaines chambres de consommateurs sans alcool comme dans la chambre de monsieur F., plusieurs fois, je suis rentré dans sa chambre. Je l’ai déjà vu avec son kit pour s’injecter. Je lui demande de faire attention lorsqu’il chauffe sa cuillère. Tu vois, je parle, je le discute. Crier, cela n’est pas la peine. (…) Avec l’expérience, j’ai appris à composer avec le public et ne pas être dans les injonctions. J’ai appris à composer avec le règlement beaucoup plus répressif avec l’alcool à une époque. Lorsque je vois une personne consommer des produits interdits par la loi, je lui demande de le faire plus discrètement, car je sais qu’il est difficile pour lui de le faire hors du CHU. Je fais la comparaison avec le surveillant de nuit, monsieur T. il a toujours eu des problèmes avec les gars, car il ne négociait jamais sur les règles. (…) Plusieurs fois, certains résidents se sont révoltés. Maintenant il est retraité. Les personnes trop strictes avec les résidents, ça ne fonctionne pas ». La mesure de l’interdiction n’était donc applicable car aussi bien les professionnels que les résidents trouvaient toujours les moyens pour les contourner. C’est donc naturellement que les répondants étaient tous d’accord à l’idée d’autoriser la consommation d’alcool.

L’autorisation de consommer de l’alcool dans les deux structures

  • L’autorisation de consommer dans les parties privatives

Tous les répondants étaient d’accord pour autoriser la consommation d’alcool dans les espaces privatifs. Néanmoins, si de nombreux avantages ont été cités par les participants à l’étude, force est de constater que certains répondants notamment, ceux issus du CHU ont trouvé quelques limites à l’application de l’autorisation de consommer de l’alcool dans les espaces privatifs. Pour ML, c’est une décision « logique » avec une conséquence positive pour MSN et une « belle expérience » selon JB. Un seul participant issu du CHU a montré quelques réticences et soucis à l’idée d’autoriser la consommation dans les espaces privatifs. Une autre participante issue du CHRS HS a avoué avoir été réticente au début avant d’adhérer à l’idée de cette autorisation. Actuellement, elle accepte pleinement l’autorisation de la consommation d’alcool dans les CHRS. Plusieurs avantages ont été mentionnés par les répondants.

  • Les avantages de l’autorisation de consommer de l’alcool dans un espace privatif

La diminution des fouilles a soulagé les professionnels du mépris et des rapports faussés faits à leur endroit pour cacher la présence d’alcool dans les chambres des usagers. Nous avons rapporté précédemment combien cela constituait une situation gênante voire même dangereuse pour les travailleurs sociaux. Outre à cela, le « flicage » ne permettait pas d’installer une relation d’entente et de confiance avec l’usager. La levée de l’interdiction a permis de pallier ces différents inconvénients. Du point de vue relationnel, l’autorisation de consommer de l’alcool lève le tabou et installe un climat de confiance entre accompagnateur et accompagné comme le dit entre autres, ML : « Par contre, la qualité relationnelle est améliorée. (…) C’est plus facile pour elle de verbaliser ses consommations. Il y aura moins de mensonges. La personne se sent plus en confiance. Comme elle est moins fliquée, elle dira plus la vérité. Une meilleure relation de confiance avec les personnes consommatrice que j’ai suivies ». MK a également souligné : « Je pense que les résidents ont moins de barrière. Il y a une libération de la parole, cela facilite l’accompagnement global éducatif. (…) Le fait de pouvoir consommer dans les chambres, on a une meilleure visibilité des consommations et de ce fait, des leviers pour engager une conversation sur ce sujet sans jugement, tout en incluant le résident avec sa temporalité, en lui demandant combien, mois, années, etc. de verres tu consommes. Je trouve que l’on peut créer un relationnel sain autour de cette question depuis cette autorisation. Les résidents sont plus honnêtes par rapport à leur consommation d’alcool ».

Cette visibilité a été mentionnée à plusieurs reprises comme étant un moyen pour avoir le contrôle de la consommation et être un élément crucial à prendre en compte lors de l’accompagnement. GC renforce les propos de MK en disant : « Malgré tout, pour des personnes ayant des comportements agressifs révélés par l’alcool, il est plus facile en ce moment de reprendre avec eux les faits de la veille et en rediscuter en terme de pourquoi il a consommé autant, pour quelle raison ? Le fait d’avoir une meilleure visibilité sur les consommations et consommateurs nous permet de rebondir sur elle, alors qu’avant, cela n’était pas possible. Je prends l’exemple de la personne qui tente de minimiser en disant qu’il boit de la bière et qu’au final, on voit une bouteille de whisky dans sa chambre, on peut reparler facilement, avec une posture non-jugeante ».

L’interdiction poussait le consommateur à une posture de défense et de fuite des entretiens avec l’accompagnateur qui, pourtant, devait l’accompagner. Ce problème est fortement réduit depuis l’autorisation. Le consommateur s’implique plus malgré sa consommation d’alcool comme le relate Audrey : « Quand je lui mets un rendez-vous, il vient. Il est à l’heure et normalement, s’il vient, c’est qu’il sent qu’il pourra tenir le rendez-vous. Il est pas venu à mon rendez-vous. Je l’ai vu au réfectoire et demandé de revenir me voir après manger. Cette fois-ci, il était présent, on fait l’entretien. Après avoir traité ses papiers, je lui ai demandé où il en était par rapport à la consommation de sa bouteille de vodka. Il m’a dit qu’il n’avait pas tout consommé. Je lui ai dit que je pensais que c’était le cas, car s’il avait bu toute la bouteille de vodka en 4 heures, il ne serait plus dans cet état. Je l’ai laissé rentrer avec sa bouteille, mais j’ai mis ça en place grâce à l’autorisation. Si cela avait été interdit, il aurait dû laisser sa bouteille au bureau et la reprendre plus tard pour la boire dehors ou ressortir avec. Mais par contre, il aurait consommé sa bouteille très certainement plus rapidement, et il serait rentré plus alcoolisé qu’en consommant dans sa chambre. Pour résumer, avant, soit ils laissaient leurs bouteilles au bureau, soit ils ressortaient tout de suite. Là par exemple, comme c’est autorisé, j’ai pu expérimenter cette méthode et j’ai pu faire des démarches avec lui, alors qu’avec la règle de l’interdit, il ne serait pas venu à mon rendez-vous ». Ces échanges permettent d’améliorer l’accompagnement et de comprendre les résidents. Par ailleurs, en les laissant consommer à l’intérieur, les résidents sont mieux protégés car le CHRS est un cadre sécurisant. Il est également possible de contrôler leur consommation.

L’autorisation a eu aussi des répercussions positives sur les pratiques des travailleurs sociaux. La plupart des répondants a mentionné que l’autorisation a augmenté la fréquence des échanges entre les professionnels pour faire une réflexion collective et pour retourner sur leurs propres pratiques et leurs propres représentations du produit, de la consommation et des consommateurs. Outre à cela, elle a été une occasion pour développer chez eux de nouvelles compétences selon JB. D’ailleurs, nous pouvons déduire à partir des propos des répondants, ces nouvelles compétences en matière d’accompagnement : une écoute plus attentive, de la flexibilité, un accompagnement sur mesure et adapté à la personne, une meilleure compréhension de la personne, un changement de posture (non-jugeante). JB affirme : « C’est une très belle expérience, car ça te fait développer de nouvelles compétences par rapport au quotidien. Je pense qu’il y une méthodologie, mais je crois que tu peux te forger ta propre méthodologie grâce à ton expérience en CHRS, concernant la gestion de l’alcool. Comme tu es sur le terrain, tu peux comprendre mieux et soulever davantage comment la personne, elle reçoit les interdictions, les autorisations. Tu analyses les choses qui sont déjà là concrètes. (…) Je ne sais pas comment mes collègues vivent les choses, mais je pense qu’en interne, c’est quand même mieux parce que cela permet de chercher des pistes de travail pour les résidents et d’élaborer ensemble quelque chose de l’ordre de l’accompagnement dans l’alcool ». L’autorisation permet de sensibiliser les résidents et de les orienter vers le soin tout en s’assurant qu’ils s’y appliquent. Quelques points méritent cependant réflexion.

  • Limites identifiés et réflexions autour de l’autorisation de la consommation de l’alcool dans les espaces privatifs

Un seul répondant s’est montré sceptique quant aux résultats de l’autorisation de la consommation d’alcool dans les espaces privatifs. Il estime que le bilan d’une telle politique n’est palpable qu’après un ou deux ans d’application. D’autre part, MG pense que la mise en place de cette autorisation a été précipité. Il faut souligner en effet, que l’autorisation a été mise en place suite à la crise sanitaire COVID-19 pour empêcher les résidents de sortir, et de respecter par conséquent, le confinement. MG s’explique : « On a autorisé l’alcool dans les chambres, mais c’était un peu précipité, vu la situation sanitaire. Du coup, c’est ce que j’ai constaté depuis cette autorisation et c’est mon avis personnel, on ne l’a pas assez cadré pour les personnes. (…) Elles ont vu l’alcool autorisé, mais nous n’avons pas été suffisamment clairs sur l’autorisation : comment ? Où et pourquoi ? Pourquoi on l’autorise que dans les chambres et pas dans les parties communes ? Il y avait un manque de communication. La communication s’est faite par des affiches, limitées à une date, pendant le premier confinement. Et à la fin du confinement, les personnes ne savaient pas trop si c’était juste pour le confinement, et du coup devait s’arrêter à partir de cette date-là ou s’ils pouvaient continuer jusqu’à nouvel ordre. Nous aussi, nous n’y avons pas trop fait attention et nous nous sommes demandés que faire un fois l’affiche plus valable. Faut-il continuer ou non ? Doit-on recadrer ? du coup, cela a été un vrai travail de réflexion, de retravailler l’autorisation, de mieux le cadrer pour mieux faire passer le message aux personnes qui ont vécu les deux situations : avant et pendant l’autorisation ». Ce message flou a fait que certaines personnes continuaient à se cacher pour consommer et rentraient ivres au CHU.

D’autre part, se posait la question de l’applicabilité de la mesure puisque les travailleurs sociaux pensaient ne pas avoir les moyens leur permettant de mettre en exergue cette mesure. En effet, si l’alcool est autorisé dans les chambres selon MG, le tabac n’est pas autorisé. Or, selon MG, «On entend souvent que celui qui boit une bière par exemple, a envie de sa cigarette ou inversement. Mais l’un est autorisé, et pas l’autre ». Les propos de MK d’ailleurs rejoignent ceux de MG : « Autre chose, lorsque l’on veut boire un coup, on veut fumer une clope, mais de ce fait, ils doivent descendre pour fumer, car il est interdit de fumer dans les chambres. Est-ce que la règle de la cigarette à ne pas fumer à l’intérieur est moins respectée ? Ça me questionne sur la règle, l’alcool est possible en chambre et la cigarette est à l’extérieur ? C’est normal que la cigarette soit interdite dans les CHRS, dans les lieux publics, elle l’est également. Cette règle de non consommation de tabac en chambre les entraîne par extension à faire de même dans leur propre logement. A titre individuel, je respecte cette règle dans mon logement ».

Mais dans toutes les discussions focalisées sur les consommateurs, les propos des répondants ont rappelé que l’accompagnement à la consommation d’alcool n’est pas la première vocation des CHRS, mais le relogement. ML a dit à ce propos : « Déjà, ce n’est pas notre mission principale de viser la réduction des risques alcool. On va axer les choses sur la resocialisation bien entendu ». MK attire l’attention sur le fait que le CHRS ne compte pas uniquement des consommateurs, mais aussi des non-consommateurs qui pourraient être incommodés par l’autorisation de consommer de l’alcool. Elle avoue même avoir l’impression d’être dans un « centre pour toxicomanes ». Elle ne cache pas ses craintes : « Mais il faut faire attention à l’autre public non consommateur ou présentant des troubles centrés sur la psychiatrie dont j’entends moins parler en ce moment. Est-ce qu’il ne faudrait pas être une structure consacrée qu’à l’accueil des personnes consommatrices de produits psychoactifs. Par exemple, j’ai beaucoup de suivis avec troubles psychiatriques. Ils sont souvent mis de côté en réunion d’équipe. Comme souvent, ils ne posent pas de problèmes, on en parle moins dans l’équipe. La personne alcoolisée dans l’activité citée précédemment est un bon exemple de monopolisation de l’espace dans lequel, il faut être vigilant ».

A cela s’ajoute des problèmes logistiques. MK a soulevé ce problème lors de la réunion d’équipe qu’elle a rapporté par la suite : « L’idée d’autorisation pour moi, je suis d’accord, il y a du travail à faire là-dessus au vu du public que l’on accompagne. Par contre, j’en ai parlé en réunion, il y a quelque chose que je ne comprenais pas, c’est de l’avoir autorisé dans les chambres. Nous avons des chambres collectives donc, comment on fait pour mettre quelqu’un qui ne boit pas, et qui ne tolère pas l’alcool, car ici, nous avons des personnes de cultures différentes où l’alcool n’est pas une pratique ou des personnes qui sortent de cure. Je trouvais que cela pouvait poser problème dans les chambres ». De plus, les consommateurs d’autres produits pouvaient devenir jaloux des consommateurs d’alcool.

  • Le projet d’autorisation de la consommation d’alcool dans les parties communes

La majorité des répondants ont trouvé que l’autorisation de la consommation d’alcool dans les parties communes pouvait être intéressante dans la mesure où elle pourrait sortir de l’isolement certains consommateurs, et augmenter la convivialité autour d’activités collectives. Et pourtant, quelques menaces ont pu être identifiés et les répondants ont avancé leurs propres idées pour améliorer la situation si l’autorisation de la consommation d’alcool dans les parties communes était validée.

MSN a dit par exemple : «Au final, ma plus grosse réticence, c’est pour des effets de groupe potentiels incontrôlés de type violence, même sonore, il peut augmenter. Il peut y avoir un entraînement de consommation plus importante à cause de l’effet collectif. Si cette mesure était appliquée, il faudrait qu’ils comprennent que ça ne sera pas la fête, que c’est notre lieu de travail. Ma question c’est comment nous pouvons réfléchir à une gestion de consommation dans le collectif ? Je ne suis pas fermée, mais avec des règles, peut-être à certains moments comme pendant le repas au réfectoire, il y a des personnes qui choisissent d’aller boire plutôt que de manger. Peut-être que d’autoriser lors du repas, pourrait les raccrocher à une nutrition. (…) Je suis plutôt pour cette autorisation avec un cadre et une vraie réflexion d’équipe, cohésion ». Ces propos de MSN sont partagés par d’autres répondants.

Les activités collectives communes sont toujours favorisées par les répondants, mais si l’alcool il faut contrôler la consommation et « travailler sur des moment collectifs de plaisir plutôt que d’associer la prise d’alcool toujours à une réponse émotionnelle négative » (ML). Audrey opte pour le choix de moments spécifiques pour réaliser ces activités. Mais elle a toujours une appréhension à voir quelqu’un consommer devant elle. De plus, elle a peur de la possible montée de violence dans les parties communes après consommation et cela sera plus difficile à gérer s’il n’y a qu’une seule personne pour surveiller, ce qui nécessite de ce fait la mobilisation de plus de personnels et la mise en place d’un encadrement éducatif selon GC.

Pour éviter les débordements, JB propose de fixer des règles de consommation. Néanmoins, elle met en avant la possibilité qu’une scission entre consommateur et non-consommateur ne se produise. AT propose la restriction de consommation dans certains espaces comme le couloir, la cuisine, la salle à manger, la salle télé pour ne pas incommoder les autres résidents. Et comme les débordements se passent chez certains individus qui se montrent agressifs après la consommation, il fait selon AT former des groupes en précisant le nombre de participants, et les professionnels encadrants. Une fois de plus, cela montre l’évidence d’augmenter les ressources humaines. Or, pour le moment, les établissements manquent d’effectifs.

MK a eu l’idée de créer un bar thérapeutique. Elle explique son projet : « Je trouverais plus éducatif la démarche dans le collectif que dans les chambres. J’avais dans l’idée de créer un bar dit thérapeutique géré par les résidents. Dans le projet, je trouve important de travailler les compétences des publics accueillis. Dans le projet de bar, nous pourrions travailler, remobiliser certaines compétences psychosociales. Est-elle capable de suivre une recette de cocktails, de tenir sa place de barman ou serveur dans un temps donné, d’entrer en interaction pendant un jeu de carte, etc… Le fait d’instaurer un temps de consommation tourné autour d’une activité plaisir rentre dans une démarche de réduction des risques. Réinstaurer l’alcool festif par ce biais en opposition avec l’alcool déprime seul, dehors ou dans ma chambre à consommer. Dans cette activité, nous pourrions retravailler la question des quantités bues également. Ce genre d’activité collective pourrait réapprendre des comportements moins nocives pour certains consommateurs ».

Mise en place d’une stratégie de réduction des risques et de dommages vs abstinence

Les participants ont pensé que l’abstinence est presque irréalisable à cause des caractéristiques des CHRS. ML a dit à ce propos : « Ça peut être l’abstinence mais pas forcément. Concrètement, une personne qui deviendrait abstinente dans un CHRS ou cette structure, je lui dirais chapeau ! On travaille avec des personnes ayant des situations très fragiles, délicates. Le poids de l’environnement est important dans la capacité des personnes à pouvoir rester abstinentes. Nous sommes obligés de rentrer dans des préceptes de RDR ». GC explique les caractéristiques de CHRS pouvant constituer un obstacle à l’abstinence : « Dans cette structure, c’est très difficile d’être abstinent pour plusieurs raisons. L’environnement est propice aux consommations de produits. Plus de trois quarts consomment un ou plusieurs produits psychoactifs. Les personnes les plus jeunes ont du mal à faire le deuil par exemple d’une consommation d’alcool. (…) Les ressources de chacun sont différentes mais globalement, très peu présents chez nos résidents. Globalement, tenir une abstinence aux produits ici, est très complexe. J’ai plutôt observé des personnes réussir après une cure à ne pas consommer pendant un ou deux mois, mais il replonge. En même temps, ça prépare à l’après CHRS. S’ils peuvent enclencher des prises de conscience et créer une démarche de réduction des risques ou de soin ici, ce n’est que du positif ».

La réduction des risques et des dommages est donc privilégiée par tous les participants au détriment de l’abstinence. Et pourtant, aucun des participants n’avait d’idées claires concernant le concept de RDRD. MSN a dit : « On tâtonne ». Certains répondants ont ainsi manifesté leur souhait pour bénéficier d’une formation sur les RDRD. MSN a dit à ce propos : « Des perspectives stratégiques peuvent s’élaborer à long terme. Il faudrait voir, peut-être que les formations futures en RDR pourront nous apporter des outils de gestion organisationnelle ». Mais selon MG, il est intéressant de mener d’abord une expérimentation avant de suivre une formation sur les RDRD et d’opter pour une autorisation, dont le but est de connaître les impacts de la cohabitation entre les consommateurs et ceux qui ne sont pas consommateurs. Il dit : « Je pense que cette expérimentation peut répondre à ces activité, expérimenter des activités où les autres voient mais sans acter une autorisation sur le long terme, qu’on tente des choses avec le collectif au complet : les consommateurs et ceux qui ne consomment pas, dans la salle de vie, dans la cuisine, à l’extérieur et on va voir ce que cela peut donner pour les activités ».

Mis à part la formation, un autre problème relatif au RDRD a été mis en évidence dans les propos des participants à l’étude : le manque ou la méconnaissance d’outils RDRD. ML par exemple a dit : « Je pense que l’on a une pratique de RDR, mais que l’on n’arrive pas encore à théoriser la chose. Moi, je demande des outils que l’on mette des mots sur nos pratiques actuelles ». MG avance une solution en prônant les échanges entre professionnels et la nécessité d’avancer ensemble : « Ce qui en est ressorti c’est qu’il peut y avoir un problème là et une facilité ici et donc, l’avancement du projet se fera en en tenant compte. Plus on avance, plus on aura d’outils pour y répondre. (…) Ce qui est bien dans ce projet, c’est que c’est un projet en cours et nous, on continue à travailler à côté. On se voit, on évalue la situation, on voir les outils qu’on a, on essaie de proposer, on signale les problèmes, on commence à faire attention à certaines choses. On retravaille un mois ou deux, et on revient avec des réponses à certaines questions. On travaille en parallèle du projet. Aujourd’hui, si je vis une certaine situation, au lieu de la noter quelque part et de l’oublier, je vais avoir quelques réponses, et pouvoir la présenter et échanger. On commence à chercher, chacun de notre côté, à essayer d’améliorer sa posture et trouver des propositions. Et ces propositions-là ne viendront qu’avec la pratique et la théorie qu’on a à côté ».

Selon GC, un recadrage par le biais des réunions d’équipe est indispensable pour recadrer la manière avec laquelle, la RDRD va être mise en place. Etant donné que nombre des professionnels n’ont pas de notion de RDRD ou d’addictologie, ils ne peuvent qu’orienter les résidents vers d’autres professionnels. La négociation est particulièrement importante dans cette démarche pour réduire la consommation de la personne, mais aussi pour trouver avec elle un consensus concernant la prise en main par une équipe pluridisciplinaire. Mais Audrey rapporte qu’un résident qui est encadré par beaucoup de partenaires risque de se perdre dans ses démarches.

Mais d’autres répondants comme MK ont pris conscience du fait qu’ils ont déjà fait du RDRD sans même s’en rendre compte. Elle a dit : « Au début, lorsque la cheffe de service avait parlé de cette notion, j’avais dit que l’on n’était pas outillés. Depuis, les échanges en réunion d’équipe et les séminaires m’a fait prendre conscience que l’on en fait quotidiennement par des petites actions. Par exemple, lorsque l’on repère une personne alcoolisée, on peut lui proposer un verre d’eau. Puisque c’est plus visible et autorisée, on peut se permettre de leur demander de ralentir. J’ai l’impression que j’utilise cette pratique par l’expérience apprise sur ce CHRS. J’ai l’impression que l’on en fait sans le savoir. C’est sûr que cela reste un peu flou. Je ne viens pas de l’addictologie, et j’ai travaillé dans la protection de l’enfance auparavant. Les professionnels la font au quotidien sans le savoir et les hébergés entre eux aussi, sont dans cette dynamique ».

Chapitre IX. Discussion

Nous avons démontré que tous les participants ne s’opposaient pas à l’autorisation de la consommation d’alcool dans l’enceinte des CHRS et ce, peu importe leurs valeurs personnelles ou leurs rapports aux produits psychoactifs et à l’alcool en particulier. Mais il y a un manque de cohérence dans la mise en œuvre du projet parce que le tabac qui accompagne souvent la consommation d’alcool est interdit dans les chambres, ce qui pousse les consommateurs à enfreindre une fois de plus les règlementations relative à l’interdiction de consommer dans les parties communes, au moins pour le moment. Cela interpelle quant à la situation qui se produirait lorsque l’autorisation s’étendra pour de vrai sur les parties communes. Les potentiels effets de groupes négatifs ont été décriés par les répondants. Il est donc nécessaire de faire en sorte que la cohabitation entre consommateur et non-consommateur soit possible.

La consommation intégrée ou la consommation non problématique pourrait être une piste pour résoudre le problème (Zufferey, 2002). La consommation intégrée s’inscrit dans le cadre de la gestion de la consommation. Le consommateur intégré peut par exemple consommer les produits psychoactifs de manière occasionnelle ou récréative. Un tel usage du produit permet d’inscrire l’individu dans la vie professionnelle et sociale. La gestion de la consommation vise entre autres à rendre cette pratique compatible avec les activités ordinaires de la personne (Soulet, 2003 : 332). La consommation intégrée a pour but de produire un sens autour de l’utilisation du produit. Il a été affirmé en effet que les effets d’un produit psychoactif portent des significations pouvant rendre la pratique non nocive. Le consommateur intégré peut prendre soin de lui-même, éprouver un bien-être, garder sa performance, tendre vers son accomplissement personnel. La consommation va alors être apparentée à un ensemble de règles qui seront amenés à devenir des routines. Dans ce mode de consommation, c’est le consommateur lui-même qui va limiter ses comportements si bien qu’il n’aura plus besoin d’assistance pour contrôler sa consommation (Soulet, 2003 : 346). Mais cela pourrait également limiter les comportements déviants de certains résidents après consommation d’alcool. Les comportements agressifs ont été en effet rapportés comme étant à la source de problèmes et de gestion.

Les ressources humaines et leurs compétences conditionnent dans ce scénario, la mise en place des mesures de RDRD. Il faut dire que la gestion de la consommation pourrait être considérée comme étant une forme de RDRD. Par ailleurs, le changement de normes (autorisation de la consommation d’alcool dans les espaces communs) induit aussi les changements au niveau des pratiques professionnelles voire même, des représentations. Nous avons montré que les rapports des professionnels avec les produits ont changé. Si pendant l’interdiction, ils n’étaient pas libres pour agir selon les acquis de leurs expériences et de leurs observations pour accompagner la personne accueillie. Ils sont cantonnés à suivre uniquement des règlements et à venir « fliquer », bien que ce ne soit pas leurs premières missions.

Alors qu’auparavant, la norme de l’interdiction imposait au travailleur social d’adopter une certaine représentation du consommateur (un individu non acceptable au sein de la structure, porteur de troubles), l’autorisation les a amenés à ne pas juger l’autre et à voir en lui, une personne vulnérable qui a besoin d’aide, mais qui peut aussi avoir un meilleur avenir et des potentiels. Nous avons relaté dans notre résultat, la volonté des travailleurs sociaux à mettre en valeur les compétences des résidents pendant les activités collectives. Si auparavant, les discussions et les réflexions portaient plus sur l’interdiction, elles sont à présent centrées sur la personne à accompagner et sur son mode de consommation, non pas sur le produit ni les règlements. Les compétences des professionnels s’en trouvent également développées par les expériences avec les résidents et la nouvelle norme. Une grande majorité des répondants avaient changé et sont devenus flexibles et sont dans la posture de non-jugement. Nos résultats confirment de ce fait, ce que nous avons rapporté dans la revue de littérature, concernant la posture de l’accompagnement (Melchior, 2011 : 124 ; Paul, 2012 : 14, Paul, 2020 : 127). En ce qui concerne les compétences acquises par les travailleurs sociaux, nous pouvons citer : réflexivité pour mettre en relation l’état psychologique de l’accompagné et son apparence physique en lien avec sa consommation, écoute attentive, compétence de négociation concernant les rendez-vous, les consommations, les orientations, gestion de la consommation des personnes accompagnées en lien avec la visibilité de la consommation.

Les participants à l’étude confirment également le fait que l’abstinence soit difficile à atteindre dans le cadre d’un CHRS étant donné que c’est un environnement qui peut inciter la personne à consommer de l’alcool ainsi que d’autres produits psychoactifs. Dans ce cadre, il semblerait que la RDRD constitue une alternative pour aider les résidents. Elle est aussi la démarche qui s’approche de la relation d’accompagnement des personnes en difficulté. Le professionnel va vers la personne à accompagner. Et pourtant, cela nécessite la mobilisation de certains outils notamment, les matériels pour le test de dépendance, les autotests, les kits, etc. (FFA, 2016 : 124-125). Or, les répondants dans notre étude ont déjà mentionné l’absence de ces outils. D’ailleurs, leurs réponses ne permettaient pas de discerner de manière précise qu’ils ont bénéficié d’un quelconque outil ou matériels.

Les répondants disent « tâtonner » car la RDRD est encore mal connue des professionnels qui interviennent auprès des populations accueillies en CHRS. Les répondants ont manifesté leur souhait pour bénéficier d’une formation. La FFA (2016 : 125) s’est basée sur l’exemple australien pour mener son étude afin d’aider les intervenants dans la RDRD. Elle recommande l’intégration de la RDRD dans les formations initiales des intervenants pour accompagner les personnes accueillies dans le CHRS. Mais la capacité relationnelle des professionnels a été considérée comme étant une compétence cruciale pour améliorer l’accompagnement dans le cadre d’une RDRD. De ce fait, elle doit être développée chez les intervenants sociaux, mais aussi un travail sur les représentations est à mener. A cela devrait s’ajouter une formation continue des travailleurs sociaux (FFA, 2016 : 131).

Nous avons pu constater toutefois que si les répondants que nous avons contactés dans le cadre de cette étude n’ont pas suivi une formation RDRD et que quelques-uns seulement ont bénéficié d’une formation en addictologie, ils ont appris sur le tas, par le biais de leurs expériences sur terrain, certaines approches de RDRD. Le relationnel qui a été mentionné par la FFA a été par exemple rapporté par les travailleurs sociaux sans qu’ils se rendent compte de la notion de RDR. Si nous nous référons aux propos des répondants, il semblerait que la mise en place de la RDRD en France est encore à ses débuts, ce qui justifie l’importance des échanges entre les professionnels de différentes disciplines comme l’a déjà mentionné les répondants. Si la RDRD est encore à son balbutiement en France, les échanges constituent un moyen pour améliorer l’accompagnement. Ces échanges ne concernent pas uniquement les professionnels entre eux, mais aussi les consommateurs de substances psychoactives et les professionnels qui les accompagnent.

Conclusion

Les normes sont indispensables pour régir les relations entre les personnes qui partagent un même cadre de vie tel que le CHRS. Elles sont également importantes pour modeler les comportements et les pratiques des professionnels qui interviennent auprès des populations accueillies en CHRS. Le respect des normes est donc indispensable pour assurer le bon fonctionnement d’une structure. Mais l’étude réalisée dans le cadre de ce mémoire montre le cas d’une contestation ou d’une transgression des règlements aussi bien par les résidents que par les professionnels. Bien que pouvant être considéré comme étant un comportement déviant, ces transgressions traduisent une interpellation des différentes parties prenantes notamment les hébergés et les professionnels qui entrent en contact avec eux, pour changer les normes et les donnes au sein du CHRS.

Cette étude est l’exemple d’une évolution des normes, et avec elle, des pratiques professionnelles et des représentations aussi bien des résidents consommateurs de produits psychoactifs, que des professionnels qui les accompagnent. Cela démontre qu’une norme ne peut être immuable ni absolue. Elle est amenée à changer et à se transformer au fur et à mesure que la société progresse et que le mode de vie change. Dans le cas des consommateurs d’alcool hébergés dans les CHRS, l’interdiction n’a pas eu les effets escomptés, ce qui semble justifier le recours à l’autorisation de la consommation de ce produit dans les chambres individuelles.

Et pourtant, une norme ne peut être effective et parvenir à ses fins à moins de disposer des outils et des moyens lui permettant d’être appliquée. Cette étude a fait émerger l’absence ou l’insuffisance de moyens humains et matériels à la disposition des professionnels pour accompagner les résidents dans un contexte de réduction des risques et des dommages. De ce fait, notre première hypothèse selon laquelle, les pratiques d’accompagnement des travailleurs sociaux en CHRS s’organisent autour de la RDR, est confirmée. Il en est de même pour la deuxième hypothèse stipulant que l’autorisation à consommer de l’alcool dans un CHRS transforme l’accompagnement éducatif des travailleurs sociaux et place ces derniers en difficulté quant à la gestion du cadre de la prise en charge des personnes alcoolo-dépendantes.

Ce mémoire a constitué une opportunité pour les professionnels qui interviennent auprès des populations accueillies dans les CHRS ainsi qu’aux responsables de la gestion, d’avoir des indices supplémentaires concernant la réalité de la mise en application de l’autorisation de consommer de l’alcool dans les parties privatives. Elle met en lumière entre autres, les différents points à considérer dans le cadre d’un RDRD en CHRS, ainsi que la possibilité d’autoriser la consommation d’alcool dans les parties communes. Néanmoins, elle comporte quelques limites. En effet, nous nous sommes focalisées sur les professionnels afin de connaître les impacts du changement de normes sur leurs pratiques professionnelles. Or, leurs activités et actions tournent autour de et pour l’avantage du résident accueilli en CHRS. Par ailleurs, dans un contexte d’accompagnement, le professionnel est mis sur le même piédestal que son accompagné. Les points de vue de ce dernier auraient pu donc étoffer notre étude. De plus, les professionnels ayant participé à cette étude sont assez hétérogènes, alors qu’ils sont peu nombreux. De ce fait, nous n’avons pu recueillir que les informations données par un seul représentant de certains métiers dans le groupe. Cela requiert un approfondissement de cette étude et sa prolongation dans l’investigation auprès des personnes accompagnées.

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1 https://www.eole-asso.fr/evenement/presentation-de-lassociation-eole

2 https://www.federationsolidarite.org/images/stories/sites_regions/Ile_de_France/Logement/guide/MANUEL_VF-_maquette-web.pdf

3 https://www.anpaa.asso.fr/s’informer/documentation/ressources/magazine-addictions/17-violence-et-alcool/file

4 Une définition de l’Association francophone de diffusion de l’entretien motivationnel (https://afdem.org/afdem).

5 Le droit à la dignité, Le droit à l’intimité, au respect de la vie privée, le droit à la sécurité, à la sûreté, les droits de confidentialité des informations et d’accès au dossier d’accompagnement, le droit de participation direct au projet d’accueil et d’accompagnement virgule le droit d’information sur les protections et les voies de recours.

6 Devenue par la suite Fédération des acteurs de la solidarité

7 FNARS, ANIL (2007), « Guide pratique. Elaborer le règlement de fonctionnement »

8 Deuxième partie du règlement de fonctionnement : les règles de la vie collective, les produits licites, p.7

9 Deuxième partie du règlement de fonctionnement : les règles de la vie collective, les produits licites

10 Version du règlement intérieur du 25 novembre 2015

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